EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le tissu économique ultramarin est composé majoritairement d'entreprises de petite taille (TPE). Le rapport de l'institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) consacré à La Réunion en 2022 indique que, sur les 62 963 entreprises présentes à La Réunion en 2022, seules 2 654 comptent 10 salariés ou plus. 96 % des entreprises réunionnaises comptent donc moins de 10 salariés.
Le bâtiment et les travaux publics sont l'un des plus importants secteurs économiques dans les outre-mer : il est, lui aussi, majoritairement composé d'artisans et de TPE. Le rapport de 2022 de l'IEDOM consacré à la Guyane note que pas moins de 17,5 % des établissements actifs du territoire exercent une activité dans le bâtiment. Au sein des entreprises guyanaises de ce secteur, 83,3 % n'ont aucun salarié et 13,9 % ont entre 1 et 9 salariés. Le rapport de 2022 de l'IEDOM consacré à la Guadeloupe note également que le secteur de la construction repreìsente 14,4 % des entreprises du département. Ce sont essentiellement des structures de petite taille (70,9 % des entreprises ne déclarent pas de salariés).”
La commande publique représente, en conséquence de l'étroitesse des marchés, une part très importante de l'activité économique du bâtiment et des travaux publics. Elle représentait ainsi 83 % du chiffre d'affaires du secteur selon le rapport publié en 2022 de l'IEDOM consacré à La Réunion. De même, le rapport consacré à la Martinique en 2022 indique que « l'activité des entreprises du BTP est dépendante des grands projets lancés par les organismes publics de l'île. »
Favoriser l'activité de ces TPE ultramarines est dès lors essentiel pour soutenir le dynamisme économique et l'insertion sociale dans les outre-mer. Vu l'importance de la commande publique, il est par ailleurs capital de décloisonner deux mondes : celui des entreprises et celui des collectivités territoriales.
Il s'agit, avec cette proposition de loi, de relancer la démarche volontariste portée par le dispositif prévu par l'article 73 de la loi n°2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique (dite loi EROM) qui prévoyait d'expérimenter :
- Un Small Business Act ultramarin qui permet aux autorités adjudicatrices de réserver jusqu'à un tiers de leurs marchés aux TPE et PME installées sur leur territoire.
- La réalisation d'un plan de sous-traitance pour les appels d'offres de plus de 500 000 euros qui permet de garantir la participation des PME locales.
Il est proposé de compléter cette expérimentation par la possibilité d'instaurer une part minimale d'exécution du contrat que le titulaire s'engage à confier à des PME locales ou à des artisans locaux. Cette part peut aller jusqu'à 33 % du montant du marché.
Dans leur rapport d'information du 7 juin 2018 déposé par la délégation aux outre-mer sur l'évaluation de la loi de programmation relative à l'égalité réelle dans les outre-mer, les députés Maina Sage et Raphaël Gérard notent que, selon Dominique Vienne, (à l'époque) président de la Confédération des PME à La Réunion (CPME), « l'encouragement à la pratique de l'allotissement permet de rendre plus accessibles les marchés publics aux petites entreprises. Ce processus entraîne une dynamique vertueuse, les entreprises génèrent un pouvoir d'achat pour leurs salariés, et par leurs bénéfices, elles accroissent les ressources des finances locales. Enfin, la diversification de l'offre permet aux entreprises d'innover. » La pratique de l'allotissement favorise, enfin, une plus grande concurrence entre les entreprises.
Si l'expérimentation initiée par la loi « égalité réelle outre-mer » était extrêmement intéressante, nous proposons qu'elle soit approfondie et reconduite.
Cette expérimentation doit tout d'abord être approfondie : le Gouvernement, interrogé en 2023 par le député Philippe Naillet, avait regretté que l'expérimentation n'ait pas rencontré le succès espéré. En effet, « seuls 4 % des acheteurs s'en sont saisis - en raison, notamment, d'un risque juridique lié à l'imprécision du texte adopté, et du flou quant aux secteurs économiques concernés ». À ce titre, le rapport du Haut conseil de la commande publique de La Réunion publié en octobre 2022 apporte plusieurs propositions d'amélioration. Était évoquée la nécessité de définir juridiquement la notion de « secteurs économiques concernés », en précisant à quel groupe renvoient ces secteurs économiques, afin d'éviter tout risque juridique, notamment celui de dépasser la limite des 15 % qui était prévue à l'alinéa 2. Était par ailleurs évoquée la nécessité de clarifier le fait que la notion de PME inclut celle de TPE (microentreprise), correction apportée par le présent texte, et de formaliser une communication auprès des acheteurs publics sur les modalités d'utilisation de la mesure. Il sera en effet nécessaire de rédiger un guide à l'attention des acheteurs publics ultramarins pour les accompagner en vue de l'utilisation de ces nouvelles possibilités juridiques.
Cette expérimentation pourra intégrer le développement de la commande publique circulaire, notamment depuis le vote de la loi n°2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire défendue par la ministre des outre-mer Mme Ericka Bareigts. Grâce à un amendement du député Victorin Lurel, l'article 58 de cette loi prévoit notamment que « les biens acquis annuellement par les services de l'État ainsi que par les collectivités territoriales et leurs groupements sont issus du réemploi ou de la réutilisation ou intègrent des matières recyclées dans des proportions de 20 % à 100 % selon le type de produit. » Le Haut conseil de la commande publique de La Réunion a intégré ces objectifs environnementaux en prévoyant, parmi ses priorités pour l'année 2024, « le développement des circuits courts pour valoriser le développement de l'activité économique de proximité » et « l'intégration des acteurs de l'économie circulaire et solidaire ». Afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre comme de faire face à l'épuisement des ressources naturelles, il est essentiel de favoriser les biens issus du réemploi ou du recyclage d'autres biens collectés et recyclés au sein même du territoire : ces boucles locales d'économie circulaire permettent de réduire l'importation de matières premières extérieures au territoire et favorisent l'activité économique locale. Des exemples de réemploi ou de recyclage à l'échelle du territoire dans les outre-mer sont à noter. Le développement des filières de responsabilité élargie des producteurs pour les produits et matériaux de construction dans le secteur du bâtiment permettra de les renforcer et de les augmenter. Vu le poids de la commande publique dans l'activité du secteur, il est essentiel que celle-ci vienne soutenir les efforts d'économie circulaire locale des différentes filières.
Enfin, cette expérimentation doit être reconduite car elle a pris fin le 31 mars 2023. Il est donc nécessaire de la relancer pour 5 ans, jusqu'en 2029, afin que les collectivités et entreprises s'en saisissent davantage, dans l'intérêt de l'économie de nos territoires comme de nos emplois locaux.