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N° 3
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010
Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er octobre 2009 |
PROPOSITION DE LOI
fixant les modalités de versement de la part variable des rémunérations des opérateurs des marchés financiers,
PRÉSENTÉE
Par MM. Yvon COLLIN, Michel CHARASSE, Nicolas ALFONSI, Gilbert BARBIER, Jean-Michel BAYLET, François FORTASSIN, Mme Françoise LABORDE, MM. Daniel MARSIN, Jacques MÉZARD, Aymeri de MONTESQUIOU, Robert TROPEANO, Raymond VALL et François VENDASI,
Sénateurs
(Envoyée à la commission des finances, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
En 2008 et 2009, deux événements majeurs ont mis en cause certaines modalités inhérentes à la part variable (dite « bonus ») de la rémunération des opérateurs des marchés financiers (dits « traders ») :
- la perte par la Société Générale de près de 5 milliards d'euros (affaire dite « Kerviel ») ;
- la crise financière internationale qui a ébranlé de nombreuses banques, notamment celles spécialisées dans la gestion des actifs financiers.
Dès l'automne 2008, le Gouvernement a élaboré une stratégie de renflouement desdits établissements à hauteur de plusieurs centaines de milliards d'euros, afin d'éviter des faillites qui auraient pu s'avérer aussi graves que celles qu'ont connues certaines banques américaines.
Cette aide de l'État était principalement conditionnée :
- à une reprise des activités de crédit tant en faveur des entreprises (investissements, innovation...) que des ménages (immobilier) ;
- à une moralisation de la distribution de certaines rémunérations touchées par certains cadres des banques, notamment des primes exceptionnelles et des gains complémentaires annuels (part variable de leur rémunération) liés aux résultats des activités financières, communément dénommés « bonus ».
Or, en dépit des promesses faites publiquement et à plusieurs reprises par les dirigeants bancaires, des « bonus » de plusieurs milliards d'euros continuent d'être reversés sans réellement tenir compte des résultats médiocres des banques en 2009 et des efforts que la crise impose aux Français les plus modestes.
C'est pourquoi la présente proposition de loi tend à aligner le système de distribution des « bonus » sur les principes qui régissent les sommes issues de la participation et de l'intéressement tels qu'ils existaient avant la loi n° 2008-1258 du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail.
En effet, quand une entreprise réalise des bénéfices, ceux-ci sont évidemment soumis en priorité à l'impôt sur les sociétés, puis éventuellement distribués en tout ou partie aux associés ou actionnaires. Ce principe général est ensuite infléchi par les différents dispositifs législatifs qui régissent la participation attribuée aux salariés. L'objectif principal est de permettre aux employeurs d'intéresser leurs salariés aux performances de l'entreprise sous la forme d'une participation aux bénéfices, dans des conditions fiscales et sociales privilégiées.
Dès lors que la distribution des « bonus » constitue à l'évidence une forme de participation allouée aux salariés, il est proposé :
- d'interdire pendant une durée de cinq ans la libre utilisation des « bonus » ;
- de prévoir le réinvestissement de ces sommes dans des activités non bancaires ou financières liées notamment à la création d'emplois, à la recherche et à l'innovation.
Bien évidemment, il ne s'agit pas pour les auteurs de la présente proposition de loi d'approuver en quoi que ce soit la pratique dite des « bonus », que l'opinion publique condamne assez largement. Mais dès lors que cette pratique existe dans les économies occidentales et qu'on ne sait pas comment elle pourrait être interdite sans violer les principes du droit du travail et de la libre négociation des salaires, les auteurs du texte proposé estiment qu'il convient plutôt de l'encadrer et de la réglementer.
Tels sont les objets de la présente proposition de loi que nous vous demandons de bien vouloir examiner et adopter.
PROPOSITION DE LOI
Article 1 er
Après le titre I er du livre III de la troisième partie du code du travail, il est inséré un titre I er bis ainsi rédigé :
« Titre 1 er bis
« Rémunérations exceptionnelles liées aux activités financières des « établissements bancaires
« Art. L. 3316-1. - Les salariés des établissements bancaires et de leurs filiales chargés des opérations de marchés bénéficient, chaque année s'il y a lieu, d'une participation aux performances de ces activités.
« Le montant de ces rémunérations exceptionnelles et des gains complémentaires concernés est fixé chaque année par le conseil d'administration des établissements intéressés.
« Ces rémunérations et gains ont un caractère aléatoire. Ils sont facultatifs et institués par voie d'accord avec les organisations professionnelles et syndicales représentatives.
« Ces accords fixent les modalités de calcul de cette participation qui tient compte des résultats et des performances des établissements bancaires et de chacun des bénéficiaires.
« Un abattement pour risque bancaire peut être opéré sur le montant global des sommes distribuées.
« Art. L. 3316-2. - L'accord visé à l'article L. 3316-1 est fixé selon les mêmes modalités que celles prévues pour l'intéressement aux articles L. 3312-5, L. 3312-6 et L. 3312-7.
Il détermine notamment, outre l'abattement pour risque bancaire visé à l'article L. 3316-1 :
« - La période pour laquelle il est conclu ;
« - Les modalités de calcul et les critères de répartition dans le respect des dispositions prévues aux articles L. 3314-1 à L. 3314-8 pour l'intéressement ;
« - La ou les dates de versement ;
« - Les conditions dans lesquelles les représentants du personnel disposent des moyens d'information nécessaires sur les conditions d'application des clauses de l'accord ;
« - Les procédures convenues pour régler les différends pouvant surgir dans l'application de l'accord ou lors de sa révision.
« Art. L.3316-3 . - Les sommes distribuées en application de l'article L. 3316-1 sont affectées dès leur versement au financement d'entreprises ou d'établissements publics ou privés, afin de soutenir leurs investissements créateurs d'emplois, la recherche et l'innovation, ainsi que les domaines de leur activité présentant un intérêt national et définis par décret.
« Les sommes concernées ne peuvent être perçues directement par leurs bénéficiaires pendant un délai de cinq ans à compter de leur versement. Les bénéficiaires peuvent toutefois décider de changer, pendant cette période, l'affectation de tout ou partie de leur versement.
« Aucun versement ne peut être effectué dans des entreprises publiques ou privées dans lesquelles un établissement bancaire ou financier est actionnaire, sauf s'il ne dispose pas de minorité de blocage.
« Art. L. 3316-4. - Un décret en Conseil d'État détermine les conditions liées à la situation ou aux projets du salarié dans lesquelles les droits au versement peuvent être exceptionnellement liquidés ou transférés avant l'expiration du délai de cinq ans prévu à l'article L. 3316-3.
« De même, lorsque survient une modification de la situation juridique de l'établissement concerné par fusion, cession ou scission, rendant impossible l'application d'un accord visé aux articles L. 3316-1 et L. 3316-2, cet accord cesse de produire effet entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.
« En l'absence d'accord applicable à la nouvelle entreprise, celle-ci engage, dans un délai de six mois à compter de la clôture de l'exercice au cours duquel est intervenue la modification, une négociation en vue de la conclusion d'un nouvel accord selon les modalités visées à l'article L. 3316-2. »
Article 2
Un décret en Conseil d'État détermine les modalités d'application de la présente loi.
Article 3
Les dispositions du 1° du 1 de l'article 39, du 5° du 3 de l'article 158 et de l'article 237 ter A du code général des impôts et les dispositions concernant les régimes obligatoires de sécurité sociale et de retraite du code de la sécurité sociale sont applicables à la part variable des rémunérations des opérateurs des marchés financiers visés par la présente loi.
Article 4
Les pertes de recettes résultant pour l'État de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus par les articles 575 et 575 A du code général des impôts.