EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L'ouverture des métiers de l'acte de bâtir aux enjeux du développement durable et sa prise en compte dans la conduite des projets a connu plusieurs étapes décisives.
L'inclusion dans les études de coût conduites par les maîtres d'ouvrage de l'intégration de matériaux bas carbone, la réalisation de bilans carbone, des analyses de cycle de vie, des calculs de coûts comparés d'exploitation des bâtiments en fonction de leur conception au plan énergétique (bâtiments à énergie positive), la prise en compte des nouvelles prescriptions législatives issues des lois Elan, d'accélération de la transition énergétique, etc... en sont les axes principaux.
Cette évolution marquante et vertueuse ne saurait éluder une réalité préoccupante et constatée fréquemment lors de la réalisation de nombreux équipements et infrastructures publics, qui est la dérive des coûts budgétaires supportés par les maîtres d'ouvrage, et donc, in fine le contribuable, aux causalités multiples, et notamment parce que cet impact environnemental s'avère mal anticipé, n'appréhendant au mieux que l'impact de la construction sans tenir compte de l'impact de l'exploitation, de la maintenance et de la fin de vie de la construction. Mais, bien au-delà de cette seule dimension, le constat, que de multiples observations de la Cour des Comptes et des chambres régionales des comptes sont venues corroborer au fil des années, est alarmant :
- le coût financier et la maîtrise économique et financière d'un projet de construction, de réhabilitation ou de rénovation, parce qu'ils privilégient la mise en oeuvre dudit projet en l'absence d'analyse préalable comparée d'autres solutions, se trouvent délégués aux métiers de la conception sans arbitrage préalable ;
- des études de faisabilité négligées voire non réalisées, des études de préprogrammation et de programmation souvent sous-calibrées, par souci d'économie, entraînant des impasses techniques et financières avant l'engagement du processus constructif ;
- des surcoûts pendant les phases de déroulement des projets, du fait d'imprécisions dans les dossiers de consultation des entreprises de travaux, fréquemment liées à des cahiers des clauses techniques particulières incomplets, engendrant le dépassement des délais de réalisation, et parfois la suspension temporaire des travaux.
Plusieurs cas de figure emblématiques de ces situations ont révélé l'ampleur des effets produits par ces situations, à l'exemple de la Philharmonie de Paris, à laquelle la chambre régionale des comptes d'Île-de-France a consacré un rapport formulant plusieurs observations sur le déroulement de l'opération et les choix de gestion l'ayant accompagnée, générateurs de surcoûts importants. De nombreux facteurs ont générés des surcoûts au regard des prévisions initiales du projet : l'enveloppe initiale proposée par l'architecte a dû être réévaluée en cours d'opération car elle avait initialement été alignée sur l'enveloppe fixée par le maître d'ouvrage ; de même, le marché de travaux a largement dépassé le montant prévu, l'enveloppe globale du projet ayant été portée de 276 à 336 M€. Autres exemples, le musée des Confluences de Lyon, dont le coût initial était de 61 millions d'euros et dont le coût final a été de 253 millions d'euros, ou encore la route des tamarins (La Réunion), dont le coût initial était de 635 millions d'euros et dont le coût final a atteint 1,3 milliard d'euros.
Face à une exigence sociétale croissante d'inclusion d'une dimension éthique beaucoup plus forte dans les projets publics, il est d'intérêt public de mieux garantir la maîtrise économique et environnementale des projets publics de construction, de réhabilitation et de rénovation, dans un contexte de maîtrise des dépenses publiques, afin d'éviter les dérives financières des projets publics de construction, de réhabilitation et de rénovation.
Cela est d'autant plus nécessaire à l'heure où le changement climatique et la mise en oeuvre de l'accord de Paris exigent d'inclure aux projets toutes spécifications de nature à limiter les impacts de l'activité humaine, qui ajoutent une dimension supplémentaire à l'exposition au risque de sous-estimation des coûts initiaux.
Dans un tel contexte, parmi les intervenants à l'acte de bâtir, la fonction de l'économiste de la construction mérite d'être renforcée.
Aussi, la présente proposition de loi vise à inclure dans la loi une disposition visant, pour les constructions les plus importantes (> à 20 M€), à rendre obligatoire le recours à un économiste de la construction indépendant et qualifié, garantissant que tout projet de construction de cette ampleur soit l'objet d'une analyse experte et non contrainte, portant sur les dimensions précitées.
Il apparaît en effet, à l'analyse de la plupart des cas de dérapages budgétaires connus lors de la réalisation d'équipements ou infrastructures publiques d'ampleur durant les deux dernières décennies, que les experts affectés aux projections financières de coût se trouvent le plus souvent en lien contractuel de sous-traitance vis-à-vis des maîtres d'oeuvre désignés par les maîtres d'ouvrage, et par voie de conséquence :
- en situation de dépendance économique vis-à-vis de ceux-ci ;
- confrontés dans leur analyse à des objectifs en termes économiques définis par le maître d'oeuvre, souvent peu compatibles avec la prise en compte d'objectifs de maîtrise des coûts et/ou d'anticipation des coûts futurs d'exploitation et de maintenance, fréquemment occultés.
Or, le rôle et les missions de l'économiste de la construction présente de nombreux avantages pour les maîtres d'ouvrage : il a vocation à être un intervenant en continu dans le processus constructif, dès l'amont du projet puis durant son déroulement jusqu'à sa livraison, ses compétences couvrent aussi bien les aspects économiques que techniques et il leur apporte une vision globale des coûts mais aussi ses connaissances de l'ensemble des réglementations applicables et des techniques et matériaux présents sur le marché.
Cette profession, sous réserve qu'elle se trouve en capacité d'exercer son activité de manière indépendante de la maîtrise d'oeuvre tout en se coordonnant avec elle, assure une fonction de conseil essentielle et privilégiée auprès du maître d'ouvrage dès l'origine du projet : analyse, planification, quantification, estimation, prescription, maîtrise de chaque stade de l'opération par la recherche de l'optimisation des coûts, devenue une préoccupation majeure des maîtres d'ouvrage publics mais aussi des citoyens, de plus en plus vigilants quant à l'utilisation des fonds publics.
En effet, dès l'initiation d'un projet de construction, de réhabilitation ou de rénovation, sur la base des premières esquisses produites par la maîtrise d'ouvrage assistée de l'équipe de conception qu'il a sélectionnée, l'économiste de la construction peut :
- contre-expertiser l'étude de faisabilité en approfondissant les investigations menées en phase de montage sur les aspects techniques, urbanistiques, fonctionnels, économiques, financiers (réalisation, maintenance, exploitation, entretien, ...), temporels (délai de réalisation), et environnementaux ; vérifier la pertinence du diagnostic de l'existant en cas de réhabilitation ou de rénovation ;
- confirmer ou infirmer la compatibilité entre les exigences et les besoins du maître d'ouvrage et l'enveloppe financière prévisionnelle ;
- contribuer à réduire le risque d'opération par l'amélioration de l'information multicritères ;
- assister le maître d'ouvrage dans ses arbitrages par l'estimation comparative des différents scénarios et de l'opportunité des solutions par la conjugaison des impératifs financiers, techniques et réglementaires du projet, notamment par la production d'une étude de coût global simulant le coût total d'un équipement durant sa durée de vie estimée (construction, modifications ultérieures envisageables, exploitation et déconstruction) ;
- produire une estimation financière précise par une conduite rigoureuse des relevés des matériaux nécessaires par la réalisation de métrés, établir la description exhaustive des ouvrages incluant le(s) procédé(s) de réalisation et de mise en oeuvre, les nature et quantités des matériaux, le type de main d'oeuvre requise par corps de métier, tous éléments à inclure dans le dossier de consultation des entreprises sur la base duquel le maître d'ouvrage, pouvoir adjudicataire, effectuera le choix de ses prestataires de travaux ;
- permettre au maître d'ouvrage d'arrêter le coût prévisionnel de la réalisation, d'estimer les coûts d'exploitation et de déterminer les délais de réalisation.
Au stade ultérieur de la réalisation du projet, l'économiste de la construction :
- vérifie les devis et mémoires proposés par les entreprises de maîtrise d'oeuvre afin de vérifier la sincérité des offres sur le plan économique par une analyse des prix aux sous-détails ;
- apporte au maître d'ouvrage une étude détaillée par candidat à la procédure de mise en concurrence d'opérateurs économiques sur la base d'une expertise des estimations du(des) maître(s) d'oeuvre et propose le cas échéant des corrections de devis ;
- informe le maître d'ouvrage sur le montant cumulé des travaux (états de situation mensuels sur les dépenses engagées) pour prévenir le risque de dépassement au-delà des obligations contractuelles, et propose au maître d'ouvrage un ajustement des techniques d'exécution.
L'importance du recours à un économiste de la construction qualifié est donc avérée pour permettre de renforcer la transparence d'exécution de la commande publique et la bonne utilisation des derniers publics, sans peser significativement sur le coût global puisque, en assistance à maîtrise d'ouvrage, les forfaits liés à cette prestation sont généralement de :
? 0,4 % au stade de la définition des ouvrages ;
? 0,6 % au stade de la conception des ouvrages ;
? 0,6 % au stade de la réalisation des ouvrages.
Depuis 1976, la charte des acteurs de la maîtrise d'oeuvre reconnaît l'existence de la profession d'économiste de la construction et la majorité des organisations représentatives des maîtres d'ouvrage reconnaît l'intérêt de la présence d'un économiste de la construction.
Mais l'inscription dans la loi d'imposer le recours à un économiste de la construction indépendant et qualifié pour les chantiers publics de plus de vingt millions d'euros permettra aux maîtres d'ouvrage publics de s'assurer de conseils indépendants et éclairés pour éviter les dérives budgétaires, garantir le respect des délais de réalisation dès l'amont du projet, s'assurer d'un parfait achèvement en fonction des prescriptions et faire réaliser l'étude du coût global et de l'analyse de cycle de vie (ACV).
L'arrêté du 29 mars 2016 permet d'apporter la preuve des capacités techniques et professionnelles demandées par le code des marchés publics. Le certificat de qualification professionnelle établi par un organisme indépendant est un atout majeur pour le maître d'ouvrage puisqu'il permet d'attester des compétences de l'opérateur pour réaliser la prestation pour laquelle il se porte candidat, apportant au maître d'ouvrage toutes garanties professionnelles et techniques.