Proposition de loi - Application des peines concernant les mineurs
N° 228
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003
Annexe au procès-verbal de la séance du 1
er
avril 2003
PROPOSITION DE LOI
relative à l'
application des peines
concernant les
mineurs
,
PRÉSENTÉE
Par MM. Jean-Claude CARLE et Jean-Pierre SCHOSTECK,
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Jeunes . |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La commission d'enquête du Sénat sur la
délinquance
des
mineurs
a rendu son rapport en juillet 2002
(1(
*
))
. Après un important travail d'investigation,
cette commission a formulé de nombreuses propositions organisées
autour de dix axes :
• On n'agit bien que si l'on connaît bien ;
• Responsabiliser et soutenir la famille ;
• Diversifiez l'école, vous fermerez une prison ;
• Des quartiers à reconquérir ;
• Être impitoyable à l'égard des majeurs qui utilisent
des mineurs pour commettre des infractions ;
• Justice : redécouvrir la dimension éducative de la
sanction ;
• Inventer des parcours éducatifs : mettre de la contrainte
dans l'éducation, de l'éducation dans la contrainte ;
• Protection judiciaire de la jeunesse : l'humain contre la
bureaucratie ;
• Des partenariats responsables ;
• Évaluation à tous les étages.
Depuis lors, un grand nombre des propositions de la commission d'enquête
relative à la justice des mineurs ont été mises en oeuvre,
en particulier dans le cadre de la
loi d'orientation et de programmation
pour la justice
du 9 septembre 2002.
Ainsi, cette loi a étendu la gamme des mesures qui peuvent être
prononcées à l'égard des mineurs délinquants en
créant les «
sanctions
éducatives
», échelon intermédiaire entre
les « mesures éducatives » et les peines. Pour
accélérer les procédures, la loi a créé une
procédure de
jugement
à délai
rapproché
, qui doit permettre la comparution d'un mineur devant le
tribunal pour enfants dans un délai de dix jours à un mois.
Conformément aux propositions de la commission d'enquête, la loi
d'orientation a permis de placer sous contrôle judiciaire les mineurs de
treize à seize ans et de les placer en
détention
provisoire
en cas de non-respect de leur obligation de placement.
Cette loi a également permis de sanctionner plus
sévèrement les majeurs qui utilisent des mineurs pour commettre
des infractions.
Enfin, la loi a prévu la construction
d'établissements
pénitentiaires
spécialisés
pour les mineurs
afin d'éviter le contact avec des détenus majeurs et de permettre
un véritable travail éducatif pendant la période
d'enfermement. Les premiers établissements devraient ouvrir leurs portes
en 2006.
D'autres propositions, en particulier celles qui concernent la famille,
l'école ou la reconquête des quartiers impliquent une action de
longue haleine. Certaines pourront parfaitement prendre place dans la nouvelle
étape de la décentralisation, en cours de réalisation,
notamment l'extension du rôle de la Protection maternelle et infantile
(PMI), ou la clarification des rôles respectifs du département et
de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) en matière d'assistance
éducative.
* * *
*
Une
propositions essentielle de la commission d'enquête du Sénat n'a
à ce jour pas été mise en oeuvre.
La commission d'enquête, après avoir constaté de
très nombreuses discontinuités dans le suivi des mineurs en
danger ou délinquants, s'est prononcée pour la mise en oeuvre de
véritables parcours éducatifs, permettant un suivi effectif du
mineur à toutes les étapes de son parcours.
Aujourd'hui, certaines règles de compétence nuisent au suivi des
mineurs délinquants. Ainsi, le
juge
des
enfants
,
qui connaît le mineur délinquant, qui est chargé du suivi
des mesures prononcées à son égard lorsqu'elles s'exercent
en milieu ouvert, n'est plus compétent dès lors qu'un mineur est
condamné à une peine de prison. Le juge compétent est
alors le
juge de l'application des peines
, qui statue sur les
aménagements de peine : placement à l'extérieur,
semi-liberté, réduction, fractionnement ou suspension de peines,
autorisation de sortie, libération conditionnelle, placement sous
surveillance électronique.
Il résulte de cette règle une rupture regrettable dans le suivi
du mineur. La justice des mineurs est une justice spécialisée,
pour tenir compte du fait que les mineurs sont des êtres en devenir.
Cette spécialisation mérite d'être parachevée,
afin que le même juge puisse suivre le mineur dans toutes les
étapes de son parcours, y compris lorsqu'une incarcération est
intervenue.
La présente proposition de loi tend donc, dans son
article 1
er
, à compléter l'ordonnance du 2
février 1945 relative à l'enfance délinquante pour
étendre la compétence du juge des enfants en matière
d'application des peines au « milieu fermé » lorsque
la décision a été prononcée par le tribunal des
enfants ou par la cour d'assises des mineurs.
Cette disposition devrait
améliorer sensiblement la compréhension par les mineurs
délinquants des décisions prises à leur égard.
Ceux-ci auront en effet le même juge pour interlocuteur tout au long de
la procédure, y compris en cas de condamnation à une peine
d'emprisonnement.
La compétence du juge des enfants s'exercera jusqu'à ce que le
condamné ait atteint l'âge de vingt-et-un ans. Toutefois, en
raison de la personnalité du mineur ou de la durée de la mesure,
le juge des enfants pourra, lorsque le mineur aura atteint l'âge de
dix-huit ans, se dessaisir au profit du juge de l'application des peines.
L'article 2 tend à faire figurer le juge des enfants dans la liste des
magistrats qui visitent les établissements pénitentiaires. S'ils
deviennent responsables de l'application des peines prononcées contre
les mineurs, il est logique que les juges des enfants visitent les
établissements où ceux-ci sont incarcérés ;
Les articles 3 à 5 de la proposition de loi tendent à supprimer
certaines dispositions du code de procédure pénale et de
l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance
délinquante que la réforme rendra inutiles.
L'article 6 prévoit l'application du texte en Nouvelle-Calédonie,
en Polynésie française, dans les îles Wallis-et-Futuna et
dans les Terres australes et antarctiques françaises.
Enfin, l'article 7 reporte au 1
er
janvier 2004 l'entrée en
vigueur de la réforme, de façon à faire en sorte que le
transfert de compétences s'opère dans de bonnes conditions.
La présente proposition de loi renforcera la spécialisation
des juridictions pour mineurs. Elle facilitera surtout, conformément
à la volonté de la commission d'enquête du Sénat, la
mise en place, pour les mineurs délinquants, de véritables
parcours éducatifs, dont le déroulement sera suivi par un
même juge.
* *
*
Telles sont les raisons pour lesquelles il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, d'adopter la présente proposition de loi.
PROPOSITION DE LOI
Article 1
er
L'article 20-9 de l'ordonnance n° 45-174 du 2
février
1945 relative à l'enfance délinquante est ainsi
rédigé :
« Art. 20-9.
- I. En cas de condamnation prononcée par
une juridiction spécialisée pour mineurs, le juge des enfants
dans le ressort duquel le mineur a sa résidence habituelle exerce les
fonctions dévolues au juge de l'application des peines par le code
pénal et le code de procédure pénale, jusqu'à ce
que la personne condamnée ait atteint l'âge de vingt-et-un ans. Le
tribunal pour enfants et la chambre spéciale des mineurs exercent alors
les attributions dévolues en matière d'application des peines au
tribunal correctionnel et à la chambre des appels correctionnels.
« En raison de la personnalité du mineur ou de la durée
de la peine prononcée, le juge des enfants peut toutefois se dessaisir
au profit du juge de l'application des peines lorsque le condamné a
atteint l'âge de dix-huit ans.
« En cas de placement sous surveillance électronique, de
sursis avec mise à l'épreuve, de sursis assorti de l'obligation
d'accomplir un travail d'intérêt général, de travail
d'intérêt général, d'ajournement avec mise à
l'épreuve, de suivi socio-judiciaire et de libération
conditionnelle, le juge des enfants désigne un service du secteur public
de la protection judiciaire de la jeunesse pour veiller au respect des
obligations imposées au condamné. Le juge des enfants peut
également désigner à cette fin le service
pénitentiaire d'insertion et de probation lorsque le condamnée a
atteint l'âge de dix-huit ans.
« II. En cas de condamnation prononcée par une juridiction
spécialisée pour mineurs à une peine d'emprisonnement
assortie d'un sursis avec mise à l'épreuve ou d'un sursis assorti
de l'obligation d'accomplir un travail d'intérêt
général, le juge des enfants, saisi d'office ou sur requête
du procureur de la République, exerce également les attributions
confiées au tribunal correctionnel par les articles 741-3 à 744-1
du code de procédure pénale, notamment pour ordonner la
révocation des mesures de contrôle ou des obligations
imposées au condamné.
« La juridiction de jugement peut, si la personnalité du
mineur le justifie, assortir cette peine de l'une des mesures définies
aux articles 16 à 19 de la présente ordonnance, ces mesures
pouvant être modifiées pendant toute la durée de
l'exécution de la peine par le juge des enfants. Elle peut notamment
décider de placer le mineur dans un centre éducatif fermé
prévu par l'article 33.
« La juridiction de jugement peut alors astreindre le
condamné, dans les conditions prévues à l'article 132-43
du code pénal, à l'obligation de respecter les conditions
d'exécution des mesures visées à l'alinéa
précédent ; le non-respect de cette obligation peut
entraîner la révocation du sursis avec mise à
l'épreuve et la mise à exécution de la peine
d'emprisonnement.
« Le responsable du service qui veille à la bonne
exécution de la peine doit faire rapport au procureur de la
République ainsi qu'au juge des enfants en cas de non-respect par le
mineur des obligations qui lui ont été
imposées. »
Article 2
Au premier alinéa de l'article 727 du code de procédure pénale, après les mots : « le juge d'instruction, », sont insérés les mots : « le juge des enfants, ».
Article 3
Le dernier alinéa de l'article 747-3 du code de procédure pénale est supprimé.
Article 4
L'article 763-8 du code de procédure pénale est abrogé.
Article 5
La première phrase du second alinéa de l'article 20-5 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante est supprimée.
Article 6
La présente loi est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
Article 7
Les dispositions de la présente loi entrent en vigueur le 1er janvier 2004.
1 Délinquance des mineurs : la République en quête de respect, rapport n° 340 (2001-2002) présenté par M. Jean-Claude Carle au nom de la commission d'enquête présidée par M. Jean-Pierre Schosteck.