EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La crise sanitaire, économique et sociale liée à l'épidémie de la COVID-19 a révélé de nouvelles fractures au sein de notre société.
En effet, la question de l'accès à une connexion internet de qualité comme au réseau téléphonique mobile a été cruciale pour nombre de nos concitoyens, constituant parfois la seule possibilité de poursuite à distance de l'emploi, de la scolarité mais également de l'accès aux soins, à la culture, aux services de l'administration...
Aujourd'hui, l'essor des besoins de mobilité sur le territoire s'accompagne donc d'un très fort besoin de développement des réseaux de communication, qu'ils soient matériels ou immatériels.
À l'image de l'arrivée du train au début du XX ème siècle, l'accès au numérique à un débit suffisant est aujourd'hui un outil puissant de désenclavement des territoires et d'attractivité à la fois pour les entreprises mais également pour nos concitoyens.
Pour cette raison, les sénatrices et sénateurs du groupe communiste, républicain citoyen et écologiste demandent depuis de nombreuses années l'intégration du très haut débit (soit un débit supérieur à 30 mégabits par seconde) au service universel.
Faute d'une telle spécification, corolaire d'un nouveau droit au numérique pour nos concitoyens, la place laissée à l'initiative privée a été prépondérante, le Gouvernement s'appuyant essentiellement sur différents plans d'action au succès mitigé.
Ainsi, la succession de ces différents plans n'a pas permis d'avancer vers une couverture intégrale des territoires et trop de nos concitoyens restent aujourd'hui sur le bord des routes numériques.
Ainsi, le Plan France Très Haut Débit, adopté le 28 février 2013 par le Gouvernement, a posé l'objectif d'une couverture intégrale du territoire en très haut débit initialement définie pour 2022, puis repoussée à 2025. Au terme de ce plan, 80 % de la population devrait être directement reliée à la fibre optique, le reste du réseau relevant d'autres technologies notamment hertziennes ou de montée en débit.
Ce plan prévoit de mobiliser les acteurs privés et publics pour un investissement total évalué à hauteur de 20 milliards d'euros, un effort financier objet d'un partage d'investissements entre opérateurs privés et collectivités territoriales, disposant du soutien de l'État.
Ainsi, sur le territoire le plus dense, représentant 57 % de la population, les opérateurs s'engagent à déployer des réseaux de fibre privés mutualisés de très haut débit dans le cadre de conventions signées avec l'État et les collectivités concernées. Dans les zones conventionnées, le déploiement des réseaux privés nécessite un investissement des opérateurs de 6 à 7 milliards d'euros.
Pour le reste du territoire, qui représente 43 % de la population mais 90 % du territoire, les collectivités territoriales créent des réseaux publics (les réseaux d'initiative publique ou « RIP ») ouverts à tous les opérateurs, avec le soutien technique et financier de l'État. Ces réseaux reposent sur un mix technologique associant fibre jusqu'à l'abonné et d'autres technologies. Ceux-ci sont aujourd'hui frappés d'une faiblesse qui tient en la difficulté, une fois même le réseau créé de trouver des opérateurs pour s'y inscrire. Ainsi, dans les RIP, seules 26 % des prises installées bénéficient de l'offre de plus d'un opérateur, d'après les chiffres de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) publiés en juin 2017.
Par ce découpage, le plan entérine et poursuit un schéma bien connu dans lequel on privatise les profits et où l'on socialise les pertes.
Là où la rentabilité est assurée, les opérateurs interviennent et, là où elle n'est pas assurée, la puissance publique se substitue.
Ainsi, dans les zones non conventionnées, le déploiement de réseaux publics par les collectivités territoriales représente un investissement de 13 à 14 milliards d'euros. Les recettes d'exploitation et le cofinancement des opérateurs privés doivent financer la moitié de cet investissement sans pour autant que des sanctions permettent de garantir cet investissement. Le besoin de subvention publique reste ainsi de l'ordre de 6,5 milliards d'euros. Sur cette somme, le Plan France Très Haut Débit prévoit un double soutien financier pour les projets des collectivités. D'une part, une subvention de l'État de 3,3 milliards d'euros et, d'autre part, l'accès à des prêts à taux préférentiel pour les collectivités par la mobilisation de l'épargne règlementée.
En décembre 2017, le Gouvernement Macron a stoppé les subventions et fermé le guichet chargé de distribuer ces aides aux collectivités.
Suite à une forte mobilisation des territoires, le guichet a réouvert en décembre 2019 avec un financement limité à hauteur de 140 millions d'euros. Dans la loi de finances pour 2020, ces sommes sont même passées à 440 millions d'euros dans le cadre du budget économie, témoignant d'une véritable montée en puissance. Pourtant, selon l'observatoire du très haut débit, il faudrait pour mener à bien le projet environ 800 millions d'euros.
Par ailleurs, dans un rapport du 31 janvier 2017, la Cour des comptes estimait que le projet devrait dépasser la durée et le budget initial, pour passer de 20 à 35 milliards d'euros et s'étaler jusqu'en 2030.
L'effort public pour la réalisation de ces réseaux doit donc être réévalué non seulement à l'aune des nouvelles données mais également de la crise que nous venons de traverser afin de renforcer les subventions publiques.
Par ailleurs, l'intervention privée doit être mieux encadrée. Certes, la loi « évolution du logement, de l'aménagement et du numérique » (ELAN) a marqué des avancées. Elle a ainsi permis de renforcer les pouvoirs de sanction de l'Arcep en élargissant le champ d'application de l'article L. 36-11 du code des postes et des communications électroniques.
Une clause « fibre » a ainsi été insérée dans cet article L. 36-11 qui permet désormais à l'Arcep, faute de conformation à une « mise en demeure portant sur le respect obligations de déploiement résultant d'engagements pris en application de l'article L. 33-13 », de sanctionner l'opérateur à hauteur de « 1 500 € par local non raccordables pour un réseau filaire » ou « 3 % du chiffre d'affaires hors taxes du dernier exercice clos ».
Pour autant, ces dispositions n'ont fait l'objet d'aucune mise en oeuvre par l'ARCEP.
Tout cela conduit au résultat qu'aujourd'hui, un peu plus de 50 % des locaux disposent d'une couverture en très haut débit. Fin décembre 2019, on dénombrait le nombre de foyers et entreprises raccordables en France à 18,4 millions. Cela reste trop peu.
La question de l'architecture de ce marché reste ainsi entière. Elle est prioritaire.
Pourquoi permettre aux opérateurs privés d'être propriétaires des infrastructures dans les zones denses et rentables et les exonérer de cette obligation en zone non rentable ? Pourquoi ne pas avoir soit séparé partout les infrastructures et les activités d'opérateurs, à l'image par exemple du rail, soit conservé un modèle unifié qui aurait permis de basculer, grâce à la rente du cuivre, au fibrage de l'ensemble des territoires.
Nous sommes aujourd'hui dans un modèle hybride inopérant pour remplir ses missions d'intérêt général.
Nous considérons ainsi qu'il est nécessaire de créer un opérateur national, propriétaire des réseaux et dont le financement serait assuré à la fois par les opérateurs mais également par l'État. Il s'agit de doter cet opérateur de ressources mutualisées, pourquoi pas au travers d'un fonds dédié alimenté par les entreprises sur leurs bénéfices, souvent considérables et si souvent décriés comme le résultat d'entente. Toutes les recettes de l'opérateur de réseau seraient également obligatoirement réinvesties dans le développement et l'entretien du réseau existant. Il s'agirait ainsi de permettre la mutualisation des recettes des zones denses pour couvrir les besoins des zones moins denses ce qui serait une avancée considérable.
Rappelons pour finir que la Commission européenne a fixé, pour 2025, l'objectif d'une couverture totale des locaux à 100 mégabits par seconde, soit la mise en place de la fibre jusqu'à l'ensemble des abonnés.
La France se doit donc de créer les moyens d'atteindre ces objectifs pour éviter le renforcement de nouvelles fractures territoriales et de revoir son modèle d'aménagement du territoire aujourd'hui fondé sur le développement des seules métropoles qui captent les investissements et les infrastructures pour éviter un nouveau désert numérique du territoire faute d'investissements publics à la hauteur des besoins.