EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Après les élections européennes de juin dernier, un nouveau cycle institutionnel débute pour l'Union européenne (UE). La composition de la nouvelle Commission européenne n'est pas allée sans quelques turbulences pour notre pays. Le 16 septembre 2024, le commissaire européen français Thierry Breton, que le Président de la République a pourtant désigné dès juillet 2024 comme candidat français au nouveau collège de commissaires européens à constituer, annonçait in extremis qu'il ne ferait pas partie de ce nouveau collège. En moins de vingt-quatre heures, le Président de la République proposait la candidature de Stéphane Séjourné, alors ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Cette annonce soudaine a pris tout le monde de court et n'a donné lieu à aucune concertation.

Si les États membres disposent d'une grande liberté dans les modalités de désignation des candidats appelés à siéger dans les institutions européennes, la France gagnerait certainement, dans un souci de transparence démocratique, à s'inspirer des pratiques en vigueur dans d'autres pays.

Dès avant le remplacement in extremis du candidat français au poste de commissaire européen intervenu en septembre dernier, le Président de la commission des affaires européennes du Sénat avait déjà fait savoir1(*) qu'il lui semblerait opportun, pour consolider l'influence européenne du Parlement national dans le jeu institutionnel européen, de prévoir la consultation des commissions des affaires européennes des deux chambres du Parlement sur le nom du commissaire européen français dont le Président de la République propose la nomination, en s'inspirant de la procédure prévue par l'article 13 de la Constitution2(*) qui soumet, pour certains emplois ou fonctions, l'exercice par le Président de la République de son pouvoir de nomination à l'avis public des commissions permanentes compétentes du Parlement. En l'occurrence, s'agissant du commissaire européen, il ne s'agit pas à proprement parler d'une nomination mais d'une proposition de nomination émanant de chaque État membre : en effet, aux termes de l'article 17 du traité sur l'UE, les commissaires sont proposés par le Conseil de l'UE - où siègent les États membres -, en accord avec le président élu de la Commission ; la liste des commissaires est ensuite adoptée par le Conseil à la majorité qualifiée et le collège ainsi constitué fait l'objet d'un vote d'approbation au Parlement européen, après audition des candidats devant les commissions parlementaires concernées. Mais le traité est silencieux sur le rôle que les parlements nationaux peuvent tenir dans cette procédure.

Le renforcement du rôle des parlements nationaux dans le jeu institutionnel européen est un enjeu important pour la démocratisation de la construction européenne tant il semble indispensable pour rapprocher l'UE de ses citoyens. C'est à ce titre que, lors de la présidence française du Conseil de l'UE, le Sénat avait obtenu la création, au sein de la Conférence des organes parlementaires spécialisés dans les affaires de l'Union (« COSAC ») - lieu d'expression collective des parlements nationaux puisqu'elle rassemble des délégations des commissions des affaires européennes des 27 parlements nationaux et une délégation du Parlement européen -, d'un groupe de travail interne pour faire des recommandations en ce sens ; après un travail de plusieurs mois, mené par le Président de la commission des affaires européennes du Sénat, ce groupe de travail, composé d'une quarantaine de parlementaires de différents États membres, avait formalisé des conclusions, présentées dans un rapport3(*) rendu public en juin 2022.

Lors de sa LXXIIème réunion à Budapest fin octobre 2024, la COSAC les a largement endossées dans la contribution finale4(*) qu'elle a adoptée. C'est aussi à cette occasion qu'elle a examiné, dans son 42ème rapport semestriel5(*), les modalités d'association des parlements nationaux à la désignation des candidats à la Commission européenne, au Tribunal et à la Cour de justice de l'Union européenne, ainsi qu'à la Cour des comptes européenne.

Il en ressort que dix parlements nationaux participent au processus de désignation du commissaire européen. Une audition du candidat que le gouvernement envisage de proposer comme commissaire européen est organisée devant les commissions des affaires européennes des parlements de sept États membres (Croatie, Grèce, Hongrie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovénie). En Estonie et en Lituanie, cette audition a lieu en session plénière. En Autriche, une véritable négociation à huis clos est prévue entre les parlementaires de la « Commission principale » du Nationalrat et le gouvernement pour la désignation du commissaire européen, mais également pour les candidats aux postes à la Cour des comptes européenne, au Tribunal et à la Cour de justice de l'Union européenne.

Il apparaît de fait que neuf parlements nationaux participent aussi au processus de désignation du candidat à la Cour des comptes européenne. Dans six États membres (Croatie, Grèce, Hongrie, Pologne, Portugal, Slovénie), une audition a lieu devant la commission des affaires européennes. D'autres pratiques existent par ailleurs : au Danemark, par exemple, le Bureau du Folketing soumet une recommandation au gouvernement, après avis de la commission parlementaire du contrôle budgétaire.

Onze parlements nationaux participent au processus de nomination des candidats au Tribunal et à la Cour de justice de l'Union européenne. Dans sept cas sur onze, le débat a lieu devant la commission des affaires européennes de la chambre concernée. D'autres modalités peuvent être rencontrées : en Allemagne, une commission sur l'élection des juges - composée de 16 ministres d'État et de 16 membres élus par le Bundestag - procède ainsi à la sélection des juges au scrutin secret.

On observe que le contrôle sur les désignations des États membres peut être assorti d'un avis, rendu par les parlementaires nationaux à l'issue des auditions des candidats, dont la valeur est généralement consultative (par exemple en Croatie et en Slovénie) mais qui revêt parfois une valeur contraignante (ainsi pour la Lituanie).

Enfin, on peut relever, même si la Cour européenne des droits de l'homme n'est pas une institution de l'Union européenne, que l'ensemble des parlements nationaux participent, par le biais de leurs délégués à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE), à l'élection des juges à cette cour. Il convient en effet de rappeler qu'en application de l'article 22 de la Convention européenne des droits de l'homme, « les juges sont élus par l'Assemblée parlementaire au titre de chaque Haute Partie contractante, à la majorité des voix exprimées, sur une liste de trois candidats présentés par la Haute Partie contractante ». En pratique, c'est l'Assemblée parlementaire qui lance la procédure d'élection pour un État partie au Conseil de l'Europe, un an au moins avant l'expiration du mandat du juge siégeant au titre de cet État. Chaque gouvernement doit se conformer aux lignes directrices du Comité des Ministres6(*) concernant la sélection des candidats pour le poste de juge à la Cour européenne des droits de l'homme et consulter un panel consultatif d'experts7(*) avant toute transmission d'une liste de trois noms à l'APCE. Une commission spéciale de l'APCE - la commission sur l'élection des juges à la Cour européenne des droits de l'homme - évalue alors l'équité et la transparence de la procédure nationale suivie pour sélectionner les trois candidats, examine leurs CVs et les auditionne. Si elle considère que toutes les conditions sont réunies, la commission formule à l'intention de l'Assemblée une recommandation indiquant le candidat ou les candidats qu'elle considère comme le(s) plus qualifié(s). Dans le cas contraire, la Commission peut recommander qu'un État soit invité à soumettre une nouvelle liste. L'Assemblée parlementaire, au sein de laquelle la France compte 18 sièges de délégués titulaires - 12 députés et 6 sénateurs, sur un total de 306 membres titulaires -, élit alors le juge siégeant au titre de l'État concerné, dans le cadre d'une élection à bulletin secret. Un vote à la majorité absolue des voix est requis au premier tour de scrutin. En l'absence de majorité absolue, un second tour est organisé et le candidat qui recueille le plus grand nombre de voix est dûment élu à la fonction de juge à la Cour pour un mandat unique de neuf ans. Les parlementaires siégeant à l'APCE au titre des États parties à la Convention sont donc largement impliqués dans la procédure de composition de la Cour européenne des droits de l'homme.

Dans son rapport8(*) de mars 2022 relatif à la « judiciarisation de la vie publique », notre ancien collègue Philippe Bonnecarrère avait déjà recommandé d'organiser une audition des candidats aux fonctions de juge et d'avocat général à la Cour de justice de l'Union européenne par les commissions compétentes du Sénat et de l'Assemblée nationale, considérant que ce moment « constituerait une opportunité pour les candidats à ces fonctions, d'avoir un dialogue franc avec les parlementaires compétents et d'être “sensibilisés” aux priorités européennes du moment pour le Parlement ».

Le groupe de travail sénatorial sur la réforme des institutions, présidé par le Président Larcher, avait également, dans les propositions qu'il a formulées dans son rapport9(*) de mai 2024 pour redynamiser la démocratie, appelé à davantage associer le Parlement à la désignation des membres français des juridictions européennes : il proposait ainsi d'organiser, a minima, une audition par les commissions spécialisées des deux assemblées parlementaires des candidats présentés par la France aux postes de juges à la CEDH et à la CJUE.

La présente proposition de loi s'inscrit dans le prolongement de ces réflexions.

Afin de rapprocher la France des standards de ses partenaires, la présente proposition de loi vise donc à instaurer un droit de regard des parlementaires sur la nomination des membres désignés par la France pour siéger dans plusieurs institutions européennes : Commission européenne, Cour des comptes européenne, Tribunal et Cour de justice de l'Union européenne. Cette nouvelle procédure permettrait d'évaluer les qualifications et l'expérience du candidat au regard des fonctions qu'il est appelé à exercer, mais aussi d'éclairer la représentation nationale sur les orientations que le candidat entend soutenir s'il est confirmé dans ses fonctions.

À cette fin, la proposition de loi est constituée de trois articles.

L'article 1er prévoit une audition obligatoire, par la commission des affaires européennes de chaque assemblée du Parlement et ouverte aux membres de l'ensemble des commissions permanentes, du candidat national pressenti au poste de commissaire européen. Le dispositif prévoit :

- le caractère public de l'audition, sous réserve de la préservation du secret professionnel ou du secret de la défense nationale ;

- la tenue de l'audition au moins huit jours après que le nom du candidat dont la nomination est envisagée a été rendu public, afin de laisser aux parlementaires un temps suffisant pour préparer l'audition ;

- l'organisation, à l'issue de l'audition, d'un vote consultatif (avis simple) auquel prendraient part les parlementaires assistant à l'audition.

L'article 2 précise les modalités d'organisation d'une audition obligatoire du candidat national pressenti au poste de membre de la Cour des comptes européenne. Le dispositif prévoit que le candidat sera entendu par la commission des affaires européennes de chaque assemblée, dans le cadre d'une audition ouverte aux membres de sa commission des finances.

Le dispositif précise - comme pour l'article 1er - le caractère public de l'audition, sa tenue au moins huit jours après que le nom du candidat pressenti a été rendu public ainsi que l'organisation d'un vote non contraignant.

L'article 3 prévoit l'audition obligatoire des candidats aux fonctions de juge et d'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne et de juge du Tribunal de l'Union européenne. Les candidats à ces fonctions seraient entendus par la commission des affaires européennes de chaque assemblée, dans le cadre d'une audition ouverte aux membres de sa commission des lois. Le dispositif prévoit un avis simple sur les nominations envisagées à l'instar de la pratique qui a cours, par exemple, au Parlement portugais.

* 1 Il l'avait notamment indiqué à Mme Sylvie Vermeillet, Vice-Présidente du Sénat, au titre de la mission d'amélioration du travail parlementaire que le Président du Sénat lui avait confiée au début de l'année 2024.

* 2 « Le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en conseil des ministres.

« Il nomme aux emplois civils et militaires de l'État.

« Les conseillers d'État, le grand chancelier de la Légion d'honneur, les ambassadeurs et envoyés extraordinaires, les conseillers maîtres à la Cour des comptes, les préfets, les représentants de l'État dans les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 et en Nouvelle-Calédonie, les officiers généraux, les recteurs des académies, les directeurs des administrations centrales sont nommés en conseil des ministres. (...)

« Une loi organique détermine les emplois ou fonctions, autres que ceux mentionnés au troisième alinéa, pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s'exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. La loi détermine les commissions permanentes compétentes selon les emplois ou fonctions concernés. »

* 3 Accessible à partir de cette page : https://secure.ipex.eu/IPEXL-WEB/conferences/cosac/event/082d29087dc81513017dc927bc660033.

* 4 Accessible à partir de cette page : https://secure.ipex.eu/IPEXL-WEB/conferences/cosac/event/8a8629a88f136b77018f150403b40010.

* 5 Accessible à partir de la même page.

* 6 Document CM(2012)40-final, adopté le 28 mars 2012 par le Comité des Ministres à la 1138e réunion des Délégués des Ministres.

* 7 Résolution CM/Res(2010)26 du 10 novembre 2010.

* 8 https://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-592-notice.html.

* 9 https://www.senat.fr/salle-de-presse/dernieres-conferences-de-presse/page-de-detail-1/conclusions-du-groupe-de-travail-3011.html.

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