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N° 229
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Annexe au procès-verbal de la séance du 15 février 1996.
PROPOSITION DE LOI
tendant à préciser la portée de l' incompatibilité
définie à l'article L. 52-5, premier alinéa, du code électoral,
PRÉSENTÉE
Par MM. Michel MERCIER, Serge MATHIEU, Emmanuel HAMEL
et René TRÉGOUËT,
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
Élections et référendums. - Conseillers municipaux - Financement des campagnes électorales -Code électoral.
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
L'article 2 de la loi n° 95-65 du 19 janvier 1995 relative au financement de la vie politique a complété le premier alinéa de l'article L. 52-5 du code électoral par deux phrases rédigées comme suit :
« Le candidat ne peut être membre de sa propre association de financement électorale. L'expert-comptable chargé de la présentation du compte de campagne ne peut exercer les fonctions de président ou de trésorier de cette association. »
Ce texte, qui répondait à un souci louable de transparence et de moralisation, n'a pas manqué, faute d'une rédaction suffisamment concise, de susciter une grave difficulté d'interprétation.
Dans les élections au scrutin de liste - comme les élections municipales -, l'interdiction faite au candidat d'être membre de sa propre association de financement électorale vaut-elle pour le seul candidat qui conduit la liste ou pour l'ensemble des candidats qui figurent sur la liste ?
La lecture des travaux préparatoires de la loi du 19 janvier 1995 semble accréditer la première interprétation puisque la commission mixe paritaire devait rejeter un amendement, adopté par le Sénat, aux termes duquel « le candidat ou les candidats de la liste, l'expert-comptable chargé de la présentation des comptes de campagne ne peuvent exercer les fonctions de président ou de trésorier de cette association » et rétablir la rédaction proposée par l'Assemblée nationale.
En outre, il est de principe qu'un texte qui édicté une incompatibilité, et qui a donc pour effet de porter atteinte à un mandat électif ne saurait faire l'objet d'une interprétation extensive (Conseil constitutionnel, décision 5-1 du 18 octobre 1977).
Saisi par le tribunal administratif de Lille, en application de l'article 12 de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif - qui permet aux tribunaux administratifs et aux cours administratives d'appel de soumettre au Conseil d'État « toute question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litige » - le Conseil d'État, par un avis rendu le 5 février 1996, a considéré que « par "candidat" au sens des dispositions de l'article L. 52-5, il convient d'entendre toute personne figurant sur la liste » et que « par "membre" de l'association, il convient d'entendre tout membre de ses organes d'administration et de direction, au sens des dispositions de l'article 5 de la loi du 1 er juillet 1901 ».
Mesdames, Messieurs, dans ses « Pensées », Montesquieu prétend que « l'esprit du citoyen est d'aimer les lois, lors même qu'elles ont des cas qui nous sont nuisibles, et de considérer plutôt le bien général qu'elles nous font toujours que le mal particulier qu'elles nous font quelquefois ».
Les nombreux candidats invalidés et déclarés inéligibles pendant un an pour avoir contrevenu aux dispositions de l'article L. 52-5 du code électoral ne souscriront vraisemblablement pas à cette profession de civisme.
Car c'est bien la loi du 19 janvier 1995 - dont l'imperfection est manifeste - qui est en cause, et non l'interprétation qui en a été donnée par le Conseil d'État - interprétation dont le fondement, attaché à l'idée de solidarité entre les membres d'une même liste, est solide, sinon incontestable.
Le ressentiment éprouvé par les intéressés apparaîtra d'autant plus légitime qu'une circulaire du ministre de l'intérieur, datée du 1 er février 1995, s'est risquée à avancer que « par candidat potentiel, il faut entendre, dans le cas d'un scrutin uninominal, la personne qui envisage de se présenter et, dans le cas d'un scrutin de liste, celle qui envisage de prendre la tête d'une liste ».
Ainsi, de nombreux colistiers pouvaient raisonnablement se croire fondés à être membres de leur association de financement électorale.
D'autant que la première version des modèles de statuts d'association de financement électorale mis à disposition des candidats dans préfectures prévoyait à son article 6 que « l'association est dirigée par un bureau de... membres ; le bureau élit en son sein un président et un trésorier choisis en dehors du candidat ou des candidats de la liste ».
La commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a d'ailleurs bien involontairement induit en erreur nombre de candidats puisque le modèle d'association de financement électorale proposé dans son « Mémento à l'usage des mandataires financiers et des associations de financement électorales », publié il est vrai en mars 1994 - soit avant la réforme de l'article L. 52-5, premier alinéa, du code électoral -, prévoyait que « le bureau élit en son sein un président et un trésorier choisis en dehors du candidat ou des candidats têtes de liste ».
La règle, en soi ambiguë, définie à l'article 2 de la loi du 19 janvier 1995 a, de surcroît, été adoptée de manière précipitée, à quelques mois seulement des élections municipales reportées de mars à juin 1995 par la loi n° 94-590 du 15 juillet 1994 relative à la date de renouvellement des conseillers municipaux, alors même que, conformément l'article L. 52-4 du code électoral, les associations de financement électorales s'étaient constituées pour recueillir des fonds dès le 1 er mars 1994.
L'interprétation de l'article L. 52-5, premier alinéa, du code électoral délivrée par le Conseil d'État produit des effets extrêmement fâcheux.
En effet, les colistiers qui, en toute bonne foi, ont accepté d'être membres des organes d'administration ou de direction de leur association de financement électorale sont invalidés - s'ils ont été élus - et déclarés inéligibles pendant un an (art. L. 118-3 du code électoral).
En outre, les mêmes sanctions frappent le candidat tête de liste dont le compte de campagne a été rejeté de bon droit (art. L. 234 du code électoral).
Enfin, les candidats dont le compte de campagne a été rejeté perdent tout droit au remboursement par l'État du forfait de 50 % de leur plafond de dépenses (art. L. 52-11-1 du code électoral), ce qui peut conduire à des situations financières dramatiques.
Comme a pu l'écrire le professeur Guy Carcassonne, « des pénalisations extrêmement sévères vont frapper des personnes qui ont agi de parfaite bonne foi, avec les encouragements de l'administration, qui ont tenu des comptes irréprochables et ne se sont rendues coupables d'aucune fraude ».
Au surplus, l'opinion n'étant guère portée à séparer le bon grain de l'ivraie, l'opprobre sera durablement jeté sur des hommes et des femmes dont l'honorabilité ne mérite pourtant pas d'être suspectée.
Pis encore, certains tribunaux administratifs ayant adopté, par des jugements définitifs - puisque la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ne peut en relever appel -, une interprétation opposée à celle du Conseil d'État, l'élection de certains candidats ayant pourtant contrevenu à l'article L. 52-4, premier alinéa, du code électoral doit être regardée comme définitivement acquise.
Pour ajouter à la confusion, ces mêmes juridictions pourraient fort bien décider de revenir sur leur jurisprudence et de suivre l'avis du Conseil d'État.
L'absurde le dispute donc à l'inique...
Le Parlement s'honorerait en neutralisant, pour le passé comme pour l'avenir, les effets malencontreux du texte incertain qu'il a adopté en janvier 1995.
C'est encore le président de Montesquieu qui, dans ses « Cahiers », relevait : « Une chose n'est pas juste parce qu'elle est loi ; mais elle doit être loi parce qu'elle est juste. »
Aussi, la proposition de loi que j'ai l'honneur de présenter :
- par une disposition interprétative - qui s'appliquerait aux instances pendantes devant les tribunaux administratifs et le Conseil d'État - énonce que l'interdiction, faite par l'article L. 52-5, premier alinéa, du code électoral à un candidat d'appartenir à sa propre association de financement électorale ne vaut que pour le candidat tête de liste pour l'élection des conseillers municipaux dont le dépôt est intervenu avant la date de lecture de l'avis du Conseil d'État, soit le 5 février 1996 ; - donne une nouvelle rédaction à l'article L. 52-5, premier alinéa, troisième phase, du code électoral selon laquelle, en cas de scrutin de liste, aucun membre de la liste ne peut être membre des organes d'administration et de direction de sa propre association de financement électorale, non plus que mandataire financier.
Tels sont, Mesdames, Messieurs, les motifs de la proposition de loi que j'ai l'honneur de vous présenter.
PROPOSITION DE LOI
Article premier.
Pour l'élection des conseillers municipaux dont le dépôt de candidature est intervenu avant le 5 février 1996, l'interdiction faite par l'article L. 52-5, premier alinéa du code électoral à un candidat d'être membre de sa propre association de financement électorale ne vaut que pour le candidat tête de liste.
Cette disposition a valeur interprétative ; elle s'applique aux instances pendantes devant les tribunaux administratifs et le Conseil d'État.
Art. 2.
La troisième phrase du premier alinéa de l'article L. 52-5 du code électoral est rédigée comme suit :
« Le candidat ou, dans les élections au scrutin de liste, aucun candidat figurant sur la liste ne peut être membre des organes d'administration et de direction, au sens de l'article 5 de la loi du 1 er juillet 1901 "relative au contrat d'association", de sa propre association de financement électorale, non plus que mandataire financier. »