EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'essor des technologies numériques a entraîné une augmentation significative de l'impact des réseaux sociaux sur le quotidien des Français, dont près de 80 % disposent d'un compte actif sur au moins l'une de ces plateformes. L'essor de ces dernières s'accompagne de diverses pratiques, plus ou moins encadrées, parmi lesquelles on retrouve, entre autres, les jeux de hasard. Ces activités, bien que populaires, soulèvent des questions cruciales de réglementation et de protection des consommateurs. Comme toujours avec le cadre numérique au sens large, la législation existante doit s'adapter aux enjeux émergents d'un univers en ligne en plein essor. Il apparaît donc nécessaire de mettre à jour une législation vieillissante, afin d'assurer plus efficacement la protection des consommateurs.

En 2024, plus de 40 % des Français déclarent avoir participé à ces loteries en ligne, qui prennent le plus souvent la forme d'une démarche commerciale, au sein de plus vastes campagnes de publicité. Le processus reprend le plus souvent le principe de la loterie, proposant aux consommateurs de participer à un tirage au sort, en échange d'un « engagement » non tarifé : partages, commentaires, likes, abonnements... À la clé se trouve la perspective de gagner un échantillon du service ou un exemplaire des produits que l'entreprise propose.

Pour le professionnel, le gain est double : il véhicule une image positive d'acteur « généreux », tout en générant de la visibilité et du partage, en incitant les consommateurs à partager la campagne, gagnant les faveurs des algorithmes en ligne. Pour le consommateur, la perspective de gagner une récompense en échange d'un engagement financier nul semble alléchante. Toutefois, le manque de cadre juridique quant à la régulation de cette nouvelle forme de démarche commerciale pose certains problèmes quant à la protection des droits du consommateur. Ce défaut de cadre formel se traduit chez ce dernier par un manque de confiance en la pratique : 59 % des Français n'ont pas confiance dans la transparence et l'équité des loteries et jeux-concours en ligne, et 65 % estiment que le secteur n'est pas suffisamment encadré juridiquement.

Dans ce cadre, la présente proposition de loi a donc pour objectif de donner aux loteries, tirages au sort et autres jeux-concours en ligne un cadre juridique clair et unique, en proposant un complément adapté aux enjeux numériques.

En effet, si le code de la sécurité intérieure encadre le régime juridique des loteries et jeux-concours entre professionnels et particuliers, cette nouvelle forme de tirage au sort en ligne se trouve à l'interstice de plusieurs règlements, créant un véritable flou juridique quant à la qualification de ces nouveaux enjeux. De fait, puisqu'ils n'exigent pas de « sacrifice financier » (article L. 320-1 du code de la sécurité intérieure) et reposent sur l'aléa et non le “savoir-faire” des participants, ces tirages au sort peuvent être qualifiés de « jeu-concours sans obligation d'achat » ; une appellation qui manque de définition juridique, officielle et claire. Il est donc nécessaire, dans un premier temps, d'intégrer à la législation des limites terminologiques. L'article 1er de la présente proposition de loi vise ainsi à apporter une définition juridique définitive de ces pratiques commerciales.

Par ailleurs, ce manque de définition a un impact clair sur le manque de cadre juridique propre ; en son absence, les jeux-concours tombent sous la législation plus large des « opérations promotionnelles » et se doivent de respecter une série d'articles définis à l'article L. 121-1-7 du code de la consommation, sous peine d'être qualifiés de « pratiques commerciales déloyales ». Le professionnel doit donc communiquer en toute loyauté et transparence sur l'opération promotionnelle qu'il organise et décrire objectivement les informations inhérentes à ladite opération et notamment :

- Les conditions et modalités de l'opération et de participation ;

- Les éventuels frais de participation ;

- Les restrictions de participation (lieu, âge...) ;

- La durée de l'opération ;

- La nature, le prix et les modalités d'obtention des dotations ;

- Le régime des données personnelles.

Or, tant que les tirages au sort ne contredisent pas ces articles, il n'est pas demandé au professionnel de joindre un quelconque règlement supplémentaire (le dépôt d'un règlement chez un huissier de justice étant facultatif depuis 2014, à la suite de l'abrogation de l'article L. 121-38 du code de la consommation). En complément, il est proposé de renvoyer à un arrêté ministériel, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), le soin de définir les procédés techniques, garantissant la confidentialité et la sécurité des données, qui peuvent être mis en oeuvre par les professionnels.

Également, pour garantir au consommateur une chance équitable de remporter la récompense promise, il est nécessaire d'exiger du professionnel un règlement en bonne et due forme, qui détaille les modalités du tirage au sort. C'est ce que propose l'article 2.

Les insuffisances actuelles (dépôt de règlement, manque de définition et de cadre juridique clair...) entraînent un manquement formel en termes de conditions juridiques des éléments d'un tirage (exhaustivité, neutralité, aléa et reproductibilité). Autrement dit, il revient à la figure professionnelle d'effectuer arbitrairement son tirage au sort, faussant le principe même de l'aléa, pourtant obligatoire à la légalité de l'acte, ce qui pose de sérieux problèmes d'équité. Si le professionnel décide d'effectuer son tirage lui-même, il peut le faire par exemple en visitant la section “commentaires” de sa publication promotionnelle et en sélectionnant lui-même un gagnant ; voire en faisant, consciemment ou non, gagner un individu particulier. Ces deux situations ne contredisent pas la légalité de la pratique commerciale, mais contreviennent au règlement des loteries. Pour s'assurer de la conformité du tirage au sort aux lois équitables de probabilité, l'article 3 vise à imposer aux professionnels de communiquer la méthode de tirage, garantissant équité et transparence vis-à-vis des consommateurs.

Qui plus est, l'imprécision du cadre juridique actuel empêche une définition claire des acteurs du marché, dans la mesure où n'importe quel acteur professionnel peut organiser son propre tirage au sort en ligne, réduisant la possibilité d'un contrôle efficace de ces pratiques commerciales. Ainsi, l'extension du périmètre d'intervention de l'Autorité Nationale des Jeux (ANJ) au secteur des loteries et jeux-concours en ligne, telle que définie à l'article 4, représente une avancée significative vers une régulation plus stricte et cohérente de ces activités. Cette initiative vise à combler les lacunes actuelles en matière de contrôle et de conformité, en permettant à l'ANJ d'exercer ses fonctions de régulation, de contrôle technique et financier, ainsi que de délivrance de licences. Ce cadre renforcé devrait garantir non seulement la légalité des opérations, mais aussi assurer la transparence et l'équité pour tous les participants. En effet, en ayant accès aux données nécessaires et en imposant des normes rigoureuses, l'ANJ pourra superviser efficacement les tirages au sort en ligne, assurant ainsi une meilleure protection des consommateurs et une prévention contre les pratiques commerciales déloyales.

Enfin, l'article 5 vise à valoriser l'implication des professionnels dans la création d'un espace numérique plus sain, via la création d'un label, certifiant leur engagement. Plus de 81 % des Français s'estiment favorables à la création d'un tel label par les pouvoirs publics. Il permettra aux consommateurs de repérer plus facilement les professionnels qui s'engagent à respecter les principes d'équité lors de leurs tirages au sort. Les acteurs labellisés doivent en échange s'engager à appliquer une méthode de randomisation transparente, une politique RSE (responsabilité sociétale des entreprises) et une gestion des litiges effectives en cas de réclamation de la part du consommateur.

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