EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La présente proposition de loi vise à porter le virage de la prévention dans le domaine des politiques de santé publique pour affronter « l'un des plus grands défis sanitaires du XXIe siècle » selon une étude publiée par la revue scientifique The Lancet1(*) : l'alimentation.
En France, la Haute Autorité de Santé (HAS) estime que 17 % des enfants/adolescents âgés de 6 à 17 ans et 49 % des adultes sont aujourd'hui en situation d'obésité ou de surpoids. Ce constat est inquiétant car l'obésité se traduit par une forte augmentation des risques d'apparition de pathologies graves : maladies cardio-vasculaires, cancers, diabète de type II. Le lien entre une consommation de produits gras, salés, sucrés et l'augmentation du risque de maladies cardio-vasculaires a été établi par de nombreuses recherches scientifiques2(*). Une étude publiée en 2024 par l'INSERM et le CIRC3(*) en lien avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS) affirme que 30 % des décès dus à des maladies cardio-vasculaires étaient causés par l'alimentation.
Combattre l'obésité, c'est également lutter contre un facteur de détérioration de la santé mentale, notamment des plus jeunes générations.
Cette proposition de loi entend faire de l'alimentation un des premiers leviers d'une politique de prévention efficace. Dans son ouvrage Why we die, le lauréat du prix Nobel Venki Ramakishnan rappelle que la qualité de l'alimentation est un des trois principaux facteurs d'amélioration de la longévité4(*).
La création du Nutri-Score par l'équipe dirigée par le professeur Serge Hercberg et son adoption par la France en 2017 a représenté un progrès décisif afin de mieux informer et sensibiliser les consommateurs pour qu'ils s'orientent plus souvent vers des produits possédant une qualité nutritionnelle supérieure.
L'impact sur les choix de consommation est établi puisque 57 % des consommateurs déclarent utiliser le Nutri-Score de manière occasionnelle pour faire leurs courses (contre 43 % en 2018) et 18 % de manière quotidienne (contre 1 % en 2018)5(*).
La consommation des produits classés dans les catégories A ou B du Nutri-Score est valorisée par une couleur verte ; les consommateurs sont informés que les produits classés D et E présentent des caractéristiques nutritionnelles devant amener à une consommation plus limitée.
Le Nutri-Score est ainsi un outil simple à comprendre, connu par 93 % des consommateurs français qui le plébiscitent en étant 89 % à demander sa généralisation6(*).
Cette demande de généralisation est fortement portée par le monde scientifique ; plusieurs centaines de chercheurs affirment que « rendre le Nutri-Score obligatoire est une urgence de santé publique » dans une tribune publiée le 24 octobre 2024 en s'appuyant sur les conclusions concordantes de plus de 140 études scientifiques7(*).
Une alimentation plus équilibrée est un facteur majeur d'amélioration de l'état de santé ; elle induit une consommation de soins plus modérée et ainsi, une réduction du déficit des comptes de la sécurité sociale. Il existe en effet un « coût social de l'obésité » qui a été estimé à 20 milliards d'euros par an en France pour l'année 2012 par la direction générale du Trésor. Ce coût ferait augmenter de 8,4 % nos dépenses de santé annuelles d'ici 30 ans selon un rapport de la DREES publié en 20248(*).
Enfin, le droit européen, souvent invoqué par les opposants au Nutri-Score, ne saurait constituer un obstacle valable à sa généralisation. La directive européenne INCO-1169/2011, qui encadre l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires, devait initialement être révisée dans le cadre de la stratégie « Farm to Fork » (« de la ferme à la table »). Cependant, l'absence de proposition de la Commission européenne marque un recul face aux pressions des lobbys agroalimentaires, au détriment de la santé publique.
Actuellement, cette directive permet aux États membres de l'Union européenne d'introduire des systèmes d'étiquetage nutritionnel complémentaires, à condition qu'ils restent facultatifs et qu'ils ne restreignent pas la libre circulation des marchandises. Toutefois, la généralisation obligatoire du Nutri-Score peut être justifiée auprès des institutions européennes par des impératifs de santé publique. En effet, l'article 36 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) autorise des dérogations aux règles du marché intérieur lorsqu'il s'agit de protéger la santé et la vie des personnes. Or de nombreux travaux scientifiques établissent un lien direct entre une alimentation déséquilibrée et des maladies chroniques graves (cancers, maladies cardiovasculaires, diabète).
La jurisprudence européenne a déjà reconnu la primauté des enjeux sanitaires dans certaines décisions. Un exemple récent est l'affaire opposant la France et la Commission européenne sur l'interdiction du dioxyde de titane en 2023. Malgré une réglementation européenne plus permissive, la France avait classé cet additif comme cancérogène, s'appuyant sur une solide base scientifique. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a donné raison à la France, reconnaissant la nécessité de mesures nationales plus strictes pour protéger la santé publique.
Dans cette logique, la France doit non seulement instaurer l'obligation du Nutri-Score sur son territoire, mais aussi jouer un rôle moteur au sein de l'Union européenne pour en promouvoir la généralisation. La lutte contre l'obésité et les maladies liées à l'alimentation dépasse les frontières nationales et concerne l'ensemble des citoyens européens. En adoptant cette mesure de manière proactive, la France pourra démontrer son efficacité et encourager une harmonisation des règles à l'échelle de l'Union européenne.
L'article 1er prévoit de rendre obligatoire l'affichage du logo Nutri-Score sur l'emballage des produits alimentaires afin de garantir aux consommateurs une information claire, fiable et transparente lors de leurs achats alimentaires. Cette mesure permet une réelle transparence dans la composition des produits alimentaires. L'affichage nutritionnel actuel n'est pas suffisant pour garantir un choix éclairé car il est trop complexe à comprendre. Les tableaux figurent au dos des produits, rédigés en très petits caractères et avec un vocabulaire complexe pour un consommateur non averti. Le Nutri-Score est au contraire un outil bien plus simple à comprendre grâce à son code couleur.
L'article 2 vise à interdire la publicité pour les produits alimentaires de faible qualité nutritionnelle. Cette mesure traduit législativement les préconisations du rapport de Santé publique France sur la protection des enfants et des adolescents9(*). L'OMS préconise également de réglementer la publicité de ces produits alimentaires. Les publicités pour des produits alimentaires à destination des enfants promeuvent, dans 88 % des cas, des produits gras, salés, sucrés10(*). Si on prend l'exemple des spots publicitaires à la télévision, ils promeuvent des fast-foods, des confiseries ou des chocolats dans 76 % des cas. Il y a donc une surreprésentation des produits gras, salés, sucrés dans les produits marketings à destination d'un public encore plus sensible. Cette mesure est donc essentielle pour lutter contre une tendance alarmante de hausse du nombre de personnes en situation d'obésité, qui a été multiplié par 6 par rapport à 196011(*).
* 1 The Lancet, « Global, regional, and national prevalence of child and adolescent overweight and obesity, 1990-2021, with forecasts to 2050: a forecasting study for the Global Burden of Disease Study 2021 », 8 mai 2025.
* 2 Étude scientifique collaborative publiée en 2024 par l'INSERM, l'EREN, le CNAM, l'INRAE et le CIRC, en lien avec l'OMS.
* 3 Centre Internationale de Recherche sur le Cancer
* 4 Ramakrishnan, Venki. Why We Die: The New Science of Aging and the Quest for Immortality. Hodder Press, 2024.
* 5 « Le Nutri-Score, un repère utile pour connaître la qualité nutritionnelle d'un produit pour plus de 9 Français sur 10 », Santé publique France, 2021.
* 6 « Le Nutri-Score, un repère utile pour connaître la qualité nutritionnelle d'un produit pour plus de 9 Français sur 10 », Santé publique France, 2021.
* 7 Tribune : « Rendre le Nutri-Score obligatoire en Europe est une urgence de santé publique ! », Le Monde, le 24 octobre 2024.
* 8 Rapport de la DREES « Surpoids et obésité : facteurs de risques et politiques de prévention Panorama des politiques publiques de prévention et de leurs effets, en Europe et dans le monde », juillet 2024.
* 9 « Exposition des enfants et des adolescents aux publicités des produits gras, salés et sucrés : quelles préconisations d'encadrement ? », Santé publique France, le 24 juin 2020.
* 10 Étude menée par l'UFC - Que Choisir en octobre 2020.
* 11 Enquêtes ERF 1965 et Esteban 2014-2016.