EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le rapport d'information de la Délégation à la prospective sur l'exploitation des ressources spatiales1(*) concluait à l'importance pour la France et l'Europe de se saisir de la question stratégique du développement d'activités en lien avec les richesses naturelles présentes dans l'espace. Dans un contexte d'émergence rapide de nouveaux usages de l'espace, il insistait sur la nécessité de définir une stratégie européenne des ressources spatiales tout en adaptant le cadre juridique national et européen.

La Commission européenne travaille actuellement à l'élaboration d'une « loi spatiale » qui a pris du retard mais devrait aboutir dans le courant de l'année 2025. Son objectif est de renforcer la place du secteur spatial européen dans un univers largement dominé par la rivalité entre les États-Unis et la Chine.

À l'échelle nationale, une révision de la loi sur les opérations spatiales (LOS) de 2008 permettrait d'envoyer un signal au législateur européen tout en fixant des principes pour permettre l'exploitation commerciale des ressources spatiales.

À cet effet, la proposition de loi instaure deux régimes d'autorisation aux fins d'explorer et d'utiliser les ressources extra-atmosphériques.

La loi n°2008-518 sur les opérations spatiales (LOS) a en effet institué un régime d'autorisation préalable pour les opérations spatiales définies comme « toute activité consistant à lancer ou tenter de lancer un objet dans l'espace extra-atmosphérique ». La proposition de loi introduit deux nouveaux régimes d'autorisation, pour les missions d'exploration et pour l'utilisation des ressources. Ils seraient sollicités par les opérateurs utilisant les infrastructures spatiales françaises ou par les clients des opérateurs lorsque ces derniers utilisent ces infrastructures.

À cette fin et à l'image de ce qui est prévu par la loi luxembourgeoise du 20 juillet 20172(*), la proposition de loi retient la notion d'« utilisation » des corps célestes préférée à celle d'« exploitation ». D'une part en effet, cette notion d'« utilisation » éloigne la crainte de l'appropriation, en désignant un simple droit d'usage ; d'autre part, l'« exploitation » renvoie à l'idée d'une utilisation à grande échelle des ressources spatiales, alors que le modèle économique associé reste à construire.

Le texte est constitué de 11 articles, modifiant les dispositions de la LOS pour insérer ces deux nouveaux régimes d'autorisation, pouvant être obtenus lorsque l'opération spatiale est prolongée par une mission d'exploration ou d'utilisation des ressources extra-atmosphériques.

L'article 1er a pour objet de compléter les définitions figurant aujourd'hui à l'article 1er de la LOS, afin de :

- préciser que la notion de « dommage » peut renvoyer aux atteintes causées par un objet spatial3(*) lors d'une mission d'exploration ou d'utilisation de l'espace extra-atmosphérique (et non pas exclusivement dans le cadre du lancement d'objets spatiaux) ;

- définir l'« exploitant », entendu comme toute personne physique ou morale conduisant une mission d'exploration des ressources extra-atmosphériques à des fins commerciales, ou une mission d'exploration de ces ressources ;

- ajouter trois définitions pour qualifier les « ressources de l'espace extra-atmosphériques », les « missions d'utilisation des ressources extra-atmosphériques » et les « missions d'exploration » de ces mêmes ressources.

La définition proposée pour les « ressources de l'espace extra-atmosphérique » est inspirée du chapitre 513 du United States Code, relatif aux programmes spatiaux nationaux et commerciaux4(*). Les ressources considérées peuvent être présentes dans les sous-sols ou sur le sol de tout corps céleste, y compris des astéroïdes . Susceptibles d'être présentes sous formes solide, liquide ou gazeuse, ces ressources peuvent être utilisées in situ, dans le cadre de missions spatiales, ou être extraites à des fins commerciales.

L'article 2 pose le principe de l'obtention d'une autorisation préalable de l'autorité administrative pour les missions d'exploration ou d'utilisation des ressources extra-atmosphériques à partir du lancement d'un objet spatial depuis le territoire national, de moyens ou d'installations placés sous juridiction française ou qui entend procéder au retour d'un tel objet sur le territoire national, sur des moyens ou des installations placés sous juridiction française.

L'article 3 précise les conditions de délivrance des autorisations et des licences.

Il s'agit notamment de prévoir :

- la vérification, par l'autorité administrative compétente, des garanties de solidité financière, morale et professionnelle (1°) ;

- la vérification de la bonne prise en compte de l'intérêt de la sécurité des personnes et des biens, de la protection de la santé publique et de l'environnement (1°) ;

- des exigences de protection de la défense nationale similaires à celles prévues aujourd'hui pour les opérations spatiales (2° et 3°).

À cette fin, l'article 3 modifie l'article 4 de la LOS. Les conditions d'application de l'article 4 de la LOS sont elles-mêmes fixées par décret en Conseil d'État : ce dernier devra donc préciser les conditions applicables aux missions d'exploration et d'utilisation des ressources spatiales (4°).

Pour mieux tenir compte de l'impact environnemental potentiel des missions d'exploration et d'utilisation des ressources, pour les milieux d'extraction comme pour le milieu terrestre lors du retour des matières extraites, l'article 4 prévoit que les autorisations pourront être assorties de prescriptions.

Ces prescriptions seraient édictées « aux fins de préserver l'équilibre du milieu extra-atmosphérique, de ne pas lui faire subir de transformations nocives, tout en prévenant la contamination dangereuse du milieu terrestre par l'apport de matière extraterrestre ».

La formulation proposée s'inspire de la rédaction de l'article IX du Traité sur l'Espace, qui précise que : « [l]es États parties au Traité effectueront l'étude de l'espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, et procèderont à leur exploration de manière à éviter les effets préjudiciables de leur contamination ainsi que les modifications nocives du milieu terrestre résultant de l'introduction de substances extraterrestres et, en cas de besoin, ils prendront les mesures appropriées à cette fin ».

Aux fins d'assurer un contrôle suffisant sur les autorisations délivrées, et sur le modèle de la loi luxembourgeoise, l'article 5 de la proposition de loi interdit la cession de l'autorisation d'exploration ou d'utilisation des ressources atmosphériques. Par ailleurs, l'autorisation sera retirée si l'exploitant n'en fait pas usage dans un délai de trente-six mois à partir de son octroi, y renonce ou cesse d'exercer son activité, traduisant ainsi le caractère nécessairement temporaire d'un permis d'exploration ou d'utilisation des ressources.

L'article 6 de la LOS prévoit que les opérateurs spatiaux doivent être couverts par une assurance ou disposer de garanties financières agréées par l'autorité administrative procédant aux contrôles (dans ce second cas, dans les conditions prévues par décret en Conseil d'État). L'article 6 de la proposition de loi instaure des obligations similaires pour les exploitants souhaitant conduire une mission d'exploration ou d'utilisation des ressources de l'espace extra-atmosphérique.

Le respect de leurs obligations par les titulaires d'autorisation et de licence est encadré par la LOS, dont l'article 7 prévoit notamment les modalités de contrôle et la liste des agents habilités à y procéder. Dans le même esprit, l'article 7 de la proposition de loi permet aux autorités compétentes de procéder aux contrôles nécessaires en vue de vérifier le respect des obligations dans le cadre des deux nouvelles autorisations.

La proposition de loi prévoit que le régime des sanctions administratives et pénales prévu par la LOS pour les opérateurs spatiaux dans le cadre de leurs opérations spatiales s'applique également à ceux qui conduisent des missions d'exploration ou d'utilisation des ressources. Ainsi, l'article 8 prévoit une amende, d'un montant similaire à celle prévue pour les opérateurs spatiaux ne respectant pas leurs obligations dans le cadre des opérations spatiales (soit 200 000 euros) :

- en cas de conduite sans autorisation préalable d'une mission d'exploration ou d'utilisation des ressources extra-atmosphériques (2°, a)) ;

- en cas de transfert à un tiers de l'autorisation obtenue pour mener la mission (2°, b)) ;

- en cas de poursuite de la mission en dépit d'une mesure d'arrêt ou de suspension, de refus de se conformer aux mises en demeure pour respecter une prescription de l'autorité administrative compétente (2°, c)) ;

- ou en cas d'obstacle aux contrôles prévus à l'article 7 de la LOS (2° d).

L'article prévoit également la possibilité de suspendre ou de retirer les autorisations délivrées lorsque les missions d'exploration ou d'utilisation des ressources sont susceptibles de compromettre les intérêts de la défense nationale (1°).

À l'instar des dispositions prévues dans le cadre de la conduite des opérations spatiales, l'article 9 instaure des dérogations pour l'obtention d'une autorisation dans le cadre de programmes d'intérêt national conduits par le CNES ou par l'État dans l'intérêt de la défense nationale. Certaines missions d'exploration et d'utilisation des ressources pourraient effectivement présenter un intérêt national, les matériaux extraits pouvant avoir vocation à être utilisés dans des processus stratégiques de fabrication industrielle.

Pour les opérations spatiales, la LOS précise les conditions d'engagement de la responsabilité des opérateurs à l'égard des tiers et des personnes participant à l'opération spatiale. Elle permet aussi à l'État d'exercer une action récursoire contre l'opérateur à l'origine du dommage devant faire l'objet d'une réparation par la France sur le fondement de la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux5(*).

En s'inspirant des dispositions de la loi luxembourgeoise, l'article 10 de la proposition de loi introduit une disposition posant la responsabilité de l'opérateur ou de son client ayant obtenu une autorisation en cas de dommages causés à l'occasion de la mission, y compris à l'occasion de la préparation de celle-ci.

L'article 10 précise également qu'il est dérogé aux conditions d'engagement de la responsabilité de l'opérateur ou de son client lorsque la mission d'exploration ou d'utilisation des ressources est menée pour le compte de l'État dans l'intérêt de la défense nationale, comme c'est déjà le cas pour les opérations spatiales.

L'article 11 de la proposition de loi prévoit, par cohérence avec les modifications apportées au texte de la LOS, d'en modifier le titre : la « loi sur les opérations spatiales » deviendrait « loi relative aux opérations spatiales, à l'exploration et à l'utilisation des ressources extra-atmosphériques ».

* 1 Rapport d'information n° 668 (2022-2023) de Christine Lavarde et Vanina Paoli-Gagin au nom de la Délégation sénatoriale à la prospective.

* 2 Le régime prévu par la loi luxembourgeoise du 20 juillet 2017 s'inspire de la procédure d'agrément prévue pour les établissements de crédit au Luxembourg, dans une loi du 5 avril 1993 relative au secteur financier.

* 3 Un objet spatial désigne un « objet introduit par l'homme dans l'espace extra-atmosphérique », ce qui pourrait renvoyer aussi bien à des vaisseaux spatiaux utilisés pour des missions d'exploration qu'à toute infrastructure nécessaire pour extraire et utiliser les ressources extra-atmosphériques.

* 4 Titre 51, sous-titre V du chapitre 513 du United States Code, § 51301.

* 5 Conformément à la convention du 29 mars 1972 sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par les objets spatiaux, les États ayant autorisé le lancement, ou sur le registre duquel se trouve l'objet spatial, supportent la responsabilité internationale des activités entreprises dans l'espace, que ces activités soient le fait d'organismes gouvernementaux ou d'entités non gouvernementales.

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