EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La récente nomination de Richard Ferrand à la présidence du Conseil constitutionnel pose à nouveau la question des pouvoirs du Parlement sur les nominations de la compétence du président de la République. Cette proposition de loi constitutionnelle reprend celle déposée à l'Assemblée nationale par Olivier Faure, député socialiste de Seine-et-Marne, en juillet 2023.
La rédaction initiale de l'article 13 de la Constitution du 4 octobre 1958 sur le pouvoir de nomination aux emplois civils et militaires du président de la République ne comportait pas de réelle limitation à celui-ci si l'on excepte l'exigence formelle de contreseing et, pour une partie seulement des nominations, celle du passage en conseil des ministres.
Ce n'est qu'avec la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, fruit des propositions de la commission dite « Balladur », qu'est apparu un début, si ce n'est de limitation, du moins de contrôle de la part du Parlement par l'ajout d'un dernier alinéa à l'article 13.
Encore faut-il mentionner que le dispositif ne figurait pas sous cette forme dans le projet de loi constitutionnelle initial qui était infiniment plus timide. Il a été modifié par amendement de la commission des lois lors de la discussion à l'Assemblée nationale avec l'introduction d'un avis public de la réunion des commissions compétentes de chaque assemblée et un veto de celles-ci empêchant la nomination, fixé à trois cinquièmes des suffrages exprimés (cf. rapport n° 892 du 15 mai 2008 de M. Jean-Luc Warsmann, député, sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Vème République p. 146 à 148). Il est apparu, en effet, légitime de donner au Parlement le pouvoir de se prononcer sur des emplois ou des fonctions qui intéressent les libertés publiques ou la vie économique et sociale de la Nation. Le processus a été complété et modifié par le Sénat (cf. rapport n° 387 du 11 juin 2008 de M. Jean-Jacques Hyest, sénateur, sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Vème République) avec l'exigence de l'audition du candidat et celle d'un vote séparé de chaque commission. Ce sont donc bien les initiatives des deux chambres du Parlement qui ont tendu à accroître le contrôle du Parlement sur certaines nominations effectuées par le président de la République.
Dans sa version actuelle, le cinquième et dernier alinéa de l'article 13 de la Constitution dispose que, s'agissant des emplois ou fonctions fixés par une loi organique du fait de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation : « le pouvoir de nomination du président de la République s'exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Le président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions », une loi ordinaire déterminant les commissions permanentes concernées.
À l'époque, ce dispositif apparaissait comme un progrès en matière de transparence et de contrôle de l'exécutif.
Ainsi pensait le constitutionnaliste Dominique Rousseau dans le n° 361 de janvier 2008 de la Revue Administrative (p. 43) :
« Il sera toujours difficile de confirmer la nomination d'un candidat qui, après une audition publique “compliquée”, aura reçu un avis négatif. Ce pouvoir de contrôle parlementaire est donc réel et redoutable s'il se développe sur le modèle des auditions publiques du Congrès américain devant lesquelles nombre de propositions présidentielles échouent. »
Nous bénéficions, désormais, d'un recul de près de 17 ans et force est de constater que, si les cas où les votes négatifs additionnés sont majoritaires pour une nomination - sans aller jusqu'aux trois cinquièmes des suffrages exprimés - sont peu nombreux, contrairement à ce que pronostiquait Dominique Rousseau, ils n'ont nullement empêché le président de la République de confirmer son choix et de nommer la personne.
Trois exemples peuvent être donnés. Le premier est celui d'Emmanuelle Wargon, ancienne ministre déléguée au logement d'Emmanuel Macron, qui, juste après son échec aux élections législatives de 2022, fut annoncée par la présidence de la République, le 21 juillet de cette même année, pour la présidence de la CRE (Commission de Régulation de l'Energie). Effectivement après des auditions « compliquées » par les commissions compétentes de chaque assemblée, elle obtient 30 voix pour et 28 contre sur 58 suffrages exprimés à l'Assemblée nationale et 13 voix pour et 20 voix contre au Sénat, soit 33 suffrages exprimés, et donc, au total, pour se conformer au mode de calcul indiqué par la Constitution, 48 voix contre face à 43 pour sur un total de 91 suffrages exprimés. Et, malgré le désaveu de la représentation nationale, elle fut quand même nommée à la présidence de la CRE dont personne ne niera l'importance, surtout en cette période difficile pour la vie économique et sociale de la Nation.
Mais son cas n'est pas unique. On peut encore citer celui de M. Bertrand Munch pour l'administration générale de l'Office National des Forêts (ONF) dans un contexte de crise de cette administration, qui, le 11 décembre 2019, obtient 21 voix pour et 8 voix contre à l'Assemblée nationale, soit 29 suffrages exprimés, et 26 contre et seulement 3 pour au Sénat soit 29 suffrages exprimés, soit au total, sur 58 suffrages exprimés, 24 pour et 34 contre ce qui ne l'empêcha pas, lui non plus, d'être nommé, ce qui apparaît démocratiquement choquant.
Le dernier exemple n'est pas mineur et date du 19 février 2025. Il concerne Richard Ferrand qui a accédé à la présidence du Conseil constitutionnel à une voix près et grâce à l'abstention bienveillante du Rassemblement national qui vient entacher la garantie d'indépendance indispensable à cette institution. À l'Assemblée nationale, il obtient 25 voix pour et 32 voix contre sur 57 voix exprimées (et 72 votants). Au Sénat, il atteindra les 14 voix pour et 26 voix contre sur 40 exprimés (et 44 votants). Ainsi, pour un total de 116 votants, sur les 97 suffrages exprimés, il obtient 39 voix pour et 58 voix contre.
La menace qui pèse sur l'État de droit aujourd'hui nécessite - plus que jamais - que le Conseil constitutionnel soit au-dessus de tout soupçon. Il est évident que le résultat de ce vote, sans parler de discrédit, l'affaiblit considérablement.
La rédaction actuelle du dernier alinéa de l'article 13 n'est donc pas satisfaisante puisque le président de la République peut quand même nommer, malgré le désaveu de la représentation nationale à leur égard, des personnes à des postes importants non seulement pour la vie économique et sociale de la Nation mais aussi pour la garantie des droits et libertés. Cela n'est pas acceptable.
Mais par quoi la remplacer ? Le dispositif devra concilier deux exigences : d'une part, celle de ne pas empêcher le président de la République de pouvoir mettre en oeuvre la politique pour laquelle il a été élu en lui permettant de nommer des personnes qu'il estime idoines à des fonctions précises et d'autre part, celle de permettre au Parlement d'accomplir sa fonction de contrôle en toute transparence pour s'assurer de la compétence, de la valeur professionnelle et de l'absence de conflits d'intérêt chez la personne pressentie, ce qui apparaît comme une exigence démocratique.
Il ne s'agit pas de pousser aussi loin le sérieux de l'examen des candidatures tel que le pratique le seul Sénat américain concernant les propositions du Président des États-Unis pour les futurs juges à la Cour Suprême depuis l'entrée en vigueur, le 1er janvier 1789, de la Constitution américaine, car le Sénat américain doit non seulement formuler une appréciation mais aussi consentir à une nomination à vie. La non-confirmation s'est, d'ailleurs, produite à une dizaine de reprises dans l'histoire institutionnelle américaine dont celle de Robert Bork, libertarien nommé par Ronald Reagan, après des débats houleux, une trentaine d'heures de questions et l'avis défavorable de la commission des affaires judiciaires chargée d'instruire et présidée à l'époque par le sénateur Joe Biden. La nomination de Bork avait été rejetée par la chambre entière par un vote de 58 voix contre et 42 pour.
La procédure est longue - elle peut durer plusieurs mois - et approfondie. La commission des affaires judiciaires y joue un rôle primordial d'investigation avec un questionnaire du candidat rendu public - alors que l'enquête du FBI reste confidentielle - et des auditions publiques depuis 1946 et télévisées depuis 1981. Tous les débats sont enregistrés et sont recueillis des témoignages de personnalités, d'associations et de groupes de pressions en faveur ou contre le ou la candidate. Après cet important travail d'investigation, la commission des affaires judiciaires délibère et rend un avis ainsi qu'un rapport transmis dans la semaine à chaque membre du Sénat qui procède ensuite au vote en chambre entière avec certes des majorités de plus en plus courtes - puisque la majorité qualifiée n'est plus requise depuis 2017 - mais des majorités quand même (Justice Gorsuch en 2017 : 54-45, Justice Kavanaugh en 2018 : 50-48, Justice Coney Barrett en 2020 : 51-48). Compte tenu de la nécessité d'obtenir la majorité requise pour que la nomination soit confirmée, certains présidents ont été contraints par le passé de demander à leurs candidats de renoncer, comme Reagan à l'égard du juge Douglas Ginsburg, en 1987, ou George W. Bush à l'égard d'Harriet Miers, ces nominations étant fortement contestées dans l'opinion, attitude dont le président Macron aurait pu s'inspirer.
La procédure à mettre en oeuvre doit donc rester compatible avec l'efficacité attendue de la part d'un décideur public et il est vrai que le Sénat américain procède plus rapidement pour la confirmation des hauts fonctionnaires et autres « officers » de sa compétence.
Car il n'est pas question de créer un pouvoir d'empêcher pour le Parlement en exigeant une majorité positive difficilement atteignable comme celle de deux-tiers qui existe, par exemple, pour le choix des membres de la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe conformément à la Loi fondamentale de l'Allemagne de 1949. La comparaison n'est, en effet, pas pertinente puisque l'exécutif, qu'il s'agisse du Chancelier ou du président de la République fédérale, n'a aucune part dans leur nomination. C'est, en effet, une compétence exclusive des deux chambres, Bundestag et Bundesrat, qui désignent les 16 juges constitutionnels - 8 par chambre - pour 12 ans et selon des critères de compétences stricts - d'une manière d'ailleurs différente.
Il s'agit, bien au contraire, d'une manière simple et efficace, en requérant pour une nomination une majorité positive des suffrages exprimés par les commissions compétentes, d'approfondir la voie dans laquelle la France s'est engagée, celle de la transparence et du rééquilibrage des pouvoirs, et d'améliorer le pouvoir de contrôle du Parlement sans empêcher l'exécutif d'agir.
Dans la mesure où la présente proposition de loi constitutionnelle ne fait que modifier la majorité requise au cinquième et dernier alinéa de l'article 13 de la Constitution, elle ne requiert, pour l'appliquer, ni proposition de loi organique ni proposition de loi ordinaire.
L'objet de cette proposition de loi constitutionnelle est donc de remplacer la rédaction actuelle de la deuxième phrase du dernier alinéa de l'article 13 de la Constitution, qui ne fait que donner un seuil de récusation très difficile à atteindre, par une autre qui impose une majorité positive en faveur de la nomination d'une personne désignée à des fonctions nationales importantes, en additionnant les suffrages exprimés au sein des deux commissions compétentes.