EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le pic de faillites d'entreprises a été différé grâce au soutien indispensable de l'Etat dans la crise, mais il semble hélas inéluctable dès que les dispositifs du chômage partiel ou du fonds de solidarité prendront fin. Euler Hermès, leader de l'assurance-crédit estimait par exemple, en septembre dernier, que les défaillances d'entreprises connaîtraient une hausse de 32% en France, en 2021, contribuant à augmenter les chiffres du chômage.

Dans ce contexte, l'assurance que les salaires des entreprises au bord de la faillite puissent continuer d'être versés est donc absolument cruciale, et doit focaliser l'attention des législateurs que nous sommes. Or, l'avenir du régime de garantie des salaires, unique en Europe, est aujourd'hui menacé par un projet de réforme, actuellement discuté au ministère de la justice , et visant à transposer la directive européenne sur la restructuration et l'insolvabilité de 2019.

Ce projet de réforme menace en effet de mettre en danger l'équilibre financier de l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances de salariés (AGS), chargée de verser les sommes qui leur revient aux salariés en cas de faillite de l'entreprise.

Administrée par les organisations patronales, l'AGS se substitue à l'entreprise placée en procédure collective et avance les rémunérations des salariés (salaires, indemnités diverses) si celle-ci n'est plus en mesure de le faire. Le versement s'effectue alors par le biais des mandataires judiciaires, qui accompagnent les sociétés défaillantes.

Cette intervention de l'AGS est financée de deux manières, par une cotisation patronale d'une part, et par la créance que l'AGS prend sur l'entreprise en lieu et place des salariés, d'autre part. C'est cette deuxième source de financement, qui est aujourd'hui menacée.

En effet actuellement, l'AGS bénéficie d'un surprivilège qui lui permet de figurer en haut de la liste des créanciers de l'entreprise et donc d'obtenir d'importants remboursements de créances, qui représentent actuellement 25% de ses ressources, et qu'elle peut dès lors reverser aux salariés.

Ce système singulier a fait la preuve de son efficacité, puisqu'en 2019 1,5 milliard d'euros ont été avancé à 182 000 salariés bénéficiaires, et de sa célérité puisque la quasi-totalité des avances ont été versées dans un délai de 5 jours. Par ailleurs, ce régime de protection des créances des salariés ne coûte pas un sou au contribuable.

Or, le projet de réforme, actuellement en discussion au ministère de la justice, menace de rétrograder ce surprivilège du troisième au sixième rang dans l'ordre des créanciers . Les salariés passeraient donc après d'autres créanciers et notamment les mandataires de justice et les banques. Cela aurait pour conséquence immédiate de réduire fortement les remboursements de créance que l'AGS pourrait parvenir à récupérer. Dans le cas de figure, par exemple, où les actifs d'une entreprise en liquidation seraient vendus, les sommes tirées de la cession de ces biens reviendraient dès lors à des créanciers qui passeraient devant les AGS. En d'autres termes, cette réforme pourrait conduire demain à ce que le personnel des entreprises en faillite, ou au bord de la faillite, ne puisse plus être payé.

Pour compenser cette perte substantielle de recettes, si la réforme venait à être mise en oeuvre, l'AGS serait contrainte soit de réduire la prise en charge des salaires soit de multiplier par trois le taux de cotisations payées par les entreprises.

Dans les deux cas les conséquences seraient préjudiciables tant pour la stabilité économique des entreprises que pour le pouvoir d'achat de salariés, déjà menacés de perdre leurs emplois, en cas de liquidation judiciaire de leur entreprise. C'est la raison pour laquelle les syndicats de salariés comme les responsables patronaux se sont fermement opposés à ce projet de réforme qui viendrait déstabiliser le régime actuel de garantie des salaires et mettre en péril le rôle d'amortisseur social que joue actuellement l'AGS, pour garantir un bon niveau de couverture des salariés.

Ce projet de réforme est d'autant plus incompréhensible dans le contexte économique particulièrement difficile que nous connaissons actuellement et alors que les instituts économiques anticipent un bond des faillites en 2021. Les législateurs que nous sommes, doivent avoir au contraire comme impératif de préserver le régime actuel de garantie des salaires et de l'améliorer en élargissant le champ de compétence de l'AGS.

Parmi les pistes de travail possible, l'AGS pourrait contribuer par exemple à faciliter le reclassement des salariés menacés de perdre leur emploi. Nous pourrions également envisager d'ouvrir une protection renforcée aux indépendants, qui payent un lourd tribut à la crise sanitaire actuelle. C'est une réforme ambitieuse, pour développer encore davantage la singularité du régime de garantie des salaires dont nous avons besoin, pas d'une remise en cause de son modèle.

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