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N° 217

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 14 février 1996.

PROJET DE LOI

relatif à la « Fondation du patrimoine » ,

PRÉSENTÉ au nom de M. ALAIN JUPPÉ,

Premier ministre.

par M. Philippe DOUSTE-BLAZY.

ministre de la culture.

(Renvoyé à la commission des Affaires culturelles sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement)

Patrimoine artistique, archéologique et historique. - Mécénat - Code de l'expropriation.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

La richesse exceptionnelle du patrimoine français, et l'attachement croissant que lui marquent les citoyens, appelle le développement de modes d'actions novateurs, capables de relayer et de compléter, dans ce domaine, la politique de l'État, de même que les actions que mènent les collectivités territoriales, les associations, et généralement, les autres personnes publiques ou privées.

La "Fondation du patrimoine", dont la création est l'objet du présent projet de loi, a vocation à constituer, au carrefour des initiatives publiques et privées, une institution nationale de promotion, de mobilisation et de soutien conformément aux conclusions des rapports déposés en 1994, par le sénateur Jean-Paul HUGOT, maire de Saumur.

L'opportunité d'une telle création a en effet été analysée au regard des lacunes constatées dans le paysage institutionnel français. Aujourd'hui, quelque 40 000 monuments publics ou privés, 8 000 sites classés ou inscrits bénéficient de la part de l'État d'un important dispositif de protection et de contrôle. Mais, sauf exception, aucune institution n'a pour mission d'assurer le financement spécifique des actions de mise en valeur de ces monuments et de ces espaces.

En outre, la France ne dispose pas, à l'inverse des pays anglo-saxons, d'une institution qui puisse prendre en charge, à titre au moins provisoire, les monuments et espaces délaissés durant la période, souvent assez brève, au cours de laquelle ils sont directement menacés.

Enfin, la France compte de très nombreux bâtiments et espaces qui méritent d'être sauvegardés sans qu'une protection au titre de la loi du 31 décembre 1913 ou de la loi du 2 mai 1930 soit pour autant la solution la plus adéquate. Les initiatives locales ne parviennent pas toujours à assurer la survie et la mise en valeur de ces éléments du patrimoine.

Pour répondre à ces besoins, la "Fondation du patrimoine" s'attachera notamment à rechercher des moyens originaux de protéger des éléments du patrimoine menacés de destruction ou de dispersion, que ce soit en apportant aux propriétaires une assistance technique ou, le cas échéant, financière, ou en recherchant un nouveau propriétaire après avoir éventuellement assuré la prise en charge temporaire du bien.

Elle s'efforcera également de mettre en oeuvre, en liaison avec l'État et les collectivités locales, un instrument d'identification des biens mobiliers ou immobiliers qui, quoique n'étant pas classés ou inscrits au titre de la loi du 31 décembre 1913 ou de la loi du 2 mai 1930, méritent cependant d'être sauvegardés en raison de leur intérêt patrimonial.

Elle apportera un soutien, sous forme d'assistance technique et éventuellement financière, à des partenaires publics et privés afin de promouvoir une plus large ouverture au public de certains monuments et espaces naturels.

Constituée avec des apports qui seront majoritairement fournis par des entreprises ou des particuliers, la "Fondation du patrimoine" jouira d'un statut spécifique lui permettant d'accomplir au mieux son objet.

À l'inverse des fondations d'un type classique, et à l'image du "National Trust" britannique, la "Fondation du patrimoine" ne pourra réussir à susciter une large mobilisation qu'à la condition d'offrir aux personnes physiques ou morales la possibilité d'y adhérer directement. Ainsi toute personne intéressée pourra contribuer à l'objet de cet organisme non seulement par le versement d'une cotisation mais aussi en apportant son savoir-faire, son imagination et son enthousiasme.

De ce fait, la "Fondation du patrimoine" doit adopter une forme juridique qui déroge très largement aux règles régissant les fondations reconnues d'utilité publique, ce qui commande l'intervention du législateur. Celui-ci est également appelé à doter la "Fondation du patrimoine" des prérogatives nécessaires à l'exercice de ses missions. Celle-ci pourra ainsi bénéficier des procédures d'expropriation prévues pour l'acquisition de monuments historiques ou de sites protégés, ainsi que du droit de préemption institué au profit de l'État. Elle aura la possibilité d'accueillir des comptes de fondation. Les biens culturels placés sous sa main ne pourront pas être saisis par ses créanciers. Le recours à la loi permet, enfin, de marquer avec force l'intérêt général qui s'attache à cette institution et la relation de partenariat que celle-ci a vocation à établir avec les pouvoirs publics.

PROJET DE LOI

Le Premier ministre,

Sur le rapport du ministre de la culture,

Vu l'article 39 de la Constitution,

Décrète :

Le présent projet de loi relatif à la "Fondation du patrimoine", délibéré en Conseil des ministres après avis du Conseil d'État, sera présenté au Sénat par le ministre de la culture, qui sera chargé d'en exposer les motifs et d'en soutenir la discussion.

Article premier.

La "Fondation du patrimoine" est une personne morale de droit privé à but non lucratif, soumise aux règles relatives aux fondations reconnues d'utilité publique, sous réserve des dispositions de la présente loi.

Art. 2.

La "Fondation du patrimoine" a pour but de promouvoir la connaissance et la mise en valeur du patrimoine national.

Elle s'attache à la sauvegarde des monuments, édifices, ensembles mobiliers ou éléments remarquables des espaces naturels ou paysagers menacés de dégradation, de disparition ou de dispersion, ainsi qu'à l'identification, à la préservation et à la mise en valeur du patrimoine non protégé.

Elle participe, notamment par subvention, à l'acquisition, l'entretien et la gestion de ces biens ainsi qu'à leur présentation au public, qu'ils aient ou non fait l'objet de mesures de protection prévues par la loi et qu'ils appartiennent à des personnes publiques ou privées.

Elle peut acquérir de tels biens, dans les cas où cette acquisition est nécessaire aux actions de sauvegarde qu'elle met en place.

Art. 3.

La "Fondation du patrimoine" est constituée initialement avec des apports dont les montants figurent dans les statuts approuvés par le décret en Conseil d'État prévu à l'article 11.

L'admission de nouveaux fondateurs dans les conditions prévues par les statuts peut être prononcée par un décret qui indique le montant de leurs apports.

Sont dénommées fondateurs les personnes publiques ou privées désignées dans les décrets mentionnés ci-dessus.

Les droits des fondateurs ne peuvent être ni cédés ni échangés, sauf autorisation spéciale donnée dans les mêmes formes. En cas de disparition de l'un d'eux, ses droits sont répartis entre les autres fondateurs selon les modalités prévues par les statuts.

Des personnes physiques ou morales, publiques ou privées, peuvent adhérer dans les conditions prévues par les statuts à la "Fondation du patrimoine" à condition de s'acquitter d'une cotisation annuelle dont le montant est déterminé par le conseil d'administration. Cette adhésion ouvre droit aux avantages prévus par les statuts.

Art. 4.

Les fondateurs sont tenus des dettes de la "Fondation du patrimoine" à proportion de leur part dans les apports.

Les créanciers de la "Fondation du patrimoine" ne peuvent poursuivre les fondateurs pour le paiement des dettes de celle-ci qu'après l'avoir préalablement et vainement poursuivie.

Art. 5.

Les biens visés au quatrième alinéa de l'article 2, dont la "Fondation du patrimoine" est propriétaire, ne peuvent être saisis par ses créanciers. Cette disposition n'affecte pas les droits des créanciers du précédent propriétaire d'un bien lorsqu'ils ont fait l'objet d'une publication régulière.

Art. 6.

La "Fondation du patrimoine" est administrée par un conseil d'administration dont le président est nommé par décret sur proposition du conseil d'administration.

Outre son président, le conseil d'administration est composé :

1° d'un représentant de chacun des fondateurs, disposant chacun d'un nombre de voix déterminé proportionnellement à sa part dans les apports, dans la limite du tiers du nombre total des voix ;

2° d'un sénateur, désigné par le président du Sénat, et d'un député, désigné par le président de l'Assemblée nationale ;

3° de représentants de l'État ;

4° de représentants élus des membres adhérents de la "Fondation du patrimoine".

Les représentants des fondateurs doivent disposer ensemble de la majorité absolue des voix au conseil d'administration.

Les statuts déterminent les conditions de désignation et de renouvellement des membres du conseil. Ceux-ci exercent leurs fonctions à titre gratuit.

Art. 7.

Les ressources de la "Fondation du patrimoine" comprennent les revenus de ses biens, les produits du placement de ses fonds, les cotisations, les subventions publiques, les dons et legs et, généralement, toutes recettes provenant de son activité.

L'article 19-3 de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 modifiée sur le développement du mécénat est applicable à la "Fondation du patrimoine".

Art. 8.

Dans les conditions prévues par le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, la procédure d'expropriation prévue par l'article 6 de la loi modifiée du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques et par les dispositions de la loi modifiée du 2 mai 1930 ayant pour objet de réorganiser la protection des monuments naturels et des sites à caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, ainsi que la procédure de préemption prévue par les articles 37 et 38 de la loi du 31 décembre 1921 portant fixation du budget général de l'exercice 1922, peuvent être menées par l'État, sur demande ou avec l'accord de la "Fondation du patrimoine", au bénéfice et à la charge de celle-ci.

La "Fondation du patrimoine" peut céder de gré à gré les biens mentionnés au précédent alinéa à des personnes privées ou publiques sous condition que celles-ci les utilisent conformément aux prescriptions d'un cahier des charges annexé à l'acte de cession.

Art. 9.

La "Fondation du patrimoine" peut recevoir, en vue de la réalisation d'une oeuvre d'intérêt général à but non lucratif se rattachant à ses missions, l'affectation irrévocable de biens, droits ou ressources qu'elle gère directement sans que soit créée une personne morale nouvelle. Cette affectation peut être dénommée fondation.

Art. 10.

Les dispositions du code général des impôts applicables aux fondations reconnues d'utilité publique sont applicables à la "Fondation du patrimoine".

Art. 11.

La reconnaissance d'utilité publique de la "Fondation du patrimoine" est prononcée par le décret en Conseil d'État qui en approuve les statuts.

La "Fondation du patrimoine" jouit de la personnalité morale à compter de la date de publication au Journal officiel de ce décret. La reconnaissance peut être retirée, dans les mêmes formes, si la fondation ne remplit pas les conditions nécessaires à la réalisation de son objet. Sa dissolution est régie par les articles 19-11 et 19-12 de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 modifiée sur le développement du mécénat.

Art. 12.

L'autorité administrative s'assure de la régularité du fonctionnement de la "Fondation du patrimoine". À cette fin, elle peut se faire communiquer tous documents et procéder à toute investigation utile. La "Fondation du patrimoine" adresse, chaque année, à l'autorité administrative un rapport d'activité auquel sont joints les comptes annuels.

Art. 13.

La « Fondation du patrimoine » est soumise au contrôle de la Cour des comptes.

Art. 14.

La « Fondation du patrimoine » peut seule utiliser cette dénomination.

Le fait d'enfreindre les dispositions du présent article est puni d'une amende de 15 000 F.

Fait à Paris, le 14 février 1996

Signé : ALAIN JUPPÉ

Par le Premier ministre : Le ministre de la Culture

Signé : PHILIPPE DOUSTE-BLAZY

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