EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L'ancien système de financement de l'audiovisuel public, produit par la contribution à l'audiovisuel public, datant de près de 20 ans, était obsolète et avait donc besoin d'être actualisé. Assis sur une redevance versée de façon uniforme par tous les Français possédant un téléviseur, il s'avérait injuste fiscalement et ne correspondait plus aux usages : les détenteurs d'un téléviseur sont en baisse significative depuis 2012 (98 % des foyers cette année-là, 92 % en 2020), alors que nos concitoyens visionnent des contenus et utilisent les services de l'audiovisuel public sur d'autres supports (ordinateurs, tablettes, téléphones...).
Si ce système présentait des limites, il permettait toutefois à l'audiovisuel public de bénéficier d'un système de financement pérenne, autonome et affecté, garantissant son indépendance et l'exercice de l'ensemble de ses missions. De plus, ce mode de financement contribuait à une stabilité des ressources et octroyait une visibilité essentielle aux sociétés de l'audiovisuel public afin qu'elles puissent initier des projets structurants pour leur avenir, singulièrement en matière de transformation numérique.
Arbitrairement, le Gouvernement a supprimé dans la précipitation, à compter de 2023, cette redevance dans le cadre de la loi de finances rectificative n° 2022-1157 du 16 août 2022, saisissant le prétexte de la disparition de la taxe d'habitation à laquelle était adossée cette contribution. Surtout, malgré les demandes réitérées du Parlement, en particulier des sénatrices et des sénateurs des groupes politiques de gauche, l'exécutif n'a jamais donné de gage sur le financement futur de l'audiovisuel public, entretenant ainsi un grand flou préjudiciable à son développement.
Cette opération de fragilisation de l'audiovisuel public avait d'ores et déjà débuté par une baisse historique de ses crédits, suivie d'un gel de l'indexation sur l'inflation de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) et de la suppression de la part de taxe acquittée par les opérateurs de téléphonie attribuée au secteur pour compenser la suppression de la publicité après 20 heures. Prenant la suite de la CAP, l'octroi d'une fraction du produit de la TVA, mécanisme qui ne peut perdurer au-delà du 31 décembre 2024 sans modification de la LOLF, n'a été qu'une rustine.
La situation est donc désormais préoccupante puisque nul ne sait comment sera financé l'audiovisuel public dans cinq mois. Dos au mur, il est impératif que le Parlement prenne ses responsabilités et garantisse l'avenir de ce service public. Par-delà les sociétés de l'audiovisuel public, il s'agit aussi de stabiliser plusieurs écosystèmes, en particulier celui de la création audiovisuelle et cinématographique française (500 millions d'euros investis en 2022, rôle majeur dans la production indépendante) et celui de la publicité (marché dont l'équilibre entre les différents bénéficiaires est extrêmement précaire). Ces enjeux sont d'autant plus impérieux que les acteurs du secteur audiovisuel se situent dans un environnement ultra-concurrentiel et déséquilibré du fait de l'avènement des plateformes numériques au rayonnement international.
Sans les investissements des sociétés de l'audiovisuel public dans la création audiovisuelle et cinématographique, l'ensemble de la filière pourrait être fragilisé, des auteurs jusqu'à la production. Autrement dit, la création culturelle serait aussi affectée par l'érosion du service public audiovisuel, à un moment crucial où la création culturelle est en difficulté.
De plus, le contexte politique et réglementaire conduit à agir urgemment en vue de pérenniser le financement de l'audiovisuel public. Outre les attaques répétées de la droite et de l'extrême-droite, qui ne cachent plus leur volonté de privatiser l'audiovisuel public ou, à tout le moins, de réduire le périmètre même du secteur public et de baisser drastiquement ses ressources, le règlement européen sur la liberté des médias impose, en son article 5, que « les États membres veillent à ce que les procédures de financement des fournisseurs de médias de service public soient fondées sur des critères transparents et objectifs préalablement établis. Ces procédures de financement garantissent que les fournisseurs de médias de service public disposent de ressources financières suffisantes, durables et prévisibles correspondant à l'accomplissement de leur mission de service public et leur permettant de se développer dans le cadre de celle-ci. Ces ressources financières sont de nature à permettre que l'indépendance éditoriale des fournisseurs de médias de service public est préservée ».
Or, la seule option qui réponde concrètement et véritablement à ces différents critères est le rétablissement d'une redevance, socialement juste et fiscalement efficace. Les trois autres options que sont la budgétisation, la pérennisation de l'octroi d'une fraction du produit de la TVA ou le prélèvement sur recettes ne répondent pas à ces finalités, à divers degrés. Plus particulièrement, elles ne respectent pas l'indispensable condition d'assurer un financement affecté, suffisamment pérenne et prévisible, garantissant l'indépendance du secteur, exigence constitutionnelle dont le Parlement est garant.
Devoir piloter un budget sans avoir de visibilité sur les montants alloués sur les prochaines années n'est pas viable ; cela empêcherait tout investissement pluriannuel et rendrait le service public de l'audiovisuel totalement dépendant de la majorité politique en place. C'est pourquoi le groupe socialiste, écologiste et républicain préconise la mise en place d'une contribution à l'audiovisuel public.
Aussi, il convient de rappeler que les arguments de l'exécutif en faveur de la suppression de la CAP n'ont été ni sincères ni suivis d'effets. En premier lieu, les garanties qui entouraient la disparition de la CAP ont été progressivement éliminées du projet de l'exécutif ; c'est en particulier le cas de la commission indépendante chargée de chiffrer et de définir les besoins de financement de l'audiovisuel public en adéquation avec les niveaux de ressources publiques, mais également de l'interdiction de procéder à des mises en réserve et à des régulations infra-annuelles (ce qui n'a pas manqué de se produire en 2023). L'audiovisuel public ne doit pas servir de variable d'ajustement budgétaire.
Pourtant, le rapport conjoint de l'Inspection générale des affaires culturelles et de l'Inspection générale des finances de juin 2022, portant sur la réforme du financement de l'audiovisuel public, démontre à quel point ces garanties sont nécessaires pour préserver un financement pérenne, suffisant et prévisible et permettre à l'audiovisuel public de remplir convenablement ses missions.
Par ailleurs, l'argument relatif à l'amélioration du pouvoir d'achat ne tient pas. Dès lors que la suppression de la CAP ne doit pas se traduire par une perte de financement pour l'audiovisuel public, il faut trouver les ressources dans le budget de l'État. C'est précisément ce qui s'est produit depuis la suppression de la CAP : les Françaises et Français ont continué de contribuer au financement de l'audiovisuel public, mais de manière invisible, via la taxe la plus injuste, celle sur la consommation (TVA), qui frappe indistinctement toutes les catégories de la population. En conséquence, rétablir la CAP est un acte de clarification budgétaire et de transparence politique, à rebours des mécaniques de passe-passe budgétaire.
Surtout, elle est une mesure de justice fiscale et sociale. En effet, les personnes qui étaient exemptées de payer la redevance pour raison sociale (bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés ou du minimum vieillesse pour ne citer qu'eux) y ont au final contribué.
C'est pourquoi le mécanisme proposé par le groupe socialiste écologiste et républicain constitue une véritable solution pour le pouvoir d'achat des Français.
Dans un contexte de crise de confiance vis-à-vis de la politique, de prolifération de la désinformation, de risque d'ingérence étrangère et de manipulation de l'information par l'intermédiaire des canaux médiatiques, il s'avère particulièrement dangereux d'affaiblir l'audiovisuel public, seule composante du secteur à accomplir les indispensables missions de service public. En outre, sa capacité à décrypter l'information et à apporter une information fiable, sourcée et de qualité, et à innover, est plus que précieuse. Le service public a ainsi prouvé, lors de la crise COVID, qu'il savait s'adapter et se réinventer.
Cette proposition de loi souhaite ainsi remplacer le dispositif actuel, par essence transitoire, par une contribution affectée et progressive en fonction du niveau de revenu des citoyens, dont le montant et l'affectation seront contrôlés par un organisme indépendant, sur le modèle allemand. Cette solution est plus juste socialement et sanctuarise un financement pérenne pour l'audiovisuel public.
D'ailleurs, beaucoup de nos voisins européens empruntent ce chemin. La Suède, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Norvège et la Suisse ont tous, récemment, réalisé une réforme afin d'assurer un financement pérenne à leur audiovisuel public, tout en le rendant moins inégalitaire. En fragilisant le service public audiovisuel, la France prendrait le contrepied de ses partenaires, à l'exception notable de la Hongrie et de l'Italie ; en un mot, il s'agirait d'un recul.
Ces mêmes pays, qui ont modernisé leur modèle, ont des redevances avec des montants fréquemment bien supérieurs à la nôtre : elle s'élève à 380 euros en Suisse, 220 euros en Allemagne ou encore 190 euros au Royaume-Uni.
Dans son rapport sur le financement de l'audiovisuel public, rendu en juin 2022, l'économiste Julia Cagé s'est basée sur une enquête réalisée par Ipsos, la Fondation Jean-Jaurès, Le Monde et le Cevipof auprès de 10 000 Français pour connaître leurs préférences concernant le financement de l'audiovisuel public. Elle a démontré qu'à budget constant, 16 % des Français interrogés souhaitent maintenir la redevance sous sa forme actuelle, 34,5 % souhaitent conserver une redevance sous une autre forme, et seulement 20,6 % des personnes interrogées sont en faveur de la solution proposée par l'exécutif.
L'audiovisuel public est un élément central du quotidien des Français : 49 millions d'entre eux sont touchés par des contenus produits par France Télévisions chaque semaine, soit 81 % de la population. Radio France présente également d'excellents chiffres, puisque ce sont 14,1 millions d'auditeurs quotidiens qui écoutent au moins une antenne du groupe et que France Inter est la première radio nationale, alors même que la consommation du média radio est en baisse depuis des années. L'audiovisuel public est donc un service public de proximité par excellence, à l'image du traitement de l'information locale qu'il opère.
Ainsi la proposition de loi tend, dans son article 1er, à modifier la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication afin de graver, dans ce texte, le principe d'une ressource dédiée aux sociétés de l'audiovisuel public, provenant d'un nouveau fonds de contribution à l'audiovisuel public, alimenté par une contribution annuelle versée par tous les ménages imposables sur le revenu.
Le montant et l'affectation de ce fonds seraient contrôlés au moins une fois par an par une nouvelle autorité publique indépendante, composée de parlementaires et de représentants des usagers.
La répartition de ce fonds entre les sociétés du secteur serait, comme aujourd'hui, débattue lors de l'examen de la loi de finances annuelle. Afin de sécuriser cette dotation, elle serait individualisée dans un fascicule dédié de projet annuel de performance présenté dans le cadre de la loi de finances.
Pour abonder ce fonds, l'article 2 réécrit intégralement l'article 1605 du code général des impôts pour instituer un nouveau financement, progressif, de l'audiovisuel public.
Les auteurs de la présente proposition de loi souhaitent créer un lien entre le contribuable et le financement de l'audiovisuel public par le biais de cette progressivité. Cette taxe serait ainsi dénommée : contribution progressive au financement de l'audiovisuel public (CPAP).
Chaque foyer fiscal serait prélevé d'un montant dépendant de son revenu fiscal de référence. Les tranches de revenus utilisés sont les limites de tranche de revenu (décile) publiés par l'Insee dans son édition 2021 des revenus et patrimoine des ménages et auront vocation à être actualisés dans le temps dans un souci de justice fiscale et d'ajustement à l'inflation, tout comme les montants :
- Pour les foyers dont le revenu fiscal de référence est inférieur à 13 820 € (1er décile), le montant de la CPAP sera de 10 € ;
- Pour les foyers dont le revenu fiscal de référence est compris entre 13 821 € et 17 820 € (deuxième décile), le montant de la CPAP sera de 20 € ;
- Pour les foyers dont le revenu fiscal de référence est compris entre 17 821 € et 21 670 € (troisième décile), le montant de la CPAP sera de 40 € ;
- Pour les foyers dont le revenu fiscal de référence est compris entre 21 671 € et 25 760 € (quatrième décile), le montant de la CPAP sera de 60 € ;
- Pour les foyers dont le revenu fiscal de référence est compris entre 25 761 € et 30 620 € (cinquième décile), le montant de la CPAP sera de 80 € ;
- Pour les foyers dont le revenu fiscal de référence est compris entre 30 621 € et 36 160 € (sixième décile), le montant de la CPAP sera de 100 € ;
- Pour les foyers dont le revenu fiscal de référence est compris entre 36 161 € et 42 480 € (septième décile), le montant de la CPAP sera de 133 € ;
- Pour les foyers dont le revenu fiscal de référence est compris entre 42 481 € et 50 840 € (huitième décile), le montant de la CPAP sera de 166 € ;
- Pour les foyers dont le revenu fiscal de référence est compris entre 50 841 € et 65 250 € (neuvième décile), le montant de la CPAP sera de 200 € ;
- Pour les foyers dont le revenu fiscal de référence est compris entre 65 251 € (dixième décile) et 100 000 €, le montant de la CPAP sera de 250 € ;
- En outre deux tranches supplémentaires sont créées au sein du 10e décile pour adapter le montant de la CPAP aux situations de très hauts revenus :
- Pour les foyers dont le revenu fiscal de référence est compris entre 100 001 € et 150 000 €, le montant de la CPAP sera de 300 € ;
- Pour les foyers dont le revenu fiscal de référence est supérieur à 150 001 €, le montant de la CPAP sera de 350 €.
Afin d'assurer l'universalité du dispositif, les auteurs de la présente proposition de loi introduisent un montant minimal de 10 € visant à faire que chaque foyer fiscal contribue au financement de ce bien commun qu'est l'audiovisuel public. Bien évidemment, afin d'éviter tout effet social excessif, les dégrèvements existants au titre de l'ancienne contribution à l'audiovisuel public sont réinsérés dans le dispositif et seront donc à la charge de l'État, comme cela est le cas actuellement.
S'il n'est pas possible, avec les données dont disposent les auteurs de la présente proposition de loi, de chiffrer précisément le rendement d'un tel dispositif, un ordre de grandeur est approchable. En effet, il est possible d'estimer que chaque décile est composé de 3,9 millions de foyers fiscaux.
Ainsi, le dispositif prévu permettrait de générer plus de 4 milliards de recettes, dont une partie minime (inférieure à 100 millions d'euros d'après nos estimations) serait payée par l'État au titre du dégrèvement. En cela, la présente proposition de loi permettrait de dégager les marges financières nécessaires à la stabilisation de notre audiovisuel public.