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N° 118
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013
Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 novembre 2012 |
PROPOSITION DE LOI
visant à rendre obligatoire l' étourdissement des animaux avant tout abattage ,
PRÉSENTÉE
Par Mme Sylvie GOY-CHAVENT et M. Aymeri de MONTESQUIOU,
Sénateurs
(Envoyée à la commission des affaires économiques, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis 1979, la France est signataire de la Convention européenne sur la protection des animaux d'abattage. L'article 16 de cette convention dispose, en son paragraphe premier, que « les procédés d'étourdissements autorisés par les parties contractantes doivent plonger l'animal dans un état d'inconscience où il est maintenu jusqu'à l'abattage, lui épargnant en tout état de cause toute souffrance évitable ».
Cet engagement européen a été confirmé, cette fois au plan communautaire, avec l'adoption de la directive européenne 93/119/CE du Conseil, le 22 décembre 1993, sur la protection des animaux au moment de leur abattage ou de leur mise à mort, qui s'impose à la France. Cette directive prévoit notamment, en son article 5, que « les solipèdes, les ruminants, les porcs, les lapins et les volailles introduits dans les abattoirs aux fins d'abattage doivent être étourdis avant abattage ou mis à mort instantanément ».
Le règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil (applicable au 1 er janvier 2013) précise, en son article 4 : « Les animaux sont mis à mort uniquement après étourdissement selon les méthodes et les prescriptions spécifiques relatives à leur application exposées à l'annexe I. L'animal est maintenu dans un état d'inconscience et d'insensibilité jusqu'à sa mort ».
Le principe qui préside donc dans les textes européens est celui de l'interdiction de l'abattage des animaux conscients, c'est-à-dire l'obligation d'étourdir les animaux avant leur mise à mort de façon à leur éviter toute souffrance inutile. Selon les textes en effet, toute douleur ou souffrance évitable doit leur être épargnée. L'inverse serait considéré comme un acte de cruauté commis envers l'espèce animale.
Des possibilités de dérogation à l'étourdissement préalable ont toutefois été prévues, à l'intention des États signataires ou des États-membres. Ces cas exceptionnels font l'objet d'une liste limitative.
Ainsi, la Convention européenne de 1979 énumère les quatre cas suivants :
- abattages selon des rites religieux,
- abattages d'extrême urgence lorsque l'étourdissement n'est pas possible,
- abattages de volailles et de lapins selon des procédés agréés provoquant une mort instantanée des animaux,
- mise à mort d'animaux pour des raisons de police sanitaire, si des raisons particulières l'exigent.
On retrouve de manière équivalente ces exceptions dans la directive communautaire de 1993, qui énonce en particulier une possibilité de dérogation, pour les autorités compétentes, en ce qui concerne « les animaux faisant l'objet de méthodes particulières d'abattage requises par certains rites religieux » (paragraphe 2 de l'article 5), mais cette dérogation n'est qu'une possibilité laissée aux États membres.
Ce principe est repris par le règlement (CE) n°1099/2009 du Conseil, du 24 septembre 2009, sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort (paragraphe 4 de l'article 4).
Dans notre pays, la directive communautaire de 1993 a fait l'objet d'une transposition en droit français, par la voie réglementaire. À cette occasion, la France a fait le choix de mettre en oeuvre le principe de l'interdiction, tout en lui reconnaissant certaines exceptions. Ces dernières sont désormais codifiées au sein du code rural et de la pêche maritime, à l'article R. 214-70.
Dans un rapport de novembre 2011, le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux précise que 51 % des abattages pratiqués en France sont des abattages rituels, alors que les consommateurs musulmans et juifs ne représentent pas plus de 7 % des consommateurs français. D'après la chambre d'Agriculture d'Ile-de-France : « 100 % des animaux abattus en Ile-de-France le sont selon les traditions musulmanes et juives ». Dans son communiqué du 21 février 2012, la chambre d'Agriculture précise que les opérateurs ont privilégié un procédé unique d'abattage rituel pour des raisons de simplification des tâches et par volonté de réduire les coûts.
La Commission européenne a dénoncé ces dérives observées en France (et en Belgique), elle a d'ailleurs ainsi conclu son enquête : « Le nombre d'animaux abattus selon un rituel religieux dépasse très largement les besoins intérieurs des minorités religieuses concernées ».
Toutefois, bien que l'abattage sans étourdissement ne soit autorisé en France qu'à titre dérogatoire, il apparaît aujourd'hui que l'exception devienne la règle générale. Un article publié en 2010 dans le Figaro 1 ( * ) a ainsi révélé qu'une part non négligeable de viandes provenant d'animaux égorgés conscients, qui ne sont pas consommées entièrement par ceux à qui elles étaient initialement destinées, seraient réinjectées dans le circuit classique de la grande distribution et des détaillants.
Les raisons de cette généralisation de l'abattage sans étourdissement préalable sont, on le comprend, essentiellement économiques. Elle permet aux abattoirs d'accéder à de nouveaux marchés, celui de la viande casher et halal, de plus en plus lucratifs, tout en écoulant les invendus sur le marché classique. Or, cet écoulement se fait sans étiquetage particulier. Il résulte de ce phénomène un défaut d'information du consommateur qui peut, dès lors, se retrouver à consommer sans le savoir ni le vouloir des viandes abattues selon certains rites, alors qu'il ne souhaitait pas nécessairement acheter de la viande provenant d'animaux n'ayant pas été étourdis.
Outre la nécessité d'informer le consommateur, il convient également de faire respecter la réglementation européenne dont le principe est, rappelons-le, celui de l'interdiction de la souffrance animale. Or précisément, en 2004, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a émis un avis pour la Commission européenne 2 ( * ) , selon lequel « en raison des graves problèmes de bien-être animal liés à l'abattage sans étourdissement, un étourdissement doit toujours être réalisé avant l'égorgement ». En effet, comme le souligne l'EFSA dans un rapport qu'elle a publié conjointement 3 ( * ) , le risque est élevé qu'en l'absence d'étourdissement, les animaux ressentent une douleur extrême au moment de l'égorgement et la probabilité est forte de graves manquements à la protection des animaux au moment où l'animal est toujours conscient alors qu'on lui a tranché la gorge : il peut alors éprouver de l'angoisse, de la douleur, du stress et d'autres souffrances.
Selon l'avis de l'EFSA, « des coups destinés à provoquer une saignée rapide engendrent d'importantes destructions de tissus dans des zones fortement innervées. La baisse de tension rapide qui suit l'hémorragie est nettement ressentie par l'animal conscient et entraîne terreur et panique. L'animal, conscient, souffre aussi quand son sang se répand dans sa trachée . ».
Selon le rapport d'expertise Douleurs animales 4 ( * ) de l'INRA : « Chez les veaux et les bovins adultes, on observe une grande variabilité dans la perte de conscience des animaux avec des extrêmes de 8 secondes à 14 minutes ».
Dans son avis 02/104 de 2006, la Fédération des Vétérinaires d'Europe précise : « L'abattage sans étourdissement retarde la perte de conscience jusqu'à parfois plusieurs minutes. Durant cette période consciente, l'animal peut être exposé à la douleur et une souffrance non nécessaires dues à : des plaies ouvertes ; la possible aspiration de sang, et dans le cas des ruminants, de contenu de rumination ; la possible souffrance par asphyxie après la section du plexus brachial et du nerf pneumogastrique. Du point de vue de la protection des animaux et par respect pour l'animal en tant qu'être sensible, la pratique consistant à abattre les animaux sans étourdissement préalable est inacceptable, quelles que soient les circonstances ».
Le Décret n° 2011-2006 du 28 décembre 2011 fixant les conditions d'autorisation des établissements d'abattage à déroger à l'obligation d'étourdissement des animaux (applicable au 1 er juillet 2012), et l'Arrêté du 28 décembre 2011 relatif aux conditions d'autorisation des établissements d'abattage à déroger à l'obligation d'étourdissement des animaux, devaient mieux encadrer l'abattage et limiter les dérives... Il n'en est rien. La preuve, alors que les abattoirs français sont déjà en surproduction de viandes issues de l'abattage rituel, de nouveaux projets sont en cours, que ce soit pour l'abattoir d'Anglet (Pyrénées-Atlantiques) ou le projet d'abattoir halal à Guéret (Creuse) contre lequel des associations de protection animale se sont élevées, ainsi que de nombreux éleveurs scandalisés d'être pris en otage n'ayant d'autre choix que faire égorger leurs bêtes dans de terribles souffrances.
Éleveurs, professionnels de la boucherie, associations de protection animale, citoyens et représentants des cultes dénoncent l'égorgement des bêtes sans étourdissement préalable. Dans le journal Sud-ouest, du 23 mai 2012 (au sujet de l'abattoir d'Anglet), M. Abderrahim WAJOU représentant l'association des musulmans de la Côte basque déclare : « La viande halal, ce sont les entrepreneurs qui sont demandeurs, pas les musulmans. Ce marché est porteur, ils se lancent donc là-dedans. L'idée n'est pas de favoriser une communauté ». Le Recteur de la Grande Mosquée de Paris, le Dr Dalil BOUBAKEUR, alors président du Conseil Français du Culte Musulman avait déclaré, en février 2006 dans un entretien à Filières Avicoles : « J'ai personnellement assuré à Brigitte BARDOT, lorsque je l'ai rencontrée, que l'Islam n'est pas hostile à l'étourdissement mais à condition qu'il ne soit pas irréversible ».
La réversibilité de l'étourdissement des animaux d'abattoir a été établie, en décembre 2006, par l'Académie vétérinaire de France qui a remis un rapport, aux ministères de l'Agriculture et de l'Intérieur, dans lequel on peut lire : « L'étourdissement électrique des animaux de boucherie, et notamment des ovins, est réversible s'il est correctement appliqué ; l'animal soumis à cette forme d'étourdissement reste vivant, mais dans un état d'inconscience et d'insensibilité à la douleur ».
La présente proposition de loi vise à rendre obligatoire l'insensibilisation des animaux au moment de leur mise à mort.
PROPOSITION DE LOI
Article 1 er
L'article L. 214-3 du code rural et de la pêche maritime est complété par un alinéa ainsi rédigé:
« Préalablement à leur abattage, et afin de leur épargner toute souffrance évitable, les animaux doivent obligatoirement être insensibilisés et rendus inconscients par l'une des méthodes d'étourdissement prévues par le Règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil ».
Article 2
Au 1° du I. de l'article R. 214-70 du paragraphe 1 de la sous-section 2 de la section 4 du chapitre IV du titre 1° du livre II du même code, les mots « Si cet étourdissement n'est pas compatible avec la pratique de l'abattage rituel » sont supprimés.
Article 3
Des décrets en Conseil d'État précisent les modalités de mise en oeuvre des mesures propres à assurer l'étourdissement préalable de tous les animaux lorsqu'il est procédé à un abattage rituel.
* 1 « Nous avons tous déjà mangé de la viande halal ou casher », Cécilia GABIZON, Le Figaro, 25 février 2010.
* 2 Avis du Groupe scientifique sur la santé et le bien-être des animaux, émis à la demande de la Commission concernant les aspects de bien-être des principaux systèmes d'étourdissement et de mise à mort appliqués aux espèces commercialisées. The EFSA Journal (2004), 45, 1-29, adopté le 15 juin 2004.
* 3 Rapport du Groupe scientifique sur la santé et le bien-être des animaux rédigé à la demande de la Commission concernant les aspects de bien-être des méthodes d'étourdissement et de mise à mort des animaux. Autorité européenne de sécurité des aliments -AHAW/04-027, adopté le 15 juin 2004.
* 4 Rapport d'expertise de l'INRA sur la douleur animale chez les animaux d'élevage, réalisé à la demande des ministères en charge de l'Agriculture et de la Recherche, publié le 8 décembre 2009.