EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La gestion de l'eau, ressource vitale et irremplaçable, est confrontée à une double menace croissante, qualitative et quantitative. Sur le plan qualitatif, la contamination des ressources en eau par des pollutions diffuses - pesticides, nitrates, substances émergentes comme les PFAS - compromet sérieusement la capacité à fournir une eau potable conforme aux normes sanitaires. Sur le plan quantitatif, le dérèglement climatique exacerbe la raréfaction de cette ressource, fragilisant l'équilibre hydrique des territoires. Sécheresses récurrentes, canicules prolongées et débits historiquement bas des cours d'eau affectent directement le renouvellement des nappes phréatiques et des masses d'eau superficielles. Ces bouleversements mettent en péril notre capacité à répondre durablement aux besoins en eau potable des populations et à préserver les écosystèmes.
Ces deux enjeux sont intrinsèquement liés. La dégradation de la qualité de l'eau conduit à l'abandon de nombreux captages, devenus trop coûteux à dépolluer, ce qui réduit les capacités d'approvisionnement et amplifie la pression sur les ressources restantes. Parallèlement, le déficit de recharge des nappes phréatiques, causé par le dérèglement climatique, limite les options de remplacement et complique davantage la gestion qualitative. Cette interdépendance souligne l'urgence d'agir, en particulier sur la dimension qualitative, afin de préserver la ressource en eau potable et d'assurer ainsi une meilleure résilience face à la crise climatique.
Selon le dernier bilan établi par le ministère de la Santé pour l'année 2022, plus de 10 millions de Français ont été alimentés, au moins une fois, par de l'eau non conforme aux normes réglementaires concernant les pesticides et leurs métabolites1(*). Actuellement, 30 % des eaux souterraines en France sont contaminées par ces résidus et 40 % des masses d'eau risquent de ne pas atteindre un bon état chimique d'ici 20272(*).
Plus préoccupant encore, l'association Générations futures souligne l'ampleur du problème à travers une métaphore frappante : celle de l'iceberg3(*). Les métabolites actuellement surveillés ne constituent que la partie visible de cet iceberg. Une quantité bien plus vaste de substances échappe encore aux analyses sanitaires, laissant planer un doute sérieux sur l'ampleur réelle de la contamination. Cette « face cachée » des pollutions rend la situation d'autant plus critique.
D'ailleurs, il est désormais établi que ces pollutions diffuses, persistantes et omniprésentes, ont des conséquences sur la santé humaine, comme l'a confirmé l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) en 20214(*). L'exposition aux pesticides est directement liée à des pathologies graves, en particulier chez les femmes enceintes et les professionnels agricoles, en première ligne face à ces substances toxiques.
Il convient également de noter que le danger ne se limite pas au dépassement des seuils individuels pour chaque molécule. Les résidus persistants de pesticides, nitrates ou PFAS présents dans les sols et les nappes souterraines interagissent pour former un « effet cocktail » chimique nocif. Une molécule isolée peut sembler inoffensive, mais son interaction avec d'autres substances peut démultiplier sa toxicité, créant des effets cumulatifs sur la santé humaine et les écosystèmes, dont les impacts sont désormais largement documentés. Cette réalité met d'ailleurs en lumière les limites des normes de sécurité actuelles, qui continuent d'évaluer les molécules de manière isolée, sans intégrer les dynamiques complexes de leurs interactions.
Ces constats préoccupants amènent naturellement à s'interroger sur l'efficacité des dispositifs en place pour protéger les zones de captage d'eau potable. Alors même que ces infrastructures sont essentielles pour garantir l'accès à une eau de qualité, elles restent exposées à des pollutions diffuses contre lesquelles les mécanismes de prévention actuels se révèlent insuffisants.
Les captages d'eau potable sont des infrastructures qui permettent de prélever de l'eau potable pour l'approvisionnement des populations. En France, environ 35 000 captages actifs prélèvent l'eau des rivières, lacs ou nappes phréatiques, avant qu'elle ne soit traitée pour être distribuée5(*). Toutefois, ces captages sont de plus en plus menacés par des pollutions diffuses, qui représentent désormais la principale cause de leur contamination. Entre 1980 et 2019, près de 12 500 captages ont été fermés, dont 34 % à cause de pollutions aux nitrates et aux pesticides6(*).
Ces chiffres révèlent l'ampleur du problème, même sur des zones spécifiquement dédiées à l'approvisionnement en eau potable. Pourtant, les captages ne représentent qu'une fraction limitée de la surface agricole utile (SAU) - environ 3 %7(*), voire jusqu'à 5 % selon certaines estimations. Il semblerait donc légitime de leur accorder une véritable protection contre les pollutions diffuses. Or, malgré leur rôle essentiel, force est de constater que nous échouons encore à garantir une protection efficace.
Pour répondre à ces enjeux, la loi sur l'eau de 1992 a introduit une obligation essentielle : la création de périmètres de protection des captages (PPC). Ces périmètres, définis en trois zones - immédiate, rapprochée et éloignée -, ont pour objectif de prévenir les risques de pollution accidentelle et ponctuelle, tels que les déversements d'hydrocarbures pouvant survenir lors d'un accident routier à proximité d'un captage. Cependant, plus de trente ans après l'adoption de cette mesure, son application reste incomplète : 16,3 % des captages d'eau ne disposent toujours pas de périmètre de protection, révélant une importante inobservation du droit sur le terrain8(*).
Au-delà des PPC, la prévention des pollutions diffuses - telles que les pesticides, nitrates et substances émergentes comme les PFAS - a nécessité de nouvelles approches. C'est dans ce contexte qu'ont été introduites les aires d'alimentation de captages (AAC), définies pour la première fois dans le code de l'environnement en 2006. Contrairement aux PPC, les AAC s'intéressent à une échelle plus large, englobant les zones où l'eau s'infiltre ou ruisselle pour alimenter les captages, et ont donc pour objectif principal de prévenir les pollutions diffuses.
Pour renforcer cette stratégie, des zones de protection des aires d'alimentation de captages (ZP-AAC) peuvent également être établies au sein des AAC. Dans ces zones, des programmes d'actions sont mis en oeuvre par les agriculteurs et les propriétaires fonciers afin de réduire encore davantage les pollutions diffuses à la source. Les ZP-AAC peuvent parfois se superposer aux PPC, mais elles couvrent généralement une aire plus large, car elles s'attaquent spécifiquement aux pollutions diffuses et non uniquement aux risques de pollution accidentelle et ponctuelle.
Néanmoins, comme évoqué supra, près de 12 500 captages ont été fermés entre 1980 et 2019 malgré l'existence de ces dispositifs, dont 34 % en raison de pollutions aux nitrates et aux pesticides. Cette gestion par abandon, longtemps perçue comme une solution simple et pragmatique, montre aujourd'hui ses limites.
En effet, chaque abandon de captage, souvent en raison du coût de dépollution, aggrave les tensions hydriques et fragilise un équilibre déjà précaire. Certaines communes, en rupture d'alimentation potable, en sont la preuve : quelques années auparavant, elles avaient dû renoncer à des captages aujourd'hui indispensables.
Dès lors, l'équation est désormais claire : il est impératif de protéger nos captages d'eau potable et d'agir en amont pour réduire les pollutions diffuses, afin de prévenir la dégradation de nos ressources. Nous n'avons plus le luxe de tergiverser. La contamination croissante de nos ressources, couplée aux bouleversements climatiques, exige une réponse ambitieuse, rapide et coordonnée. Il en va de l'accès à une eau potable sûre pour des millions de Français.
La gestion curative de la qualité de l'eau, qui repose sur des traitements a posteriori, est à bout de souffle. En complément des constats déjà établis, elle se heurte à deux limites majeures qui en compromettent durablement la viabilité.
D'abord, une limite technique. Les traitements comme l'osmose inversée ou les filtres à charbon actif montrent une efficacité décroissante face à des pollutions diffuses de plus en plus complexes et coûteuses à traiter, notamment celles liées aux pesticides9(*). Les stations de potabilisation, par exemple, doivent aujourd'hui augmenter considérablement l'usage de charbon actif pour éliminer les métabolites de pesticides. Une usine commandée il y a seulement deux ans a déjà dû doubler la quantité de charbon utilisée par rapport aux prévisions initiales10(*).
À cela s'ajoute un problème de souveraineté. Nous dépendons entièrement des importations de charbon actif, provenant majoritairement d'Asie ou d'Amérique. En cas de blocage du commerce international, notre capacité à garantir une eau potable serait gravement compromise. Le filon européen de charbon n'étant plus exploité, cette dépendance nous place dans une situation de grande vulnérabilité. Lors du blocage du canal de Suez par le porte-conteneurs Ever Given en mars 2021, les usines de traitement d'eau potable françaises ont craint une rupture de leur approvisionnement. Bien que des stocks aient été constitués depuis, cette situation souligne l'urgence d'une solution durable, car sans charbon actif, il serait impossible de traiter l'eau très polluée pour la rendre potable.
Ensuite, une limite économique. Le coût du traitement des eaux contaminées atteint chaque année entre 500 millions et 1 milliard d'euros11(*). Ces dépenses, en augmentation constante, reposent presque exclusivement sur les collectivités territoriales, qui doivent financer ces infrastructures alors que leurs budgets sont déjà contraints. Cela entraîne, in fine, une augmentation du prix de l'eau pour les consommateurs et exacerbe les inégalités entre territoires, notamment en milieu rural.
Les collectivités territoriales, premières affectées par cette crise, expriment leur exaspération face à cette situation. Alors qu'il était encore directeur général de l'Agence de l'eau Adour-Garonne, Guillaume Choisy a mis en garde contre l'impossibilité de maintenir un prix de l'eau abordable, en particulier en milieu rural, sans un changement radical de politique. Selon les traitements recommandés par la Direction Générale de la Santé, tels que l'adsorption sur charbon actif ou la filtration membranaire, les coûts supplémentaires associés au traitement des pesticides pourraient faire augmenter de 30 à 45 % le prix du mètre cube d'eau12(*).
Face à ces enjeux, une politique proactive de préservation s'avère non seulement plus efficace, mais également beaucoup moins coûteuse. La direction de l'eau et de la biodiversité estime que le coût du traitement est au moins trois fois supérieur à celui de la prévention13(*). Une instruction gouvernementale de 2020 rappelait d'ailleurs que « fermer des captages contaminés ou traiter l'eau ne constituent pas des solutions pertinentes à long terme »14(*).
Ainsi, il est aujourd'hui indéniable que la résolution de ce problème passe par une action en amont : une sanctuarisation complète des zones de captage contre les pollutions diffuses. Continuer à concentrer nos efforts sur une stratégie exclusivement curative n'est plus tenable. Bien que nécessaires dans certaines situations, ces solutions ne peuvent plus constituer la norme.
Compte tenu du fait que ces zones représentent 3 à 5 % de la surface agricole utile, il est indispensable d'accompagner les agriculteurs concernés par des investissements adéquats en faveur d'une transition qui ne leur soit en aucun cas préjudiciable. Des pratiques telles que l'agroforesterie ou l'agriculture biologique, qui préservent à la fois la qualité des sols et celle des nappes phréatiques, doivent être encouragées. Et, rappelons-le, cette réorientation des investissements, qui relève du domaine réglementaire, est d'autant plus essentielle qu'elle s'avère, selon la direction de l'eau et de la biodiversité, trois fois moins coûteuse que les traitements curatifs actuels.
L'objectif à atteindre est sans équivoque : protéger l'ensemble des aires de captage contre les pollutions. Cet objectif est partagé par nos collectivités territoriales, quels que soient leurs bords politiques, par nos concitoyens, ainsi que par les experts et les associations spécialisés dans la gestion de l'eau. Il est également soutenu par un rapport de l'Assemblée nationale datant de décembre 2023, qui recommande que les aires d'alimentation des captages deviennent, à court terme, des zones sanctuarisées de pollution aux pesticides, où seules sont permise des cultures à bas intrants15(*). De son côté, la mission d'information sur la « Gestion durable de l'eau » de juillet 2023 soulignait que « la protection des aires de captage contre les pollutions constitue un objectif prioritaire, et que les traitements ne doivent intervenir qu'en seconde intention ».
Face à ces constats, il est inconcevable de continuer à tergiverser. La contamination croissante de nos ressources en eau, combinée aux effets du dérèglement climatique, exige une réponse ambitieuse, rapide et déterminée. Le statu quo n'est plus une option. Il est temps de mettre en oeuvre une politique cohérente, résolument axée sur la prévention, pour garantir la qualité et la disponibilité de l'eau. Il en va de la santé publique, de la préservation de nos écosystèmes, de notre souveraineté et de l'équité dans l'accès à cette ressource vitale.
L'article 1er prévoit l'interdiction de l'utilisation et du stockage de produits phytopharmaceutiques et d'engrais minéraux dans les zones de protection des aires d'alimentation des captages, à compter du 1er janvier 2031. Pour garantir une mise en oeuvre la plus adaptée possible, des plafonds intermédiaires seront fixés par décret. Par exemple, il pourrait être envisagé d'atteindre l'indice de fréquence de traitement (IFT) régional moyen sous 2 ans, la moitié de cet indice sous 4 ans, et viser le zéro usage de pesticides sous 6 ans. Ces étapes permettraient d'assurer un déploiement efficace des mesures tout en accompagnant les acteurs concernés dans cette transition.
L'article 2 renforce les sanctions pour le non-respect des interdictions relatives à l'utilisation et au stockage de produits phytopharmaceutiques et d'engrais. Ces mesures dissuasives sont essentielles pour garantir l'application effective des dispositions prévues et prévenir les infractions qui compromettent la qualité des ressources en eau.
* 1 Ministère de la Santé et de la Prévention, « Bilan de la qualité de l'eau au robinet du consommateur vis-à-vis des pesticides en France en 2022 », Décembre 2023, p. 6.
* 2 Sénat, « Éviter la panne sèche - Huit questions sur l'avenir de l'eau », rapport d'information de la délégation sénatoriale à la prospective, rapporteurs Catherine Belrhiti, Cécile Cukierman, Alain Richard et Jean Sol, novembre 2022, pp. 104-105.
* 3 Générations futures, « Dossier métabolites de pesticides : la face immergée de l'iceberg », octobre 2024.
* 4 Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), « Pesticides et effets sur la santé - Nouvelles données », 2021.
* 5 Assemblée nationale, « Les causes de l'incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale », rapport de la commission d'enquête, rapporteur Dominique Potier, décembre 2023, p. 277.
* 6 Idem.
* 7 Sénat, « Gestion durable de l'eau : l'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement », rapport de la mission d'information, rapporteur Hervé Gillé, page 64, 11 juillet 2023.
* 8 Article Reporterre, 7 mars 2024. Lien : https://reporterre.net/Les-captages-d-eau-potable-peinent-a-etre-bien-proteges.
* 9 Assemblée nationale, « Les causes de l'incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale », extrait d'une citation de M. Guillaume Choisy, rapport de la commission d'enquête, rapporteur Dominique Potier, décembre 2023, p. 288.
* 10 Émission « Sur le Front », « Qui pollue notre eau du robinet ? », novembre 2024, disponible sur : https://www.france.tv/france-5/sur-le-front/6668603-qui-pollue-notre-eau-du-robinet.html#section-about (consulté le 19 décembre 2024).
* 11 Assemblée nationale, « Les causes de l'incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale », rapport de la commission d'enquête, rapporteur Dominique Potier, décembre 2023, p. 25.
* 12 Idem, p. 205.
* 13 Sénat, « Gestion durable de l'eau : l'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement », rapport de la mission d'information, rapporteur Hervé Gillé, page 64, 11 juillet 2023.
* 14 Instruction du Gouvernement du 5 feìvrier 2020 relative aÌ la protection des ressources en eau des captages prioritaires utiliseìs pour la production d'eau destineìe aÌ la consommation humaine.
* 15 Assemblée nationale, « Les causes de l'incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale », rapport de la commission d'enquête, rapporteur Dominique Potier, décembre 2023, p. 290.