EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
En novembre 2012, le Parlement adoptait, sous l'impulsion du président de la République François Hollande, la loi relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer - la LREOM ou « Loi contre la vie chère ». Trois ans après la loi pour le développement économique des outre-mer adoptée à la suite des crises économique et sociale de 2009, la LREOM a marqué une véritable rupture en matière de lutte contre la vie chère qui sévit dans les outre-mer en s'attaquant non plus aux conséquences mais bien aux causes du mal qui ronge le pouvoir d'achat outre-mer par une démarche de régulation axée sur le long terme, à l'amont de la chaîne logistique, là où, à l'évidence, se situent les mécanismes de formation des prix excessifs outre-mer.
Cette loi de 2012 a ainsi permis la création de nouveaux outils de régulation permettant non plus seulement de réglementer les prix en aval mais d'intervenir en amont, sur les marchés de gros, pour permettre d'intensifier la concurrence : injonctions structurelles, réglementation des marchés de gros, interdiction des accords d'exclusivité d'importation et renforcement des pouvoirs de l'autorité de la concurrence dans les outre-mer. Par ailleurs, la LREOM a ouvert la mise en place de nouveaux mécanismes de modération négociée des prix à travers notamment la création du dispositif du « bouclier qualité prix » - BQP -. Enfin, cette loi a permis de renforcer la transparence sur la formation des prix en consacrant l'existence et le rôle des observatoires des prix et des revenus - OPMR -.
Douze ans après l'adoption de la LREOM et à la lumière des rapports de l'autorité de la concurrence et de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la vie chère outre-mer, la présente proposition de loi propose d'actualiser les dispositifs de régulation économique outre-mer afin de renforcer la transparence des prix et des marges outre-mer en renouvelant les outils de stimulation de la concurrence.
Compte tenu des temps législatifs contraints impartis aux parlementaires pour discuter de leurs propositions de loi, ce texte ne comporte que deux mesures principales, vouées à être complétées par d'autres initiatives.
Ainsi, alors que les économies ultramarines se caractérisent par une grande opacité attestée par l'ensemble des économistes, des spécialistes en droit de la concurrence et des associations de consommateurs, l'article 1er de la présente proposition de loi propose de renforcer la transparence comptable sur la marge réelle des entreprises afin d'améliorer la compréhension des mécanismes de formation des prix et de renforcer la concurrence outre-mer par une meilleure capacité d'appréhension de la structure des marges des entreprises.
En la matière, si la quatrième directive 78/660/CEE du Conseil du 25 juillet 1978 impose une publicité des comptes annuels des entreprises, si le manquement à l'obligation de dépôt par une société constitue une contravention de 5e classe passible d'une amende et si le président du tribunal de commerce peut adresser au dirigeant d'une société une injonction de procéder au dépôt de ses comptes annuels, l'absence de sanctions dissuasives permet à nombre de grandes entreprises outre-mer de ne pas se soumettre aux exigences de la loi.
Face à ce constat, l'article 22 de la LREOM a donné la possibilité aux représentants de l'État outre-mer de demander aux entreprises bénéficiant d'une aide publique en faveur de leur activité économique de leur transmettre leurs comptes sociaux et la comptabilité analytique de l'activité régulée ou subventionnée.
Cette disposition étant, à cette heure, peu utilisée par les préfets et contournée par les entreprises soucieuses de préserver un prétendu « secret des affaires », l'article 1er de la présente proposition de loi prévoit de rendre l'article 22 de la LREOM plus prescriptif afin de renforcer la transparence des activités économiques.
Ainsi, le I de la nouvelle rédaction de l'article 22 de la LREOM propose de rendre obligatoire et systématique la transmission, au 30 juin de chaque année, des comptes sociaux et de la comptabilité analytique des entreprises aux préfets mais également aux OPMR. Les entreprises concernées sont celles soumises à une mesure de régulation économique, celles qui bénéficient d'une aide publique en faveur de leur activité économique ou celles dont le chiffre d'affaires total hors taxes réalisé dans le territoire concerné est supérieur à 550 000 euros. Les éléments recueillis ne seraient pas rendus publics mais fourniraient aux pouvoirs publics des données économiques permettant d'appréhender la composition et l'évolution du tissu économique.
Le II prévoit, par ailleurs, que ces entreprises ainsi que, le cas échéant, les commerçants détaillants dont la surface de vente est supérieure ou égale à 300 mètres carrés et les commerçants en gros transmettent au préfet, à l'Insee et à l'OPMR compétent dans le territoire :
1° Les taux de marge en valeur pratiquée sur les produits commercialisés et leurs évolutions ;
2° Les taux de marge pratiqués tout au long de la chaîne d'approvisionnement, de livraison et de commercialisation des produits et leurs évolutions ;
3° Les prix d'achat et de vente des produits alimentaires et non alimentaires pratiqués et leurs évolutions ;
4° Les prix de cession interne pour les filiales des entreprises détenues à plus de 25 % par leur société mère et leurs évolutions.
Pour s'assurer de l'application de ces obligations nouvelles, le III prévoit, en cas de non-transmission des données, que le préfet saisira le juge des référés qui pourra appliquer une amende dissuasive, dont le montant ne peut être inférieur à 2 % du chiffre d'affaires journalier moyen hors taxes réalisé en France par la société par jour de retard à compter de la date fixée par l'injonction.
Le dernier alinéa du III prévoit d'instaurer une mesure de « name and shame » permettant de rendre publique l'injonction adressée à l'entreprise fautive et donc de renforcer la dissuasion au contournement de la loi.
Le IV prévoit que les informations communiquées en vertu du présent article ne puissent pas être diffusées auprès des consommateurs ni rendues publiques.
Pour laisser le temps aux opérateurs économiques concernés de s'organiser pour répondre à ces obligations nouvelles, cet article précise que ces nouvelles dispositions entreront en vigueur le 1er janvier 2026 et que ses modalités d'application sont précisées par décret.
L'article 2 de la présente proposition de loi vise à modifier six dispositions du code de commerce.
Son 1° consiste à préciser que le secret n'est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue dans le cadre de l'application des dispositions de l'article 22 de la loi LRE modifié par l'article 1er de la présente proposition de loi.
Son 2° propose de compléter l'article L. 410-2 du code de commerce, qui permet au Gouvernement de réglementer les prix « en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d'approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires ». En l'espèce, le 2° propose d'étendre ce pouvoir de réglementation aux « situations anormales du marché, soit de marges commerciales excessives, ».
Son 3° propose d'abaisser les seuils de chiffres d'affaires des entreprises permettant de contrôler les concentrations outre-mer. Pour rappel, selon des données datant de 2016, 73 groupes d'entreprises Antilles-Guyane dominaient plus de 50 % des marchés de ces territoires et réalisaient près de 18 milliards d'euros de chiffre d'affaires, soit plus de deux fois le PIB de ces territoires.
Le contrôle des concentrations de marché consiste en l'examen obligatoire, par les autorités de concurrence, des projets de rachat et fusion supérieurs à certains seuils, afin d'examiner leurs conséquences en termes d'atteinte éventuelle à la concurrence et de constitution de positions dominantes. Selon l'article L. 430-2 du code de commerce, une opération de concentration est notifiable outre-mer lorsque :
- le chiffre d'affaires total mondial hors taxes de l'ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 75 millions d'euros ;
- le chiffre d'affaires total hors taxes réalisé individuellement dans au moins un des départements ou collectivités territoriales concernés par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est « supérieur à 15 millions d'euros, ou à 5 millions d'euros dans le secteur du commerce de détail ».
Afin de renforcer ces contrôles, cet article propose d'abaisser les seuils de déclenchement des contrôles à 50 millions d'euros pour le premier et à 3 millions d'euros dans tous les domaines d'activités économiques (non pas uniquement dans celui du commerce de détail).
Son 4° propose d'étendre aux exécutifs des départements d'outre-mer et aux présidents des OPMR le pouvoir de saisine des autorités de la concurrence sur des pratiques anti-concurrentielles, dont disposent aujourd'hui seulement les exécutifs des régions d'outre-mer.
Son 5° propose d'élargir le champ de compétences des commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC). Créé à l'occasion de la LREOM, l'article L. 752-6-1 du code de commerce leur permet en effet de saisir pour avis l'autorité de la concurrence si la part de marché - calculée en surface de vente - d'une entreprise sollicitant une autorisation d'exploitation commerciale est susceptible de dépasser 50 % de la zone de chalandise à l'issue de cette opération. En 2017, la loi égalité réelle outre-mer a permis de donner un caractère suspensif à la saisine de l'autorité de la concurrence par les CDAC. Dans le but de rendre plus systématique l'usage de cet outil anti-concentration, ce 5° propose que toutes les opérations conduisant une entreprise à détenir une part de marché de 25 % soient ainsi soumises au contrôle des CDAC.
Enfin, le 6° propose de renforcer les pouvoirs et prérogatives des observatoires des prix, des marges et des revenus outre-mer en leur conférant un réel pouvoir d'investigation leur permettant d'apprécier le niveau et la structure des prix et des marges des entreprises outre-mer ainsi que leur évolution.
Pour ce faire, cet article modifie le dispositif de l'article L. 910-1 A du code de commerce créé par la LREOM afin de fixer trois missions aux OPMR :
a) Analyser le niveau et la structure des prix, des marges et des revenus ;
b) Éclairer les pouvoirs publics sur la formation des prix et des marges ;
c) Fournir une information régulière sur leur évolution.
Ainsi, l'article précise que les OPMR pourront analyser les données nécessaires à l'exercice de leurs missions en les demandant directement aux entreprises ou en sollicitant les moyens du service statistique public.
En outre, ce 6° dispose que les OPMR pourront saisir les agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes afin de vérifier les informations transmises par les entreprises investiguées.
Enfin, il propose de donner la possibilité à un tiers des membres des OPMR, aux organisations professionnelles ou aux associations de consommateurs agréées de saisir les OPMR sur des problématiques de marché en leur demandant d'émettre un avis sur les évolutions de prix des produits et de marges dans certains secteurs de production, d'approvisionnement ou de distribution.
L'article 3 de la proposition de loi a pour objet d'encourager la baisse des prix des produits de première nécessité en permettant aux entreprises potentiellement concernées de bénéficier de l'aide au fret instaurée par l'article 24 de la loi pour le développement économique des outre-mer de 2009.
Il s'agit tout d'abord de préciser que tous les produits de première nécessité importés sont éligibles à l'aide au fret (I) et de s'assurer de la répercussion effective de cette aide, mais également de toutes les aides publiques dont les entreprises ont bénéficié, sur les prix de commercialisation des produits (II).
Enfin, l'article 4 de la proposition de loi gage les éventuelles conséquences financières résultant pour l'État des dispositifs contenus aux articles 1 à 3.