EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 24 avril 2024, le Parlement européen a adopté la directive sur les travailleurs des plateformes, marquant une étape importante dans la reconnaissance des droits de ces millions de travailleurs. Ce texte, soutenu par un large spectre politique, allant de la gauche au centre-droit, traduit une reconnaissance unanime de la nécessité d'un cadre clair pour garantir des droits sociaux à ces travailleurs.

Bien que les approches diffèrent sur l'économie des plateformes, tous les groupes politiques s'accordent sur l'urgence de garantir des droits et des protections aux millions de travailleurs concernés.

La directive est un compromis équilibré. Elle harmonise les règles au niveau européen tout en respectant la diversité et la flexibilité des plateformes. Elle offre des garanties minimales essentielles, sans remettre en cause les opportunités économiques qu'elles génèrent pour nos entrepreneurs, nos PME et nos territoires. Il est important de souligner le rôle crucial joué par ces travailleurs, notamment durant la crise de la Covid-19, en assurant la continuité d'activité de nombreuses entreprises. Dès lors, il est légitime d'exiger une égalité de protection avec les emplois traditionnels. C'est l'objectif de cette directive qui établit des droits fondamentaux tout en maintenant l'équilibre nécessaire à la vitalité économique.

Aujourd'hui, la dérégulation du droit des travailleuses et des travailleurs liés virtuellement à un donneur d'ordre bouleverse et s'immisce dans tous les secteurs de l'économie. Aussi, la plateformisation de l'économie intervient dans des domaines pionniers tels que l'hôtellerie (Airbnb, Booking.com) et les transports de personnes (Uber, Blablacar, Drivy), mais s'étend également aux petits travaux de rénovation, au dépannage, aux services à la personne et même, de manière surprenante, à des professions réglementées comme les professionnels du droit ou de la santé.

En l'état, ce nouveau modèle économique permet aux plateformes de s'affranchir du financement de la protection sociale par le salaire socialisé au travers de cotisations. De plus, livrés à leur propre sort, ces travailleurs doivent supporter les frais inhérents à leurs outils de travail (vélo, téléphone, internet, voiture, assurances...). En outre, ces travailleurs n'ont pas accès à l'assurance chômage et ne sont pas couverts en cas d'accident du travail. Ils doivent, pour être protégés, cotiser volontairement au régime social des travailleurs indépendants et au régime d'assurance vieillesse afin d'obtenir des droits à pension de retraite.

En réalité, pour la plupart, ces travailleurs ne sont pas autonomes mais bel et bien subordonnés : il est impossible pour eux de négocier leur contrat. Ils ne disposent pas non plus de la possibilité de contester les sanctions prises à leur encontre, notamment les « déconnexions ». Ils sont, en définitive, soumis à la brutalité d'un ordre patronal injustifiable et exercé algorithmiquement. Les plateformes placent souvent leurs travailleurs en position de dépendance économique. Dans les faits, elles exercent sur eux un pouvoir de direction plus ou moins affirmé, notamment par la fixation unilatérale du tarif de la prestation et des conditions de sa réalisation et, plus largement, par le contrôle des éléments essentiels de la relation de travail.

De nombreuses jurisprudences s'accumulent et consacrent la relation de subordination. Dès 2010, plusieurs actions collectives ont été initiées, aboutissant en 2020 à une reconnaissance inédite par la Cour de cassation de l'existence d'un lien de subordination entre les chauffeurs et la plateforme numérique Uber. Cette reconnaissance a permis la requalification de la relation en contrat de travail, établissant ainsi un précédent majeur pour de futures poursuites judiciaires. Dans le même sens, le 8 mars 2022, Deliveroo France faisait face à des accusations de travail dissimulé. Le tribunal judiciaire de Paris a infligé à Deliveroo France une amende de 375 000 euros, le montant maximal prévu pour cette infraction, renforçant ainsi la jurisprudence en faveur des droits des travailleurs des plateformes numériques. Deux ex-directeurs généraux ont été condamnés à un an de prison avec sursis et un ex-directeur des opérations à quatre mois de prison avec sursis et 10 000 euros d'amende.

La prolifération de ces litiges engendre désormais une congestion des tribunaux. En effet, le délai moyen de traitement des affaires aux prud'hommes dépassait les 17 mois en 2021. La mise en oeuvre de la directive européenne sur les droits des travailleurs des plateformes constituera un avantage financier et temporel tant pour les services judiciaires que pour les parties civiles. En clarifiant les critères de subordination et les droits qui en découlent, la directive réduit l'insécurité juridique et les contentieux, tout en créant un environnement plus stable pour les entreprises.

L'économie de plateforme, lorsqu'elle n'est pas encadrée, fait peser l'ensemble des risques sur les travailleurs, souvent privés de protections adéquates et soumis à une précarité accrue. Ce modèle, basé sur une indépendance sans statut réel, tend à fragmenter le travail en tâches isolées, avec des rémunérations faibles, une protection sociale insuffisante et des perspectives professionnelles limitées. Ces conditions engendrent des impacts profonds non seulement sur la vie des travailleurs concernés, mais également sur la cohésion sociale dans son ensemble.

Dans ce contexte, la directive européenne sur les droits des travailleurs de plateformes représente une opportunité cruciale pour établir des normes et les protections nécessaires. Il est impératif que les gouvernements et les législateurs reconnaissent la nécessité d'assurer des droits équitables aux travailleurs des plateformes, mettant ainsi fin à la marginalisation de cette catégorie de travailleurs en leur permettant de bénéficier de droits collectivement reconnus.

Enfin, il est essentiel de rappeler que, dans un contexte où la dette publique française atteint des niveaux préoccupants, les pertes fiscales liées aux pratiques d'évasion de certaines plateformes de l'économie collaborative aggravent encore les difficultés financières de l'État. Ce contournement de leur responsabilité fiscale, associé à la précarisation croissante des travailleurs de plateforme, menace non seulement les recettes fiscales nécessaires au financement des services publics, mais aussi la pérennité de notre modèle social. Dans ce cadre, la transposition de la directive européenne sur les droits des travailleurs de plateforme dans le droit français apparaît comme une urgence. Elle constitue une étape indispensable pour renforcer la protection des travailleurs et garantir une juste contribution fiscale de ces entreprises.

Le Gouvernement a désormais la responsabilité de transposer rapidement cette directive. Il s'agit non seulement de répondre aux attentes des travailleurs, mais aussi de garantir un environnement juridique stable pour les entreprises, en affirmant l'engagement de la France en faveur d'une Europe sociale et compétitive.

Cette proposition de résolution appelle ainsi à une mise en oeuvre ambitieuse de la directive, afin d'assurer des conditions de travail dignes pour les travailleurs de plateformes, tout en soutenant l'innovation et les opportunités économiques qu'elles offrent.

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