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N° 112
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997
Annexe au procès-verbal de la séance du 2 décembre 1996.
PROPOSITION DE LOI
relative à la mise en place d'un label de conformité sociale garantissant la non-utilisation d'enfants dans tout processus de fabrication et de production de biens ou produits importés,
PRÉSENTÉE
Par M. Paul LORIDANT,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle
d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
Enfants. - Travail des enfants.
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
Deux cent cinquante millions d'enfants entre cinq et quatorze ans vivent de par le monde, dans de cruelles conditions d'emplois, voire de quasi-esclavage, travaillant quatorze heures par jour dans des champs, des usines ou des mines.
Les chiffres avancés par le BIT sont éloquents ; 120 millions sont employés à temps plein et 130 millions à temps partiel. Mais plus alarmant, le rapport du Bureau international du travail rendu public le 12 novembre 1996 précise que l'esclavage demeure un problème particulièrement grave dans l'agriculture, les services domestiques, les industries du tapis et du textile, les carrières de fabrication de briques. Un million d'enfants au Pakistan, en Inde et au Népal auraient été vendus en servitude, en compensation de remboursement de dettes. 153 millions de ces enfants sont employés en Asie, 80 millions en Afrique et 17,5 millions en Amérique latine.
Ces enfants esclaves représentaient, en 1995, 40% de la main-d'oeuvre de l'industrie du vêtement au Bangladesh ; ils sont 5 à 10 millions au Pakistan à fabriquer des tapis ou des ballons et commencent à travailler dès quatre ans aux Philippines pour le compte de multinationales américaines ou européennes, dès trois ans dans des fabriques d'allumettes à Sivakasi (sud de l'Inde). Cette situation s'étend de l'Afrique à l'Amérique latine où 20 % des enfants sont asservis pour des travaux abusifs. Ce phénomène se poursuit également en Iran, en Chine, mais également aux États-Unis où des enfants travaillent à leur corps défendant.
Mais il n'est nul besoin de faire le tour du monde pour dénoncer le travail des enfants. En effet, des donneurs d'ordre parisiens font travailler des familles entières originaires du Sud-est asiatique dans certaines agglomérations françaises.
Rappelons qu'en 1989, l'Assemblée générale des Nations unies a adopté une convention relative aux droits de l'enfant ratifiée par 176 États. Les principes en sont peu contraignants mais insistent néanmoins sur la protection de l'enfant contre l'exploitation économique.
Elle incite les États signataires à fixer des âges minimums d'emploi, prévoir une réglementation appropriée du travail ainsi que des peines et sanctions pour l'application de ces dispositions.
Rappelons également que l'UNICEF, comme des centaines d'associations caritatives, agit chaque jour pour aider des enfants du monde que l'on humilie.
Mais la tâche est immense quand on connaît l'importance des enjeux économiques sous-jacents. Les obstacles à une éthique des échanges sont d'autant plus forts que déclinent les pouvoirs des États et que s'accroissent ceux des multinationales. Le nouvel ordre économique mondial impose déréglementation et privatisation de l'économie afin que la libre circulation des capitaux puisse s'opérer sans contrainte, renforçant ainsi les inégalités.
Seules de profondes réformes législatives permettraient de tenter de juguler cette tendance lourde de l'économie mondiale. On peut, dès aujourd'hui, en atténuer les effets et, notamment, s'opposer aux importations de produits fabriqués par des enfants.
À cet effet, l'article 2 de cette proposition de loi a pour objet de sensibiliser aux droits de l'enfant les consommateurs, et de responsabiliser les fabricants, les importateurs et les distributeurs. Il impose aux entreprises d'apposer un label dit de conformité sociale sur les produits importés, garantissant la non-utilisation d'enfants dans tout processus de fabrication.
L'article 3 quant à lui précise les sanctions encourues par toute personne physique responsable d'une entreprise ne respectant pas la disposition précédente.
De multiples normes sont imposées aux importateurs en matière de sécurité, de fiabilité, il convient désormais d'imposer une norme sociale humanitaire aux entreprises pour enclencher un processus irréversible visant à supprimer cette exploitation des enfants.
Il est certain que le dispositif proposé semblera insuffisant au regard des abus. Toutefois, il renforcera utilement tout ce qui a été déjà fait par les associations de solidarité internationale et de consommateurs. En adoptant la présente proposition de loi, vous affirmerez votre volonté politique de voir disparaître cet esclavage. Tel est le sens du texte proposé.
PROPOSITION DE LOI
Article 1 er
Sous réserve de l'application des accords internationaux et en conformité avec l'article 32 de la Convention internationale des droits de l'enfant, est prohibée l'importation des denrées, matières et produits de toute nature et de toutes origines dont la fabrication ou la transformation requérant l'emploi d'une main-d'oeuvre enfantine ne satisfait pas aux obligations légales et réglementaires imposées sur le territoire de la République française en matière d'emploi des mineurs non libérés de l'obligation scolaire.
Art. 2.
Les sociétés à caractère marchand ou non marchand ayant une activité sur le territoire de la République française, importatrices de denrées, matières et produits de toute nature et de toutes origines doivent justifier au moyen d'un label de conformité sociale que les biens importés ne comportent, à aucun stade de leur fabrication ou de leur transformation, l'emploi d'une main-d'oeuvre enfantine en contravention avec les dispositions légales et réglementaires imposées sur le territoire de la République française en matière d'emploi des mineurs non libérés de l'obligation scolaire.
Art. 3.
Les responsables des sociétés désignées à l'article 2 de la présente proposition qui ne répondent pas aux exigences du label de conformité sociale, ou bien qui cherchent à introduire frauduleusement en France des denrées, matières et produits de toute nature et de toutes origines confectionnés à l'étranger au moyen d'une main-d'oeuvre enfantine en contravention avec la législation et la réglementation françaises relatives à l'emploi des mineurs non libérés de l'obligation scolaire, sont punis d'une peine d'emprisonnement de deux ans au moins et d'une amende de un million de francs.
Art. 4.
Un décret en Conseil d'État précise les modalités d'application de l'article 2 de la présente loi.
Art. 5.
L'augmentation des dépenses résultant pour l'État des dispositions de la présente proposition de loi est compensée par une augmentation, à due concurrence, des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.