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N° 243
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Annexe au procès-verbal de la séance du 21 février 1996.
PROPOSITION DE LOI
tendant à la modification de l'article 225-3 du code pénal, et relative à la protection des personnes contre les discriminations effectuées par les compagnies d'assurance en raison de leur état de santé et de leur handicap,
PRÉSENTÉE
Par M. Franck SÉRUSCLAT, Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD
et les membres du groupe socialiste (1),
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
(1) Ce groupe est composé de : MM. Guy Allouche, François Autain, Germain Authié, Robert Badinter, Mmes Monique Ben Guiga, Maryse Bergé-Lavigne, MM. Jean Besson, Jacques Bialski, Pierre Biarnès, Marcel Bony, Jean-Louis Carrère, Robert Castaing, Francis Cavalier-Benezet, Gilbert Chabroux, Michel Charasse, Marcel Charmant, Michel Charzat, William Chervy, Raymond Courrière, Roland Courteau, Marcel Debarge, Bertrand Delanoë, Gérard Delfau, Jean-Pierre Demerliat, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, M. Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut, Claude Estier, Léon Fatous, Aubert Garcia, Gérard Gaud, Claude Haut, Roland Huguet, Philippe Labeyrie, Guy Lèguevaques, Philippe Madrelle, Jacques Mahéas, Michel Manet, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Pierre Mauroy, Georges Mazars, Jean-Luc Mélenchon, Charles Metzinger, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Jean-Marc Pastor, Guy Penne, Daniel Percheron, Jean Peyrafitte, Jean-Claude Peyronnet, Louis Philibert, Mme Danièle Pourtaud, MM. Claude Pradille, Roger Quilliot, Paul Raoult, René Régnault, Alain Richard, Roger Rinchet, Michel Rocard, Gérard Roujas, René Rouquet, André Rouvière, Claude Saunier, Michel Sergent, Franck Sérusclat, René-Pierre Signé, Fernand Tardy, André Vézinhet, Marcel Vidal et Henri Weber.
Code pénal.
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
La loi n° 90-602 du 12 juillet 1990 relative à la protection des personnes contre les discriminations en raison de leur état de santé ou leur handicap a constitué une avancée d'importance : elle renforce un dispositif protecteur des personnes qui pourraient être discriminées en raison de leur sexe, de leur religion, de leurs moeurs... Ainsi, le législateur affirme qu'aucune discrimination ne peut être admise ; des sanctions pénales en cas de non-respect de ce principe ont été prévues.
La rédaction d'un alinéa de l'article 3 du projet de loi excluait du dispositif pénal les sélections effectuées par les compagnies d'assurance et fondées sur l'état de santé des personnes : par exemple, l'obligation préalable de la réalisation d'un test V.I.H. avant la souscription d'un contrat demandée par les assureurs est contraire à l'objectif initial. Dès l'examen de ce projet de loi, en première comme en seconde lecture, le groupe socialiste du Sénat s'est opposé à cette rédaction.
La loi telle qu'elle a été votée sur ce point précis en 1990 a suscité de très vives réactions de la part des associations de lutte contre le Sida ; d'autres instances ont pris position contre ce choix et notamment le Conseil national du Sida. Ce Conseil demandait très expressément, dans un avis rendu sur cette question, « d'interdire aux assureurs de subordonner la conclusion d'un contrat au résultat d'un test de dépistage sérologique V.I.H. ». Le législateur a retenu l'option inverse en 1990.
Conscient des difficultés résultant de cette disposition, le gouvernement de l'époque a incité les assureurs à négocier une convention définissant les conditions dans lesquelles les personnes séropositives pourraient être couvertes. Ce texte, sans base juridique sérieuse, non opposable aux compagnies, n'a évidemment pas produit les effets antidiscriminatoires que la loi aurait dû sanctionner. Les craintes pressenties par le groupe socialiste en 1990 sont aujourd'hui, hélas !, largement démontrées.
Cette convention prévoit seulement que la réalisation d'un test de dépistage V.I.H. ne peut être demandée que pour couvrir des montants d'emprunt supérieurs à un million de francs ; or, les compagnies continuent de demander de façon quasi systématique la réalisation d'un test quel que soit le montant de la couverture. Il est très évident aussi que la découverte d'une sérologie positive aboutit quasi systématiquement au refus d'assurer le risque demandé. Par ailleurs, la réalisation du test de dépistage n'est pas toujours effectuée dans les conditions garantissant le secret médical.
L'impunité pénale dont jouissent les compagnies d'assurance a largement démontré que la bonne volonté - symbolisée par la convention de 1992 - ne s'est pas concrétisée dans les faits.
Qui plus est, le développement de plus en plus certain des dépistages génétiques fait craindre le développement de pratiques discriminatoires fondées sur l'hypothèse du développement de maladie non avérée au moment de la signature du contrat. Le Comité national consultatif d'éthique s'est inquiété de cette probabilité dans un avis intitulé : « Génétique et médecine : de la prédiction à la prévention ». En l'occurrence, le Comité condamne l'utilisation actuelle de ces tests génétiques « dans le cadre d'un contrat d'assurance ».
Dans ces conditions et après cinq ans d'application de la loi, il est nécessaire que les parlementaires, aujourd'hui mieux informés des pratiques discriminatoires pratiquées par les assureurs en matière de séropositivité, en tirent les conclusions législatives au-delà même de cet aspect. Cette relecture de la loi se trouve renforcée au regard des principes généraux d'assurabilité des personnes et de l'allongement de la période de la séroconversion.
La loi ne peut pas accepter de mettre en cause des libertés individuelles fondamentales sur des considérations économiques inexactes ; en le faisant, elle manque gravement à sa mission de justice. Il est de plus insupportable humainement que la loi, par le biais de la non-sanction de l'assureur pratiquant des discriminations, signifie indirectement à des personnes séropositives qu'elles n'ont pas d'espoir d'une durée de vie compatible avec les critères d'assurabilité et que les attentes dans les résultats de la recherche deviennent vains.
Cette question doit être inscrite à l'ordre du jour des assemblées parlementaires ; la conclusion de ce débat aboutira à la demande de la modification de la disposition litigieuse, par l'ajout d'un alinéa supplémentaire à l'article 225-3 du code pénal excluant l'application du 1° aux discriminations portant sur des maladies non avérées.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous vous demandons de bien vouloir adopter la présente proposition de loi.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
Après le 3° de l'article 225-3 du code pénal, il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Le 1° du présent article n'est pas applicable aux discriminations portant sur des maladies non avérées. »