EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

I) La lutte contre les abus sexuels sur les enfants, priorité pour les États membres et l'Union européenne

A) Une exigence nationale et européenne

Les droits de l'enfant constituent un impératif juridique reconnu aussi bien par le droit international1(*) que par le Conseil de l'Europe2(*), le droit de l'Union européenne3(*) et le droit français4(*). Ces droits comprennent en particulier leur protection contre l'exploitation sexuelle et les violences sexuelles.

Conformément aux articles 4, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne (TUE), qui affirme que la sécurité nationale « reste de la seule responsabilité de chaque État membre », la lutte contre les infractions pénales liées aux abus sexuels sur des enfants est en principe de leur compétence. Cette protection est malheureusement une urgence toujours d'actualité : en effet, selon la campagne de communication nationale lancée en septembre dernier par la Gouvernement sur ce sujet, en France, un enfant est victime d'abus sexuels toutes les trois minutes (soit 160 000 enfants par an).

En complément, conformément aux articles 4, 82 et 83 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), et dans le cadre de l'Espace de liberté, de sécurité et de justice, le Conseil et le Parlement européen peuvent, par voie de directives, établir des règles européennes minimales, d'une part, pour faciliter la coopération policière et judiciaire entre États membres et la reconnaissance mutuelle des jugements de leurs juridictions, et, d'autre part, pour définir des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière. Parmi ces domaines limitativement énumérés à l'article 83 précité, figurent à la fois « la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants ».

1) Le dispositif français de prévention et de lutte contre les abus sexuels sur les enfants

La France a bâti un dispositif efficace de prévention et de lutte contre les abus sexuels. Ce dernier se caractérise, à titre principal, par :

a) la fixation de la majorité sexuelle à 15 ans (la majorité civile étant fixée à 18 ans)5(*) et une protection renforcée des mineurs de moins de 15 ans depuis la loi du 21 avril 20216(*) : ces derniers sont ainsi présumés non consentants à une relation sexuelle.

Ainsi, en cas de relation sexuelle entre un mineur de moins de 15 ans et un majeur, ce dernier peut être poursuivi pénalement sur dépôt de plainte du mineur ou de ses parents.

Par exception, une clause dite « Roméo et Juliette » prévoit que si moins de cinq ans séparent le mineur de moins de 15 ans et la personne majeure, le mineur peut être considéré comme en capacité de consentir à cette relation7(*).

b) une pénalisation de l'ensemble des violences à caractère sexuel commises sur les mineurs de moins de 15 ans, qui sont sévèrement sanctionnées ;

c) des systèmes d'alerte permettant d'informer en direct la police nationale ou la gendarmerie nationale (numéro d'appel national : le 119) et des dispositifs de signalement de tels abus. À cet égard, il faut souligner en particulier l'importance du rôle de la plateforme de signalement PHAROS8(*), gérée par les policiers de l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC), qui peut demander aux éditeurs et aux hébergeurs en ligne de retirer des contenus relatifs à des abus sexuels sur mineurs9(*). En cas de non-retrait de ces contenus, l'OCLCTIC peut demander par notification aux fournisseurs d'accès internet (FAI) de bloquer sans délai l'accès à ces contenus, et aux moteurs de recherche ou annuaires de déréférencer les services hébergeant ces contenus ;

d) une procédure spécifique pour le dépôt de plainte (avec en particulier, l'enregistrement de l'audition du mineur, afin d'éviter de l'interroger à plusieurs reprises) ;

e) des « mesures d'aide à la victime » (possibilité, pour le procureur, de nommer un administrateur afin de protéger la victime ; assistance éducative, médicale et psychologique...) et un droit à l'indemnisation pour les victimes10(*).

Soulignons enfin que, particulièrement depuis ces dernières années, le Sénat est à l'avant-garde de la prise de conscience collective nationale sur la nécessité de mieux prévenir et de mieux réprimer pénalement les violences sexuelles sur mineurs11(*). Cette prise de conscience a contribué à l'établissement du droit en vigueur, issu de la loi du 21 avril 202112(*) et de la loi visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique (ou SREN)13(*), dont la conformité à la Constitution a été reconnue partiellement, le 17 mai dernier, par le Conseil Constitutionnel14(*).

2) Au niveau européen, la directive 2011/93/UE15(*) traduit la volonté des États membres d'agir

Le consensus politique sur la nécessité de mieux lutter contre l'ensemble des manifestations de pédophilie et de prostitution enfantine et le constat de la dimension parfois transfrontière de ces infractions ont conduit l'Union européenne à adopter un cadre réglementaire avec la directive 2011/93/UE.

Cette dernière définit les infractions liées aux abus sexuels - notion large qui englobe les diverses définitions du code pénal français -, à l'exploitation sexuelle des enfants16(*), à la pédopornographie et à la sollicitation d'enfants à des fins sexuelles.

Elle impose également aux États membres de « prendre les mesures nécessaires » pour punir ces infractions et fixe un quantum de peines minimales. La directive autorise les États membres à prendre des sanctions plus rigoureuses et leur laisse la possibilité d'exclure de ces poursuites certaines « activités sexuelles consenties » entre pairs.

Elle prévoit également une responsabilité pénale des personnes morales lorsque lesdites infractions ont été commises pour leur compte par toute personne agissant « soit individuellement, soit en tant que membre d'un organe » interne de la personne morale concernée, et qui exerce un pouvoir de direction en son sein.

En conséquence des infractions précitées, la directive demande aux États membres de prévoir les mesures nécessaires pour qu'une personne physique condamnée pour l'une d'entre elles soit empêchée, à titre provisoire ou définitif, d'exercer des activités au moins professionnelles avec des enfants.

La directive demande également aux États membres de prévoir des mesures destinées à assurer l'efficacité des enquêtes et des poursuites pénales (ex : les services compétents doivent bénéficier d'outils d'investigation efficaces et pouvoir consulter les « matériels pédopornographiques » saisis ; les enquêtes ne doivent pas dépendre d'une plainte ou d'une accusation émanant de la victime et doivent pouvoir continuer même si cette dernière a retiré sa plainte ; les infractions précitées doivent pouvoir donner lieu à des poursuites « pendant une durée suffisamment longue après que la victime a atteint l'âge de la majorité »).

Elle fixe aussi une possibilité de signalement des infractions précitées ouverte aux professionnels travaillant avec les enfants, prévoit le principe d'une assistance et d'une aide médicale aux enfants victimes, ainsi que des mesures de protection pendant la procédure (audition de l'enfant sans délai, dans des locaux conçus à cet effet, par un nombre minimal de personnels formés, avec son représentant légal...), instaure des dispositifs de prévention ou de réduction au minimum des risques de réitération d'infractions à caractère sexuel à l'encontre des enfants.

Et elle demande aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour supprimer les pages internet contenant ou diffusant de la pédopornographie hébergées sur leur territoire ou en bloquer l'accès.

*

B) Pour la Commission européenne, la refonte de la directive 2011/93/UE est aujourd'hui nécessaire pour répondre à l'accroissement des abus sexuels sur les enfants

1) Les abus sexuels sur les enfants, un fléau qui frappe l'Union européenne de plein fouet

Dans l'ensemble de l'Union européenne, le constat est aussi préoccupant que celui préalablement effectué pour notre pays. En effet, selon la commissaire européenne aux affaires intérieures, Mme Ylva Johansson, c'est un enfant sur cinq qui, en Europe est victime d'une forme ou d'une autre d'abus ou d'exploitation sexuels. 1,5 million de cas ont ainsi été signalés en 2022, contre un million en 2020.

En outre, l'Union européenne détient aujourd'hui un triste « record » : celui du premier hébergeur de contenus à caractère pédopornographique dans le monde17(*).

Les explications à cette évolution sont plurielles et se conjuguent (activité des réseaux de criminalité organisée dans la traite des enfants liée à ces abus sexuels ; prolifération des contenus en ligne relatifs à des abus sexuels commis sur des mineurs et possibilités pour les auteurs de ces abus de masquer leur identité et de déjouer les investigations des services de police, liées au développement d'internet ; impact du confinement lié à la pandémie de covid-19 qui a facilité les abus sexuels dans la sphère familiale...).

2) Pour la Commission européenne, la directive 2011/93/UE doit donc aujourd'hui être actualisée

Face à ce constat, en 2019, la mise en oeuvre de la directive 2011/93/UE est apparue très partielle à la Commission européenne. Elle a lancé en conséquence des procédures d'infraction contre 23 États membres (procédure levée en 2021 concernant la France).

En complément, l'analyse d'impact18(*) accompagnant la présente proposition de directive dresse un constat mitigé de cette mise en oeuvre, soulignant en particulier :

- une grande divergence entre États membres dans les infractions et les sanctions associées pour réprimer ces infractions ;

- un déficit des programmes de prévention de la réitération des infractions proposés aux auteurs d'infractions ;

- les ressources limitées des services de police et les moyens insuffisants consacrés à l'assistance aux enfants victimes.

Elle estime également que l'état du droit de l'Union européenne doit aujourd'hui être modifié pour tenir compte à la fois de la numérisation croissante de la vie des enfants et de l'adaptation des pratiques des auteurs d'abus sexuels (exploitation sexuelle d'enfants en ligne sur le « dark web »19(*) ; existence de « manuels du pédophile » visant à éviter les poursuites judiciaires...).

3) La refonte de la directive 2011/93/UE s'inscrit dans une stratégie de l'Union européenne contre les abus sexuels sur les enfants, présentée en 2020

a) Les objectifs de la stratégie

La stratégie de l'Union européenne en faveur d'une lutte plus efficace contre les abus sexuels commis contre des enfants, en date du 24 juillet 202020(*), est fondée sur les principes suivants :

- un « étoffement » du cadre juridique européen existant pour mieux protéger les enfants sur la base d'un recensement des « vides juridiques » et des bonnes pratiques ;

- le renforcement de la réaction des services répressifs et de la coopération entre tous les acteurs de la lutte contre ces abus (précision du mandat d'Europol ; mise en place de dispositifs de prévention plus ambitieux...).

Cette stratégie a été entérinée par les conclusions du Conseil du 9 octobre 2022, qui ont demandé une consolidation du cadre juridique existant.

b) Dans ce cadre, plusieurs réformes ont été présentées pour améliorer la réponse européenne

Un règlement à durée « temporaire » (règlement (UE) 2021/1232)21(*), dérogeant à la directive 2002/58/CE dite « vie privée et communications électroniques », a permis de sécuriser les actions menées volontairement par les fournisseurs de services en ligne afin de détecter et de signaler tout abus sexuel commis contre un enfant en ligne et de bloquer le compte de l'utilisateur concerné ou de suspendre son accès au service.

Ce règlement ne devait être mis en oeuvre initialement que jusqu'au 3 août 2024, le temps de permettre l'adoption d'une réglementation « pérenne ».

Mais en raison des retards pris par la négociation de cette dernière, ce cadre temporaire vient d'être prolongé jusqu'au 3 avril 202622(*).

La réglementation « pérenne » est la proposition de règlement (COM(2022) 209 final)23(*), présentée le 11 mai 2022 par la Commission européenne, qui prévoit, à titre principal :

- la nécessité, pour les fournisseurs de services d'hébergement et de communications interpersonnelles, d'adopter des mesures d'évaluation du risque d'utilisation de leurs services aux fins de diffusion des abus sexuels sur des enfants et, si le risque est avéré, de prendre des mesures d'atténuation de ce risque ;

- l'obligation, pour ces fournisseurs, de détecter les abus sexuels en ligne et les sollicitations de mineurs en ligne pour des actes sexuels, puis de les retirer et/ou d'en bloquer l'accès, sur injonction d'une autorité (administrative ou judiciaire compétente) ;

- la création d'un centre de l'Union européenne pour la prévention de ces abus.

En complément, la Commission européenne a présenté très tardivement (le 6 février 2024 !) la présente proposition afin d'actualiser la directive 2011/93/UE précitée.

c) Le rôle protecteur du Sénat

Bien qu'ambitieuse, la proposition de règlement COM(2022) 209 final précitée est toutefois imparfaite.

C'est pourquoi, à l'initiative de sa commission des affaires européennes et sur le rapport de M. Ludovic Haye, de Mme Catherine Morin-Desailly et de votre rapporteur, le Sénat a adopté la résolution européenne n°77 du 20 mars 2023.

Dans cette résolution, le Sénat a soutenu le principe de cette réforme utile pour mieux lutter contre les abus sexuels sur les enfants et appuyé le principe de la détection et du retrait des contenus pédopornographiques en ligne sur injonction d'une autorité nationale compétente, tout en souhaitant rééquilibrer le dispositif du texte. Ceci, afin de protéger les mineurs sans instaurer une surveillance généralisée et permanente des communications et sans remettre en cause le chiffrement de bout en bout.

En pratique, la résolution européenne du Sénat a donc recommandé à la fois :

- la suppression de la possibilité de recherches indifférenciées de contenus pédopornographiques et de « pédopiégeage » ;

- la valorisation au niveau européen du modèle constitué par la plateforme française de signalement des contenus illicites sur Internet (PHAROS) ;

- l'instauration d'une obligation de déréférencement de ces contenus ;

- la mise en oeuvre de dispositifs de contrôle des usages des mineurs (contrôle parental par défaut sur les téléphones ; procédures fiables de vérification de l'âge des utilisateurs pour l'accès aux contenus pornographiques...) ;

- le refus de la création du centre de l'Union européenne pour la prévention de ces abus, qui aurait un coût élevé (plus de 28 millions d'euros à échéance 2030), qui ralentirait les échanges entre fournisseurs et autorités nationales compétentes, et dont les missions « doublonneraient » largement avec celles de l'agence européenne de coopération policière (Europol).

De fait, alors que les débats sur cette réforme se poursuivent au Conseil, les échanges sont vifs entre partisans d'un strict respect du texte de la Commission européenne et une minorité de blocage constituée d'États membres, dont la France, qui souhaitent un compromis soucieux d'efficacité et d'un encadrement plus solide des atteintes à la confidentialité des communications.

C'est pourquoi, afin de « désembourber » les négociations, la présidence belge du Conseil, qui n'espère que des compromis techniques sur cette réforme avant la fin de sa présidence, a proposé une nouvelle rédaction essayant de tenir compte des critiques exprimées. Cette dernière repose sur :

- une exclusion de certains services en ligne du champ d'application de la réforme (services électroniques non publics, en particulier ceux qui relèvent de la sécurité nationale) ;

- une catégorisation des services en ligne en trois niveaux de risque,

- une procédure de signalement accélérée des abus sexuels en ligne ;

- un affinement de la procédure de détection de ces abus24(*), afin d'éviter un trop grand nombre de « faux positifs »25(*).

Cette proposition fait évoluer le compromis en cours vers les positions du Sénat.

De plus, au niveau national, les préconisations ont été en partie insérées à la loi SREN précitée. Cette dernière a :

- confié à l'Autorité de régulation de communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), le soin d'établir un référentiel fixant les exigences techniques minimum auxquelles devront se conformer les systèmes de vérification d'âge des sites pornographiques, sous peine de lourdes amendes ;

- prévu le principe de « l'écran noir » (absence d'affichage de contenu) tant que le ce système de vérification ne sera pas effectif ;

- prévu que l'ARCOM pouvait, après mise en demeure, ordonner, sous le contrôle a posteriori du juge administratif, le blocage des sites pornographiques qui ne contrôlent pas l'âge de leurs utilisateurs et leur déréférencement des moteurs de recherche dans les 48 heures. Ces mesures concerneront les sites français et extra-européens et, après désignation par arrêté, des sites domiciliés dans un autre État membre de l'Union européenne ;

- l'obligation pour les hébergeurs de contenus en ligne, de retirer dans les 24 heures les contenus pédopornographiques qui leur sont signalés par la gendarmerie ou la police, sous peine d'un an de prison et de 250 000 euros d'amende.

*

II) La proposition de directive COM (2024) 60 vise à actualiser la directive 2011/93/UE

A) La proposition de directive tend d'abord à préciser et à étendre la liste des infractions pénales visées

La proposition étend le champ d'application de l'infraction d'abus sexuel26(*) et de celle de sollicitation d'enfants à des fins sexuelles27(*).

En outre, elle remplace la notion de « pédopornographie » par celle d'» infractions liées aux matériels relatifs à des abus sexuels sur enfants », définition très large destinée à intégrer par anticipation l'évolution des pratiques des auteurs d'infractions.

Et elle instaure deux nouvelles infractions, afin de tenir compte de l'évolution des pratiques criminelles : la sollicitation d'abus sexuels (i.e. le fait de promettre ou d'offrir intentionnellement à quiconque de l'argent ou toute autre forme de rémunération ou de contrepartie, afin de l'amener à commettre un tel abus) et l'exploitation en ligne à des fins d'abus sexuels ou d'exploitation sexuelle d'enfants (i.e. le fait d'exploiter ou de gérer intentionnellement un service de la société de l'information conçu pour faciliter ou encourager la commission de l'une des infractions précitées).

En complément, l'article 10 de la proposition prévoit des possibilités, pour les États membres, de ne pas considérer certaines de ces infractions comme telles, dans l'hypothèse d'activités sexuelles consenties entre « pairs » ou par des mineurs ayant atteint la majorité sexuelle, tout en fixant des critères explicites de ce consentement (accord donné de plein gré et tenant compte des circonstances ; possibilité de retrait de ce consentement à tout moment ; pas de consentement possible d'un mineur acceptant le partage d'une image ou d'une vidéo intime, à tout partage ou diffusion ultérieur de cette image ou vidéo).

B) Elle renforce simultanément les peines encourues pour ces infractions, la responsabilité des personnes morales, les délais de prescription et l'effectivité des interdictions consécutives à une condamnation :

1) Elle prévoit d'abord le renforcement du quantum des peines, par cohérence avec celles retenues dans la proposition de directive relative à la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique28(*) ;

2) La réforme étend aussi la responsabilité pénale des personnes morales en étendant cette responsabilité lorsque leur défaut de surveillance ou de contrôle a rendu possible la commission d'une infraction par une personne appartenant à leur direction. Elle élargit parallèlement les sanctions applicables à ces personnes morales (exclusion de financements publics ; amendes d'un montant égal à au moins 1% ou 5% de leur chiffre d'affaires mondial total au cours de l'année précédente, pour les infractions passibles d'une peine d'au moins deux ou trois ans d'emprisonnement) ;

3) Concernant les délais de prescription, à l'heure actuelle, la directive de 2011 n'en impose aucun, laissant le soin aux États membres le soin de les fixer. La proposition de refonte tend à harmoniser ces délais de prescription au niveau européen, en prévoyant leur déclenchement à partir de la date à laquelle la victime atteint la majorité et en fixant des délais longs (de 20 à 30 ans)29(*) ;

4) Enfin, elle imposerait des échanges d'information entre employeurs et autorités compétentes des États membres au sujet de l'existence d'une condamnation pénale liée à l'une des infractions précitées, afin d'accroître l'efficacité des mesures d'interdiction qui, aux termes de la directive de 2011, doivent empêcher une personne condamnée pour l'une des infractions précitées, d'avoir une activité professionnelle en contact direct avec les enfants.

C) La proposition de refonte conforte également les mesures de prévention, les obligations de signalement des infractions et l'assistance et la protection des victimes

1) Elle exige ainsi la mise en place de programmes destinés à évaluer et prévenir les risques de commission des infractions précitées, de campagnes d'information et de sensibilisation, de formations régulières des professionnels concernés ainsi que d'actions de prévention dans certains secteurs particulièrement exposés. Pour appuyer ces actions de prévention nationales, la réforme demande aux États membres de disposer d'autorités spécialisées et met une nouvelle fois en avant le centre de l'Union européenne sur la prévention des abus sexuels déjà évoqué, en lui confiant un double rôle de centralisation des informations des services nationaux compétents et de forum d'échange de bonnes pratiques ;

2) Prévue en droit français30(*) et dans la directive de 2011, la possibilité de signalement des abus sexuels sur les enfants par les professionnels, travaillant en contact avec ces derniers, deviendrait une obligation. En outre, ceux-ci devraient pouvoir signaler facilement une infraction pénale (et, le cas échéant, présenter des éléments de preuve) aux autorités compétentes ;

3) En cohérence avec la modification en cours de la réglementation européenne relative aux droits des victimes31(*), la proposition de directive impose aussi aux États membres des obligations détaillées pour les assister et les aider : ces dernières devraient avoir accès à des services d'aide spécialisés, à des « soins médicaux coordonnés et adaptés à leur âge », « aussi limités que possible et effectués par des professionnels formés à cet effet », à un « soutien émotionnel, psychosocial, psychologique et éducatif », et à un hébergement provisoire en cas de nécessité. Le texte pose également un droit des victimes à l'indemnisation financière.

*

III) La proposition de directive est-elle conforme au principe de subsidiarité ?

A) La base juridique choisie est-elle correcte ?

La proposition de directive est fondée à la fois sur l'article 82, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui donne la possibilité au Conseil et au Parlement européen d'établir des règles minimales par voie de directives, afin de faciliter la reconnaissance mutuelle des jugements et des décisions judiciaires en matière pénale, ainsi que la coopération policière et judiciaire. L'article 83, paragraphe 1 du même traité, déjà cité, leur offre les mêmes prérogatives pour définir les infractions pénales et les sanctions afférentes « dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière résultant du caractère ou des incidences de ces infractions. »

Les domaines de criminalité concernés sont ensuite précisés : « le terrorisme, la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illicite de drogues, le trafic illicite d'armes, le blanchiment d'argent, la corruption, la contrefaçon des moyens de paiement, la criminalité informatique et la criminalité organisée. »

Ce double visa semble pertinent pour justifier en droit les dispositions de la proposition de directive relatives à la définition des infractions et de leur répression.

Certes, de virulents débats ont eu lieu récemment pour savoir, d'une part, si le viol était compris dans la définition des infractions visées à l'article 83 du TFUE. En effet, au cours des discussions récentes sur la proposition de directive sur la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences domestiques32(*), les autorités françaises avaient estimé que l'Union européenne ne disposait pas des compétences nécessaires pour harmoniser la définition du viol au niveau européen sur cette base juridique.

En l'espèce, le Service juridique du Conseil a considéré que les bases juridiques étaient pertinentes et suffisantes. En particulier parce que les États membres ont déjà tranché cette question dans le passé, donnant toujours la priorité à l'efficacité de la coopération européenne en faveur des enfants. Ainsi, le présent texte n'est qu'une « refonte » de la directive 2011/93/UE, adoptée il y a plus de dix ans par le Conseil et le Parlement européen sur les mêmes fondements juridiques. De plus, comme déjà indiqué, cette dernière couvre un champ large d'infractions pénales pour protéger les mineurs (exploitation sexuelle stricto sensu ; infractions liées aux abus sexuels ; pédopornographie ; sollicitation d'enfants à des fins sexuelles).

B) La proposition est-elle nécessaire ? Apporte-t-elle une valeur ajoutée européenne ?

1) Une proposition qui s'inscrit dans une « européanisation » accélérée du droit pénal, qui devrait être débattue en amont avec les parlements nationaux des États membres

Présentée en fin de mandat par la Commission européenne dirigée par Mme Ursula von der Leyen, la présente proposition de directive s'inscrit dans une volonté politique assumée d'accélérer « l'européanisation » du droit pénal, en complément des réformes récentes relatives à la lutte contre la criminalité environnementale33(*), contre les violences contre les femmes34(*), contre la corruption35(*) et contre les trafics de migrants36(*).

Politiquement, le principe de ces réformes peut être justifié. Et juridiquement, les articles 82 et 83 du TFUE précités permettent bien de proposer un texte dans ces domaines, les infractions visées étant graves et de nature à présenter une dimension transfrontière.

Simultanément, cet « activisme pénal européen » restreint toujours plus la liberté du législateur national, qui, en principe, est responsable de la définition de ces règles pénales, et qui n'est jamais associé en amont aux choix effectués par la Commission selon une procédure institutionnalisée. Cette méthode présente deux risques importants : d'abord, celui de fragiliser la cohérence du droit pénal des États membres, y compris les dispositions dont, pourtant, la pertinence a souvent été prouvée par les faits. Et ensuite, celui de conduire la Commission européenne à faire preuve de « créativité juridique », en matière d'infractions pénales ou de circonstances aggravantes par exemple, faute de s'inspirer des bonnes pratiques nationales.

À l'heure où la présidence belge du Conseil se prépare à faire adopter, en juin prochain, des conclusions du Conseil relatives à l'avenir du droit pénal européen, il semble plus que jamais nécessaire d'appeler les institutions de l'Union européenne, et la Commission européenne en premier lieu, à mieux associer le législateur national à l'élaboration des réformes pénales européennes car, en l'état des traités, il est le premier compétent en matière pénale.

2) Une actualisation bienvenue de la directive 2011/93/UE pour prendre en compte les nouveaux comportements des auteurs d'infractions sexuelles sur des enfants

Une grande part des abus sexuels sur les enfants a lieu en milieu familial ou éducatif et n'a donc pas de dimension transfrontière. Ils nécessitent donc une réponse policière et judiciaire sans faille au niveau national. Néanmoins, tous les États membres sont touchés par ces abus et la coordination européenne se révèle nécessaire, d'une part, face à la prolifération des abus sexuels en ligne et, d'autre part, contre les réseaux de criminalité organisée exploitant sexuellement des mineurs.

Cependant, était-il nécessaire de modifier le contenu de la directive 2011/93/UE, directive aux principes clairs qui constitue un instrument opérationnel bien connu des services compétents ?

La réponse est affirmative en ce qui concerne les dispositions de la présente proposition qui tendent à mieux appréhender, pour mieux les sanctionner, les nouveaux comportements « en ligne » des auteurs d'abus sexuels sur des enfants qui, de facto, ont une dimension transfrontalière. Plus précisément :

- l'exploitation en ligne de services diffusant des abus sexuels sur des enfants ;

- la production et la diffusion de « manuels du pédophile » fournissant des conseils pour piéger les enfants et échapper aux services de police ;

- la production et la diffusion en ligne de contenus pédopornographiques virtuels à l'aide de l'intelligence artificielle (« deepnudes »), qui peuvent détourner des images de mineurs bien réels.

En revanche, force est de constater que la Commission européenne aurait pu s'abstenir de modifier les dispositions de la directive 2011/93/UE qui ont fait preuve de leur efficacité et qui laissent une réelle liberté aux États membres.

3) Ainsi, certaines dispositions de la proposition de directive sont contraires aux principes de subsidiarité et de proportionnalité en ce qu'elles enlèveraient toute liberté aux États membres ou les mettrait en concurrence avec des « organisations » privées

Ainsi, l'article 5 qui remplacerait l'infraction actuelle de « pédopornographie » par celle « d'infractions liées au matériel relatif à des abus sexuels sur enfants », dont le champ d'application semble mal défini, paraît peu conforme au principe de proportionnalité et étendrait excessivement le champ des infractions pénales visées par la directive 2011/93/UE au détriment du droit pénal des États membres. Ces nouvelles infractions, faute d'être définies correctement, seraient une source d'insécurité juridique.

Les paragraphes 7 et 8 de ce même article 5 prévoient d'autoriser des « organisations » établies dans un État membre et agissant dans l'intérêt public, à mener des actions de recherche, d'analyse et de détection de contenus en ligne relatifs à des abus sexuels sur des enfants. Ce faisant, lesdites actions ne pourraient être poursuivies pénalement.

Faute d'être définies, ces organisations pourraient donc être des associations d'utilité publique au sens de la loi française mais aussi des ONG ou des fondations.

Or, si le rôle des associations d'aide à l'enfance est majeur pour accompagner médicalement, juridiquement et socialement les mineurs victimes d'atteintes sexuelles, d'agressions sexuelles ou de viols, la détection et l'analyse des « matériels » contenant des preuves d'abus sexuels relèvent, d'abord, d'une mission d'ordre public dont la responsabilité revient aux services de police et aux autorités judiciaires des États membres. En y dérogeant, la présente proposition autoriserait de facto la détention de matériels pédo-criminels par des entités n'étant pas sous le contrôle de l'état et avec des personnels sans obligation de déontologie ni de formation. Ce qui induirait un risque évident de détournement de ces matériels.

En France, le rôle fondamental de la plateforme PHAROS, composée de policiers, de gendarmes et de magistrats, dans la réception des signalements de contenus illicites et leur traitement policier et, le cas échéant, judiciaire, a déjà été évoqué. Et le Sénat a appelé à reconnaître l'efficacité d'un tel modèle au niveau européen dans sa résolution européenne n°77 précitée.

Sur l'injonction de ces autorités nationales compétentes, la responsabilité de la détection doit aussi être assumée par les fournisseurs de services d'hébergement en ligne et de services de communications interpersonnelles. Le Sénat a déploré, à cet égard, à plusieurs reprises, que les récentes réformes européennes relatives aux services numériques n'aient imposé qu'une responsabilité limitée de ces acteurs37(*) quant aux contenus illicites de leurs services. À l'évidence, elle ne les incite pas assez à vérifier et à retirer les contenus illicites.

Le présent texte mettrait au contraire des organisations privées en concurrence avec les autorités régaliennes, sans même leur interdire de poursuivre également un but lucratif, ce qui ne semble ni efficace ni conforme aux traités.

Ainsi, faute de prudence dans la définition des « organisations » attributaires de telles missions de recherche, d'analyse et de détection, le présent texte pourrait engendrer une insécurité juridique de ces actions ainsi que des risques de conflits d'intérêts.

Ce risque n'est pas nul. La Médiatrice de l'Union européenne a par exemple constaté que la Commission européenne avait associé étroitement une fondation privée à la préparation de sa proposition de règlement COM(2022) 209 final, sans faire la transparence sur le contenu de leurs échanges et a conclu à une mauvaise administration38(*). Elle enquête également sur des allégations de conflits d'intérêts concernant deux anciens agents d'Europol, qui ont rejoint cette fondation39(*).

Or, si cette fondation déploie des actions de soutien aux enfants victimes d'abus, elle fait également la publicité de son propre logiciel de détection des abus sexuels en ligne.

À l'évidence, la rédaction actuelle de la proposition, qui affaiblirait les prérogatives de Puissance publique des États membres au profit d'organisations privées, dont certaines pourraient poursuivre des buts lucratifs, n'est pas conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.

D'autres articles de la proposition sont si prescriptifs et si précis qu'ils ne paraissent laisser aucune marge d'appréciation aux États membres.

Ainsi en va-t-il de l'article 17, qui remplacerait l'actuelle possibilité de signalement par un professionnel de santé en cas de soupçons d'abus sexuels sur un enfant par une obligation de signalement. Or, les professionnels concernés n'ont pas été consultés en temps utile.

En outre, une telle évolution remettrait en cause le secret médical qui s'impose à ces professionnels et supprimerait la marge d'appréciation laissée aux États membres pour concilier protection des mineurs et liberté de conscience des médecins. En pratique, à l'heure actuelle, l'article R. 4127-44 du code de la santé publique prévoit que si le médecin constate des preuves de violences sexuelles ou d'abus sexuels sur un mineur, il doit « mettre en oeuvre les moyens les plus adéquats pour [le] protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection » et « [alerter] les autorités judiciaires ou administratives, sauf circonstances particulières qu'il apprécie en conscience ». Cet état du droit est proportionné et pertinent.

On peut aussi mentionner l'article 28, relatif à la prévention des abus sexuels. Est-ce en effet du ressort d'une directive européenne d'énumérer l'ensemble des structures institutionnelles et sociales (clubs sportifs, communautés religieuses...) dans lesquelles les États membres doivent prendre les mesures de prévention appropriées au lieu de poser ce principe de prévention et de laisser les États membres désigner les structures pertinentes ?

Est-ce également l'objet d'une directive de préciser que ces mesures appropriées de prévention doivent comprendre des « orientations, des protocoles internes et des normes spécifiques définissant des bonnes pratiques » ?

À l'évidence, non. Ces exemples concrets soulignent que le texte proposé semble prévoir, non seulement une obligation de résultat pour les États membres - ce qui est conforme à la définition d'une directive - mais également une obligation de moyens, ce qui outrepasse explicitement la portée de cet instrument juridique.

4) Un texte qui risque d'imposer des règles européennes moins protectrices que celles du droit pénal national pour les mineurs

Pour se conformer aux articles 82 et 83 du TFUE, la proposition de directive contient seulement des règles minimales. Les États membres sont donc susceptibles - en principe - de conserver ou d'adopter des lois plus strictes envers les auteurs d'infraction et plus favorables aux victimes.

Néanmoins, la Commission européenne affirme que son texte a pour objet de mettre fin à des divergences entre législations nationales, considérées comme sources des difficultés constatées. Ce qui laisse entendre qu'elle s'opposera, autant que possible, au maintien de dispositions nationales plus ambitieuses. En outre, comme cela vient d'être souligné, la présente proposition de directive comprend des articles aussi précis qu'un texte d'application d'une loi nationale. En conséquence, il n'est pas certain que de telles lois puissent être maintenues, en particulier si elles étaient contestées par la voie d'une question préjudicielle devant la CJUE.

En pavant la voie à la disparition, au nom d'une harmonisation légitime des législations nationales face aux abus sexuels ayant une dimension transfrontière, des spécificités du droit pénal français favorables aux victimes, la présente proposition est contraire aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.

a) Concernant les infractions liées aux abus sexuels

En pratique, cette observation concerne d'abord les articles 3 et 10 de la proposition.

L'article 3 ajoute à la liste des infractions liées aux abus sexuels, d'une part, les actes de pénétration intentionnels avec un enfant n'ayant pas atteint la majorité sexuelle (donc, en France, âgé de moins de quinze ans) et, d'autre part, les actes précités avec un mineur ayant atteint la majorité sexuelle (en France : âgé de quinze à dix-huit ans) et n'y ayant pas consenti. Ce consentement doit alors être donné librement et explicitement par le mineur et peut être retiré par lui à tout moment.

En complément, l'article 10 reconnaît la possibilité de relations consenties entre « pairs », à savoir des « personnes d'âges proches ayant atteint un niveau de développement ou de maturité psychologique et physique semblable ».

Or, ces ajouts viennent insérer dans le champ d'application de la directive 2011/93/UE des actes compris comme des viols sur mineurs par le droit pénal français. En conséquence, si cette proposition était adoptée en l'état et interprétée comme allant au-delà des « règles minimales » visées à l'article 83 du TFUE, elles pourraient conduire « à décriminaliser » des faits constitutifs en droit interne d'un viol sur mineur.

Pour rappel, les trois principales infractions définies dans le code pénal sont :

- l'atteinte sexuelle, qui réprime un comportement en lien avec une activité sexuelle, de la part d'une personne majeure à l'encontre d'un mineur ;

- l'agression sexuelle, qui vise un acte sexuel sans pénétration mais pouvant être commis par violence, contrainte, menace ou surprise, par une personne majeure sur un mineur ;

- le viol, qui désigne tout acte de pénétration sexuelle et tout acte bucco-génital commis sur un mineur.

Le tableau ci-dessous recense les principales infractions et leur sanction.

Infractions prévues par le code pénal

Peines prévues par le code pénal

Propositions sexuelles à un mineur de moins de 15 ans via internet (article 227-22-1)

2 ans de prison et 30 000 euros d'amende

5 ans de prison et 75 000 euros d'amende si la proposition a été suivie d'une rencontre

Corruption de mineur (article 227-22)

5 ans de prison et 75 000 euros d'amende

10 ans de prison et 1 million d'euros d'amende si l'infraction a été commise en bande organisée et sur un mineur de moins de 15 ans

Agressions sexuelles (autres que le viol) commises sur un mineur de moins de 15 ans

(articles 222-22 et 222-27 à 222-31)

10 ans de prison et 150 000 euros d'amende40(*)

Atteinte sexuelle commise sur un mineur de moins de 15 ans (articles 227-25 et 227-26)

7 ans de prison et 100 000 euros d'amende

Incitation d'un mineur, par un moyen de communication électronique, à commettre un acte sexuel

(article 227-23)

7 ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende

a) Enregistrement et diffusion de représentations pornographiques d'un mineur

b) (avec usage de communications électroniques)

(article 227-23)

5 ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende

7 ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende

Viol d'un mineur de moins de 15 ans (articles 222-22 et 222-23 à 222-26-2)

20 ans de prison

En outre, des peines complémentaires peuvent ou doivent être infligées aux personnes condamnées pour l'une de ces infractions : il en va ainsi de l'interdiction d'exercer (soit à titre définitif, soit pour dix ans au plus) une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs qui peut être prononcée par la juridiction compétente41(*).

Dans ce cadre, l'article 222-23-1 du code pénal affirme que « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis par un majeur sur la personne d'un mineur de quinze ans ou commis sur l'auteur par le mineur, lorsque la différence d'âge entre le majeur et le mineur est d'au moins cinq ans. » est un viol.42(*)

Plus précisément, le droit pénal français :

- pose le principe du non consentement à une relation sexuelle de tout mineur âgé de moins de quinze ans, sans autre justification ;

- a prévu une exception, dite « clause Romeo et Juliette » pour les relations consenties entre un mineur et un jeune majeur dont la différence d'âge est de moins de cinq ans (ex : entre un mineur de 14 ans et un majeur de 18 ans). Toutefois, cette dernière n'est pas applicable si les faits sont commis « en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage. » La proposition de directive, elle, prévoit seulement une relation consentie entre « pairs » (mineurs du même âge et matures psychologiquement) ;

- sanctionne plus rigoureusement les viols sur mineurs (le viol est sanctionné de quinze ans de réclusion criminelle et de vingt ans concernant le viol sur mineur de moins de quinze ans) que la proposition de directive (douze ans si un enfant n'a pas atteint la majorité sexuelle est victime, dix ans dans les autres cas).

Cependant, la position des autorités françaises a semblé « flotter » sur la préservation de cette définition du viol au cours des derniers mois.

En effet, au cours des débats précités sur la proposition de directive contre les violences faites aux femmes, les autorités françaises avaient considéré qu'une extension, au niveau européen, de la définition du viol sur la base du consentement, comme c'est déjà le cas en Belgique et en Espagne, serait moins protectrice que la définition française et qu'une telle évolution reviendrait à reporter la charge de la preuve sur les victimes. Une telle proposition avait donc été finalement écartée au cours des discussions.

Mais le 8 mars dernier, le Président de la République a semblé défendre la position inverse lors d'un échange avec des associations féministes en se disant prêt à intégrer cette notion de consentement dans la définition pénale du viol. Si elle était proposée, une telle évolution relèverait d'un débat politique de fond et non du présent contrôle de subsidiarité.

Pour l'heure, le présent avis rappelle simplement que la proposition de directive ne doit pas remettre en cause les dispositions du code pénal français plus favorables aux mineurs victimes d'un viol (peines plus sévères pour les auteurs) ou ayant une relation consentie avec un jeune majeur, sous peine de non-conformité au principe de subsidiarité.

b) Concernant les délais de prescription

Par ailleurs, le présent avis motivé souligne que, malgré leur caractère extensif, les délais de prescription prévus dans la proposition (article 16) semblent aussi moins favorables aux victimes que ceux prévus en droit pénal français dans certaines situations, telles que la récidive.

En effet, en France, les délais de prescription :

- ne commencent à courir qu'à la majorité de la victime ;

- sont longs, en lien avec la difficulté fréquente des victimes à pouvoir s'exprimer au sujet de l'infraction dont ils ont été victimes et à porter plainte : dix ans pour les infractions d'atteinte sexuelle, d'agression sexuelle et de viol ; vingt ans pour les agressions sexuelles aggravées et les agressions sexuelles par violence, contrainte, menace ou surprise ; trente ans pour le viol ;

- peuvent être « glissants », c'est-à-dire qu'ils peuvent être prolongés si, pendant la durée de la prescription de la première infraction, son auteur en commet une seconde sur un autre mineur. Le délai de prescription peut alors être prolongé de la durée de cette seconde prescription (article 8, alinéa 4, du code de procédure pénale).

5) Un texte dont certaines dispositions créent des dispositifs inutiles et font peser des charges excessives sur les États membres (articles 20, 25 et 31) :

En premier lieu, il a déjà été rappelé pourquoi le Sénat s'est opposé à la création d'un centre de l'Union européenne dédié à la prévention des abus sexuels, dans le cadre de son examen de la proposition de règlement COM (2022) 209 final précitée (structure coûteuse, utilisant les moyens d'Europol tout en « doublonnant » certaines de ses missions et ralentissant la procédure prévue de signalement des abus sexuels sur les enfants en ligne).

Le présent texte (articles 20 et 25) tente en vain de conforter la légitimité de ce centre en lui confiant un rôle de recueil d'information et d'échange de bonnes pratiques sur la prévention des abus sexuels, ce qui ne semble pas plus convaincant. En effet, ces missions ne nécessitent pas la création d'un nouvel organisme, qui apparaît comme une nouvelle charge inutile pour les États membres. Le budget conséquent prévu pour cette création serait mieux utilisé s'il était consacré à des actions concrètes de protection des enfants, pour lesquelles les besoins de soutien financier sont très importants.

En second et dernier lieu, la demande de collecte de statistiques imposée aux États membres (article 31) semble également excessive. Les États membres devraient être simplement contraints de transmettre les informations à leur disposition.

En outre, cette demande de statistiques mentionne le concept de « délinquant potentiel », qui est inacceptable tant éthiquement que juridiquement, car il laisse entendre que certaines personnes seraient présumées enclines, du fait de leur environnement social et familial, à commettre des abus sexuels. Elle doit évidemment être supprimée.

*

La commission des affaires européennes du Sénat a, en conséquence, adopté la proposition de résolution européenne portant avis motivé suivant :

* 1 L'article 34 de la Convention de l'ONU sur les droits de l'enfant (résolution 44/25 du 20 novembre 1989) est plus spécifiquement consacré à la protection des enfants contre l'exploitation sexuelle et les violences sexuelles.

* 2 Voir ainsi la Convention du Conseil de l'Europe sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels, dite Convention de Lanzarote (25 octobre 2007).

* 3 Article 24 de la Charte européenne des droits fondamentaux.

* 4 Alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

* 5 Par exception, en cas d'inceste, la majorité sexuelle est fixée à 18 ans.

* 6 Loi n°2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste.

* 7 Article 222-23-1 du code pénal.

* 8 Plateforme d'Harmonisation, d'Analyse, de Recoupement et d'Orientation des Signalements.

* 9 Article 6-1 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

* 10 Les victimes peuvent ainsi demander une indemnisation à l'auteur des faits dans le cade d'une procédure pénale. Elles peuvent aussi obtenir réparation de l'intégralité du préjudice subi en sollicitant le fonds de garantie des victimes (FGTI). La victime (par l'intermédiaire d'un représentant légal) peut saisir la commission d'indemnisation des victimes d'infraction (Civi), dans les trois ans suivant l'infraction si aucun procès n'a eu lieu ou dans l'année suivant une décision définitive rendue par un tribunal pénal. Le FGTI dispose de deux mois pour faire une offre d'indemnisation. Si la victime la refuse, la Civi prend alors une décision en dernier ressort.

* 11 Voir à cet égard, le rapport d'information n°529 (2018-2019) « Violences sexuelles sur mineurs en institution : pouvoir confier ses enfants en toute sécurité » des sénatrices Marie Mercier, Michelle Meunier et Dominique Vérien, au nom de la mission commune d'information sur les politiques publiques de prévention, de détection, d'organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d'être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l'exercice de leur métier ou de leurs fonctions, et le rapport d'information n°289 (2017-2018) « Protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles » de Mme Marie Mercier au nom de la commission des lois.

* 12 Loi n°2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste.

* 13 Au Sénat, ce texte a été examiné par une commission spéciale présidée par la sénatrice Catherine Morin-Desailly et dont les rapporteurs étaient les sénateurs Patrick Chaize et Loïc Hervé.

* 14 Décision n°2024-866 DC.

* 15 Directive 2011/93/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 relative à la lutte contre les abus sexuels et l'exploitation sexuelle des enfants ainsi que la pédopornographie et remplaçant la décision-cadre 2004/68/JAI du Conseil.

* 16 Dans la directive, les enfants sont définis comme des personnes âgées de moins de 18 ans. La majorité sexuelle relève du droit national des États membres.

* 17 Exposé des motifs de la communication de la Commission européenne (COM(2020) 607 final du 24 juillet 2020 valant « Stratégie de l'Union européenne en faveur d'une lutte plus efficace contre les abus sexuels commis contre des enfants. »

* 18 Analyse d'impact SWD (2024) 33final du 6 février 2024.

* 19 Internet seulement accessible par des logiciels ou des configurations spécifiques, non indexé par les moteurs de recherche et très utilisé par les réseaux criminels.

* 20 COM(2020) 607 final.

* 21 Règlement (UE) 2021/1232 du Parlement européen et du Conseil du 14 juillet 2021 relatif à une dérogation temporaire à certaines dispositions de la directive 2002/58/CE en ce qui concerne l'utilisation de technologies par les fournisseurs de services de communications interpersonnelles non fondés sur la numérotation pour le traitement de données à caractère personnel et d'autres données aux fins de la lutte contre les abus sexuels commis contre des enfants en ligne

* 22 COM(2023) 777 final

* 23 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles en vue de prévenir et de combattre les abus sexuels sur enfants.

* 24 En pratique, lors de la détection, l'identification d'abus sexuels dans un contenu en ligne serait assurée à la seconde alerte (« hit ») et non plus de la première.

* 25 Assimilation erronée d'une situation à un abus sexuel en ligne du fait des biais des technologies employées pour leur détection (ex : assimilation à un abus sexuel, d'une photographie d'un enfant dénudé envoyée par l'un de ses parents à un médecin pour vérifier une pathologie ou les progrès de sa guérison).

* 26 Le fait d'amener un enfant à se livrer à des activités sexuelles avec une autre personne serait désormais visé, de même que tout comportement intentionnel conduisant à un acte de pénétration avec un enfant (en distinguant la situation des enfants mineurs et celle de ceux ayant atteint la majorité sexuelle).

* 27 Ladite sollicitation serait désormais effective lorsqu'une rencontre est proposée à un enfant en vue de commettre une infraction, « soit en ligne soit en personne » ou lorsqu'un adulte amène un enfant à participer à des « spectacles » d'abus sexuels sur enfants et à son exploitation sexuelle à des fins de prostitution.

* 28 COM(2022) 105 final.

* 29 20 ans pour les infractions passibles d'une peine maximale d'au moins trois ans d'emprisonnement ; 25 ans pour les infractions passibles d'une peine maximale d'au moins cinq ans d'emprisonnement ; 30 ans pour les infractions passibles d'une peine maximale d'au moins huit ans d'emprisonnement.

* 30 Article R. 4127-44 du code de la santé publique.

* 31 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2012/29/EU établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et remplaçant la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil (COM(2023) 424 final).

* 32 COM(2022) 105 final. Ce texte a fait l'objet d'un accord « en trilogue », entre les négociateurs européens, le 6 février 2024.

* 33 Proposition de directive relative à la protection de l'environnement par le droit pénal et remplaçant la directive 2008/99/CE, COM(2021) 851 final, du 15 décembre 2021. Ce texte a fait l'objet d'un accord du Conseil et du Parlement européen en trilogue, le 16 novembre 2023.

* 34 Proposition de directive sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, COM(2022) 105 final, du 8 mars 2022. Ce texte a fait l'objet d'un accord du Conseil et du Parlement européen en trilogue, le 6 février 2024.

* 35 Proposition de directive relative à la lutte contre la corruption, remplaçant la décision-cadre 2003/568/JAI du Conseil et la convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des États membres de l'Union européenne, et modifiant la directive (UE) 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil, COM(2023) 234 final, en date du 3 mai 2023.

* 36 Proposition de directive établissant des règles minimales pour prévenir et combattre l'aide à l'entrée, au transit et au séjour irréguliers dans l'Union, remplaçant la directive du Conseil 2002/90/CE et la décision du Conseil 2002/946 (COM(2023) 755 final) du 28 novembre 2023

* 37 Dans sa résolution européenne n°70 du 14 janvier 2022 relative à la proposition de règlement relatif à un marché intérieur des services numériques (DSA), le Sénat soulignait ainsi que le « régime actuel de responsabilité des hébergeurs ne rend(ait) pas compte du rôle actif ainsi joué par ces acteurs dans le partage et la dissémination des contenus en ligne » et déplorait que le droit européen en vigueur « ne remette pas en cause le principe de responsabilité limitée des hébergeurs, y compris des plateformes et des très grandes plateformes en ligne ».

* 38 Recommandation du 19 décembre 2023 (affaire 1945/2023/MIG).

* 39 Affaire 2091/2023/AML ouverte le 20 décembre 2023.

* 40 Des peines plus lourdes peuvent être prononcées lorsque l'infraction a été commise par un ascendant (inceste), avec une arme et/ou par plusieurs personnes.

* 41 En cas de condamnation aux infractions prévues aux articles 227-22 à 227-27, 227-27-2 ou 227-28-3, cette peine complémentaire est prononcée à titre définitif. La juridiction peut, par décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine en considération des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ou de la prononcer pour une durée de dix ans au plus (article 227-3-1 du code pénal).

* 42 Article 222-23-1 du code pénal.

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