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N° 137
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019
Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2018 |
PROPOSITION DE LOI
tendant à garantir la portée juridique des réponses ministérielles aux questions écrites des parlementaires ,
PRÉSENTÉE
Par M. Jean Louis MASSON,
Sénateur
(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La Constitution prévoit que les parlementaires contrôlent l'action du Gouvernement et le système des questions écrites a été instauré dans ce but. Cependant, ce système ne peut être pertinent que si les réponses ministérielles correspondantes ont un minimum de valeur juridique et sont opposables, notamment à l'administration placée sous l'autorité du ministre qui les a émises.
Or, sauf dans le domaine de la fiscalité, les questions écrites n'ont strictement aucune portée juridique, ce qui crée parfois des difficultés au détriment des administrés ou des collectivités territoriales. La loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance a instauré récemment l'opposabilité à l'État des documents administratifs émis par ses services. La moindre des choses serait donc d'appliquer le même régime aux réponses ministérielles, lesquelles émanent également des services de l'État et peuvent être assimilées à un document administratif.
• La portée juridique des réponses ministérielles aux questions écrites
Selon la jurisprudence, les réponses des ministres aux questions écrites posées par les parlementaires n'ont qu'une valeur informative 1 ( * ) . Elles n'occupent aucune place dans la hiérarchie des normes et ne peuvent donc pas se substituer aux décisions réglementaires et individuelles prises par les autorités administratives compétentes. De son côté, le juge reste le seul maître de l'interprétation qu'il entend donner des dispositions votées par le Parlement.
•
Ce principe souffre une exception en matière fiscale ; elle est destinée à prémunir les contribuables contre les changements de doctrine de l'administration. S'appuyant sur l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, qui prévoit l'opposabilité des instructions et circulaires administratives en matière fiscale, le juge administratif a consacré l'opposabilité des réponses ministérielles aux questions écrites se rapportant à la fiscalité, dès lors que ces réponses constituent une interprétation de la loi fiscale 2 ( * ) .
La position du juge administratif a été résumée de la façon suivante dans une décision du Conseil d'État de 2005 : « les réponses faites par les ministres aux questions écrites des parlementaires ne constituent pas des actes susceptibles de faire l'objet d'un recours contentieux; [...] toutefois, il en va autrement lorsque la réponse comporte une interprétation par l'administration de la loi fiscale pouvant lui être opposée par un contribuable sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales » 3 ( * ) .
Le juge administratif a précisé ce qui relevait ou non de l'interprétation de la loi fiscale. En particulier, une réponse ministérielle se contentant de rappeler les dispositions de la loi sans les interpréter 4 ( * ) , de même qu'une réponse ministérielle laissant un pouvoir d'interprétation aux services des impôts 5 ( * ) , ne constitue pas une interprétation de la loi fiscale au sens de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales. De plus, cette jurisprudence concerne les seules réponses aux questions écrites et ne s'étend donc pas aux questions orales.
• Le contexte de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018
L'article 20 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance fixe une règle générale prévoyant 1'opposabilité, sous certaines conditions, de la doctrine administrative ministérielle.
Le nouvel article L. 312-3 du code des relations entre le public et l'administration dispose ainsi que : « Toute personne peut se prévaloir des documents administratifs mentionnés au premier alinéa de l'article L. 312-2, émanant des administrations centrales et déconcentrées de l'État et publiés sur des sites internet désignés par décret. Toute personne peut se prévaloir de l'interprétation d'une règle, même erronée, opérée par ces documents pour son application à une situation qui n'affecte pas des tiers, tant que cette interprétation n'a pas été modifiée. Les dispositions du présent article ne peuvent pas faire obstacle à l'application des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l'environnement. »
Le premier alinéa de l'article L. 312-2 du code des relations entre le public et l'administration, auquel fait référence l'article L. 312-3 pour définir son champ d'application, mentionne « les instructions, les circulaires ainsi que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives ».
Les travaux parlementaires sur le projet de loi initial se sont concentrés sur l'invocabilité des instructions et circulaires ministérielles, sans donner de définition précise de la notion de « réponses ministérielles ». De ce fait, il est difficile de savoir si elle englobe les réponses aux questions écrites des parlementaires ou si elle ne vise que celles apportées à des questions individuelles posées par les administrés.
Cependant, par cohérence avec l'interprétation qui a été faite de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales par le juge administratif, les réponses ministérielles aux questions écrites pourraient être considérées comme faisant partie de la doctrine administrative et donc comme opposables dans les conditions et limites définies à l'article L. 312-3 susvisé.
* *
*
En tout état de cause, si rien n'est fait pour clarifier la situation, la question ne sera tranchée qu'à l'occasion d'hypothétiques futurs contentieux 6 ( * ) . Afin de remédier à ce vide juridique, la présente proposition de loi tend donc à intégrer les réponses ministérielles aux questions écrites des parlementaires dans l'article L. 312-2 susvisé. Tel est l'objet de la présente proposition de loi.
Proposition de loi tendant à garantir la portée juridique des réponses ministérielles aux questions écrites des parlementaires
Article unique
Le premier alinéa de l'article L. 312-3 du code des relations entre le public et l'administration est complété par les mots : «, ainsi que des réponses faites par les ministres aux questions écrites des parlementaires ».
*
1
CE, 12 juin 1936,
Hitzel ;
CE, 20 avril 1956,
Sieur Lucard ;
CE, 26
février 1969,
Sieur Duflocq.
* 2 CE, 24 juin 1968, Sieur X, n° 66883
* 3 CE, 16 décembre 2005, Sté Friadent France, n° 272 618
* 4 CE, 22 octobre 1976, n° 98874 .
* 5 CAA Paris, 29 mai 1990, n° 89PA01616.
*
6
Question
écrite n° 6697 de M. Jean Louis Masson ;
JO Sénat Débats parlementaires /
Questions
réponses du 6 septembre 2018.