EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Après l'échec coûteux des Occidentaux en Afghanistan et la chute calamiteuse de Kaboul en août 2021, les talibans ont repris le pouvoir d'une main de fer, vingt ans après le renversement de leur régime. Avec l'appui des religieux, des chefs tribaux et des « seigneurs de la guerre », les talibans ont su convaincre les populations, en particulier dans les zones rurales, de la légitimité de leur action pour mettre à bas le régime politique afghan jugé inefficace, corrompu et financé par des puissances occidentales.

Depuis, si une relative stabilité interne semble revenue, il reste qu'une majorité d'Afghan(e)s sont analphabètes, notamment en dehors des quelques zones urbaines. Une partie de la population ne mange pas un repas par jour selon l'ONU. Face à la détérioration humanitaire en Afghanistan, l'UE a activé sa réserve d'aide d'urgence afin d'éviter la famine. Mais la situation la plus déplorable est celle des femmes, premières victimes du régime des talibans, qui n'ont pas pu fuir le pays.

En effet, l'éducation est interdite aux filles de plus de douze ans, les étudiantes ont été chassées des universités et la majorité des femmes n'a plus le droit de travailler, plongeant d'innombrables familles dans la pauvreté. Les femmes sont exclues des compétitions sportives, n'ont plus la liberté d'aller et venir sans un « mahram », un tuteur, de se rendre dans un parc ou tout autre lieu public. Les Afghanes ne peuvent même plus travailler pour des ONG, ni pour l'Organisation des Nations Unies, ce qui entrave l'action humanitaire. Les salons de beauté, derniers lieux où elles pouvaient se rassembler, ont tous été fermés. Quelques-uns demeurent encore clandestinement, exposant les contrevenantes - clientes et professionnelles - à de lourdes sanctions. La lapidation publique des femmes redevient monnaie courante. En mars 2024, les talibans ont aussi annoncé que les femmes n'avaient plus le droit de détenir de téléphone portable. Depuis le début de l'année 2024, de nombreuses femmes ont été arrêtées pour ne pas avoir respecté les règles en matière de port de l'hidjab ou pour avoir tenté de manifester. Selon les ONG, les manifestantes incarcérées ont parfois « un accès insuffisant à la nourriture, à l'eau, à la ventilation, à des produits d'hygiène et à des soins de santé ». Plusieurs organismes des Nations Unies ont signalé une augmentation des mariages d'enfants et des mariages forcés, ainsi que des violences fondées sur le genre et des féminicides, Enfin, de nouvelles lois liberticides ont été promulguées en août 2024 par le ministère de la Prévention du vice et de la Propagation de la vertu des talibans.

Les femmes afghanes sont devenues des « emmurées vivantes » selon l'expression des ONG. Cette politique odieuse qui consiste à effacer totalement les femmes de la sphère publique entraine aussi des conséquences désastreuses pour l'avenir de l'Afghanistan et de ses habitants. En l'état, le combat entre le développement et l'islamisme tourne à l'avantage des religieux conservateurs. Pour Amnesty international, « parce qu'elles sont organisées, généralisées et systématiques, ces persécutions sexistes pourraient constituer un crime contre l'humanité fondé sur le genre ». C'est aussi la position exprimée par l'UE.

On ne peut dès lors que s'indigner du silence coupable de ceux qui, notamment dans les médias et réseaux sociaux, sont si prompts à s'offusquer de l'interdiction du port du hijab et de l'abaya pour les jeunes filles en France. Comme l'a récemment déploré la championne afghane de taekwondo Marzieh Hamidi, réfugiée en France et menacée de mort sur notre territoire, le plus choquant est « l'absence totale de soutien des féministes en France » dans son combat pour dénoncer les pratiques barbares des talibans.

Pourtant, malgré les dangers et la répression, les femmes afghanes continuent de lutter comme elles le peuvent contre ce « cadre institutionnalisé d'apartheid sexiste », selon l'expression de l'ONU. Certaines s'activent sur les réseaux sociaux pour faire entendre leur voix et se filment en train de chanter, en réponse aux lois talibanes qui les en empêchent. Celles qui ont réussi à s'expatrier contribuent aussi à dénoncer le régime afghan, notamment les blogueuses, artistes, sportives et journalistes. En France, la chaîne de télévision « Begum TV », de création récente, s'adresse aux jeunes filles et aux femmes afghanes (en matière d'éducation, conseils de santé, droits des femmes) qui vivent encore sous le joug des talibans.

La France a certes condamné officiellement les violations des droits des femmes et des filles par les talibans et s'est associée à diverses actions internationales, comme la Résolution n° 2681 adoptée par le Conseil de sécurité le 27 avril 2023 condamnant la décision prise par les talibans d'interdire aux femmes afghanes de travailler pour l'ONU et appelant à la fin des « politiques et pratiques qui restreignent le plein exercice par les femmes et les filles de leurs droits humains et de leurs libertés fondamentales ». L'Union européenne a aussi condamné à diverses reprises les restrictions à l'encontre des femmes afghanes. Mais les talibans n'entendent pas céder à un ordre international « occidentalisé » qu'ils rejettent.

À ces femmes « invisibilisées », nous devons notre soutien. Leur sort ne doit pas sombrer dans l'oubli. Il ne doit pas devenir celui de jeunes filles françaises dans certains quartiers communautarisés. C'est pourquoi, concrètement, cette proposition de résolution européenne permet de marquer l'attachement du Sénat à la condition des femmes afghanes et invite le gouvernement français et l'UE à accroître la pression sur le régime tyrannique des talibans.

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