EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Peu après la promulgation de la loi du 2 mars 2022 relative au choix du nom issu de la filiation dite « Vignal »1(*) facilitant les démarches des individus souhaitant changer le nom de famille, Francis Evrard, violeur multirécidiviste de mineurs, a changé de nom de famille, provoquant la colère de la famille d'une de ses victimes qui a déclaré - par la voix de son avocat - être « profondément choqué(e) que les officiers d'état civil ne puissent plus vérifier les motivations des changements de nom et qu'un homme aussi dangereux que cet homme-là puisse passer dans les failles d'une loi trop vite promulguée »2(*).

L'article 2 de cette loi a modifié l'article 61-3-1 du code civil afin de créer une procédure simplifiée de changement de nom permettant à toute personne majeure de prendre soit l'un des noms mentionnés sur l'extrait de son acte de naissance, soit, en cas de double nom d'un ou des parents, une partie de ces doubles noms.

Cette procédure est particulièrement souple. Outre son applicabilité aux seules personnes majeures et la limitation du changement au nom de la parentèle, le principal encadrement de cette procédure réside dans la restriction de son usage, pour chaque personne concernée, à une seule fois.

Sur le plan procédural, deux assouplissements supplémentaires ont été introduits par rapport à la procédure de changement de nom déjà en vigueur : d'une part, aucune formalité préalable de publicité n'est requise pour procéder à un tel changement ; d'autre part, aucun contrôle tenant à la légitimité de la demande n'est opéré par l'officier d'état civil. Autrement dit, ce changement de nom est réalisé de droit.

Si cette simplification a été globalement saluée et a, effectivement, permis à certains citoyens de ne pas conserver un nom qui pouvait être pour eux une source de souffrance, elle a aussi été détournée de son objet par certains individus malveillants. Ainsi, des individus condamnés pour des faits particulièrement graves - singulièrement des condamnés pour crimes sexuels ou terroristes - ont pu utiliser cette procédure pour échapper à leur passé et retrouver une forme d'anonymat, sans que l'autorité judiciaire n'en ait été avertie ou qu'il soit possible d'en établir - par exemple via une publication au Journal officiel de la République française - la traçabilité. Cela a induit des difficultés dans l'établissement de certains fichiers pouvant aller jusqu'à des ruptures, particulièrement préjudiciables, de prise en charge de ces profils extrêmement dangereux.

Cette situation est l'exemple paradigmatique d'évolutions législatives trop fréquentes, en particulier issues d'initiatives gouvernementales prenant la forme de propositions de loi. Celles-ci se traduisent trop souvent par le défaut du nécessaire travail interministériel et l'absence d'études d'impact, ce qui empêche d'anticiper correctement les effets de bord des mesures proposées. L'instabilité normative en résultant est particulièrement préjudiciable aux victimes - notamment mineures - et à la qualité du droit. C'est d'ailleurs en partie pour ces raisons que cette loi avait été adoptée par dernier mot à l'Assemblée nationale, le Sénat ayant montré son désaccord à chaque étape de la procédure législative.

De façon analogue, les conséquences des assouplissements procéduraux en matière de changement de nom ou de prénom n'ont pas été tirées quant aux obligations déclaratives pesant sur les personnes condamnées à être inscrites dans les fichiers judiciaires facilitant l'identification et la localisation des auteurs d'infractions particulièrement graves - les fichiers nationaux automatisés des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv) et terroristes (Fijait). De façon particulièrement surprenante, s'il est obligatoire pour les personnes inscrites dans ces fichiers de justifier de leur adresse une fois par an et de déclarer leurs changements d'adresse dans les quinze jours, aucune obligation déclarative en matière de changement d'état civil n'a été prévue, permettant par un changement de prénom ou de nom de neutraliser les effets juridiques résultant de l'inscription à de tels fichiers.

Des corrections législatives s'imposent donc pour tirer les conséquences des détournements procéduraux observés et garantir la pleine effectivité des outils de protection des mineurs et de la société que sont les Fijaisv et Fijait.

C'est l'objet de la présente proposition de loi de trois articles, reprenant en large partie des dispositifs déjà votés par le Sénat.

Faisant le constat de détournements préjudiciables de la procédure simplifiée de changement de nom par des condamnés terroristes, le Sénat a voté en janvier 2024, à l'initiative de Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois3(*), un dispositif permettant l'information systématique et, le cas échéant, l'opposition du procureur de la République en l'absence de motifs légitimes du demandeur lorsque de telles demandes émanent d'un condamné pour des crimes terroristes ou sexuels. Ce dispositif, enrichi de nouvelles obligations de déclaration de changement de nom et de prénom pour toute personne inscrite au Fijaisv ou au Fijait, est repris à l'article 1er de la présente proposition de loi.

Son article 2 vise à actualiser et étendre la liste des infractions susceptibles d'entraîner l'inscription au Fijaisv, tirant ainsi les conséquences de la création de nouveaux délits sexuels sur mineur par la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste dite « Billon »4(*). Il prévoit de compléter la liste prévue à l'article 706-47 du code de procédure pénale par deux délits : celui d'extorsion d'images pédopornographiques et celui réprimant les atteintes sexuelles qu'un mineur est contraint de s'infliger à lui-même, prévus aux articles 227-22-2 et 227-23-1 du code pénal. Cet élargissement devrait permettre d'exploiter encore davantage les potentialités du Fijaisv, un outil qui a fait ses preuves dans la prévention des violences sexuelles sur mineurs.

Enfin, poursuivant les mêmes objectifs de protection des mineurs, l'article 3 reprend un dispositif voté par le Sénat en février 20245(*), à l'initiative de Marie Mercier et adopté par la commission des lois de l'Assemblée nationale, visant à faciliter la consultation du Fijais par les opérateurs de transport public de personnes afin de leur permettre de contrôler les antécédents judiciaires des personnels qu'ils emploient. Le dispositif ainsi prévu élargit le dispositif en vigueur pour les maires et les élus locaux - demande formulée à la préfecture qui, après avoir vérifié les conditions d'exercice effectif d'une mission en contact avec des mineurs, communique les seuls résultats positifs sans pour autant révéler les informations contenues dans le fichier.

* 1 Loi n° 2022-301 du 2 mars 2022 relative au choix du nom issu de la filiation, dite loi « Vignal ».

* 2 France 3 Régions, « Le violeur multirécidiviste Francis Evrard change de nom », 13 novembre 2023.

* 3 Article 15 bis de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, n° 130, et transmise à l'Assemblée nationale les 15 février 2024 et 23 juillet 2024, sans effet.

* 4 Loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste, dite loi « Billon ».

* 5 Article 18 bis de la proposition de loi adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relative au renforcement de la sûreté dans les transports, n° 2223, et transmise à l'Assemblée nationale les 30 janvier 2024 et 23 juillet 2024, sans effet.

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