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N° 611

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 mai 2013

PROPOSITION DE LOI

visant à permettre l' inscription , dans les règlements intérieurs des entreprises , de la neutralité vis-à-vis des opinions ou croyances ,

PRÉSENTÉE

Par MM. Alain HOUPERT, Antoine LEFÈVRE, Pierre BORDIER, Christian CAMBON, Michel HOUEL, Francis DELATTRE, Louis PINTON, Bernard FOURNIER, Alain DUFAUT, Alain MILON, Jean-Pierre LELEUX, Gérard CÉSAR, Louis-Constant FLEMING, Mme Catherine PROCACCIA, MM. Louis DUVERNOIS, Marcel-Pierre CLÉACH, Mme Catherine DEROCHE, MM. René BEAUMONT et André FERRAND.

Sénateurs

(Envoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Chacun reconnaît que la laïcité est une force pour notre pays, notamment en cette période ou les désordres économiques et sociaux, voire des replis identitaires, pourraient mettre à mal le pacte républicain.

En vertu de l'article 1 er de la Constitution du 4 octobre 1958 qui dispose que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », le principe de laïcité et celui de neutralité qu'il implique, s'appliquent à l'État, aux collectivités publiques, aux personnes morales de droit public et à leurs agents, c'est à dire à l'ensemble des services publics.

Ces principes, sont essentiels au maintien d'un espace public pacifié.

Il en va différemment de l'expression religieuse dans le secteur privé et notamment du port de signes religieux au travail, dans l'entreprise, au carrefour de trois exigences : la liberté religieuse, la non-discrimination et la force du contrat.

Dans l'état actuel du droit, des restrictions peuvent être apportées à cette expression, pour le bon fonctionnement de l'entreprise :

- dans le cadre du contrat de travail, au titre de l'article L. 1121-1 du code du travail, en fonction de l'activité de l'entreprise, de la nature de la tâche effectuée par le salarié et proportionnées au but recherché ;

- dans celui du règlement intérieur, au titre de l'article L. 1321-1et L. 1321-3, en fonction des « conditions de travail protectrices de la santé et de la sécurité des salariés, dès lors qu'elles apparaîtraient compromises » et de la nature de la tâche à accomplir telle que définie par le contrat de travail.

Au regard du règlement intérieur, deux récentes jurisprudences de la chambre sociale de la Cour de cassation, en date du 19 mars 2013, mettent bien en exergue la différence de situation selon que l'employé exerce dans le secteur public ou dans une entreprise privée.

L'une concerne une employée de la caisse primaire d'assurance maladie, licenciée au motif qu'elle portait un accessoire vestimentaire spécifique à sa religion. Elle avait saisi la juridiction prud'homale s'estimant discriminée sur la base de ses convictions religieuses, alors que l'employeur s'était reposé sur un règlement intérieur interdisant « le port de vêtements ou d'accessoires positionnant clairement un agent comme représentant un groupe, une ethnie, une religion, une obédience politique ou quelque croyance que ce soit » . La Cour de cassation a approuvé l'arrêt de la Cour d'appel rejetant la demande de la salariée, au motif que les principes de laïcité et de neutralité du service public étaient applicables à l'ensemble des services publics, même lorsque ces derniers sont assurés par des organismes de droit privé, que la personne soit en contact ou non avec le public .

L'autre jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation a, en revanche, cassé le jugement de la Cour d'appel de Versailles qui avait confirmé le licenciement pour faute d'une employée de la crèche Baby-Loup de Chanteloup-les-vignes (78), affaire qui avait défrayé la chronique.

L'employée, portant le même accessoire vestimentaire que celui cité précédemment, ne s'était, d'après son employeur, pas conformée au règlement intérieur de l'établissement privé, prohibant le port d'un signe confessionnel ostentatoire.

Ainsi la Cour de cassation affirme que les principes de laïcité et de neutralité ne peuvent pas s'appliquer aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public et ne peuvent être invoqués pour les priver de la protection que leur apporte les dispositions, contre la discrimination, du code du travail. La restriction de la liberté religieuse est possible dans l'entreprise seulement si, tel qu'il résulte des articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail et sous le visa de l'article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif à la « Liberté de pensée, de conscience et de religion », elle est justifiée par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché.

« L'exigence professionnelle essentielle et déterminante » renvoie au droit européen - article 19 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) et directive européenne n° 2000/78/CE - instituant un principe de non-discrimination, même indirecte, appliqué en matière religieuse.

Deux poids, deux mesures en somme, dans le monde du travail, selon que l'on a affaire au secteur public ou à un établissement privé.

Le règlement intérieur, dans un service public, peut interdire au nom du principe de laïcité, même au personnel n'étant pas en contact avec les usagers, de manifester ses croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires.

Dans un établissement privé, aux termes de la jurisprudence du 19 mars 2013, le règlement intérieur ne peut pas instaurer une restriction générale et imprécise visant à prohiber le port de signes religieux.

C'est une situation qui fait débat et l'opinion, sondée encore très récemment, tout comme depuis plusieurs années des voix autorisées, conscientes du trouble créé par le port de signes religieux par les salariés du secteur privé, notamment lorsqu'il y a un contact avec le public, souhaitent voir évoluer le droit en la matière.

Tous invoquent une neutralité religieuse propre à apaiser le climat social dans l'entreprise.

Le Conseil constitutionnel a rappelé que la liberté religieuse ne postulait pas que les groupes religieux puissent revendiquer des droits particuliers. Pour les salariés cela signifie qu'au nom de la manifestation de leurs opinions et croyances, ils ne peuvent revendiquer un statut particulier.

Il s'agit d'inscrire cette neutralité dans la loi, raison pour laquelle je dépose cette proposition de loi qui donne les moyens au chef d'entreprise de prévoir dans le règlement intérieur, un encadrement de l'expression d'opinions et de croyances, propre aux spécificités des entreprises et des tâches effectuées.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

À l'article L. 1121-1 du code du travail, après le mot : « accomplir », sont insérés les mots : « par des impératifs tenant à la sécurité, à la santé, à la neutralité à l'égard de toutes les opinions ou croyances en fonction des tâches exercées, ».

Article 2

Au 2° de l'article L. 1321-3 du même code, après le mot : « accomplir », sont insérés les mots : « par des impératifs tenant à la sécurité, à la santé, à la neutralité à l'égard de toutes les opinions ou croyances en fonction des tâches exercées, ».

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