EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Tous les États membres de l'Union européenne sont confrontés à des pénuries de médicaments de plus en plus fréquentes. Face à cette situation qui peut avoir de graves conséquences pour les patients, la Commission européenne propose des mesures législatives, présentées dans la proposition de règlement COM(2023) 193 final1(*), et des mesures non législatives, présentées dans la communication COM(2023) 672 final du 24 octobre 20232(*).
Le chapitre X de la proposition de règlement COM(2023) 193 final prévoit des mesures destinées à garantir la disponibilité et la sécurité de l'approvisionnement en médicaments. Cette proposition de règlement fait partie du paquet pharmaceutique3(*) présenté par la Commission européenne en avril 2023 ayant pour objectif de réformer la législation applicable aux médicaments.
En mai 2023, 19 États membres, dont la France, ont demandé à la Commission européenne d'aller plus loin en proposant un texte législatif visant à réduire la dépendance de l'Union à l'égard de fournisseurs situés dans des États tiers. Estimant le délai dont elle dispose avant la fin de son mandat insuffisant pour préparer une telle proposition, la Commission a choisi de présenter la communication COM(2023) 672 final pour tenter de répondre dans l'immédiat aux problèmes rencontrés par les États membres.
1/ Une action à l'échelle de l'Union réclamée par les États membres
a/ L'approvisionnement en médicaments : une compétence des États membres
L'article 168, paragraphe 7, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) prévoit que « l'action de l'Union est menée dans le respect des responsabilités des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l'organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux. Les responsabilités des États membres incluent la gestion de services de santé et de soins médicaux, ainsi que l'allocation des ressources qui leur sont affectées ». Ces ressources comprennent notamment le budget, les moyens humains et les médicaments. Ainsi, la fourniture de médicaments, de même que la détermination de leurs prix et de leurs conditions de remboursement, relèvent de la compétence des États membres.
Une action coordonnée à l'échelle de l'Union pour l'acquisition de médicaments implique donc une coopération volontaire des États membres.
b/ Une intervention plus marquée de l'Union depuis la pandémie de COVID-19
À la suite de la pandémie de COVID-19, la Commission européenne a organisé l'achat groupé de vaccins pour les États membres qui le souhaitaient.
Elle a également créé en son sein l'HERA, autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire, qui est en fait une direction générale des services de la Commission. Celle-ci a pour mission de garantir la disponibilité en temps utile et en quantités suffisantes de contre-mesures médicales nécessaires en cas de crise sanitaire.
Par ailleurs, le Parlement européen et le Conseil ont adopté, le 25 janvier 2022, le règlement (UE) 2022/1234(*) qui établit le cadre d'intervention de l'Union européenne pour lutter contre les pénuries de médicaments en cas d'urgence de santé publique5(*).
Ce règlement prévoit la création d'un groupe de pilotage sur les pénuries de médicaments, ci-dessous « groupe de pilotage » composé d'un représentant de l'Agence européenne des médicaments (EMA), d'un représentant de la Commission et d'un représentant désigné par chaque État membre. Le groupe de pilotage est soutenu dans ses travaux par un groupe de travail au sein duquel chaque État membre est représenté.
Le groupe de pilotage établit et met à jour une liste des principaux groupes thérapeutiques de médicaments qui sont nécessaires aux soins d'urgence. Cette liste a été établie en juillet 2022 et comprend environ 80 classes thérapeutiques. En parallèle, l'EMA devra mettre en place une plateforme informatique appelée plateforme européenne de surveillance des pénuries qui sera utilisée pour faciliter la collecte d'informations sur la disponibilité des médicaments figurant sur cette liste. Celle-ci devra être opérationnelle au plus tard le 2 février 2025.
En cas d'urgence de santé publique, le groupe de pilotage adopte une liste de médicaments critiques. Il surveille l'offre et la demande des médicaments figurant sur cette liste afin de détecter toute pénurie réelle ou potentielle de ces médicaments. Les titulaires d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) devront fournir un certain nombre d'informations au groupe de pilotage. Les États membres participent également à la surveillance de l'offre et de la demande de médicaments critiques. Le groupe de pilotage formule des recommandations à l'attention de la Commission et des États membres.
c/ Une action à l'échelle de l'Union demandée par les États membres
Dans sa communication du 25 novembre 2020 intitulée « Stratégie pharmaceutique pour l'Europe »6(*), la Commission a présenté un certain nombre de mesures qu'elle entend mettre en oeuvre pour renforcer l'autonomie stratégique ouverte de l'Union dans le domaine des médicaments. Elle évoque notamment une notification plus précoce des pénuries et le lancement d'un dialogue structuré incluant les acteurs de la chaîne de valeur des médicaments et les pouvoirs publics, ceci afin de recenser les vulnérabilités de la chaîne d'approvisionnement mondiale en médicaments définis comme critiques.
Ce dialogue structuré sur la sécurité de l'approvisionnement en médicaments a abouti à la publication, en avril 2022, d'un rapport par les services de la Commission7(*). Ce rapport rappelle la nécessité de diversifier les sources d'approvisionnement et d'identifier les médicaments critiques pour lesquels il faudra réduire les vulnérabilités. En outre, il avance que le développement de processus de fabrication utilisant davantage les technologies numériques et réduisant le nombre d'intrants dans un souci de protection de l'environnement devrait permettre de soutenir la production de médicaments sur le territoire de l'Union.
Sur le fondement de ce rapport, lors du Conseil européen de juin 2023, les États membres ont plaidé pour des mesures urgentes visant à assurer une production et une disponibilité suffisante des médicaments les plus critiques.
2/ Une définition législative des pénuries particulièrement attendue et mettant en oeuvre le principe de subsidiarité
La proposition de règlement définit :
- un « médicament critique » comme un médicament pour lequel une insuffisance de l'approvisionnement entraîne un préjudice grave ou un risque de préjudice grave pour les patients ; il figure à ce titre sur la liste des médicaments critiques de l'Union européenne ;
- la « pénurie » comme une situation dans laquelle l'offre d'un médicament autorisé et mis sur le marché dans un État membre ne répond pas à la demande de ce médicament dans cet État membre ;
- la « pénurie critique dans l'État membre » comme une pénurie qui concerne un médicament pour lequel il n'existe pas de médicament de remplacement approprié disponible sur le marché de cet État membre, et à laquelle on ne parvient pas à remédier ;
- la « pénurie critique » comme une pénurie critique dans un État membre pour laquelle une action coordonnée au niveau de l'Union est jugée nécessaire en vue d'y remédier.
Dans son avis politique du 20 octobre 20228(*), la commission des affaires européennes du Sénat demandait à la Commission européenne de donner une définition législative de ces notions.
Les rapporteurs se félicitent de ces propositions qui permettent d'identifier les cas où une intervention de l'Union est requise, conformément aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.
Ainsi, la proposition de règlement COM(2023) 193 final, ci-dessous la proposition de règlement, prévoit que les autorités compétentes des États membres surveillent en permanence toute pénurie potentielle ou réelle de médicaments. Elles informent l'EMA des pénuries qu'elles ont recensées. Puis l'EMA, en collaboration avec le groupe de travail mentionné dans le règlement (UE) 2022/123, identifie les médicaments dont la pénurie ne peut être résorbée sans une action coordonnée au niveau de l'Union. L'EMA informe ensuite le groupe de pilotage de ses conclusions. Celui-ci est alors chargé d'adopter et de mettre à jour une liste des pénuries critiques de médicaments. Il peut également formuler des recommandations à l'attention des titulaires d'AMM concernés, des États membres, de la Commission, des représentants des professionnels de santé ou d'autres entités sur les mesures à prendre pour atténuer la pénurie critique ou y remédier.
La proposition de règlement prévoit que l'EMA, en coordination avec l'autorité compétente de l'État membre, assure une surveillance continue des pénuries critiques et que les obligations du titulaire de l'AMM soient renforcées. Ce dernier devra notamment tenir compte des recommandations formulées par le groupe de pilotage et se conformer aux mesures prises par la Commission.
3/ Des obligations renforcées pour les titulaires d'AMM
a/ Des obligations de notification plus précoces
Aujourd'hui, la législation européenne prévoit que si un médicament n'est plus mis sur le marché d'un État membre, de manière provisoire ou définitive, le titulaire de l'AMM doit le notifier à l'autorité compétente dudit État membre et à l'EMA, lorsque le médicament est couvert par une autorisation centralisée de mise sur le marché, au plus tard deux mois avant l'interruption de la mise sur le marché du médicament.
La proposition de règlement allonge ce délai de notification. Ainsi, le texte prévoit que le titulaire d'une AMM aura l'obligation de notifier à l'autorité compétente de l'État membre où le médicament a été mis sur le marché et à l'EMA lorsqu'il s'agit d'un médicament couvert par une autorisation centralisée de mise sur le marché :
i) sa décision de cesser définitivement la mise sur le marché d'un médicament dans cet État membre, au moins douze mois avant sa dernière fourniture de ce médicament ;
ii) sa demande de retrait définitif de l'autorisation de mise sur le marché de ce médicament autorisé dans cet État membre, au moins douze mois avant sa dernière fourniture de ce médicament ;
iii) sa décision de suspendre temporairement la mise sur le marché d'un médicament dans cet État membre, au moins six mois avant le début de la suspension temporaire de sa fourniture de ce médicament ;
iv) une perturbation temporaire de la fourniture d'un médicament dans un État membre donné, d'une durée prévue supérieure à deux semaines ou, sur la base de ses prévisions de demande, au moins six mois avant le début de cette perturbation temporaire de la fourniture ou, si cela n'est pas possible et si cela est dûment justifié, dès qu'il a connaissance de cette perturbation temporaire.
L'annexe IV précise les informations à fournir selon les cas.
· Des mesures satisfaisantes ...
Medecines for Europe, qui représente les entreprises produisant des médicaments génériques, estime qu'imposer aux titulaires d'AMM de signaler les perturbations temporaires au moins six mois avant le début de celles-ci va engendrer une hausse du nombre de signalements dont la plupart correspondront à des pénuries potentielles. L'association préconise en conséquence de ne pas modifier la législation actuelle. À l'inverse, France Assos Santé a salué l'allongement des délais de notification.
En France, le titulaire d'une AMM qui prend la décision de suspendre ou de cesser la commercialisation d'un médicament ou qui a connaissance de faits susceptibles d'entraîner la suspension ou la cessation de cette commercialisation informe l'ANSM au moins un an avant la date envisagée ou prévisible lorsqu'il s'agit d'un médicament d'intérêt thérapeutique majeur (MITM)9(*). Ce délai est de deux mois quand il ne s'agit pas d'un MITM. En outre, les titulaires d'AMM ont l'obligation d'informer l'ANSM de toute rupture ou risque de rupture de stock concernant les MITM qu'ils exploitent, dès qu'ils en ont connaissance.
Pour les rapporteurs, les mesures proposées par la Commission doivent être soutenues. En effet, une notification plus précoce doit permettre de mettre en oeuvre des actions visant à éviter une pénurie.
· Qui doivent s'accompagner d'un transfert facilité de l'AMM et de sanctions dissuasives en cas de non-respect
Pour les rapporteurs, les obligations de notification plus précoces imposées aux titulaires d'AMM doivent s'accompagner de procédures visant à faciliter le transfert de l'AMM vers un autre titulaire et de sanctions dissuasives lorsque ces obligations ne sont pas respectées.
Concernant les transferts d'AMM, la proposition de règlement prévoit que lorsque le titulaire de l'AMM envisage de retirer définitivement du marché un médicament critique, il propose de transférer, à des conditions raisonnables, l'autorisation de mise sur le marché correspondante à un tiers qui a déclaré son intention de mettre ce médicament critique sur le marché. Pour les rapporteurs, il est nécessaire que l'EMA puisse aider à organiser ce transfert d'AMM en publiant sur son site Internet la liste des entreprises souhaitant organiser un tel transfert.
Concernant les sanctions, les rapporteurs plaident pour une modification de l'annexe II de la proposition de règlement qui précise la liste des obligations dont le non-respect peut faire l'objet de sanctions financières sous la forme d'amendes, afin d'y inclure les obligations de notification et les obligations d'information mentionnées ci-dessous.
b/ Des obligations d'information pour soutenir l'action des autorités compétentes des États membres et de l'EMA
La proposition de règlement crée une obligation pour les titulaires d'AMM de fournir aux autorités compétentes des États membres et à l'EMA différentes informations détaillées dans l'annexe IV de la proposition de règlement pour leur permettre d'apprécier le risque de pénurie et d'y répondre. Ils devront communiquer également de leur propre initiative toute information pertinente, à compléter dès que de nouvelles informations sont disponibles, et justifier tout manquement à ces obligations. Ils pourront présenter aux autorités compétentes des États membres des demandes de confidentialité concernant les informations fournies, charge à ces autorités d'évaluer le bien-fondé de ces demandes.
Les grossistes et les autres personnes physiques ou morales autorisées ou habilitées à délivrer au public des médicaments pourront également signaler une pénurie d'un médicament donné à l'autorité compétente de l'État membre concerné.
La plateforme européenne de surveillance des pénuries prévue par le règlement (UE) 2022/123 sera utilisée pour collecter ces informations, ce qui était une des recommandations de la commission des affaires européennes du Sénat dans son avis politique du 20 octobre 2022.
Les rapporteurs estiment que ces obligations d'information sont indispensables pour permettre une réaction appropriée des pouvoirs publics. Ils formulent néanmoins quelques recommandations pour permettre d'utiliser au mieux ces informations.
Tout d'abord, en cas de pénurie critique, il est indispensable de s'assurer que les informations collectées directement par l'EMA auprès des titulaires d'AMM seront partagées avec les autorités compétentes des États membres.
En outre, Medecines for Europe et l'EFPIA qui représente l'industrie pharmaceutique, ont alerté les rapporteurs sur la nécessité d'utiliser le système européen de vérification des médicaments (système EMVS) pour suivre l'offre et la demande de médicaments. Ce système mis en place par l'Union pour lutter contre la falsification de médicaments contient de nombreuses informations et leur utilisation éviterait d'imposer aux titulaires d'AMM de fournir plusieurs fois les mêmes informations.
Par ailleurs, la proposition de règlement prévoit que les autorités compétentes des États membres et l'EMA publient des informations sur les pénuries réelles de médicaments, dans les cas où elles ont évalué ces pénuries, sur un site Internet accessible au public. Pour les rapporteurs, il apparaît nécessaire de signaler également les pénuries potentielles. En outre, l'EPF, European patients forum qui représente les patients, préconise la mise en place de systèmes qui permettent aux médecins de bénéficier d'une information en temps réel sur la disponibilité des médicaments pour leur permettre d'adapter leurs prescriptions, mesure que soutiennent les rapporteurs.
Enfin, les autorités compétentes des États membres et l'EMA devraient être en mesure de s'appuyer sur d'autres éléments pouvant indiquer l'existence d'une future pénurie. C'est le cas notamment des données épidémiologiques que peut fournir le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC). Il convient donc de renforcer la coopération des autorités compétentes des États membres et de l'EMA avec cet organisme.
c/ L'établissement de plans de prévention des pénuries et de plan d'atténuation des pénuries
La proposition de règlement prévoit que les titulaires d'AMM devront établir pour chaque médicament un plan de prévention des pénuries conformément à l'annexe IV de la proposition de règlement et aux lignes directrices élaborées par l'EMA en collaboration avec le groupe de travail établi par le règlement (UE) 2022/123.
En outre, l'autorité compétente de l'État membre concerné ou l'EMA peut demander au titulaire d'une AMM de présenter un plan d'atténuation des pénuries conformément à l'annexe IV de la proposition de règlement et aux lignes directrices élaborées par l'EMA en collaboration avec le groupe de travail établi par le règlement (UE) 2022/123.
Face aux difficultés grandissantes pour se procurer certains médicaments, le Sénat, à l'initiative du Groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste a constitué une commission d'enquête sur les pénuries de médicaments10(*) en février 2023. Son objectif était de faire toute la lumière sur les causes de ces pénuries et de proposer des solutions concrètes pour y remédier. Cette commission d'enquête, qui a présenté son rapport en juillet 2023, a jugé que les plans de gestion des pénuries adoptés en France constituaient un outil utile d'évaluation des risques et d'anticipation des tensions d'approvisionnement. Les rapporteurs souscrivent à cette analyse.
Toutefois, les conditions de leur mise en oeuvre à l'échelle européenne appellent plusieurs remarques.
Tout d'abord, il est nécessaire de restreindre le champ d'application de ces mesures aux spécialités figurant sur la liste de médicaments critiques de l'Union. En France, par exemple, seuls les titulaires d'AMM concernant des MITM ont l'obligation d'établir des plans de gestion des pénuries, selon la terminologie française, pour ces médicaments. L'ANSM et Medecines For Europe ont ainsi estimé que l'obligation européenne d'établir des plans de prévention des pénuries ne devrait concerner que les médicaments critiques.
En outre, il conviendrait que les plans de prévention des pénuries soient transmis à l'EMA qui en contrôlera la régularité et la qualité, ce qui implique de renforcer les moyens de cette agence. En France, la commission d'enquête du Sénat sur les pénuries de médicaments a analysé les plans de gestion des pénuries de quatre substances actives figurant sur la liste française des médicaments essentiels publiée en juin 2023 par le Gouvernement. Elle a constaté que ces plans étaient d'une qualité inégale et nettement insuffisante, d'où la nécessité d'un contrôle. De surcroît, les autorités compétentes des États membres devraient pouvoir demander à tout moment les plans de prévention des pénuries et signaler à l'EMA tout manquement.
Par ailleurs, en France, la commission d'enquête du Sénat sur les pénuries de médicaments a regretté l'absence de sanctions dissuasives imposées aux titulaires d'AMM en cas de qualité insuffisante des plans de gestion des pénuries. Pour éviter cela, les rapporteurs demandent que des sanctions puissent être appliquées lorsque l'EMA estimera que les plans de prévention des pénuries présentés ne correspondent pas aux exigences de l'annexe IV de la proposition de règlement. Ils demandent en conséquence que soit modifiée l'annexe II de la proposition de règlement qui précise la liste des obligations dont le non-respect peut faire l'objet de sanctions financières sous la forme d'amendes pour y inclure l'élaboration de plans de prévention des pénuries adéquats. Les rapporteurs rappellent également la nécessité de garantir la confidentialité d'informations signalées comme telles par les titulaires d'AMM.
Enfin, les rapporteurs demandent que les titulaires d'AMM aient l'obligation de mettre en oeuvre ces plans de prévention en cas de pénurie.
4/ Garantir la sécurité des approvisionnements : développer une action coordonnée à l'échelle de l'Union
a/ L'élaboration d'une liste de médicaments critiques11(*) : une nécessité
· La criticité thérapeutique
La proposition de règlement prévoit que l'autorité compétente de l'État membre identifie les médicaments critiques dans cet État membre selon une méthode commune d'identification élaborée par l'EMA. Pour cela, l'autorité compétente de l'État membre peut demander au titulaire d'une AMM des informations pertinentes, notamment le plan de prévention des pénuries. La liste ainsi obtenue est transmise à l'EMA.
Sur cette base, le groupe de pilotage sur les pénuries de médicaments propose une liste de l'Union des médicaments critiques dont la mise sur le marché est autorisée dans un État membre et pour lesquels une action coordonnée au niveau de l'Union est nécessaire. La Commission adopte et met à jour cette liste par le biais d'un acte d'exécution.
Le groupe de pilotage et le groupe de travail, ainsi que la plateforme européenne de surveillance des pénuries prévue par le règlement (UE) 2022/123, seront mis à contribution pour surveiller les pénuries de ces médicaments critiques. Cela correspond à une des recommandations de la commission des affaires européennes du Sénat dans son avis politique du 20 octobre 2022.
Les autorités compétentes des États membres respectent et coordonnent la mise en oeuvre de toute mesure prise par la Commission dans le but de tenir compte des recommandations formulées par le groupe de pilotage sur les pénuries de médicaments.
Les titulaires d'AMM des médicaments concernés fournissent les informations demandées par l'EMA, tiennent compte des recommandations du groupe de pilotage et se conforment aux mesures prises par la Commission ou l'État membre concerné.
Comme elle l'avait annoncé dans sa communication du 24 octobre 2023, la Commission a déjà publié une première liste de 268 substances actives critiques (codes ATC12(*)), anticipant ainsi une mesure figurant dans la proposition de règlement. Cette liste a été élaborée sur la base de 6 listes fournies par les États membres, dont la France. Plus de 600 substances actives ont été examinées pour parvenir à cette liste qui sera rapidement mise à jour lorsque d'autres États membres auront transmis la leur. La méthode d'élaboration de la liste de l'Union a été mise au point lors du dialogue structuré sur les pénuries de médicaments. Cette méthode définit trois niveaux de risque portant sur deux critères : l'indication thérapeutique et la disponibilité d'alternatives adéquates.
En juin 2023, le Gouvernement français a également publié une liste de 446 références de substances actives considérées comme « essentielles » après analyse de leur criticité thérapeutique.
Pour les rapporteurs, les listes nationales doivent répondre à des besoins locaux alors que la liste de l'Union doit permettre de déterminer les substances actives sur lesquelles portera l'action de l'Union. La liste de l'Union ne doit donc pas être une simple addition des listes nationales.
L'association Prescrire plaide pour une sélection des médicaments pour leur intérêt clinique démontré par une équipe compétente travaillant en toute transparence et les associations de patients souhaitent être impliquées dans l'élaboration de la liste de l'Union. Les rapporteurs souscrivent à ces propositions.
· La criticité industrielle
Il sera nécessaire d'évaluer la criticité industrielle des médicaments contenant ces substances actives pour déterminer la vulnérabilité des chaînes d'approvisionnement. Ce travail devrait être réalisé par l'HERA et la DG Grow (Direction générale du marché intérieur, de l'industrie, de l'entrepreneuriat et des PME) au sein de la Commission européenne.
Medecines for Europe et l'EFPIA ont affirmé aux rapporteurs leur volonté de coopérer pleinement en fournissant les informations nécessaires, sous réserve de garantir la confidentialité de certaines données.
La commission d'enquête sénatoriale sur les pénuries de médicaments en France a indiqué aux rapporteurs que la transmission à l'ANSM des informations relatives au nombre et à la localisation des sites de fabrication de la substance active, du produit fini et du conditionnement constitue une obligation pour les entreprises. Toutefois, cette obligation n'inclut pas la fourniture d'informations relatives à la production et la disponibilité des matières premières, ainsi que celles relatives aux éventuels intrants utilisés dans la fabrication de principes actifs. De même, les entreprises ne sont pas tenues d'indiquer les quantités respectivement fabriquées sur chacun des sites.
Les rapporteurs estiment que les obligations d'information relatives au processus de fabrication doivent être renforcées pour les médicaments critiques et que celles-ci doivent être considérées comme confidentielles.
b/ La constitution obligatoire de stocks : une faculté nationale à préserver, une possibilité européenne nouvelle sur décision de la Commission
Pour les médicaments figurant sur la liste de l'Union des médicaments critiques, la Commission européenne pourra décider d'adopter un acte d'exécution pour améliorer la sécurité de l'approvisionnement et notamment imposer aux titulaires d'AMM, aux grossistes ou à d'autres entités concernées des exigences en matière de stocks de réserve de substances actives ou de produits finis.
Dans le cas de la gestion des pénuries critiques identifiées sur la base de notifications des titulaires d'AMM, la proposition de règlement prévoit seulement que la Commission pourra prendre des mesures dont elle informera le groupe de pilotage sur les pénuries de médicaments, sans précision sur la nature de ces mesures. Lors de son audition, la Commission a indiqué aux rapporteurs qu'elle pourrait par exemple demander aux titulaires d'AMM de constituer des stocks.
Ainsi, la proposition de règlement ne prévoit des obligations de stockage que sur décision ultérieure de la Commission, contrairement à la législation française qui impose aux titulaires d'AMM de constituer un stock de sécurité de deux mois de couverture des besoins pour les MITM et de quatre mois pour certaines de ces spécialités.
Les rapporteurs estiment que la Commission doit préciser dès à présent la nature des mesures qu'elle entend prendre pour garantir l'approvisionnement en médicaments critiques et gérer les pénuries critiques à l'échelle de l'Union.
Selon la direction générale des entreprises du ministère français de l'économie (DGE), les mesures d'obligation de stockage qui seraient prises à l'échelle de l'Union devraient être complémentaires des obligations déjà imposées en France, mais ne devraient pas s'y substituer. En effet, les listes de médicaments dits essentiels ou critiques ne sont pas harmonisées entre les États membres du fait de stratégies thérapeutiques et d'habitudes de prescription différentes. Chaque État membre doit pouvoir imposer des obligations de stockage selon ses priorités nationales. Les rapporteurs souscrivent à cette analyse.
Ils notent que la Commission se montre réservée sur une obligation de stockage qui, selon elle, peut accentuer les pénuries. Elle a également expliqué aux rapporteurs que les stocks détenus dans le cadre du mécanisme de protection civile de l'Union (Resc EU) sont destinés à permettre la mise à disposition de contre-mesures médicales pour répondre à des situations d'urgence et non à des pénuries ponctuelles.
Dans sa communication du 24 octobre 2023, la Commission indique également vouloir élaborer avec les États membres une approche stratégique commune en matière de stockage de médicaments et lancer une action conjointe sur le stockage, dans le but d'aider les États membres à renforcer et améliorer les stratégies nationales de stockage. Les rapporteurs sont favorables à cette proposition, sous réserve que les États membres puissent adhérer aux mesures proposées sur une base volontaire.
c/ La mise en place d'un mécanisme de coopération volontaire qui suppose une transparence sur les stocks difficile à obtenir
Un « mécanisme de solidarité volontaire en matière de médicaments » doit permettre aux États membres de signaler aux autres États membres leurs besoins concernant un médicament donné faisant l'objet d'une pénurie critique au niveau national, afin que ces derniers puissent indiquer s'ils disposent de stocks disponibles pouvant être redistribués. Une plateforme de mise en relation sera créée pour cela et le mécanisme de protection civile de l'Union pourra aider à l'acheminement des médicaments. C'est l'EMA qui sera en charge de la mise en oeuvre de ce mécanisme selon une procédure définie par le groupe de pilotage sur les pénuries de médicaments. Ce mécanisme est soutenu par la plupart des États membres dont la France. Les rapporteurs soutiennent également la création de ce mécanisme même s'il présente des limites.
· La disponibilité des stocks
Tout d'abord, un tel mécanisme suppose que les difficultés d'approvisionnement soient circonscrites à un nombre limité d'États membres. Ce ne fut pas le cas lors de l'hiver 2022-2023 où la plupart des États membres manquaient d'amoxicilline.
En outre, les rapporteurs estiment que les États membres devraient, à l'image de la France, imposer des obligations de stockage aux titulaires d'AMM sur certains médicaments qu'ils jugent essentiels. Ceci permettrait que tous les États membres adoptent les mêmes exigences. La participation d'un État membre au mécanisme de solidarité doit être conditionnée à l'existence de cette obligation de stockage à l'échelle nationale.
Enfin, pour l'association Prescrire et l'EPF, la principale difficulté d'un tel mécanisme réside dans l'absence de transparence sur les stocks détenus par chaque État membre. Pour que ce mécanisme puisse fonctionner, il faudrait que les informations sur les stocks soient transmises par les entreprises aux autorités compétentes des États membres et communiquées ensuite à l'EMA. L'EMA reconnaît cette difficulté et espère une amélioration graduelle de l'information sur les stocks dans les mois à venir.
· La mise en oeuvre de flexibilités réglementaires
Enfin, ce mécanisme de coopération volontaire suppose la mise en oeuvre de flexibilités réglementaires pouvant notamment concerner l'étiquetage, les matières premières, les équipements utilisés pour la production, la taille des lots ou l'emballage. Ces flexibilités devront être décidées sur la base d'une évaluation réalisée par l'autorité nationale compétente de l'État membre concerné. L'ANSM a indiqué aux rapporteurs ne pas être opposée sur le principe à réaliser ces évaluations. La Commission a précisé que ces flexibilités réglementaires devront être mises en oeuvre par les autorités nationales compétentes dont relèvent souvent les AMM de médicaments matures. Pour l'association Prescrire, ces flexibilités doivent rester exceptionnelles dans la mesure où elles ne garantissent pas au mieux la sécurité des patients.
Parmi ces flexibilités, la commission des affaires européennes soutenait, dans son avis politique du 20 octobre 2022, la possibilité de délivrer des médicaments critiques pour lesquels les informations figurant sur le conditionnement secondaire et la notice ne sont pas dans la langue de l'État où le médicament est délivré, à condition que toutes ces informations aient pu être fournies au patient dans sa langue par le pharmacien sous format électronique ou format papier. L'EPF a également insisté sur la nécessité pour les patients de recevoir une notice dans leur langue.
La proposition de directive COM (2023) 192 final prévoit que les États membres puissent décider que la notice sera mise à disposition sous forme papier ou électronique, voire les deux. Dans le cas où ils optent pour la forme électronique, ils devront veiller à ce qu'une version papier de la notice soit mise à disposition sur demande et sans frais supplémentaires pour les patients. Ils devront également veiller à ce que les informations au format numérique soient facilement accessibles à tous les patients, par exemple en incluant dans l'emballage extérieur du produit un code-barres ou un QR code lisible numériquement, qui renverrait le patient à la version électronique de la notice. Cette proposition de la Commission pourrait permettre de faciliter la circulation des médicaments au sein de l'Union européenne.
La proposition de directive prévoit également que la Commission est habilitée à adopter des actes délégués afin de rendre obligatoire la version électronique de la notice. Sur cette question, les rapporteurs estiment qu'il appartient aux États membres de décider de l'opportunité d'utiliser ou non les notices électroniques. Ils proposent donc la suppression de cette disposition.
d/ Le rôle de l'HERA à élargir pour mieux parer les pénuries de médicaments
Au cours de l'hiver 2023, les États membres de l'Union européenne ont tous rapporté des pénuries d'antibiotiques. Pour mieux préparer l'hiver 2024, une coopération entre l'EMA et l'HERA a permis d'identifier les antibiotiques clés qui feront l'objet d'un suivi particulier afin d'anticiper le risque de pénurie critique. Il s'agit là d'une première évolution du rôle de l'HERA.
La commission d'enquête du Sénat sur les pénuries de médicaments recommandait d'élargir le rôle de l'HERA au-delà des seuls cas d'urgence sanitaire. Une action visant à mettre en oeuvre des achats groupés et à soutenir la relocalisation de productions prioritaires de médicaments pourrait s'avérer essentielle. Les rapporteurs souscrivent à cette proposition.
Aujourd'hui, le règlement (UE) 2022/123 consacre le rôle de l'EMA et du groupe de pilotage sur les pénuries de médicaments en leur confiant principalement des missions de surveillance. Il conviendrait donc de définir au mieux le rôle de l'EMA et de l'HERA afin de s'assurer que leurs actions sont complémentaires.
Le règlement (UE) 2022/237213(*) prévoit une révision du rôle de l'HERA en 2024, offrant ainsi l'opportunité de s'interroger sur un éventuel élargissement de ses missions. Aujourd'hui, l'HERA n'emploie qu'une centaine de personnes. À titre de comparaison, 897 personnes travaillent au sein de l'EMA
Cependant, le programme EU4Health, doté initialement d'un budget de 5,3 milliards d'euros dans le cadre financier pluriannuel 2021-2027, a été amputé d'un milliard d'euros, à la suite de l'accord du 7 février dernier entre le Parlement européen et le Conseil visant à réviser le cadre financier pluriannuel pour tenir compte de la hausse de l'inflation et de la guerre en Ukraine.
Il sera donc nécessaire de veiller au renforcement des moyens de l'HERA au cours des prochaines années, notamment dans le prochain cadre financier pluriannuel.
e/ Une adaptation des marchés publics pour faire face au risque de pénuries
Afin de tirer parti des marchés publics dans la politique de prévention des pénuries de médicaments, la Commission recommande, d'une part, de prendre en compte le critère lié à la sécurité de l'approvisionnement lors des procédures de passation de marchés publics en ce domaine, et d'autre part, de développer les marchés publics conjoints sur une base volontaire.
Sur le premier point, les rapporteurs estiment que la sécurité des approvisionnements doit effectivement devenir l'un des critères d'attribution des marchés publics. L'EFPIA s'est déclarée favorable à ce qu'un marché soit attribué à plusieurs entreprises pour garantir la pérennité de l'offre. Elle met en garde toutefois sur l'ampleur du commerce parallèle de médicaments qui désigne l'achat de médicaments dans un pays et la revente dans un autre, afin de profiter des écarts tarifaires au sein de l'Union. Ce commerce représenterait en valeur 5 % du marché de médicaments au sein de l'Union européenne. Dans son avis politique du 20 octobre 2022, la commission des affaires européennes du Sénat demandait à la Commission de prendre des mesures pour encadrer davantage le commerce parallèle de médicaments, notamment en cas de pénurie critique. Les rapporteurs estiment qu'il s'agit là d'une nécessité pour éviter d'accroître les inégalités entre États membres alors que certains acceptent de payer plus cher pour obtenir des stocks de médicaments. Toutefois, la Commission n'est pas favorable à de nouvelles régulations dans ce domaine.
C'est précisément pour éviter cette concurrence entre États membres que les rapporteurs soutiennent les procédures d'achat conjoint. L'HERA a aujourd'hui pour mandat de piloter l'achat conjoint de vaccins contre la grippe et d'autres maladies contagieuses. La participation des États membres se fait sur une base volontaire. À ce sujet, les rapporteurs, regrettant l'opacité persistante autour des contrats d'achat anticipé de vaccins contre la COVID-19, estiment que la transparence des procédures doit être améliorée.
5/ Développer les capacités industrielles de l'Union
a/ L'opportunité offerte par la création d'une Alliance pour les médicaments critiques
La Commission a créé, le 17 janvier 2024, une « Alliance pour les médicaments critiques » permettant aux autorités nationales, à l'industrie, aux représentants de la société civile, à la Commission et aux agences de l'Union de mettre en place une action coordonnée au niveau de l'Union contre les pénuries de médicaments. À cet effet, un plan stratégique est prévu pour être publié à la fin de l'année 2024.
L'Alliance sera pilotée par l'HERA et adoptera une approche industrielle du défi que représente la pénurie de médicaments. Pour y faire face, elle pourrait utiliser un certain nombre d'outils à sa disposition tels que les marchés publics, les contrats de réservation de capacités pour la production de médicaments critiques, la diversification des approvisionnements, le développement de projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) et le stockage de médicaments critiques par l'Union ou les États membres. En parallèle, elle pourra favoriser le développement des compétences au service de l'industrie pharmaceutique et une utilisation coordonnée des ressources financières de l'Union pour stimuler l'innovation et les capacités de production.
La France soutient cette initiative qui doit permettre de favoriser l'investissement dans l'outil industriel européen pour renforcer la production de médicaments critiques. Pour la DGE, cette Alliance doit contribuer à l'élaboration d'un critical medecines act.
Les rapporteurs sont favorables à la création de cette Alliance. Toutefois, celle-ci ne pourra véritablement fonctionner que si les titulaires d'AMM participent activement à ses travaux.
b/ La diversification des chaînes d'approvisionnement dans le respect des bonnes pratiques de fabrication
La production de principes actifs entrant dans la composition de médicaments matures est principalement concentrée en Asie : environ 80 % des principes actifs des médicaments passés dans le domaine public sont produits en Inde et en Chine. Cette concentration renforce la vulnérabilité des chaînes d'approvisionnement. Dès lors, comme le préconise la commission d'enquête du Sénat sur les pénuries de médicaments, il est nécessaire de cartographier les sources d'approvisionnement des principes actifs et des intrants des médicaments critiques, en y associant une évaluation des risques d'approvisionnement induits. Ce sera le rôle de l'HERA.
Dans sa communication du 24 octobre 2023, la Commission insiste particulièrement sur la diversification des chaînes d'approvisionnement. Elle propose notamment de mettre en place un réseau de partenaires et d'entreprises pour stimuler l'échange d'informations sur les questions d'approvisionnement et de conclure des partenariats stratégiques avec des pays tiers pour la production de médicaments critiques. Elle souhaite en effet créer un réseau de partenaires internationaux afin de renforcer la résilience des chaînes d'approvisionnement. Ce réseau aurait pour objectif de développer les capacités de production locale tout en favorisant la convergence réglementaire.
Les rapporteurs sont favorables aux mesures visant à permettre une diversification des sources d'approvisionnement à condition de garantir le respect des normes européennes pour la qualité des produits et le respect de l'environnement.
La proposition de règlement prévoit à cet égard le développement de programmes d'audit commun pour l'inspection des unités de production. Supervisé par l'EMA, ce dispositif permettra d'harmoniser les pratiques des autorités compétentes des États membres en charge du contrôle des unités de production. En effet, les défauts de qualité lors de la production sont souvent sources de pénurie. Un meilleur contrôle des unités de production pourrait permettre d'éviter ces défauts. Les rapporteurs sont donc favorables à cette mesure.
c/ Un programme de relocalisation à coordonner à l'échelle de l'Union
La Commission évoque dans sa communication du 24 octobre 2023 la nécessité de renforcer la capacité de l'Union à produire et à innover de manière coordonnée et compétitive dans la fabrication de médicaments et d'ingrédients critiques. Elle précise que toutes les aides, qu'elles soient nationales ou européennes, devraient être compatibles avec le cadre des aides d'État.
· Les limites des projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC)
Le PIIEC est un instrument de l'Union qui permet aux entreprises de bénéficier de montants d'aides publiques plus importants que ce que prévoit le droit de l'Union, sous réserve que ces entreprises développent sur le territoire de l'Union des projets industriels utilisant des technologies innovantes.
Un PIIEC dans le domaine de la santé a été lancé en mars 2022 par 16 États membres - dont la France - avec notamment pour objectif le développement de procédés de production plus écologiques pour les médicaments et l'innovation dans la lutte contre la résistance aux antibiotiques.
La commission d'enquête du Sénat sur les pénuries de médicaments a estimé que la contrainte fixée aux PIIEC, exigeant une forte composante d'innovation dans les projets soutenus, limite la capacité à les mobiliser en faveur de la relocalisation de médicaments matures sans avancée technologique particulière. C'est pourtant ces médicaments qui sont le plus objets de pénuries. En effet, en France, jusqu'à 70 % des déclarations de rupture concernent des médicaments dont l'AMM a été octroyée il y a plus de dix ans.
Dès lors, il apparaît nécessaire que la Commission puisse présenter des outils permettant la relocalisation de la production de médicaments matures sans pour autant que cette relocalisation inclue une composante d'innovation. Les rapporteurs estiment qu'à terme, il serait nécessaire que la Commission propose un texte législatif visant à proposer un instrument plus adéquat pour développer la relocalisation de médicaments critiques sur le territoire de l'Union.
· L'engagement de la France pour la relocalisation de médicaments qu'elle estime essentiels
La France, dans le cadre du plan France 2030, soutient 8 projets de relocalisation devant concerner 25 médicaments figurant sur la liste française des médicaments essentiels. 23 millions d'euros sur les 50 millions engagés ont déjà été débloqués. L'amoxicilline et le paracétamol sont concernés par ces projets de relocalisation.
La direction générale des entreprises (DGE) et la direction générale de la santé (DGS) ont élaboré une liste, présentée en mai 2023, de 48 médicaments stratégiques sur les plans industriels et sanitaires (MSIS) prioritaires en vue de leur relocalisation. La DGE a évalué la vulnérabilité industrielle des médicaments en prenant notamment en compte la dépendance aux approvisionnements extra-européens.
Ces relocalisations concernent davantage les principes actifs. Selon Medecines for Europe, 60 à 70 % des médicaments génériques sont produits en Europe contre seulement 35 % des principes actifs utilisés dans ces médicaments. Néanmoins, ces relocalisations peuvent également concerner des produits finis pour lesquels des pénuries ont déjà été enregistrées par le passé. C'est le cas notamment de l'amoxicilline ou des produits finis sous forme injectable.
Le soutien de la France à la relocalisation prend la forme d'une subvention, octroyée sur la base d'une part des dépenses engagées par l'entreprise. Ce soutien est conditionné à des engagements en matière de sécurisation de l'approvisionnement du marché français. Il est également demandé aux entreprises de s'engager à maintenir les capacités de production faisant l'objet du financement de l'État sur le territoire national pendant une durée de dix ans.
· Les limites des politiques de relocalisation
Selon la DGE, les politiques de relocalisation se heurtent à trois difficultés principales :
- un investissement initial conséquent s'agissant de médicaments matures dont la rentabilité est plus faible, nécessitant de ce fait une aide publique dont les montants, encadrés par la législation de l'Union, sont parfois trop faibles pour concrétiser certains projets ;
- une viabilité économique qui doit être garantie dans un contexte où la concurrence avec les productions asiatiques et la régulation budgétaire tendent à diminuer le prix des médicaments matures ;
- un écart en matière de normes environnementales entre l'Union et d'autres régions du monde, notamment l'Asie.
Lors de son audition, l'EPF a estimé que relocaliser la production est un processus coûteux dans un contexte budgétaire déjà restreint qui pourrait avoir pour conséquence de réduire les budgets d'autres postes de dépenses dans le domaine de la santé. Dès lors, tout projet de relocalisation devrait faire l'objet d'une étude évaluant son impact tant sur la sécurité des approvisionnements que sur l'ensemble du système de santé. Les rapporteurs souscrivent à cette analyse et rappelle bien que les aides versées impliquent des contreparties.
La commission d'enquête du Sénat sur les pénuries de médicaments confirme l'analyse de la DGE et appelle notamment à examiner en amont les conditions nécessaires à la pérennité de la production envisagée, notamment le prix que les pouvoirs publics sont prêts à payer et le volume de la demande. La commission d'enquête citait l'exemple de Carelide, dernier producteur français de poches à perfusion de paracétamol à destination des hôpitaux qui, en 2020, reçut 5,1 millions d'euros d'aides publiques à l'investissement et qui, en 2022, fut placé en redressement judiciaire. Les rapporteurs souscrivent donc pleinement à cette recommandation d'évaluer la pérennité de la production ciblée avant de la subventionner.
De surcroît, ils estiment nécessaire que la Commission s'engage à promouvoir des conditions de concurrence équitables avec les entreprises situées dans d'autres régions du monde. Cela passe notamment par l'intégration de critères environnementaux et sociaux dans les bonnes pratiques de fabrication que les entreprises situées dans des États tiers devront respecter.
· La nécessaire coordination européenne
Les relocalisations soutenues par la France n'ont pas fait l'objet d'une concertation européenne. Toutefois, la DGE a indiqué aux rapporteurs qu'il serait nécessaire de coordonner l'action des États membres afin de renforcer l'autonomie stratégique de l'Union dans la production de médicaments critiques. Si la hausse des tensions d'approvisionnement en France justifiait alors une action aussi rapide que possible, le Gouvernement français compte bien dorénavant inscrire son action dans le cadre de l'Alliance sur les médicaments critiques. En outre, selon la DGE, l'action du Gouvernement français s'est concentrée sur des produits très peu fabriqués dans l'Union européenne, ce qui limite fortement le risque de créer des surcapacités ou des redondances entre les projets des États membres.
La commission d'enquête du Sénat sur les pénuries de médicaments a regretté l'absence de coordination européenne des politiques nationales de relocalisation. Pour les rapporteurs, les politiques de relocalisation doivent nécessairement être concertées et coordonnées au niveau européen, pour notamment garantir une demande suffisamment importante et assurer ainsi la soutenabilité de la production relocalisée. Ils estiment également qu'il appartient à la Commission de recenser les différents projets de relocalisation et d'organiser la concertation entre États membres autour de ces projets.
· Des politiques qui ne peuvent à elles seules résoudre toutes les difficultés
Il faut noter qu'il n'existe pas de consensus entre les États membres pour soutenir des politiques de relocalisation. Si celles-ci suscitent l'intérêt de nombreux États, notamment la France, l'Italie, l'Espagne ou encore la Roumanie, certains comme l'Autriche et la Hongrie se montrent réservés, estimant que, compte tenu des normes de production notamment environnementales au sein de l'Union, il sera difficile de garantir la pérennité des industries relocalisées. Pour eux, la solution à privilégier serait de diversifier les sources d'approvisionnement.
L'association Prescrire a, pour sa part, attiré l'attention des rapporteurs sur les difficultés liées à l'opacité des chaînes d'approvisionnement, à la production en flux tendu et à la dépendance à des fournisseurs uniques. Sur ces sujets, la seule relocalisation n'apporte pas nécessairement de solution. Il faudra donc promouvoir, dans le même temps, la disponibilité de fournisseurs multiples situés dans des zones géographiques différentes.
d/ Le recours à une production publique
La production publique de médicaments pourrait également permettre de répondre aux pénuries de médicaments. L'initiative civica aux États-Unis illustre cette possibilité. Elle rassemble près de 900 hôpitaux qui organisent la production de médicaments essentiels dans le but principalement d'en diminuer le prix. Au Canada, le gouvernement fédéral a annoncé, en mars 2023, un investissement de 80 millions de dollars sur cinq ans pour permettre à un organisme à but non lucratif de produire des médicaments jugés essentiels. Dans son avis politique du 20 octobre 2022, la commission des affaires européennes du Sénat indiquait soutenir, sous réserve du droit de la propriété intellectuelle et du secret des affaires, le développement d'un pilotage public de la production de médicaments, éventuellement dans le cadre de partenariats public-privé, lorsque les industriels délaissent des marchés et que les médicaments manquant de ce fait sont considérés comme critiques pour les patients de l'Union.
Pour la Commission, il est préférable de sécuriser la production de certains médicaments avec un mécanisme comme EU Fab. Ce mécanisme a été conçu pour sécuriser la production de 325 millions de doses de vaccins si besoin. Il s'agit d'unités de production situées sur le territoire de l'Union et qui sont auditées chaque année pour garantir qu'elles restent mobilisables. Ce dispositif coûte 160 millions d'euros par an.
À l'inverse, France Assos Santé recommande d'élargir la possibilité pour les pharmacies des hôpitaux ou d'autres structures publiques de produire des médicaments critiques afin de satisfaire les besoins des patients.
La commission d'enquête du Sénat sur les pénuries de médicaments et le Parlement européen ont soutenu la création d'un établissement pharmaceutique européen à but non lucratif capable de produire des médicaments critiques en cas de défaut de la production privée ou d'insuffisance de ses capacités.
Les rapporteurs soutiennent le recours à la production publique de médicaments et la création d'un établissement pharmaceutique européen à but non lucratif, lorsque les industriels délaissent des marchés et que les médicaments manquants sont considérés comme critiques pour les patients de l'Union.
À la suite de cette analyse des rapporteurs, la commission des affaires européennes a conclu au dépôt de la proposition de résolution européenne n° 509 (2023-2024).
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
· Association Prescrire
Pierre Chirac, directeur de la publication
Julien Gelly, responsable adjoint de la rédaction
· France Assos Santé
Catherine Simonin, porte-parole
Charlotte Roffiaen, conseillère aux affaires européennes
Yann Mazens, chargé de mission produits et technologies de la santé
· Ministère de l'économie et des finances - Direction générale des entreprises
Michel Rao, sous-directeur des Industries de Santé, des Biens de Consommation et de l'Agroalimentaire
· Commission d'enquête du Sénat sur les pénuries de médicaments
Sonia de la Provôté, présidente
Laurence Cohen, rapporteure
· ANSM
Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice
Vincent Gazin, directeur-adjoint Europe et innovation
Guillaume Renaud, directeur de l'inspection
Carole Le Saulnier, directrice réglementation et déontologie
Julie Cavalier, chef de pôle réglementation
· EMA
Alexis Nolte, directeur de la division des médicaments à usage humain
Thomas Girard, directeur des affaires réglementaires
· Représentation Permanente de la France auprès de l'Union européenne
Mme Marie de Lastelle, conseillère chargée de la santé
Mme Irène Georgiopoulos, conseillère chargée de la santé
· European Patients Forum
Anca Toma, directrice exécutive
· Medecines For Europe
Adrian Van Den Hoven, directeur général
Giuliana Pennisi, directrice des affaires publiques
· Commission européenne - Direction générale de la santé
Sylvain Giraud, chef de l'unité en charge des produits médicaux : qualité, sécurité, innovation
Olga Solomon, cheffe de l'unité en charge des produits médicaux : qualité, sécurité, innovation
· Commission européenne - HERA
Laurent Muschel, directeur
Olivier Girard, chef de l'unité contre-mesures médicales
· EFPIA
Mme Nathalie Moll, directrice générale
* 1 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des procédures de l'Union pour l'autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et établissant des règles régissant l'Agence européenne des médicaments, modifiant le règlement (CE) nº 1394/2007 et le règlement (UE) nº 536/2014 et abrogeant le règlement (CE) nº 726/2004, le règlement (CE) nº 141/2000 et le règlement (CE) nº 1901/2006 - COM(2023) 193 final
* 2 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 24 octobre 2023 : remédier aux pénuries de médicaments dans l'Union européenne - COM(2023) 672 final
* 3 Le paquet pharmaceutique comprend, outre la proposition de règlement COM(2023) 193 final, la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil instituant un code de l'Union relatif aux médicaments à usage humain et abrogeant la directive 2001/83/CE et la directive 2009/35/CE (COM(2023) 192 final), la Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 26 avril 2023 : « Réforme de la législation pharmaceutique et mesures de lutte contre la résistance aux antimicrobiens » (COM(2023) 190 final) et la proposition de recommandation du Conseil relative au renforcement des actions de l'Union visant à lutter contre la résistance aux antimicrobiens dans le cadre d'une approche « Une seule santé » (COM(2023) 191 final)
* 4 Règlement (UE) 2022/123 du Parlement européen et du Conseil du 25 janvier 2022 relatif à un rôle renforcé de l'Agence européenne des médicaments dans la préparation aux crises et la gestion de celles-ci en ce qui concerne les médicaments et les dispositifs médicaux
* 5 L'urgence de santé publique est définie par le règlement (UE) 2022/2371 du Parlement européen et du Conseil du 23 novembre 2022 concernant les menaces transfrontières graves pour la santé et abrogeant la décision n° 1082/2013/UE
* 6 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 25 novembre 2020 : « Stratégie pharmaceutique pour l'Europe » - COM(2020) 761 final
* 7 https://health.ec.europa.eu/document/download/77accd2f-7f0c-4069-b295-968375edb1d5_en?filename=mp_vulnerabilities_global-supply_swd_en.pdf
* 8 https://www.senat.fr/fileadmin/import/files/dialogue_politique/20221020/Avis_politique_strategie_pharmaceutique.pdf
* 9 Un arrêté du 27 juillet 2016 fixe la liste des classes thérapeutiques contenant des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM). Ces médicaments ou classes de médicaments sont ceux pour lesquels une interruption de traitement est susceptible de mettre en jeu le pronostic vital des patients à court ou moyen terme, ou représente une perte de chance importante pour les patients au regard de la gravité ou du potentiel évolutif de la maladie. Il n'existe pas de liste officielle des MITM. Chaque titulaire d'AMM est donc chargé d'identifier les MITM parmi son portefeuille de médicaments. L'ANSM estime que cela représente environ 6000 médicaments, toutes marques confondues.
* 10 https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/structures-temporaires/commissions-denquete/2022-2023-ce-penurie-de-medicaments.html
* 11 Cette liste diffère de la liste des pénuries critiques mentionnée précédemment et élaborée sur la base des notifications des titulaires d'AMM.
* 12 Le code ATC (Anatomical Therapeutic Chemical-code) est un code en 7 éléments (lettres et chiffres) spécifique à un principe actif déterminé (ou à une association déterminée de principes actifs).
* 13 Règlement (UE) 2022/2372 du Conseil du 24 octobre 2022 relatif à un cadre de mesures visant à garantir la fourniture des contre-mesures médicales nécessaires en cas de crise dans l'éventualité d'une urgence de santé publique au niveau de l'Union