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N° 384

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 avril 2010

PROPOSITION DE LOI

visant à assurer la sauvegarde du service public de la télévision ,

PRÉSENTÉE

Par M. Jack RALITE, Mmes Brigitte GONTHIER-MAURIN, Marie-Agnès LABARRE, MM. Ivan RENAR, Jean-François VOGUET, François AUTAIN, Mmes Éliane ASSASSI, Nicole BORVO COHEN-SEAT, Marie-France BEAUFILS, M. Michel BILLOUT, Mme Annie DAVID, M. Jean-Claude DANGLOT, Mmes Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, MM. Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Mme Gélita HOARAU, MM. Robert HUE, Gérard LE CAM, Mmes Josiane MATHON-POINAT, Isabelle PASQUET, Mireille SCHURCH, Odette TERRADE et M. Bernard VERA,

Sénateurs

(Envoyée à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi a pour objet de mettre le régime juridique appliqué à l'audiovisuel public en conformité avec les décisions rendues par le Conseil constitutionnel du 3 mars 2009 et du Conseil d'État du 11 février 2010.

La loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision a mis en danger le secteur de la télévision publique qu'elle prétendait réformer. En supprimant la publicité sur les chaînes publiques entre 20 heures et 6 heures et en projetant la suppression totale de la publicité sur les chaînes publiques dès le passage à la télévision numérique en 2012, la loi déstabilise le modèle économique de France Télévisions.

Certes, outre la redevance traditionnellement collectée au bénéfice de France Télévisions et rebaptisée contribution à l'audiovisuel public par la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009, la loi prévoit pour compenser le manque induit par la suppression de la publicité :

- la création d'une taxe sur la publicité des chaînes privées ;

- une autre sur les fournisseurs d'accès Internet (FAI) et les opérateurs de communications électroniques ;

- la compensation par l'État via une dotation annuelle effectuée lors de la loi de finances.

Cependant, dans les faits, le dispositif mis en place ne garantit pas l'indépendance de l'audiovisuel public et son aptitude à exercer les missions de service public qui lui sont confiées.

En effet, depuis l'adoption de la loi ces trois modes de compensation n'ont cessé d'être menacés, alors même que la suppression de la publicité a amputé France Télévisions d'une partie conséquente de ces ressources mettant à mal la pérennité du financement de l'audiovisuel public :

- les 450 millions d'euros d'aides promises par le Gouvernement à France Télévisions pour compenser les pertes induites par la suppression de la publicité ont été amoindries lors du vote de la loi de finances de 2010. Seuls 415 millions ont été accordés, privant France Télévisions de 35 millions au motif que le manque à gagner estimé au moment de l'adoption de la loi aurait finalement été moins dramatique que prévu en 2009 ;

- à peine adopté, le pourcentage de la taxe sur la publicité des chaînes privées a été remis en cause lors du projet de loi de finances de 2010. Cette disposition a été refusée mais, pour 2009, les chaînes privées invoquant une baisse de leurs recettes publicitaires ont obtenu un allègement ;

- enfin, la Commission européenne conteste la taxe de 0,9 % sur les opérateurs de télécommunications et les fournisseurs d'accès à Internet (FAI), ce qui priverait France Télévisions de 400 millions d'euros.

Non seulement le modèle économique de transition de France Télévisions vers la suppression totale de la publicité programmée pour 2011 révèle des disfonctionnements flagrants, mais il ne cesse de surcroît d'être attaqué. A fortiori se pose la question du modèle économique définitif, quand on sait que le montant de la dotation annuelle prévue par l'État n'est pas garantie, et qu'en 2011 la suppression prévue de la publicité en journée créerait une perte supplémentaire de 400 millions d'euros qui viendrait s'ajouter à cette situation pourtant déjà catastrophique.

En 2011, si rien n'est fait, France Télévisions connaîtra donc une impasse budgétaire de près d'1 milliard d'euros. Aussi est-il véritablement question de la survie de France Télévisions et de ses capacités de développement.

Le rapport de la Cour des comptes d'octobre 2009 sur « France Télévisions et la nouvelle télévision publique » ne dit pas autre chose quand il affirme que : « la situation financière actuelle et prévisionnelle du groupe est donc très fragile (...). En parallèle, avec la dégradation des résultats, la trésorerie de l'entreprise devrait s'affaisser (...) en 2009, pour devenir structurellement négative (....). »

Cela est d'autant plus problématique que la télévision connaît de profondes mutations. Du développement de ses missions d'information, de divertissement et de diffusion de la culture, d'investissement dans la production et la création et de l'adaptation aux évolutions technologiques (telles la télévision de rattrapage, la TV 2.0 ou la vidéo à la demande) dépend la sauvegarde de la télévision publique française qui, face à la concurrence accrue des chaînes privées, doit pouvoir relever les défis de la télévision de demain.

La modernisation du secteur public de la télévision suppose que France Télévisions dispose des moyens à la hauteur de ces objectifs. Les investissements importants que représentent ces défis exigent pour le moins une visibilité financière dont le groupe France Télévisions ne bénéficie aucunement aujourd'hui.

Dans un secteur concurrentiel dominé par des groupes puissants, la télévision publique doit pouvoir offrir au citoyen qui s'acquitte de la redevance un niveau de prestations techniques et d'offres de programmes équivalent voire supérieur, à celui offert par les télévisions privées lui permettant de s'acquitter de ses missions de diversité et de pluralisme.

Seul un financement mixte de l'audiovisuel public -panachage de la redevance, de ressources publiques, de la publicité et de recettes commerciales propres- tel qu'il existe chez la plupart de nos voisins européens, peut répondre à cet enjeu. La remise en cause des taxes prévues par la loi de 2009 oriente pourtant la France vers un système de financement quasi étatique de la télévision, quand paradoxalement le Gouvernement, via la Révision générale des politiques publiques (RGPP), diminue sans cesse les dépenses de l'État.

Dans ce contexte, la ressource publicitaire contribue à l'indépendance de France Télévisions, car elle constitue une ressource commerciale propre qui, bien que variable car liée à la conjoncture économique, n'est pas tributaire des arbitrages politiques effectués par chaque loi de finances.

La dépendance financière complète de l'audiovisuel public constitue une menace pour son indépendance d'autant plus grave qu'elle s'accompagne d'une pratique d'ingérence systématique du pouvoir exécutif. La Cour des comptes constate en ces termes l'effacement des organes de France télévisions : « Le véritable pouvoir d'orientation appartient donc dans les faits au Gouvernement, y compris dans l'intervalle de deux Contrats d'objectifs et de moyens. Chaque conseil d'administration est en effet précédé par l'élaboration d'une note détaillée de la DDM (Direction du développement des médias) soumise au cabinet du Premier ministre et à celui du ministre chargé de la communication, qui comporte fréquemment des demandes d'instructions. » (p. 18).

Or, c'est précisément en raison des menaces qu'elle fait peser sur l'indépendance de l'audiovisuel public que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 3 mars 2009 (considérant 19), a jugé que la disparition de la publicité était en soi contraire à la constitution. Le Conseil a alors posé une « réserve » de constitutionnalité, subordonnant l'interdiction d'utiliser la ressource publicitaire au versement d'une compensation financière accordée chaque année, afin de garantir l'indépendance de l'audiovisuel public et l'exercice effectif de sa mission de service public.

L'année suivante, par sa décision du 11 février 2010, le Conseil d'État a suivi les Sages du Conseil constitutionnel en annulant pour « incompétence » le système de suppression pure et simple de la publicité entre 20 heures et 6 heures tel qu'il avait été mis en place par l'exécutif, avant le vote de la loi, par la volonté du président de la République.

Combiné avec la réserve du Conseil constitutionnel, l'effet de la décision du Conseil d'État est donc que l'audiovisuel public doit utiliser les recettes publicitaires lorsque la compensation accordée par l'État ne garantit pas son indépendance et l'exercice de ses missions. C'est la situation aujourd'hui, comme le relève le rapport précité de la Cour des comptes. Aussi, France Télévisions a-t-elle l'obligation juridique de protéger dès maintenant son indépendance, en ne se privant pas de la maîtrise de sa régie publicitaire, et en récusant les instructions du pouvoir exécutif au conseil d'administration de France Télévisions, par nature illégales en vertu de l'arrêt du Conseil d'État.

Afin de pallier au mieux cette situation catastrophique tout en ne dérogeant pas au principe d'indépendance, notre volonté est d'assurer la sauvegarde du service public de la télévision par un panachage de financements. Etant donné la gravité de la situation financière de France Télévisions, le maintien de la publicité en journée ne saurait à lui seul maintenir un service public de l'audiovisuel digne de ce nom. Aussi est-il indispensable de solliciter d'autres leviers de financements.

Cela implique d'agir sur la contribution à l'audiovisuel public, laquelle, en créant un lien direct entre France Télévisions et le citoyen, rend ce dernier « copropriétaire » de la télévision publique. À ce titre, il importe de demander que soit rétabli l'assujettissement des résidences secondaires à cette contribution.

En outre, notre démarche de sauvegarde du service public de la télévision ne saurait faire l'impasse sur la participation des chaînes de télévisions privées. Une augmentation du pourcentage de la taxe de leurs revenus publicitaires est d'autant plus nécessaire que la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle a déjà favorisé ces dernières, seules désormais sur le marché publicitaire télévisuel au plus tard le 30 novembre 2011.

La situation d'incertitude dans laquelle se trouve désormais l'audiovisuel public, condamné à utiliser la ressource publicitaire au cas par cas pour sauvegarder son indépendance est évidemment inacceptable, et n'est pas à la hauteur d'une grande démocratie pluraliste.

Il est donc du devoir du législateur d'intervenir, en adoptant les sept articles qui composent la présente proposition de loi :

Article 1 er : le maintien de la publicité en journée sur les chaînes publiques.

Article 2 : la possibilité d'un moratoire sur la suppression de la publicité avec plafonnement en soirée sur les chaînes publiques au regard de la situation financière de France Télévisions.

Article 3 : la suspension immédiate de la privatisation de la régie publicitaire.

Article 4 : l'indépendance de France Télévisions, de son conseil d'administration et de sa liberté de programmation.

Article 5 : l'élargissement de l'assiette de la contribution à l'audiovisuel public aux résidences secondaires.

Article 6 : l'augmentation du taux de taxation des revenus publicitaires des chaînes de télévision.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Le premier alinéa du VI de l'article 53 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est ainsi rédigé :

« Les programmes diffusés entre vingt heures et six heures des services nationaux de télévision mentionnés au I de l'article 44, à l'exception de leurs programmes régionaux et locaux, ne comportent pas de messages publicitaires autres que ceux pour des biens ou services présentés sous leur appellation générique. Cette disposition ne s'applique pas aux campagnes d'intérêt général. Les messages publicitaires sont maintenus sur l'ensemble des programmes diffusés entre six heures et vingt heures. Le temps maximal consacré à la diffusion de messages publicitaires s'apprécie par heure d'horloge donnée. »

Article 2

Le VI de l'article 53 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Au plus tard le 1 er mai 2011, le Gouvernement transmet au Parlement un rapport présentant l'incidence de la mise en oeuvre de premier et du troisième alinéa du présent VI sur la situation financière et le développement stratégique de la télévision publique au regard des enjeux numériques, de la modernisation du service public et de la diversité de programmation.

« S'il est établi que la situation financière de la télévision publique, malgré les compensations financières prévues dans la loi du 5 mars 2009, ne lui permet pas d'assurer son équilibre financier et un développement de ses missions et de sa modernisation, l'application du VI de l'article 53 de la présente loi permettant la suppression de la publicité entre vingt heures et six heures est suspendue. Le rétablissement de la publicité et son plafonnement est dans ce cas décidé par le Parlement. »

Article 3

L'article 53 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est complété par un paragraphe ainsi rédigé :

« La régie publicitaire de France Télévisions est une filiale de l'entreprise publique et unique. Elle ne peut faire l'objet d'aucune cession à une entreprise privée. »

Article 4

Le II de l'article 44 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est rétabli dans la rédaction suivante :

« Afin de garantir l'indépendance décisionnelle, éditoriale et de programmation de la société France Télévisions, aucune instruction écrite ou orale ne peut-être adressée par le pouvoir exécutif à France Télévisions, qui arbitre seule et librement ses décisions en conseil d'administration. Celui-ci désigne son président. »

Article 5

Le code général des impôts est ainsi modifié :

1° Dans la première phrase du 1° du II de l'article 1605, après les mots : « affecté à l'habitation », sont insérés les mots : « principale ou secondaire » ;

2°Au 1° de l'article 1605 bis , le mot : « seule » est supprimé et les mots : « dont sont équipés le ou les » sont remplacés par les mots : « pour chacun des ».

Article 6

Dans le premier alinéa du 1 du IV de l'article 302 bis KG du code général des impôts, le taux : « 3 % » est remplacé par le taux : « 5 % ».

Article 7

Les éventuelles conséquences financières résultant pour l'État de la présente proposition de loi sont compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

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