EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Chaque année, des millions de tonnes de nourriture sont gaspillées en France, alors même qu'une partie de la population peine à se nourrir convenablement. Cette aberration, tout à la fois éthique, sociale et économique, exige une mobilisation renouvelée contre le gaspillage alimentaire.

Aux termes de l'article L. 541-15-1 du code de l'environnement issu de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, le gaspillage alimentaire se définit comme « toute nourriture destinée à la consommation humaine qui, à une étape de la chaîne alimentaire, est perdue, jetée ou dégradée ».

À l'échelle mondiale, l'équivalent d'un milliard de repas aurait été gaspillé chaque jour en 2022, selon un rapport du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE). Un gâchis que la directrice du PNUE1(*) qualifie de « tragédie mondiale ».

En France, selon les données du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, le gaspillage alimentaire représentait 4,3 millions de tonnes de denrées en 2022.

L'inquiétante progression de la précarité alimentaire - qui toucherait aujourd'hui 16 % de la population française2(*) - rend plus inadmissible encore le fait de jeter des aliments comestibles. Pour l'année 2023, il est estimé que 2 à 3 millions3(*) de personnes ont bénéficié de l'aide alimentaire distribuée par les associations.

Cette évolution est étroitement liée au contexte d'inflation alimentaire. Après une hausse des prix de 11 % en 2022, l'Observatoire publié par Familles rurales a enregistré une nouvelle hausse des prix de 16 % pour les fruits et légumes en 2023.

Par ailleurs, selon l'Observatoire des Vulnérabilités Alimentaires créé par la Fondation Nestlé, 37 % des Français se déclaraient en insécurité alimentaire en 2023, contre 11 % en 2015. Cette étude révèle aussi que les jeunes de 18-24 ans sont particulièrement touchés, de même que les femmes, les personnes seules et les familles monoparentales4(*)

Avec un coût estimé à 16 milliards d'euros par an en France et 1 000 milliards de dollars pour l'économie mondiale5(*), le gaspillage alimentaire a des conséquences qui ne sont pas négligeables sur le plan économique.

Enfin, son coût environnemental est particulièrement important puisqu'il représente 8 à 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre6(*). D'après le Waste and Resources Action Program (WRAP), s'il était considéré comme un pays, le gaspillage alimentaire serait le « troisième plus grand pays émetteur de gaz à effet de serre derrière les États-Unis et la Chine ». En France, l'Agence de la transition écologique (ADEME) évalue cet impact à 15,3 millions de tonnes équivalent CO2, soit 3 % de l'ensemble de nos émissions7(*).

La lutte contre le gaspillage alimentaire est donc un défi éthique, écologique, social et économique de premier ordre pour notre société. Depuis la signature du Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire en 2013, la France s'est résolument emparée de ce sujet en renforçant son arsenal législatif afin de sensibiliser et d'impliquer tous les acteurs de la chaîne alimentaire dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, notamment par la pratique des dons alimentaires qui constitue un levier essentiel de lutte contre la précarité.

Ainsi, au gré des lois successives adoptées ces dix dernières années, la liste des acteurs concernés par l'obligation de conclure des conventions de dons alimentaires avec des associations n'a cessé de s'allonger. Initialement appliquée aux distributeurs possédant une surface de vente supérieure à 400 m², cette obligation a été élargie aux opérateurs de la restauration collective servant plus de 3 000 repas par jour ainsi qu'aux opérateurs de l'industrie agroalimentaire et du commerce de gros dont le chiffre d'affaires est supérieur à 50 millions d'euros annuels.

Parallèlement, le monde associatif, les collectivités, mais aussi des entreprises et des acteurs du secteur alimentaire, se sont également engagés dans le développement d'initiatives vertueuses destinées à réduire le gaspillage. Tel est par exemple le cas de la ville de Courbevoie, dans les Hauts-de-Seine, où sous l'impulsion d'Arash Derambarsh, maire-adjoint, une Charte d'engagement contre le gaspillage alimentaire signée avec les acteurs locaux a permis de sauver et de redistribuer 400 000 repas en quatre ans. En 2024, cette démarche volontariste a valu à Courbevoie d'être la première ville française obtenir le label « ville verte » décerné par l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), l'agence spécialisée de l'Organisation des Nations unies (ONU)8(*).

Malgré une prise de conscience réelle à tous les niveaux depuis 2013, faute d'outils et d'indicateurs, il n'a pas été possible d'évaluer précisément le volume des gisements de gaspillage alimentaire et leur évolution. L'objectif assigné par la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) du 20 février 2020, proclamant un objectif de réduction de 50 % du gaspillage alimentaire d'ici 2025 par rapport à 2015, s'est, par voie de conséquence, révélé inopérant.

Pour autant, l'horizon 2025 n'en constitue pas moins une date charnière dans la lutte contre ce fléau. Le volume de 4,3 millions de tonnes de denrées gaspillées, mesuré en 2022, demeure alarmant au regard des enjeux de précarité alimentaire auxquels notre pays est confronté. Ce chiffre met en lumière le contraste entre les ambitions affichées et les actions concrètes, rappelant l'urgence d'intensifier nos efforts pour réduire le gaspillage tout en assurant une meilleure redistribution des ressources alimentaires aux populations vulnérables.

À l'origine de plus d'un tiers du gaspillage alimentaire, l'industrie agroalimentaire, la distribution et la consommation hors domicile représentent encore un gisement considérable de denrées alimentaires qu'il conviendrait de valoriser afin de limiter les pertes, développer les dons et répondre aux besoins croissants d'aide alimentaire.

La présente loi entend agir plus précisément sur ce gisement en élargissant le périmètre des acteurs concernés, en renforçant l'obligation faite à ces acteurs de communiquer annuellement leurs données sur les denrées gaspillées ainsi qu'en durcissant les sanctions applicables aux entreprises qui les rendraient impropres à la consommation.

L'article 1er étend le champ d'application de l'obligation faite aux commerces et opérateurs de proposer des conventions de don de leurs invendus à des associations d'aide alimentaire afin de lutter contre le gaspillage. D'une part, en abaissant de 400 m2 à 200 m2 le seuil des commerces concernés par ladite obligation, ce qui permettrait d'intégrer les quelques 5 000 commerces de proximité dans le champ d'application de la loi. D'autre part, en incluant les opérateurs de commerce de gros alimentaire dont le chiffre d'affaires annuel est supérieur à 25 millions d'euros, les opérateurs de l'industrie agroalimentaire dont le chiffre d'affaires est supérieur à 25 millions d'euros et les opérateurs de la restauration collective dont le nombre de repas préparés est supérieur à 2 000 repas par jour dans ce dispositif. Cet article prévoit la remise d'un document récapitulatif des dons effectués par ces opérateurs au plus tard le 1er février de chaque année. Celui-ci devra être transmis aux services de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF). Le Gouvernement devra par ailleurs remettre, dans un délai de douze mois, un rapport sur la qualité et la conformité des dons aux associations.

L'article 2 tire les conséquences des insuffisances dans l'application de la loi en renforçant son contrôle. En effet, l'enquête de la DGCCRF menée tout au long de l'année 2021 a donné lieu à 345 établissements visités, 66 avertissements, 2 injonctions. Le taux d'établissements en anomalie est de 20,87 %. Les anomalies constatées sont l'absence de proposition de convention, des conventions non signées ou ne respectant pas le formalisme prévu9(*). Les opérateurs concernés devront également établir un bilan chiffré et exhaustif, sur une base annuelle, des quantités de denrées alimentaires gaspillées.

L'article 3 durcit les sanctions envers les entreprises qui rendraient les denrées alimentaires impropres à la consommation en remplaçant l'amende forfaitaire fixée à 0,1 % maximum par une amende comprise entre 0,1 % et 0,5 % du chiffre d'affaires. L'objectif est de lutter contre la tendance à la baisse des dons au sein de la grande distribution, déplorée par de nombreuses associations10(*).

L'article 4 constitue le gage financier de cette proposition de loi.

* 1 ONU, « Rapport de l'ONU sur l'indice de gaspillage alimentaire : le monde gaspille plus d'un milliard de repas par jour », Programme de l'ONU pour l'environnement, 27 mars 2024.

* 2 Marianne Bléhaut, Mathilde Gressier, Antoine Bernard de Raymond, « La débrouille des personnes qui ne mangent pas toujours à leur faim », Crédoc, septembre 2023.

* 3 Étude de la Banque alimentaire : « Profils » qui sont les personnes accueillies à l'aide alimentaire ?

* 4 Fondation Nestlé France, « 1er observatoire des Vulnérabilités alimentaires », 16 novembre 2023.

* 5 Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Gaspillage alimentaire, 12 juin 2024.

* 6 ONU, op. cit..

* 7 « État des lieux des masses de gaspillages alimentaires et de sa gestion aux différentes étapes de la chaîne alimentaire », ADEME, mai 2016.

* 8 Louise Simondet, «  Lutte contre le gaspillage alimentaire : la ville de Courbevoie récompensée par les Nations Unies », France 3 Paris-Île-de-France, 25 octobre 2024.

* 9 Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, «  Professionnels : comment éviter le gaspillage alimentaire ».

* 10 Dans leur rapport d'activité de 2023, l'association ANDES relève par exemple que la part des dons de la grande distribution dans l'approvisionnement des épiceries solidaires a chuté, passant de 35% en 2022 à 22% en 2023.

Partager cette page