EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Alors que le scrutin majoritaire avait toujours été défendu comme une garantie de stabilité et de tenue à l'écart de l'extrême-droite, on voit bien qu'il ne répond plus à aucune des deux promesses. Pire, il pourrait demain permettre à une extrême-droite minoritaire en France d'accéder aux responsabilités.
Si nous voulons garantir que notre démocratie soit mieux protégée, si nous voulons assurer que notre régime politique soit résilient aux risques autoritaires, si nous voulons assurer aux citoyennes et citoyens que chacune de leurs voix compte, si nous voulons enfin faire entrer la France dans le club des régimes parlementaires modernes, les élections législatives de 2024 doivent être les dernières élections organisées avec le mode de scrutin actuel.
En effet, si le front républicain a fonctionné une fois encore, s'il a permis d'éviter à l'extrême-droite d'obtenir une majorité absolue à l'Assemblée nationale, nous ne pouvons continuer de placer entre ses mains seules la survie de la République.
Rien ne saurait garantir que la prochaine ne sera pas celle de trop.
À l'injustice électorale, au manque de représentativité propre au scrutin majoritaire, s'ajoute par ailleurs l'impact concret sur le rôle du Parlement dans le paysage institutionnel français. En effet, le scrutin majoritaire produisant potentiellement des majorités fictives, puisque n'existant pas dans la société, il a abouti, la plupart du temps dans la Ve République, à une atrophie du travail parlementaire, souvent réduit à enregistrer les décisions de l'exécutif.
Pourtant, c'est justement au coeur du Parlement que devrait se situer le lieu de pouvoir réel, là où devraient se travailler et se déterminer les majorités encadrant l'action du gouvernement.
Et quand il ne produit plus de majorité absolue, comme c'est le cas depuis 2022, la culture politique qui en découle nous place face à des blocages dangereux pour la stabilité du pays et la légitimité démocratique de nos institutions.
Il nous faut donc remplacer le système majoritaire où, in fine, chaque voix ne compte pas, par un système de confiance, à la proportionnelle, où chaque voix compte.
Alors qu'elle était maintes fois promise, l'instauration du scrutin proportionnel pour les élections législatives est restée lettre morte.
François Hollande avait promis, lors du débat d'entre-deux tours en 2012 : « Moi, président de la République, j'introduirai la représentation proportionnelle pour les élections législatives de 2017, car je pense qu'il est bon que l'ensemble des sensibilités politiques soit représenté. »
De même, Emmanuel Macron promettait en mars 2017 qu'il : « faut rapidement [...] conduire la loi électorale qui vise à introduire de la proportionnelle. On ne pourra pas le faire dès juin, mais il faudra le faire avant la fin de l'année ». Lors de la présentation de son projet pour les dernières présidentielles, il réaffirmait : « Je suis, à titre personnel, toujours favorable à plus de proportionnalité ».
Pourtant, aucun des deux n'a tenu sa promesse.
Par conséquent, la France est désormais le dernier pays de l'Union européenne à ne pas avoir un Parlement élu à la proportionnelle et s'expose à des risques que nous ne pouvons plus persister à prendre.
Il est plus que jamais temps.
C'est pour cette raison que la présente proposition de loi instaure un mode de scrutin proportionnel pour les élections législatives.
Elle s'attache à respecter 4 critères :
- permettre une représentation fidèle des opinions exprimées lors du scrutin législatif ;
- être lisible et compréhensible par les électrices et électeurs ;
- garantir un équilibre géographique de la représentation ;
- pouvoir être traduit en loi, de la manière la plus simple et la plus claire possible, et respecter les contraintes fixées par la Constitution, notamment le nombre maximum de députées et de députés qui est fixé à 577.
Tenant compte de ces critères, la présente proposition de loi prévoit une élection des députées et députés à la proportionnelle sur des listes régionales paritaires fermées avec un seuil de 5 %.
La présente proposition prévoit que les circonscriptions soient formées par les régions administratives actuelles, ce qui permet de garantir un minimum de proximité géographique entre les candidates et candidats, d'une part, et les habitantes et habitants de la circonscription, d'autre part.
Par rapport à des circonscriptions de taille plus réduite, ce choix a l'avantage à la fois de se baser sur des entités préexistantes et de ne pas imposer un seuil technique important qui apparaît dès lors que le scrutin proportionnel est organisé dans des circonscriptions où sont élus seulement un faible nombre de députées et de députés.
De plus, dans la mesure où la proportionnelle intégrale permettrait enfin l'introduction de listes paritaires aux élections législatives, la présente proposition permettrait d'accroître considérablement la part de députées. Alors que le mode de scrutin actuel ne permet pas de listes paritaires et que l'Assemblée nationale est composée à 64 % d'hommes, la parité des listes permettrait de lutter contre une représentation structurellement déséquilibrée des genres.
D'autres mécanismes, par exemple créant des sections départementales au sein des régions, n'ont pas été retenus, mais pourront faire l'objet du débat parlementaire à venir.
En parallèle, le choix a été fait de présenter une proposition qui maintient le scrutin majoritaire en Corse et dans les outre-mer. Sans adaptations conséquentes, il serait théoriquement envisageable d'introduire la proportionnelle en Corse et dans les outre-mer en regroupant plusieurs territoires d'outre-mer. Alors que chacun de ces territoires est unique et connaît ses enjeux propres, un tel regroupement artificiel effacerait les spécificités et la diversité de ces territoires ainsi que de la Corse.
Alternativement, il aurait été envisageable de faire de chacun de ces territoires une circonscription, mais cette solution aurait imposé un seuil technique inacceptablement élevé, évinçant des courants d'opinion moins largement défendus.
En revanche, la présente proposition de loi propose l'élection des députées et députés représentant les Françaises et Français établis hors de France à la proportionnelle. Leur élection serait organisée dans une circonscription unique dont le résultat serait toutefois corrigé pour garantir une représentation équitable des différentes régions du monde qui forment à l'heure actuelle les circonscriptions hors de France.
Par ailleurs, les règles relatives au financement électoral seraient maintenues dans l'essentiel. Ainsi, le plafond des frais de campagne et celui du remboursement par l'État correspondraient à la somme des plafonds actuels des candidats de chaque circonscription de la région. De cette manière, le plafond demeurerait défini en fonction du nombre d'habitantes et d'habitants de la région.
En somme, la présente proposition de loi permettrait de garantir une représentation infiniment plus fidèle des courants d'opinion à l'Assemblée nationale. Grâce à l'instauration de la proportionnelle, le vote utile appartiendrait enfin au passé et la représentation nationale peut servir la fonction qui devrait toujours lui incomber : représenter les opinions des citoyennes et citoyens dans leur pluralité.
Le titre Ier porte les dispositions communes relatives au scrutin législatif à la proportionnelle.
L'article 1er vise à instaurer la proportionnelle intégrale pour l'élection législative pour les régions de la France continentale. L'élection des députées et députés s'y ferait ainsi dans des circonscriptions régionales avec un seuil de 5 %, selon un mode de scrutin de liste à la plus forte moyenne, sans panachage ou vote préférentiel.
En parallèle, cet article ouvre la voie aux adaptations définies par les deux titres suivants pour les députées et députés de Corse et des outre-mer, d'une part, et pour les députées et députés élus hors de France, d'autre part.
L'article 2 concerne les modalités de candidature qui seraient légèrement adaptées au scrutin proportionnel, notamment pour tenir compte de la suppression du deuxième tour et de la création des circonscriptions régionales.
Ainsi, la déclaration de candidature résulterait du dépôt d'une liste de candidats à la préfecture du chef-lieu de la région par la tête de liste ou une personne mandatée à cet effet. Le dépôt de la liste, qui devrait comprendre les déclarations de candidature de toutes les personnes se portant candidat sur cette liste, donnerait lieu à un récépissé provisoire. La liste devrait être paritaire.
L'article 3 prévoit diverses adaptations relatives à la propagande électorale au scrutin proportionnel. En particulier, un temps d'antenne de sept minutes serait accordé aux partis ou groupements politiques dont se revendiquent au moins deux têtes de liste se présentant dans différentes circonscriptions élisant ensemble plus de soixante-quinze députées et députés.
L'article 4 vise à adapter les modalités de vote au scrutin par liste. À l'image des dispositions actuelles visant à interdire les doubles candidatures, seraient considérées nulles les voix données aux listes sur lesquelles figure une candidate ou un candidat qui a fait acte de candidature sur plusieurs listes.
Le titre II consacre les modalités du scrutin en Corse et dans les outre-mer.
Son unique article 5 vise à maintenir le scrutin majoritaire sous sa forme actuelle pour les députées et députés élus en Corse et dans les outre-mer.
Par conséquent, le premier tour s'y déroulerait une semaine avant les élections en France continentale, ce qui appelle en outre à des adaptations des modalités des émissions de la campagne officielle. En particulier, il serait prévu que les partis et groupements politiques auxquels se rattachent au moins cinq candidats de ces 31 circonscriptions pourraient bénéficier d'un temps d'antenne supplémentaire pour le premier tour du scrutin et, éventuellement, pour le deuxième.
Le titre III porte introduction, avec adaptations, du scrutin proportionnel pour l'élection des députées et députés élus hors de France.
Dans un premier temps, l'article 6 porte des mesures de coordination et vise à garantir que l'Assemblée des Français de l'étranger soit consultée sur la distribution des rôles pour l'organisation du scrutin.
L'article 7 propose que les élections des députés représentant les Français établis hors de France se fassent à la proportionnelle dont le résultat serait corrigé pour veiller à une représentation équitable des différentes régions du monde.
Plus spécifiquement, l'élection à la proportionnelle des onze députées et députés se déroulerait certes dans une circonscription unique regroupant l'ensemble des circonscriptions actuelles des Françaises et Français hors de France, mais cette circonscription globale serait divisée en zones géographiques. Six des circonscriptions actuelles comprenant au moins un pays européen seraient fusionnées en une seule zone élisant six députées et députés. Lorsqu'une zone est surreprésentée à l'issue de la distribution proportionnelle, il est procédé à des transferts pour prévoir qu'une candidate ou un candidat d'une zone sous-représentée de la même liste soit élu à la place.
L'article 8 vise à tirer les conséquences de la prise en compte des zones géographiques et stipule notamment que sur chacune des listes de candidats, les zones géographiques doivent être représentées de manière équitable. Une liste devrait ainsi être composée d'une candidate ou d'un candidat dans chacune des circonscriptions actuelles et de six candidates ou candidats pour la zone européenne.
Le titre IV adapte le redécoupage des circonscriptions et l'encadrement des dépenses électorales.
L'article 9 tire les conséquences de l'instauration de la proportionnelle pour le redécoupage des circonscriptions en modifiant les tableaux de répartition des sièges. En France continentale, toutes les circonscriptions d'une région seraient fusionnées et le nombre de députées et de députés à élire dans la circonscription régionale serait défini par le poids géographique de la région. Si aucune modification n'est apportée au découpage des circonscriptions en Corse et dans les outre-mer, la rédaction légistique impose la reproduction du découpage en vigueur. L'élection des députées et députés représentant les Françaises et Français établis hors de France s'effectuerait dans une circonscription unique, divisée en zones géographiques.
La vocation de l'article 10 est double. D'une part, il prévoit d'adapter des plafonds de dépenses électorales au scrutin de liste en définissant un plafond pour chaque région, proportionnel au nombre d'habitantes et d'habitants. D'autre part, il propose d'encourager les partis et groupements politiques à veiller à la parité parmi leurs candidates et candidats tête de liste en introduisant une sanction financière lorsque la parité des têtes de liste n'est manifestement pas respectée.
Enfin, l'article 11 comprend un gage financier pour garantir la recevabilité de la présente proposition de loi.