N° 385
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006
Annexe au procès-verbal de la séance du 13 juin 2006 |
PROPOSITION DE LOI
visant à définir le courrier électronique professionnel ,
PRÉSENTÉE
Par M. François MARC, Mmes Yolande BOYER, Nicole BRICQ, Josette DURRIEU, Michèle ANDRÉ, MM. Louis LE PENSEC, Pierre-Yves COLLOMBAT, Jean-Marc TODESCHINI, Michel TESTON, Jean-François PICHERAL, Jacques MAHÉAS et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés,
Sénateurs.
( Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Informatique. |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L'objet de la présente proposition de loi consiste à donner une définition juridique précise à la notion de « courrier électronique professionnel », afin de parer au nombre croissant de litiges qu'engendre actuellement, en particulier au sein des administrations de nos collectivités territoriales, l'absence d'une telle définition.
La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) a tenté de définir ce qu'est la communication au public par voie électronique en excluant de son champ toute correspondance privée, mais n'a en revanche pas apporté de définition claire du courriel public .
Pour sa part, la jurisprudence a fait émerger la notion de courriel professionnel , non soumis au secret des correspondances , mais n'a pas permis de clarifier de manière pleinement satisfaisante et indiscutable ce qui distingue les courriels professionnels de la correspondance privée .
Un cas symptomatique
Un cas symptomatique s'est ainsi présenté récemment, dans lequel la remontée classique d'informations par voie hiérarchique a fait apparaître de manière aiguë le risque de transgression de la confidentialité de ces éléments.
Dans un premier temps, le responsable du service informatique d'une collectivité locale a adressé, par courriel, à tous les chefs de service, une note administrative leur demandant leurs besoins en matière de matériel et de logiciels, afin de préparer leur budget annuel. L'un d'entre eux a glissé, dans son message de réponse, intitulé « Re : budget », des propos « insultants et délirants » à l'encontre du directeur général des services (DGS) . Celui-ci l'apprenant par une tierce personne, a demandé au responsable de l'informatique de lui communiquer ce message, qu'il a versé au dossier administratif du fonctionnaire.
En conséquence, le DGS a fait l'objet d'une mise en examen pour ces faits , sur la base du premier alinéa de l'article 432-9 du code pénal aux termes duquel « le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, agissant dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission, d'ordonner, de commettre ou de faciliter , hors les cas prévus par la loi, le détournement, la suppression ou l'ouverture de correspondances ou la révélation du contenu de ces correspondances , est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende . »
Il ressort des faits énoncés ci-dessus que le DGS pourrait être condamné sur la base de cet article , si cette correspondance était considérée par le juge comme privée, bien que le DGS soutienne qu'il s'agissait d'un message à caractère professionnel - et donc non soumis au secret - dans la mesure où l'objet du courriel était relatif au budget de la collectivité.
Or, un tel contentieux est en réalité symptomatique du manque de clarté actuel, et pourrait concerner à l'avenir n'importe quelle collectivité territoriale située sur le territoire national . Une proposition de loi s'impose donc, en vertu du principe selon lequel « Il vaut mieux prévenir que guérir ».
Les termes du débat : renforcer la sécurité juridique
Le déroulement des faits montre que le droit de contrôler les courriels professionnels paraît ainsi extrêmement limité par le risque juridique lié au manque de clarté de leur définition . Il est donc nécessaire que le législateur s'empare de cette question afin de fixer un principe directeur clair pour distinguer un courriel professionnel d'un courriel privé - sans pour autant définir le courriel public dont le champ est plus large et plus difficile à délimiter.
Cela permettrait par ailleurs de résoudre un problème auquel les administrations publiques peuvent être confrontées, lorsque des messages électroniques diffusés dans le cadre professionnel contiennent des informations qui, aux termes de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public, doivent être communiquées au public. L'administration peut en effet se retrouver dans une situation dans laquelle elle se trouve tenue de communiquer au public des documents qu'elle s'est elle-même abstenue de consulter , de crainte qu'ils n'entrent dans le champ des courriels couverts par le secret de la correspondance privée.
Il s'agit donc principalement d'un effort de définition visant à renforcer la sécurité juridique tant des employés que des employeurs , dans la mesure où la jurisprudence , en l'espèce, ne s'est pas stabilisée autour d'une interprétation univoque, mais entretient au contraire le flou des responsabilités .
La notion de courriel professionnel
Les juges ont été de facto amenés à réfléchir à la distinction des courriels publics et privés dans le cadre professionnel . Ainsi, dans l'arrêt Nikon , en se référant à la notion de « courriels personnels » et en plaçant ces seuls courriers sous la protection du secret des correspondances, la Cour de cassation a-t-elle créé une nouvelle catégorie de courriers électroniques , les courriels professionnels distincts des courriers personnels .
Les courriels professionnels, considérés comme n'étant pas soumis au secret de la correspondance privée, sont assimilables à ce titre à des courriels publics . Cette distinction vient s'ajouter à la distinction classique et réaffirmée par la loi pour la confiance dans l'économie numérique, entre les courriers électroniques privés (correspondances privées) et les courriers électroniques publics (communication publique en ligne), mais ne s'y substitue pas .
C'est cette distinction , qui n'est pas aisée à appliquer en pratique et qui divise les juges du fond, que le projet de proposition de loi présenté ci-après s'est attaché à définir .
Enfin, la Commission nationale Informatique et Libertés (CNIL), consciente de ces difficultés, a proposé dans son rapport de 2004 relatif à la cybersurveillance des salariés, une définition du message à caractère professionnel et a même suggéré que, « sauf indication manifeste dans l'objet du message... », le courriel reçu ou envoyé depuis le poste de travail mis à disposition par l'entreprise ou l'administration soit présumé avoir un caractère professionnel .
En conséquence, la présente proposition de loi, pour s'inspirer de la définition retenue par la CNIL, tend néanmoins à être plus protectrice du secret de la correspondance en maintenant la présomption du caractère privatif des messages envoyés . Elle vise toutefois la reconnaissance d'un caractère professionnel aux messages dont le titre - ou le nom du répertoire dans lequel il est archivé - est relatif au fonctionnement, à l'organisation ou aux activités de l'organisme qui emploie l'expéditeur ou le destinataire du courrier électronique.
Il convient in fine de prévoir, d'une part, l'information obligatoire des salariés par l'employeur de l'entrée en vigueur de cette loi, afin de garantir pleinement le secret de leur correspondance privée et, d'autre part, qu'un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application de la loi.
PROPOSITION DE LOI
Article 1 er
Le IV de l'article 1 er de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Est considéré comme courrier électronique professionnel, tout courrier électronique dont le titre ou le nom du répertoire dans lequel il est archivé, est relatif à l'organisation, au fonctionnement ou aux activités de l'entreprise, l'administration ou l'organisme qui emploie l'expéditeur ou le destinataire dudit courrier. Le courrier électronique professionnel n'est pas soumis au secret de la correspondance privée. »
Article 2
Les détenteurs de messagerie électronique professionnelle sont informés par leur employeur de l'entrée en vigueur de la présente loi dans les six mois suivant sa promulgation.
Article 3
Un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application de la présente loi.