EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La crise du logement dans les outre-mer, et singulièrement à La Réunion, est une véritable bombe sociale à retardement. La situation dans ce secteur se dégrade année après année, impactant une grande partie de la société et plus particulièrement les plus précaires. De nombreuses raisons conjoncturelles et structurelles expliquent qu'en 2024, 140 000 Réunionnaises et Réunionnais souffrent du mal-logement ou d'absence de logement personnel. En trois ans, la production de logements aidés est passée de plus de 3 000 à moins de 1 200 en 2023.

Si cette proposition de loi n'a pas la prétention de résoudre l'ensemble des problématiques (prix des matériaux de construction, normes, coût du foncier, etc.), elle préconise divers dispositifs pour corriger la distorsion des droits entre les territoires.

Concernant le logement social, 80 % des familles réunionnaises y sont éligibles selon l'INSEE. Ce sont également 80 % des familles guyanaises qui y sont éligibles selon le rapport 2022 consacré à la Guyane de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM). Pour le logement dit très social, ce sont 83 % des demandes en Guyane et 70 % à La Réunion. Avec près de 46 000 demandeurs de logements sociaux en 2023 (26 800 en 2017 ; + 10 % par rapport à 2022), les familles réunionnaises et plus largement ultramarines sont confrontées à plusieurs contraintes cumulatives : des loyers moyens correspondant à ceux observés dans les grandes métropoles régionales, des ressources en moyenne largement plus faibles (taux de pauvreté deux fois plus élevé à La Réunion qu'en Hexagone par exemple), des dispositifs comme l'encadrement des loyers privés permettant de protéger un certain nombre de locataires qui n'ont pu être mis en application faute de “réflexe outre-mer” ou des adaptations moins-disantes, telle la dérogation aux critères nationaux pour l'éligibilité des territoires en tant que quartier prioritaire de la politique de la ville.

L'encadrement des loyers a été mis en place il y a bientôt dix ans à Paris, suivie par un certain nombre de collectivités, victimes de la spéculation immobilière et de loyers trop élevés, comme Lille, Plaine Commune, Lyon, Villeurbanne, les communes de l'Est parisien (Est Ensemble), Montpellier et Bordeaux. D'autres territoires seront bientôt concernés, notamment au Pays basque et dans l'agglomération Grenoble-Alpes Métropole.

Le dispositif de l'encadrement des loyers a fait ses preuves : il permet de bloquer les loyers abusifs au-delà de 20 % d'un loyer de référence fixé selon les prix du marché.

Il vise les communes dites tendues, dotées d'un observatoire local des loyers. Cependant, alors que le décret n° 2023-822 du 25 août 2023 a élargi la liste des communes tendues pour faire face à la crise du logement, l'expérimentation est restée fermée aux communes ultramarines qui souhaiteraient s'y engager.

C'est le cas de la ville de Saint-Denis de La Réunion, intégrée à la liste des villes considérées comme « tendues », mais ne pouvant appliquer le dispositif d'encadrement des loyers : avec une augmentation de 31 % en 5 ans, La Réunion fait pourtant partie des départements où les loyers sont les plus élevés de France, notamment à Saint-Denis où certains habitants dépensent jusqu'à 80 % de leurs revenus pour payer leur logement.

L'article 1er propose de rouvrir le délai pour demander l'expérimentation jusqu'en novembre 2025. L'objectif est bien de donner aux élus locaux les outils de régulation dont ils ont besoin pour maintenir une offre de logements abordables.

Autre problème noté dans les outre-mer, de plus en plus de logements neufs ou rénovés présentent d'importantes malfaçons et se voient en situation d'insalubrité alors qu'ils viennent d'être livrés. La confédération nationale du logement (CNL) à La Réunion prend pour exemple la Cité Bois-Rouge à La Bretagne, à Saint-Denis, rénovée après sa construction, il y a vingt ans. Après cette opération d'ampleur menée en 2018, les habitants logent cependant dans des appartements où l'humidité est très présente. Les moisissures sont nombreuses, la peinture se décroche, les infiltrations d'eau sont importantes. Il est nécessaire de veiller à ce que les organismes d'habitation à loyer modéré livrent des logements neufs qui ne soient pas insalubres. L'article 2 prévoit que le Gouvernement rédige un rapport sur cet enjeu comportant des pistes de solution afin de lutter contre le phénomène.

L'article 3 propose d'appliquer le crédit d'impôt (CI) aux opérations d'accession sociale aÌ la propriété s'appuyant sur un bail réel solidaire, permettant ainsi des prix de sortie plus en cohérence avec les ressources des ménages des départements et régions d'outre-mer. Contrairement au prêt social location-accession qui peut faire l'objet de spéculation foncière lors de la revente par le meìnage, le bail reìel solidaire (BRS) permet de disposer d'un logement durablement abordable.

Les ménages qui en bénéficient ne pourront revendre le logement qu'aÌ un prix de cession encadreì, inférieur au prix du marcheì, et aÌ un meìnage répondant aux mêmes critères de ressources auxquels ils étaient soumis. Malgré les avantages évidents de ce modeÌle, le cou?t d'acquisition en BRS est eìquivalent voire plus cher que le prêt social location-accession (PSLA) pour le meìnage, puisqu'il ne beìneìficie d'aucune solution de financement.

Ce dispositif qui peut être mobiliseì notamment en résorption de l'habitat insalubre ou dans les zones de menaces graves pour les vies humaines (notamment zones exposées aux risques) perdrait de son inteìre^t s'il n'est pas éligible au CI, d'autant que la redevance foncieÌre aÌ charge de l'acceìdant aÌ la propriété n'est pas éligible non plus aux allocations logement (allocation de logement sociale comme allocation de logement familiale).

L'article 4 propose la suppression de l'adaptation relative aux critères définissant les quartiers prioritaires de la politique de la ville dans les territoires ultramarins. Cette disposition prévue par l'article 5 de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine avait pour objectif initial de déroger aux critères nationaux afin que l'éligibilité des territoires ultramarins où les indicateurs socio-économiques sont largement inférieurs à ceux de la moyenne nationale soit plus large. Force est de constater que cette adaptation a été appliquée au moins-disant.

Avant la réforme, les départements et régions d'outre-mer (DROM) et les collectivités d'outre-mer (COM) comptaient 330 QPV (dont 35 zones urbaines sensibles) où résidaient 30 % de leur population. Depuis la réforme, les DROM dénombrent 218 QPV où résident près de 25 % de la population. Ce nouveau zonage s'est révélé défavorable aux DROM en ce qu'il a conduit à plafonner arbitrairement la part de la population ultramarine résidant en QPV à près de 10 % de la population de l'ensemble des 1 500 quartiers prioritaires de France, sans égard au niveau de vie réel des populations ultramarines. (Source USHOM)

Ce sont en conséquence une perte nette en terme de subventions et d'aides relatives aux contrats de ville ou à l'ANRU, de programmes spécifiques d'insertion professionnelle, de ressources supplémentaires dans l'enseignement et la formation, de renforcements des services publics, de dispositifs fiscaux et financiers et surtout d'aides de rénovation et de réhabilitation de l'habitat alors que les normes de construction inadaptées au climat tropical ont pour conséquence une dégradation plus rapide du bâti dans les territoires ultramarins que dans l'Hexagone.

L'article 5 propose la création du statut de société coopérative d'intérêt collectif du bâtiment et des travaux publics basée sur la forme des coopératives agricoles prévues par les articles L. 521-1 à L. 521-6 du code rural et de la pêche maritime. Alors que le nombre d'entreprises et d'emplois dans le secteur est en constante baisse, il devient impératif de mutualiser les ressources et de garder une capacité de production.

L'article 6 gage l'ensemble des mesures de cette proposition de loi. Le Gouvernement est appelé à lever ce gage.

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