EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La place prise par le numérique et les réseaux sociaux dans notre vie quotidienne appelle une réflexion en profondeur du législateur pour aider à maîtriser les évolutions de ces technologies dans notre société. Le numérique continue en effet de transformer le monde et il n'est pas un secteur, pas un domaine d'activité sociale, économique, financière et politique, qui ne soit transformé par les technologies numériques.

Depuis plus de vingt ans, ces technologies ne cessent de bouleverser l'accès au savoir, le commerce, les relations internationales et même le fonctionnement de nos démocraties. 

Les réseaux sociaux et les grandes plateformes de services ont « chamboulé » les sociétés. Les entreprises qui les contrôlent sont devenues aussi puissantes que des États. 

Désormais, les évolutions de l'intelligence artificielle pourraient constituer une révolution économique, sociale et culturelle aussi importante, que ne l'a été la démocratisation de l'ordinateur ou l'essor du web.

Le numérique doit cependant rester un vecteur de progrès dans nos sociétés. Or, il est aussi apparu comme porteur de nouveaux risques : augmentation de l'empreinte carbone, usage incontrôlé des données personnelles, atteintes aux libertés publiques, cybercriminalité, manipulation des opinions ou encore développement des ingérences étrangères.

Comme le poète s'interrogeait sur « que reste-t-il de nos amours », nous nous interrogeons aussi au quotidien sur ce qu'il reste de notre vie privée et de nos données personnelles, passées à la moulinette d'algorithmes savants et marchandisées.

Après le pétrole et l'eau, il est à craindre que nos données personnelles deviennent, si elles ne le sont pas déjà, un enjeu financier d'ampleur. On citera notamment les données de santé des Français encore hébergées chez Microsoft Azure et donc accessibles aux lois extraterritoriales américaines, comme l'ont montré les débats autour de la plateforme des données de santé. Un autre exemple des défis nouveaux auxquels nous sommes confrontés, correspond à l'essor du réseau social chinois TikTok dont l'opacité et l'amplification des messages politiques hostiles à nos démocraties constituent un risque politique, comme l'avait souligné la commission d'enquête sénatoriale sur « l'influence TikTok »1(*).

On pense aussi à l'ensemble des questions qui touche à notre souveraineté numérique. Il faut se méfier de l'omniprésence des GAFAM qui nous conduit, évidemment, à une dépendance dangereuse et suicidaire à leur égard.

La souveraineté numérique n'est pas un sujet théorique : il est éminemment important, stratégique et vital pour notre pays et son avenir. Il en est de même de l'éducation au numérique et de la valorisation des savoirs, de la formation des experts, de l'écoute de ceux qui travaillent sur ces questions en prêchant dans le désert comme Bernard Benhamou, Secrétaire général de l'Institut de la Souveraineté Numérique créé en 2014, expert de la gouvernance de l'Internet et des technologies numériques, Tariq Krim, fondateur de Netvibes et du think tank Cybernetica, Fabrice Epelboin et les éclaireurs du numérique.

Enfin, il ne faut pas oublier les bouleversements opérés par le numérique dans le domaine bancaire et financier avec le développement exponentiel des cryptoactifs et la demande de commission d'enquête sur ce sujet restée sans suite2(*).

Enfin, un autre volet essentiel de la réponse française mais aussi européenne en matière de souveraineté numérique correspondra à l'élaboration des politiques industrielles qui permettront d'aider à développer nos acteurs technologiques afin de nous rendre indépendants des plateformes numériques extra-européennes.

Or, le Parlement n'a pas vraiment pris acte de cette transformation majeure, peut-être la plus importante de notre temps, même si le Sénat n'est pas resté inactif avec le dépôt de nombreux rapports et demandes de commission d'enquête précitées, notamment :

- le rapport fait au nom de la commission des lois, déposé le 24 février 2010 sur la proposition de loi de Catherine Morin-Desailly visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l'heure du numérique3(*) ;

- le rapport d'information de Yann Gaillard « La politique du livre face au défi du numérique » du 25 février 20104(*) ;

- le rapport d'information de Catherine Morin-Desailly fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 20 mars 2013, intitulé « L'Union européenne, colonie du monde numérique ? »5(*) ;

- le rapport fait au nom de la commission des lois, déposé le 6 avril 2016 sur la loi pour une République numérique6(*) ;

- le rapport de Sophie Joissains, fait au nom de la commission des lois, déposé le 14 mars 2018 sur la loi relative à la protection des données personnelles7(*) ;

- le rapport de Catherine Morin-Desailly « Prendre en main notre destin numérique : l'urgence de la formation » du 27 juin 20188(*) ;

- le rapport issu de la Commission d'enquête sur la souveraineté numérique du 1er octobre 20199(*) ;

- le rapport de la Commission spéciale sur la loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique du 27 juin 202310(*).

Le Parlement continue d'envisager le numérique de façon parcellaire, au gré des textes qui lui sont soumis, parfaite image du pays qui n'a pas encore, à ce jour, acquis une véritable culture du numérique.

De fait, le champ numérique est éclaté entre plusieurs commissions, pour ne pas dire quasiment toutes : commission des lois pour ses aspects strictement juridiques, la commission des affaires culturelles pour son importance en matière d'éducation et d'information, la commission des affaires économiques puisque l'économie numérique est maintenant aussi importante que l'économie réelle, la commission de la Défense et des affaires étrangères pour traiter des actes de cyberguerre et de cyberterrorisme, la commission des affaires européennes pour réguler les GAFAM à l'échelle pertinente...

La création d'une délégation permanente en charge du numérique permettrait tout à la fois au Parlement d'embrasser l'entièreté de la problématique numérique de manière transversale et de pouvoir travailler de façon continue avec le recul qui s'impose.

C'est cette logique qui a présidé à la création des autres commissions ou délégations : délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, délégation aux droits des femmes, délégation aux entreprises, délégation à l'outre-mer, délégation à la prospective. 

À la lecture de cette liste, il est très surprenant que n'existât pas déjà une délégation au numérique compte tenu de l'importance incontestable du sujet. 

C'est pour y remédier que la présente proposition de loi vise à la création d'une délégation permanente en charge du numérique.

* 1 https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/structures-temporaires/commissions-denquete/commission-denquete-sur-lutilisation-du-reseau-social-tiktok-son-exploitation-des-donnees-sa-strategie-dinfluence.html

* 2 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppr21-820.html

* 3 https://www.senat.fr/rap/l09-330/l09-330.html

* 4 https://www.senat.fr/rap/r09-338/r09-338.html

* 5 https://www.senat.fr/rap/r12-443/r12-443.html

* 6 https://www.senat.fr/rap/l15-534-1/l15-534-1.html

* 7 https://www.senat.fr/rap/l17-350/l17-350.html

* 8 https://www.senat.fr/rap/r17-607/r17-607.html

* 9 https://www.senat.fr/rap/r19-007-1/r19-007-1.html

* 10 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl22-593.html

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