EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Présentée le 10 novembre 2022 par la Commission européenne, après plusieurs reports successifs, la proposition de règlement relatif aux émissions et à la durabilité des batteries de certains types de véhicules1(*) vise à renforcer les exigences règlementaires relatives aux plafonds d'émissions de polluants atmosphériques, dites normes Euro, applicables, d'une part, aux véhicules particuliers et utilitaires légers et, d'autre part, aux véhicules utilitaires lourds (camions et autobus), vendus dans l'Union européenne. Ce texte prévoit aussi des prescriptions en matière de durabilité des batteries des véhicules électriques et hybrides. En revanche, il ne traite pas du niveau d'ambition de l'Union européenne s'agissant des émissions de CO2 des véhicules routiers, ambition qui relève d'autres actes législatifs européens.

Les normes Euro 7 sont ainsi appelées à remplacer, dans le cadre de ce règlement unique, les seuils d'émissions de polluants atmosphériques fixés respectivement, pour les véhicules particuliers et utilitaires légers et les véhicules utilitaires lourds, par les règlements Euro 62(*) et Euro VI3(*), actuellement en vigueur.

Il est prévu que ces nouvelles règles s'appliquent dès le 1er juillet 2025, pour les voitures particulières et les camionnettes neuves, et, à partir du 1er juillet 2027, pour les camions et les bus urbains neufs.

La proposition s'inscrit dans le cadre du Pacte vert pour l'Europe qui engage l'Union européenne à devenir le premier continent neutre sur le plan climatique à l'horizon 2050. Dans cette perspective, l'Union a déjà acté la fin de la mise sur le marché européen des véhicules légers neufs à moteur thermique en 20354(*). Il s'agit aussi de contribuer à la mise en oeuvre de l'objectif « zéro pollution » à l'horizon 2050, défini par la Commission européenne5(*).

Afin de lutter contre la pollution atmosphérique dont est responsable le transport routier, l'Union européenne s'est engagée à réduire considérablement les émissions de CO2 des véhicules routiers, et les constructeurs automobiles français et européens ont déjà entrepris de concentrer leurs efforts d'investissements et d'innovation sur l'électrification du parc automobile. C'est dans ce contexte qu'intervient cette proposition de la Commission européenne, ce qui, par conséquent, soulève des interrogations quant à la pertinence qu'il y aurait aujourd'hui à renforcer les normes antipollution applicables aux véhicules à moteur à combustion. Plusieurs mesures envisagées par la Commission européenne à cet effet n'auraient effectivement vocation à n'être mises en oeuvre que transitoirement.

Les trois rapporteurs de la commission des affaires européennes considèrent que l'Union européenne ne saurait multiplier les exigences technologiques sans considérer leur cohérence au regard du double objectif de décarbonation de l'économie et d'affirmation de la souveraineté industrielle européenne.

Le renouvellement du parc automobile européen s'impose comme une priorité dans le cadre de la transition énergétique et climatique de l'Union. Or cette priorité ne peut se concevoir sans le maintien d'un tissu industriel automobile européen fort et le déploiement d'une gamme de véhicules propres accessibles au plus grand nombre.

1. La dépollution engagée de l'air ambiant grâce à des normes européennes d'exigence croissante en matière de niveau d'émissions des polluants atmosphériques et à la décarbonation du parc automobile

a. Des valeurs limites d'émissions de polluants dans l'air fortement abaissées depuis l'entrée en vigueur des normes Euro

La norme Euro a été mise en place par l'Union européenne en 1988, d'abord pour certains véhicules lourds neufs, dans l'objectif de réduire les émissions de polluants atmosphériques provenant du transport routier ; elle s'applique, depuis 1993, aux véhicules particuliers et utilitaires légers neufs, selon leur motorisation. Mise à jour à intervalles réguliers, cette norme fixe des seuils d'émissions de plus en plus stricts aux constructeurs automobiles. Le calendrier d'application du règlement européen qui détermine cette norme diffère selon la catégorie de véhicule : depuis le 1er septembre 2015, tous les voitures et véhicules utilitaires légers neufs mis en service dans l'Union doivent être conformes à la norme Euro 6, et, depuis le 1er janvier 2014, les véhicules utilitaires lourds neufs à la norme Euro VI.

La norme actuelle Euro 6d Full - la norme Euro 6 ayant été déclinée en plusieurs étapes - est entrée en vigueur pour les véhicules légers le 1er janvier 2021. Elle durcit les facteurs de conformité au protocole de mesure des émissions en conditions de conduite réelles (RDE). Depuis le 1er septembre 2017, les véhicules sont ainsi testés à la fois en laboratoire et sur route en conditions de conduite réelles, afin de réduire l'écart constaté entre ces deux systèmes de mesure d'émissions. En effet, il a été observé que les émissions de polluants atmosphériques en conditions de conduite réelles étaient souvent sensiblement plus élevées que celles mesurées lors des essais de réception par type, ce qui contribuait insuffisamment à leur diminution.

La règlementation Euro impose, à ce jour, des limites pour différents types de polluants : oxydes d'azote, monoxyde de carbone, hydrocarbures et particules fines. Depuis la première mise en application de la norme, les valeurs limites ont été fortement abaissées et sont devenues de plus en plus sévères.

Il en est ainsi des seuils d'émissions des oxydes d'azote (NOx), qui ont été réduits de 500 à 80 mg/km entre 2000 et 2014 pour les véhicules légers à moteur diesel, soit une baisse de 84 %, et de 150 à 60 mg/km pour ceux à moteur essence. S'agissant des particules fines émises par les véhicules diesel, la valeur limite a été fixée à 4,5 mg/km par Euro 6 alors qu'Euro 1 avait retenu un seuil maximum de 140 mg/km, soit une réduction de plus de 96 %. La réglementation en matière d'émissions de particules fines n'a concerné les véhicules à essence qu'à partir de 2009, avec l'entrée en vigueur de la norme Euro 5.

Quant aux poids lourds, les valeurs limites fixées pour les oxydes d'azote et les particules fines ont été réduites de 92 % entre 2001 et 2014. La norme Euro VI a encore durci les plafonds d'émissions par rapport à Euro V, de l'ordre de 80 % pour les oxydes d'azote, de plus de 70 % pour les hydrocarbures et de 50 % pour les particules fines.

b. Une nette amélioration de la qualité de l'air au cours des dix dernières années

Le transport routier constitue encore l'une des principales sources de pollution de l'air, en particulier dans les espaces urbains. En 2018, il était responsable de 39 % des émissions nocives de NOx (47 % dans les zones urbaines) et de 11 % du total des émissions de particules de diamètre inférieur à 10 um (PM10). Le trafic routier génère, par exemple, deux tiers des émissions de dioxyde d'azote et 56 % des particules fines dans Paris.

Certaines villes européennes ont donc pris des mesures pour limiter les impacts du transport routier sur la pollution de l'air en restreignant l'accès de certains périmètres aux véhicules les plus polluants (300 zones à faibles émissions en Europe), ce qui n'est pas sans soulever des difficultés en termes d'acceptabilité de la mesure auprès des conducteurs européens et en termes de justice sociale. Or la classification des véhicules en fonction du niveau de pollution du moteur est directement liée à la date de première mise en service du véhicule, et, par conséquent, à sa norme Euro. Selon une mission « flash » de l'Assemblée nationale, réalisée en 2022, sur les mesures d'accompagnement de la création de zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m), 38% des ménages les plus pauvres ont un véhicule classé Crit'Air 4 ou 5. De même, la mission parlementaire relève que les propriétaires des véhicules les plus polluants représentent une plus grande part des habitants dans les communes rurales et périurbaines qu'en communes urbaines6(*) .

Le durcissement des exigences réglementaires, et en particulier les dernières mises à jour Euro 5 et Euro 6, ont néanmoins permis de réduire considérablement les quantités de polluants émis par le parc automobile en Europe. La réglementation Euro a ainsi contribué à l'amélioration de la qualité de l'air ambiant, comme l'indique le rapport 2021 sur la qualité de l'air en France7(*). Des progrès significatifs ont été constatés sur la période 2000-2021, avec une diminution des concentrations moyennes annuelles de polluants.

Les dernières analyses de l'Agence européenne pour l'environnement8(*) constatent également une nette amélioration de la qualité de l'air en Europe et une diminution du nombre de décès dus à la pollution atmosphérique. En 2020, les décès prématurés attribués à l'exposition aux particules fines ont ainsi diminué de 45 % dans l'Union européenne par rapport à 2005. Certes, cette étude indique aussi que les populations qui vivent dans des villes européennes continuent d'être exposées à des niveaux de pollution jugés nocifs par l'Organisation mondiale de la santé. D'ailleurs, l'Agence européenne pour l'environnement estime encore à 300 000 le nombre de décès prématurés liés, chaque année, à la pollution atmosphérique en Europe dont un peu moins d'un quart résultant de la circulation routière.

c. Les enjeux de la décarbonation pour l'industrie automobile

L'Union européenne s'est fixé des objectifs de décarbonation du secteur des transports routiers afin d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050. Cette ambition s'impose tout particulièrement à l'industrie automobile européenne qui a besoin de se préparer à cette nouvelle règlementation dans le cadre de ses politiques de développement et d'investissement.

Les constructeurs automobiles européens devront ainsi réduire fortement les émissions de CO2 des voitures et camionnettes mises en circulation sur le marché européen à l'horizon 2030, puis 2050. Le règlement afférent9(*), qui a été publié au Journal officiel de l'UE le 19 avril 2023, prévoit ainsi que les véhicules légers neufs, vendus dans l'Union européenne à partir de 2035, ne pourront plus émettre de CO2, ce qui signifie la fin à cette date de la commercialisation des voitures et des utilitaires légers à moteur à combustion interne. La demande formulée in extremis par l'Allemagne d'autoriser, après 2035, les véhicules thermiques fonctionnant aux carburants de synthèse n'a pour l'instant pas été formalisée sur le plan législatif. Toutefois, cet élément ne permet pas dans le cadre actuel de remettre en cause la trajectoire fixée par l'Union européenne vers l'électrification des voitures particulières et des utilitaires légers qui s'impose à l'ensemble de la filière automobile.

Par ailleurs, la Commission européenne a également proposé, le 14 février dernier, de nouveaux objectifs en matière d'émissions de CO2 pour les véhicules utilitaires lourds neufs : tous les bus urbains neufs devraient être à émissions nulles à compter de 2030, et les véhicules utilitaires lourds neufs devraient réduire leurs émissions de 90 % d'ici à 204010(*).

Il est avéré que les véhicules zéro émission contribuent à l'amélioration de la qualité de l'air et à la santé des Européens. Leur développement dans l'Union européenne participe ainsi aux objectifs du plan d'actions « zéro pollution ».

Anticipant l'entrée en vigueur de la fin de la mise sur le marché des véhicules légers neufs à moteur thermique, l'industrie automobile française et européenne a déjà réalisé des investissements massifs pour s'y conformer et proposer à la clientèle européenne des véhicules dits « zéro émission à l'usage ». De nombreux constructeurs français et européens, dont Renault et Stellantis, ont ainsi pris le virage de l'électrique.

Les constructeurs automobiles, mais aussi leurs clients, s'adaptent progressivement aux nouvelles normes européennes sur les émissions de CO2. En seulement un an, entre février 2022 et février 2023, les immatriculations de véhicules électriques neufs ont augmenté, dans l'Union européenne, de près de 40 %, soit une part de marché qui est passée de 9,7 % à 12,1 %. Cette croissance est observée dans tous les États membres, à l'exception de la République tchèque et de la Slovaquie11(*). S'agissant des ventes de camionnettes électrifiées, à savoir principalement des véhicules électriques et quelques hybrides rechargeables, elles ont progressé de 42 % sur un an en Europe, avec près de 100 000 véhicules vendus en 2022.

Toutefois, selon un récent rapport sur l'état du parc automobile12(*), le nombre de véhicules électriques circulant sur les routes européennes reste encore très limité. Ils ne représentent encore que 1,5 % du parc automobile de l'Union européenne. Ce taux ne dépasse 2 % qu'au Danemark, aux Pays-Bas et en Suède. Par ailleurs, l'âge moyen du parc de véhicules particuliers et utilitaires légers continue de progresser régulièrement. Il s'élève à près de 12 ans, celui des camions à 14,1 ans et celui des autobus à 12,8 ans, avec de fortes disparités selon les États membres.

La décarbonation des transports routiers constitue un défi majeur pour l'Union européenne, notamment en termes de souveraineté industrielle. Elle implique des politiques d'investissements massifs et l'accélération des innovations technologiques dans un secteur qui est soumis à une forte concurrence internationale. La Chine a, en effet, déjà pris une avance importante, sinon déterminante, dans ce domaine : sa position dominante sur le marché des véhicules électriques, souvent à des prix inférieurs à la concurrence, tend à s'affirmer.

2. De nouvelles exigences proposées par la Commission européenne dont certaines n'auront vocation à s'appliquer que de manière transitoire

La nouvelle proposition de règlement renforce et harmonise les limites de seuils d'émissions, à l'échappement, des polluants déjà réglementés dans le cadre des normes Euro 6 et Euro VI, en appliquant un principe de neutralité du carburant utilisé.

Le texte introduit aussi des normes en matière d'émissions de polluants hors échappement ainsi que d'autres paramètres tels qu'une exigence générale plus forte en termes de conditions et de durée de performance des véhicules. Ces règles s'appliquent à tous les véhicules d'une même catégorie, y compris ceux à zéro émission de CO2.

Selon la Commission européenne, les émissions d'oxydes d'azote devront être réduites de 35 % d'ici 2035 pour les voitures et les camionnettes neuves, et de 56 % pour les bus urbains et les camions neufs, par rapport aux normes Euro 6 et Euro VI, et celles de particules fines, respectivement de 13 % et 39 %. Les particules provenant de l'usure des freins des voitures particulières devront aussi baisser de 27 %.

a. La proposition de règlement Euro 7 poursuit plusieurs objectifs :

- actualiser et harmoniser les valeurs limites d'émissions des polluants atmosphériques pour les voitures particulières et les véhicules utilitaires légers ;

Pour l'ensemble des voitures et des camionnettes, les limites d'émissions d'oxyde d'azote et de monoxyde de carbone prévues par les nouvelles normes Euro 7 sont alignées sur les valeurs limites les plus basses imposées par les standards Euro 6. Le maximum d'émission est ainsi fixé à 60 mg/km pour les oxydes d'azote et à 500 mg/km pour le monoxyde de carbone, sans différenciation selon le carburant utilisé par le véhicule. Ces normes étaient déjà partiellement en vigueur pour les voitures essence (respectivement auparavant 60 et 1 000 mg/km) et pour les véhicules diesel (respectivement auparavant 80 et 500 mg/km) ;

- renforcer les limites d'émissions des polluants atmosphériques pour les véhicules utilitaires lourds ;

Pour les camions et les autobus, les plafonds d'émissions sont respectivement fixés à 350 mg/km (émissions froides) et 90 mg/km (émissions chaudes) pour les oxydes d'azote et à 3 500 mg/km (émissions froides) et 200 mg/km (émissions chaudes) pour le monoxyde de carbone. Ces normes sont renforcées par rapport à celles d'Euro VI. Les camions sont aussi concernés par un renforcement des limites pour le méthane, le méthanal et le protoxyde d'azote ;

- réglementer les émissions de particules liées à l'utilisation des freins et des pneumatiques pour l'ensemble des véhicules ;

La norme Euro 7 établit de nouvelles règles concernant les émissions de particules polluantes liées au freinage et aux rejets de microplastiques issus de l'abrasion des pneus. Cette règlementation concerne aussi bien les véhicules thermiques que les véhicules électriques. Pour tous, la limite maximum pour les émissions de particules fines PM10 est fixée à 7 mg/km, à partir du 1er juillet 2025, et à 3 mg/km, à partir de 2035 ;

- améliorer le contrôle des émissions de polluants en conditions d'utilisation réelles ;

Le texte élargit l'éventail des conditions d'usage couvertes par les tests d'émissions sur route dans lesquelles les véhicules doivent être conformes aux normes Euro 7 : démarrage à froid, très fortes températures, conduite en altitude...

- garantir des niveaux d'émissions constants pendant la durée de vie du véhicule ;

Les modalités d'application des nouvelles règles sont étendues sur une période plus longue, en multipliant par deux les exigences de durabilité actuelles, ce qui est de nature à mieux refléter le cycle de vie moyen d'un véhicule. Les voitures et camionnettes devront se conformer à la norme Euro 7 sur 200 000 km ou 10 ans d'utilisation, alors que précédemment le respect des critères était exigé durant les premiers 100 000 km parcourus ou 5 ans d'utilisation. Des exigences similaires sont également prévues pour les véhicules lourds.

Afin de prévenir la falsification des données, la proposition de règlement prévoit l'installation de capteurs embarqués spéciaux pour mesurer le taux des émissions polluantes en temps réel durant toute la durée de vie du véhicule. Il reviendra aux autorités des États membres de contrôler ces informations et d'en vérifier l'authenticité ;

- et, soutenir le développement des véhicules électriques par une réglementation sur la durabilité des batteries ;

Les batteries des véhicules électriques et hybrides rechargeables devront conserver une performance stable. Pour un véhicule léger électrique ou hybride rechargeable, la performance de la batterie devra être de 80 % durant 5 ans ou 100 000 km. Les performances de batterie requises pour les véhicules lourds électriques ne sont pas précisées dans la proposition de règlement.

Par ailleurs, celle-ci prévoit l'adoption par la Commission européenne d'actes délégués et d'exécution, conformément à l'article 290 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), en ce qui concerne certaines prescriptions techniques, mais aussi afin de pouvoir tenir compte des progrès technologiques.

b. Un calendrier de mise en application des nouvelles normes très ambitieux

La Commission européenne prévoit une entrée en vigueur de ces nouvelles normes :

- à partir du 1er juillet 2025, pour les véhicules utilitaires légers neufs, et du 1er juillet 2030, pour ceux construits par des petits constructeurs ;

- à partir du 1er juillet 2027, pour les utilitaires lourds neufs.

Le calendrier d'examen de la proposition de règlement prévoit, à l'heure actuelle, un accord au Conseil au deuxième semestre 2023, sous présidence espagnole, tandis que le vote du Parlement européen en session plénière est attendu pour le mois de novembre prochain. Sa commission de l'environnement, qui est compétente au fond, devrait adopter son rapport en septembre prochain, après sa commission de l'industrie et sa commission des transports, saisies pour avis, qui prévoient de le faire, respectivement, les 19 juillet et 30 août prochains. Les trilogues ne devraient donc pas débuter avant le premier semestre 2024.

3. Un cadre réglementaire qui doit s'inscrire dans le cadre de la transition vers une mobilité propre sans affaiblir la souveraineté industrielle européenne

Les auditions auxquelles ont procédé les trois rapporteurs ont montré que la proposition de règlement, présentée par la Commission européenne, était particulièrement exigeante en termes de réévaluation des seuils d'émissions et qu'elle tendait à remettre en cause la feuille de route de décarbonation du parc automobile neuf, élaborée par les constructeurs automobiles français et européens pour répondre à l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050.

Partageant l'objectif d'amélioration de la qualité de l'air ambiant, fixé par l'Union européenne, les rapporteurs considèrent aussi que le texte présenté doit préserver un équilibre entre ses bénéfices attendus sur le plan environnemental et ses impacts sur le plan socio-économique. Dans la proposition de résolution européenne, qu'ils ont soumise à la commission des affaires européennes qui l'a adoptée, ils estiment que plusieurs dispositions centrales du texte doivent être réévaluées afin de préserver la compétitivité de l'industrie automobile européenne et de permettre de rendre accessibles au plus grand nombre les véhicules « zéro émission ».

Par ailleurs, les rapporteurs souhaitent rappeler que « les entreprises européennes ont besoin d'une stabilité normative et de perspectives claires pour développer les investissements dans la transition vers une économie décarbonée »13(*).

a. Inscrire les règles des seuils d'émissions de polluants atmosphériques dans la logique de la législation européenne sur la réduction des émissions de CO2

Dans le contexte de réduction de la production de véhicules à moteur thermique, conformément à l'objectif européen de baisse des émissions de CO2, il apparaît peu cohérent d'imposer aux constructeurs automobiles français et européens de réaliser de nouveaux investissements dans des technologies qui ont vocation à disparaître d'ici quelques années, d'autant plus que les gains additionnels en termes de baisse des émissions de polluants semblent très relatifs. C'est plus particulièrement le cas concernant les voitures particulières et les véhicules utilitaires légers.

Ø Maintenir les normes Euro 6 actuellement en vigueur pour les émissions à l'échappement de certaines catégories de véhicules

En effet, il semblerait que l'introduction des nouvelles règles Euro 7 pour les émissions de polluants à l'échappement n'entraînerait, pour les véhicules légers, qu'une très faible réduction de ces émissions, par rapport à la norme Euro 6d Full, actuellement en vigueur. Il convient également de noter que l'entrée en vigueur de la nouvelle phase Euro 6e qui renforce encore certaines exigences est prévue pour 2025.

Ainsi, d'après plusieurs études, la norme Euro 7 permettrait un gain additionnel d'économie d'émissions de polluants de 3,4 % en 2030, et de 4,6 % en 2035, par rapport aux normes Euro 6d et, de 1,6 % et 2,4 %, par rapport à Euro VI14(*). Force est de rappeler que les normes Euro 5 et Euro 6 ont déjà permis de considérablement réduire les émissions de polluants à l'échappement des véhicules routiers. Comme le note une étude de l'ADEME15(*), publiée en 2022, « les émissions de particules à l'échappement ont très nettement baissé avec la généralisation des filtres à particules », et « les véhicules thermiques neufs actuels [...] n'émettent quasiment plus de particules à l'échappement ».

La commission des affaires européennes conteste donc la nécessité de normes plus strictes s'agissant des seuils d'émissions de polluants à l'échappement pour les véhicules légers et les bus urbains neufs ; il s'agit d'éviter que les constructeurs automobiles soient contraints d'investir dans des technologies dédiées aux moteurs thermiques qui seraient mises sur le marché pour une période transitoire, n'excédant pas dix ans. Les rapporteurs considèrent que les investissements des constructeurs doivent être prioritairement orientés vers la réduction des émissions de CO2, qui constitue un objectif de long terme. La mobilité électrique doit, en effet, contribuer à l'amélioration de la performance des véhicules en termes de réduction des émissions de polluants atmosphériques.

Ø Distinguer les véhicules lourds en fonction de la règlementation en matière d'émissions de CO2

En revanche, la commission des affaires européennes estime que les seuils proposés pour les véhicules lourds neufs, à l'exception des bus urbains, sont cohérents au regard de la proposition de règlement, présentée le 14 février 2023 par la Commission européenne, qui vise à renforcer les normes d'émission de CO2 de cette catégorie de véhicules, à partir de 203016(*). En effet, sur ce segment de véhicules, il n'est pas possible, pour l'instant, de disposer d'une motorisation alternative fiable, sauf pour les autobus urbains neufs qui devront être à zéro émission, à partir de 2030. En se basant sur la même logique que pour les véhicules légers, il ne semble pas pertinent d'imposer un durcissement des normes d'émissions pour les bus urbains neufs, contrairement aux camions neufs.

Ø Soutenir une meilleure réglementation des émissions de particules liées au freinage et aux pneumatiques

Une étude, publiée en avril 2022 par l'ADEME, sur les émissions des véhicules routiers, relève que « pour les véhicules récents, les particules hors échappement (PHE) émises par les systèmes de freinage, les pneumatiques ou les chaussées sont devenues largement prépondérantes par rapport aux émissions à l'échappement des véhicules essence et diesel équipés d'un filtre à particules »17(*). Ce constat est confirmé par le centre de recherche de la Commission européenne puisqu'il relève que ces émissions représentent désormais plus de la moitié des particules émises par le trafic routier.

Par ailleurs, une étude publiée par la revue Nature, en novembre 2020, estime les particules issues de l'usure des freins et des pneus plus toxiques que les émissions à l'échappement. Leur taille justifie aussi l'introduction de mesures pour limiter leurs émissions pour toutes les catégories de véhicules. Le coût estimé d'un dispositif d'aspiration des particules fines émises par les freins serait de l'ordre de 200 euros, selon le groupe Renault.

La commission des affaires européennes estime donc que l'introduction d'une réglementation visant à limiter les émissions de polluants liées à l'usure des plaquettes de frein et à l'abrasion des pneus pour l'ensemble des véhicules, quel que soit leur motorisation, constituerait une avancée très importante en matière de lutte contre la pollution atmosphérique, en particulier dans les zones urbaines. En effet, l'électrification du parc automobile ne permettra pas de les faire baisser : la masse plus importante des véhicules électriques, qui sont dotés de pneus plus larges, par rapport aux véhicules thermiques provoque une augmentation des émissions de particules de pneus.

b. Prendre en compte le coût du passage à la norme Euro 7 pour le consommateur

Ø Évaluer le surcoût de la mesure

Selon la Commission européenne, le surcoût de l'entrée en vigueur de la norme Euro 7 pour le client est de l'ordre de 90 à 150 euros pour un véhicule léger et de 2 700 euros pour les véhicules lourds, soit près de 3 % du prix de vente. Pour les constructeurs automobiles, la réévaluation de ces normes représente des investissements importants, qu'ils devront, par conséquent, répercuter sur le prix d'achat des véhicules neufs. Ils avancent, pour leur part, des montants compris entre 400 et 1 500 euros par véhicule, avec un impact plus important pour les véhicules d'entrée de gamme, dans un contexte marqué par la difficulté à maintenir en France la construction de véhicules à faible valeur ajoutée. Cette dernière estimation prend en compte tous les coûts, en particulier ceux liés à la recherche et à l'innovation. Selon le directeur de l'ingénierie du groupe Renault, les investissements nécessaires à la mise en oeuvre des nouvelles normes seraient de l'ordre de 1,2 à 1,3 milliard d'euros.

Force est de reconnaître que l'écart entre ces estimations est important et peut susciter des interrogations. Les autorités françaises estiment néanmoins que l'évaluation réalisée par la Commission européenne est sous-estimée. Les rapporteurs de la commission des affaires européennes considèrent que le surcoût se situe probablement entre ces deux estimations L'impact prix pourrait donc être relativement important pour le consommateur. Dans son étude d'impact initiale, la Commission européenne indiquait d'ailleurs que « cela entraînerait probablement une hausse des prix pour les consommateurs ».

Elle fait cependant observer que ces nouvelles exigences sont réalisables avec des technologies existantes et déjà rentables. De son point de vue, la mise en oeuvre de la norme Euro 7 ne nécessite pas de nouveaux développements pour mettre à niveau les moteurs thermiques. Elle estime que les chiffres fournis par l'industrie sont basés sur une interprétation trop extrême des dispositions de la proposition de règlement.

Ø Ne pas favoriser l'allongement de la durée de vie des véhicules les plus polluants

L'enjeu tarifaire est plus aigu s'agissant des véhicules d'entrée de gamme. L'augmentation de leur prix de vente pourrait être proportionnellement très importante ; or ils répondent aux besoins de la plus grande partie de la population. En outre, les véhicules haut de gamme disposent souvent de dispositifs de dépollution déjà plus performants par rapport à la réglementation actuelle. Le surcoût sera, de toute façon, moins perceptible pour les véhicules premium, compte tenu de leur niveau de prix déjà très élevé.

Le risque est donc que ces nouvelles exigences contribuent à une hausse des prix de l'automobile qui affecterait, en premier lieu, les ménages les plus modestes, mais aussi incitent les constructeurs à délaisser la production des véhicules d'entrée de gamme. Or l'âge du parc automobile continue d'augmenter et son taux de renouvellement a déjà tendance à baisser, en raison du coût d'achat des véhicules neufs. L'entrée en vigueur de la norme Euro 7 pour les véhicules thermiques pourrait décourager davantage les ménages et les petites entreprises à s'orienter vers l'achat de véhicules neufs et ainsi accentuer le vieillissement du parc automobile, ce qui, par conséquent, serait de nature à contrevenir à l'objectif ultime de la proposition de règlement, à savoir la dépollution et la décarbonation.

Ø Limiter les tests d'homologation à des conditions de conduite réalistes

L'extension des modalités de réalisation des tests d'homologation des émissions de polluants atmosphériques pour vérifier la conformité à la norme Euro 7 en conditions de conduite réelles tend à renforcer considérablement la règlementation actuelle. Les tests devraient également vérifier que les véhicules ne dépassent pas les seuils d'émissions imposés dans des conditions de conduite encore plus strictes, par exemple en cas de températures extrêmes ou en haute altitude.

Or la norme Euro 6d couvre déjà 95 % des usages si on se réfère à des critères de température, d'altitude, d'accélération, ou de dynamique de conduite des utilisateurs. Euro 7 prendrait en compte les situations restantes, à savoir des conditions de conduite extrêmes, qui ne sont quasiment jamais rencontrées par les conducteurs, ce qui nécessiterait des développements techniques peu utiles dont le coût se répercuterait sur les tarifs de ventes des véhicules.

Il apparaît plus réaliste de procéder à des essais selon une méthodologie déjà établie fondée sur une utilisation standard des véhicules. La réévaluation des tests en conditions de conduite réelles ne paraît pas justifiée.

c. Tenir compte du calendrier d'adoption de la proposition pour l'entrée en vigueur des nouvelles normes

La date d'entrée en vigueur des normes Euro 7, pour les voitures particulières et les véhicules utilitaires légers neufs, fixée au 1er juillet 2025, semble particulièrement ambitieuse, voire techniquement irréaliste, au regard du calendrier des négociations du texte. Compte tenu du délai nécessaire pour l'adoption définitive du texte - qui ne peut être envisagée avant la mi-2024 -, les constructeurs ne disposeraient en réalité que d'une année, dans le meilleur des cas, pour se conformer à la nouvelle réglementation, sachant que des actes délégués et d'exécution doivent définir des éléments techniques complémentaires et nécessitent d'être adoptés dans un délai d'un an après la publication du règlement.

S'agissant des véhicules lourds, le texte prévoit aussi l'adoption de nombreux actes secondaires et à ce titre, sa mise en oeuvre au 1er juillet 2027 apparaît également rapprochée et, en conséquence, peu réaliste.

Par ailleurs, tout décalage de l'entrée en vigueur des normes conduirait à se rapprocher en particulier de l'échéance 2035, ce qui induirait des investissements très coûteux pour une durée d'application relativement courte, alors que la filière automobile est déjà engagée dans l'électrification du parc automobile.

Les rapporteurs de la commission des affaires européennes estiment aussi que l'application de ces nouvelles règles nécessite de toute façon un report de leurs dates d'entrée en vigueur afin de permettre aux constructeurs automobiles de les développer et aux services techniques des autorités publiques de procéder aux différentes vérifications et homologations. La filière automobile avait indiqué, dans un communiqué en date du 10 mai 2021, qu'il lui était indispensable de disposer d'un « délai raisonnable, d'au moins cinq ans, entre la date de définition de seuils réalistes et la date d'exigence du respect de ces seuils »18(*). Aujourd'hui, elle demande un délai de trois ans pour mettre en oeuvre la norme Euro 7.

Force est de remarquer que le nombre de véhicules Euro 7 vendus à partir de l'entrée en vigueur du règlement européen sera de toute façon limité dans le temps et, par conséquent, en volume, puisqu'à partir de 2035, les véhicules légers à moteur thermique ne seront plus commercialisés dans l'Union européenne et les bus thermiques ne devraient plus l'être à partir de 2030.

À la suite de son examen, la commission des affaires européennes a conclu au dépôt de la proposition de résolution européenne ci-après.

* 1 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la réception par type des véhicules à moteur, des moteurs et des systèmes, composants et entités techniques destinés à ces véhicules, en ce qui concerne leurs émissions et la durabilité des batteries (Euro 7), COM(2022) 586 final

* 2 Règlement (CE) n° 715/2007 du Parlement européen et du Conseil relatif à la réception des véhicules à moteur au regard des émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 5 et Euro 6) et aux informations sur la réparation et l'entretien des véhicules

* 3 Règlement (CE) n° 595/2009 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 relatif à la réception des véhicules à moteur et des moteurs au regard des émissions des véhicules utilitaires lourds (Euro VI) et à l'accès aux informations sur la réparation et l'entretien des véhicules, et modifiant le règlement (CE) n° 715/2007 et la directive 2007/46/CE, et abrogeant les directives 80/1269/CEE, 2005/55/CE et 2005/78/CE

* 4 Règlement (UE) 2023/851 du Parlement européen et du Conseil du 19 avril 2023 modifiant le règlement (UE) 2019/631 en ce qui concerne le renforcement des normes de performance en matière d'émissions de CO2 pour les voitures particulières neuves et les véhicules utilitaires légers neufs conformément à l'ambition accrue de l'Union en matière de climat

* 5 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 12 mai 2021 intitulée : « Cap sur une planète en bonne santé pour tous - Plan d'action de l'UE : Vers une pollution zéro dans l'air, l''eau et les sols»

* 6 Mission » flash » consacrée aux mesures d'accompagnement à la mise en oeuvre des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) - MM. Gérard Leseul et Bruno Millienne - Octobre 2022

* 7 Bilan de la qualité de l'air extérieur en France en 2021 - Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires - octobre 2022

* 8 Qualité de l'air dans la stratégie 2022 - Agence européenne de l'environnement - 24 novembre 2022

* 9 Règlement 2023/851 du Parlement européen et du Conseil du 19 avril 2023 modifiant le règlement (UE) 2019/631 en ce qui concerne le renforcement des normes de performance en matière d'émissions de CO2 pour les voitures particulières neuves et les véhicules utilitaires légers conformément à l'ambition accrue de l'Union en matière de climat

* 10 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2019/1242 en ce qui concerne le renforcement des normes de performance en matière d'émissions de CO2 pour les nouveaux véhicules lourds et intégrant le règlement (UE) 2018/956, COM (2023) 88 final

* 11 Communiqué de l'Agence européenne des constructeurs automobiles (ACEA) - février 2023

* 12 Rapport de l'Association des constructeurs européens d'automobiles (ACEA) - 17 janvier 2023

* 13 Résolution européenne du Sénat n° 124 (2021-2022) du 5 avril 2022 sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 »

* 14 Analyse d'impact Euro 7: les perspectives de conformité en matière de qualité de l'air dans l'UE et le rôle du secteur du transport routier - AERISEUROPE -

* 15 Émissions des véhicules routiers - Les particules hors échappement - ADEME -Avril 2022

* 16 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2019/1242 en ce qui concerne le renforcement des normes de performance en matière d'émissions de CO2 pour les nouveaux véhicules lourds et intégrant le règlement (UE) 2018/956, COM (2023) 88 final

* 17 Ibid.

* 18 PFA - Position de la filière automobile - Les enjeux règlementaires des émissions de particules de freins - 10 mai 2021