EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le premier alinéa de l'article 12 de la Constitution dispose aujourd'hui que « Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale. »

Son usage récent, et l'écho qu'il semble faire à celui d'avril 1997, a fait resurgir des interrogations quant à son encadrement ou tout au moins quant à la portée de cette prérogative présidentielle.

L'expression de « dissolution de convenance » réapparaît et interroge les acteurs institutionnels et les Français quant à l'acceptation de cette utilisation en dehors de temps de crise institutionnelle majeure.

Afin de prévenir la reproduction d'une procédure coûteuse et amplificatrice d'instabilité politique et économique, cette proposition de loi constitutionnelle préconise de limiter l'utilisation du pouvoir de dissolution uniquement à la survenance d'une crise institutionnelle majeure. Cette crise est interprétée par le refus d'un vote de confiance prévu à l'article 49, alinéa 1, de la Constitution ou le vote d'une motion de censure prévu à l'article 49, alinéa 2, de la Constitution.

En estimant que ces deux évènements sont de clairs indicateurs d'un reniement de l'exécutif, ils sont constitutifs d'un juste fait générateur d'une dissolution de l'Assemblée nationale et d'un retour aux urnes. L'auto-dissolution devient possible mais l'exécutif n'est pas pour autant privé de son pouvoir, évitant ainsi les situations de blocage. Seulement, la dissolution ne pourra intervenir qu'après un désaveu clair de l'action du Gouvernement.

Ainsi, une dissolution, qui reste un défi à la représentation de la souveraineté nationale, ne pourrait pas venir d'un Président de la République souhaitant « prévenir » un blocage institutionnel ou d'éventuelles défaites électorales futures. En effet, sans juger des compétences de prévision des détenteurs passés ou futurs de l'office, il semble raisonnable de ne pas conditionner l'utilisation d'une telle arme constitutionnelle à celles-ci.

Cette proposition ne remet pas en question l'utilité que peut avoir la dissolution comme alternative à la paralysie de l'action de l'État mais sa limitation vise à la préservation de la fonction présidentielle comme capable de faire « valoir la continuité au milieu des combinaisons. »1(*). En outre, les conditions à la dissolution permettraient, dans une période où la question se poserait, soit de ressouder la majorité, soit de renforcer l'autorité du Gouvernement.

Cette modification n'aurait pas pour conséquence de déstabiliser notre régime parlementaire dualiste qui arme l'exécutif du contre-pouvoir de la dissolution face à la possibilité du pouvoir législatif d'engager la responsabilité du Gouvernement. Au contraire, cela viendrait corriger une singularité française qui laisse au Président de la Ve République, déjà en surplomb, le pouvoir discrétionnaire de dissoudre la chambre basse. La comparaison avec nos voisins européens permet de comprendre cette singularité.

L'Allemagne prévoit que le Chancelier doit d'abord poser une question de confiance ; c'est seulement si celle-ci lui est refusée qu'il pourra proposer la dissolution du Bundestag au Président fédéral qui l'acceptera si les conditions sont régulièrement remplies. Les Pays-Bas, de leur côté, la conditionnent à une modification de la Constitution ou au décès du monarque. Le Président autrichien peut dissoudre le Nationalrat sur contreseing du Premier ministre. De même pour le Président irlandais et la Dáil Éireann. Également, la Constitution belge prévoit que les deux chambres se voient dissoutes automatiquement sur révision de la Constitution mais le Roi peut aussi déclarer la dissolution de la chambre des représentants en cas de rejet d'une motion de confiance, de l'adoption d'une motion de méfiance ou si la chambre vote sa dissolution à la majorité absolue de ses membres après la démission du Gouvernement fédéral.

Néanmoins, d'autres voisins ont accordé une compétence discrétionnaire au chef de l'État et comme chaque constitution est le résultat de l'histoire institutionnelle et constitutionnelle d'un pays, comparaison ne saurait être raison.

Par ailleurs, certains seraient tentés de faire la comparaison avec le Fixed-Term Parliament Act britannique qui avait aboli le caractère de prérogative discrétionnaire du Premier ministre de la dissolution de la Chambre des communes, rapidement écarté par des contournements puis, plus définitivement, par l'adoption en 2022 d'une loi contraire. Mais cela serait une erreur compte tenu des paramètres du parlementarisme britannique et du contexte politique de l'adoption de la première et de la seconde loi. Que ce soient les coalitions politiques qui ont justifié leur adoption, la spécificité d'une Constitution non écrite poussant à choisir un véhicule législatif pour une telle prérogative, alors que ce que le législateur peut faire le législateur peut aussi facilement le défaire, sans oublier le bipartisme et une forme de discipline de parti, ce parallèle serait inexact.

De la même manière, l'expérience de la IVe République, qui ne permettait la dissolution que « Si, au cours d'une même période de dix-huit mois, deux crises ministérielles surviennent (confiance refusée ou vote d'une motion de censure), la dissolution de l'Assemblée nationale pourra être décidée en Conseil des ministres, après avis du président de l'Assemblée. »2(*), s'inscrivait dans un contexte de déséquilibre majeur en faveur du Parlement. Ces conditions restrictives n'avaient pu être réunies qu'une seule fois, pour la dissolution du 2 décembre 1955.

Toutefois, ces exemples peuvent nous avertir sur les écueils d'une limitation étouffante de cette prérogative conduisant à la paralysie ou à l'instabilité.

Cette proposition de loi constitutionnelle est loin d'être celle d'une défense de l'immunité de la représentation nationale. En effet, le Président de la République est détenteur d'une légitimité indiscutable depuis son élection au suffrage universel direct. Et lorsque deux expressions de la « volonté générale » s'antagonisent, il est sain qu'un retour aux urnes puisse trancher. L'encadrement de cette procédure n'est que la défense de l'utilité de cette arme constitutionnelle comme moyen de dénouer une crise entre exécutif et législatif.

Pour conclure, le choix d'une limitation du pouvoir du Président de la République, aujourd'hui discrétionnaire, de dissoudre l'Assemblée nationale, à l'adoption d'une motion de censure ou à l'absence d'un vote de confiance s'inscrit pleinement dans l'histoire parlementaire française. Il s'inscrit également dans la volonté de formaliser la logique initiale des textes, loin des dissolutions de convenance.

En outre, la possibilité d'en débattre, à défaut de conduire à son adoption, présente la vertu de formaliser l'acceptation par le pouvoir législatif d'une règle du jeu politique affirmée, selon laquelle le Président de la République dispose de l'Assemblée nationale.

* 1 Discours de Bayeux, 1946, Charles de Gaulle.

* 2 Article 51, Constitution du 27 octobre 1946.

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