EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La Nouvelle-Calédonie traverse une crise profonde depuis le mois de mai 2024.

Les émeutes survenues en Nouvelle-Calédonie depuis mai dernier sont la conséquence de l'adoption à marche forcée du projet de loi constitutionnelle visant à élargir le corps électoral pour les élections provinciales et le renouvellement du congrès sans accord politique global sur l'avenir institutionnel du territoire.

Nos alertes répétées dénonçant la démarche inappropriée retenue par l'exécutif pour construire l'après-Nouméa n'ont pas été entendues. L'entêtement des plus hautes autorités de l'État dans cette voie a produit des conséquences prévisibles, cohérentes avec les enseignements tirés de l'histoire récente de la Nouvelle-Calédonie. Le principe selon lequel l'État doit exercer un rôle à la fois d'arbitre et de troisième partenaire est déterminant. La recherche du consensus, initiée depuis les accords de Matignon-Oudinot de 1988 et l'accord de Nouméa signé en 1998, constitue une donnée fondamentale de l'élaboration de l'organisation politique qui doit inscrire la Nouvelle-Calédonie dans un avenir apaisé.

Aujourd'hui, la gravité de la situation sociale, économique et sanitaire en Nouvelle-Calédonie est d'une telle ampleur qu'elle affecte ses habitants dans leur vie quotidienne en matière d'approvisionnement alimentaire, de santé, de transport, d'accès aux services publics et de scolarité pour les enfants.

Onze personnes sont décédées en lien direct avec les troubles d'après le dernier bilan des autorités publiques. Outre les menaces de mort, car-jackings, coups de feu, un autre niveau de violence a été atteint touchant aux coutumes et croyances avec les incendies répétés d'établissements religieux et la profanation du mausolée du grand chef kanak Ataï à La Foa.

En dépit du déploiement important des forces de l'ordre appelées en renfort, l'ordre public n'est pas totalement rétabli. Les mesures restrictives propres au couvre-feu et à la vente d'alcool sont toujours applicables. La circulation des Calédoniens sur l'ensemble du territoire reste fortement perturbée même après la levée progressive des barrages routiers, les opérations de déblaiement et la mise en place de navettes maritimes.

Selon le gouvernement de Nouvelle-Calédonie, le coût de la crise équivaut à 24 % du PIB du territoire. Le bilan pour le secteur privé s'élèverait à 1,2 milliard d'euros. Plus de 700 entreprises ont été détruites et 25 000 personnes sont au chômage total ou partiel, soit plus d'un tiers des 68 000 salariés du privé. La facture pour les infrastructures publiques se chiffrerait à 1 milliard d'euros. Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie, de même que les provinces, n'ont pas les moyens économiques, financiers, humains et techniques de répondre à toutes les urgences, fussent celles qui relèvent de leurs strictes compétences.

Début septembre, le Gouvernement a débloqué une aide supplémentaire en faveur des entreprises et des services publics de Nouvelle-Calédonie. Avec ce nouveau paquet d'aides, le soutien de l'État à la Nouvelle-Calédonie s'élève à 400 millions d'euros, hors aides à l'industrie du nickel. Malgré ces ajustements, les mesures de soutien mises en oeuvre par les pouvoirs publics sont jugées à cette date encore globalement insuffisantes pour répondre à l'ampleur de la crise économique et sociale.

Le 28 août dernier, le congrès de Nouvelle-Calédonie a adopté à une large majorité une résolution demandant un soutien massif de l'État de 4,2 milliards d'euros, ce qui représente la moitié du PIB de l'archipel. Ce plan de reconstruction, qui reste à négocier avec l'État, a vocation à trouver une traduction rapide à l'occasion de la discussion du prochain projet de budget national.

Le risque de crise de liquidités est majeur. Sur le plan social, le pire est à venir, en prévision de licenciements massifs, aggravés par le secteur du nickel qui traverse la plus grande crise de son histoire.

Le contexte politique actuel ne facilite pas la sortie de crise.

À la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale, l'attention politique et médiatique portée à la Nouvelle-Calédonie s'est vue rétrogradée.

Si les forces politiques locales se retrouvent pour alerter l'opinion et les pouvoirs publics sur l'urgente nécessité d'agir, leur discours se radicalise et les lignes au sein de chaque camp se fracturent ainsi que l'illustrent les résultats du dernier congrès du FLNKS ou les déclarations de Sonia Backès, présidente de la province Sud, qui a proposé une autonomisation renforcée des provinces face au « constat d'échec du vivre-ensemble », solution inapplicable dans la forme et condamnable politiquement car elle est à l'opposé de la construction d'un destin commun des communautés qui résident en Nouvelle-Calédonie.

Face aux graves problèmes auxquels est confronté le territoire, de nombreux acteurs calédoniens appellent à ne pas attendre la levée des incertitudes politiques nationales pour agir, alors que l'impact de la crise calédonienne est ressenti également au niveau régional, en particulier à Wallis-et-Futuna.

Au niveau international, les ingérences de l'Azerbaïdjan au travers du Groupe d'initiative de Bakou doivent être prises au sérieux et surveillées de près car elles concernent, en plus de la Nouvelle-Calédonie, l'ensemble des outre-mer et la Corse. La décision récente du Forum des îles du Pacifique (PIF), réuni à Tokyo, d'envoyer une mission de haut-niveau sur le territoire ne doit pas être sous-estimée pour inciter à la désescalade et le retour au dialogue entre toutes les parties calédoniennes.

L'ensemble des élus craignent qu'en n'apportant pas de réponse à la crise économique et sociale, la Nouvelle-Calédonie se retrouve face à une crise humanitaire où le politique n'a plus sa place.

Dans ce contexte troublé et instable, l'organisation et les modalités de participation des électeurs au renouvellement général des assemblées des provinces et du congrès de Nouvelle-Calédonie prévu le 15 décembre au plus tard sont inenvisageables.

Juridiquement, le report des élections provinciales et du congrès de Nouvelle-Calédonie prévu par la loi organique n° 2024-343 du 15 avril 2024 était étroitement lié à la réforme constitutionnelle du corps électoral spécial pour l'élection des membres du congrès et des assemblées de province. Cette réforme, qui devait entrer en vigueur le 1er juillet 2024 sauf accord global portant sur l'évolution politique et institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, est devenue caduque. Par conséquent, le calendrier initialement envisagé pour permettre la mise en cohérence de la réforme et celui des opérations nécessaires à la tenue des élections provinciales de 2024 ne tient plus.

Matériellement, aucune des formations politiques calédoniennes n'envisage à cette heure de s'engager dans un processus de campagne électorale. Aucun acte concret et opérationnel visant à préparer une campagne électorale n'a eu lieu. Aucun travail programmatique, aucune tentative d'organiser une liste électorale, aucune nomination de mandataire financier ne sont envisagés.

Et pour cause ! Les forces vives de Nouvelle-Calédonie attendent que l'État soit à la hauteur de ses responsabilités. Il doit rétablir la paix publique, donner des gages de confiance et apporter une réponse politique. Le dossier calédonien doit être repris en main par Matignon. L'État, représenté par le Premier ministre, doit retrouver son rôle de troisième partenaire actif. Il doit redevenir un facilitateur en évitant de manifester du parti-pris.

Face à l'accumulation des facteurs qui déstabilisent l'archipel, l'urgence commande d'envisager un plan d'appui économique et social massif pour la Nouvelle-Calédonie, ainsi que le préconise le congrès. L'ambition de la reconstruction reste un impératif car avenir institutionnel et avenir économique sont nécessairement liés.

L'ensemble de ces considérations, l'absence d'accord sur la définition du nouveau périmètre du corps électoral et les difficultés matérielles pour organiser un scrutin apaisé conduisent à prendre acte de l'impossibilité de tenir des élections consensuelles au terme des mandats actuels, prévu en décembre 2024, au plus tard. Dans ces conditions, l'article unique de la présente proposition de loi organique a pour objet de reporter au 30 novembre 2025 le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.

Le choix de décaler ces élections, reportées une première fois de mai 2024, terme initial des mandats intéressés, à décembre 2024, pour une durée raisonnable, est conforme à l'avis du Conseil d'État du 7 décembre 2023 qui indique qu'un report pour une durée de dix-huit mois peut être acceptable sur le plan constitutionnel ou conventionnel dans un but d'intérêt général.

Personne ne peut contester aujourd'hui que l'intérêt général consiste à profiter de ce laps de temps pour permettre à l'État, à l'ensemble des acteurs politiques calédoniens et à toutes les forces vives du territoire de résoudre durablement l'équation institutionnelle, économique et sociale susceptible de conforter durablement l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.

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