EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Manifestation directe de la désaffection croissante de nos concitoyens à l'égard de la vie politique et démocratique et de leur scepticisme grandissant envers les institutions, l'abstention électorale n'a cessé de progresser en France depuis les années 701(*) pour la majorité des scrutins.

Taux d'abstention aux législatives et présidentielles (1974-2022)

 

1973-1974

1981

1986

1988

1995-1997

2002

2007

2012

2017

2022

Légis. 1er tour

18 %

29 %

21,5 %

34,5 %

32 %

34 %

39 %

42,5 %

51,3 %

52,5 %

Prési. 1er tour

16 %

19 %

-

18,6 %

21,5 %

28 %

16 %

20,5 %

22,3 %

26,3 %

Prési. 2e tour

12,7 %

14 %

-

16 %

20,5 %

20,5 %

16 %

19,5 %

25 %

28 %

Initialement circonscrit aux scrutins nationaux2(*), à l'exception notable et persistante de l'élection présidentielle, ce phénomène concerne désormais tout autant les élections locales3(*).

En matière de sociologie électorale, l'élément le plus frappant est sans nul doute la proportion accrue d'abstentionnistes parmi les jeunes électeurs4(*).

Ainsi, parce qu'elle frappe tous les types de scrutin et se manifeste chez l'ensemble des électeurs et tout particulièrement les plus jeunes d'entre eux, détenteurs de l'avenir de notre démocratie représentative, l'abstention doit être résolument combattue.

Ce mal des sociétés démocratiques modernes peine généralement à être endigué par de simples campagnes d'appel au civisme, auxquelles les citoyens en âge de voter se montrent de moins en moins réceptifs.

Pour sa part, l'arsenal juridique de lutte contre l'abstention électorale est réduit, que ses outils revêtent un caractère contraignant - cas du vote obligatoire - ou simplement incitatif, comme les possibilités accrues de vote à distance (par voie électronique et non plus seulement postale) et la possibilité de détention de procurations de vote multiples par les électeurs se rendant aux urnes.

S'il s'avère sans surprise efficace, le vote obligatoire5(*) peut être ressenti comme restrictif pour les libertés individuelles et suscite de ce fait des réticences légitimes.

Le vote à distance par voie électronique constitue une solution tout à fait digne d'intérêt mais pose encore des problèmes de fiabilité.

Aussi est-ce en actionnant le plus classique et le plus éprouvé des leviers juridiques disponibles - le droit de détenir une double procuration - que la présente proposition de loi entend contribuer à lutter contre l'abstention électorale, à travers la systématisation des dispositions mises en place à titre exceptionnel pour les élections municipales de 2020, en pleine crise sanitaire du covid-19.

La double procuration électorale est par nature simple, fiable et peu contraignante. Les délégataires conservent leur liberté de déplacement le jour du scrutin, tout en participant à l'élection et en s'en remettant à une personne de confiance. Et aucune contrainte supplémentaire significative ne pèse sur leur mandataire détenteur de deux procurations au lieu d'une seule.

Le fait de favoriser spécifiquement le recours aux procurations ne ramènera certes pas vers les urnes ceux des électeurs décidés à les bouder par désintérêt, défi ou conviction. En revanche, il est de nature à faire ou refaire voter les abstentionnistes de « confort », que seule la contrainte matérielle du scrutin détourne des bureaux de vote : il s'agit typiquement de ceux qui, sans être particulièrement inciviques, ne sont pas disposés à sacrifier en tout ou partie leur dimanche pour aller voter, et encore moins à renoncer à s'absenter ce jour-là de leur commune de résidence pour leurs loisirs. Si la proportion exacte de cette catégorie d'abstentionnistes est peu ou pas documentée, elle concerne néanmoins une frange suffisamment significative d'électeurs pour justifier un accès facilité à la procuration de vote.

Dans son rapport d'information N° 240 du 19 décembre 20206(*), notre collègue François-Noël BUFFET (LR), président de la commission des lois du Sénat, envisageait une possible pérennisation des mesures sur les doubles procurations introduites durant la crise sanitaire.

Depuis lors, des travaux de fond consacrés par le Sénat à des thèmes de démocratie électorale ont envisagé, voire prôné à plusieurs reprises la généralisation des doubles procurations7(*).

Enfin, la proposition de loi organique n° 346 visant à garantir la qualité du débat démocratique et à améliorer les conditions sanitaires d'organisation de l'élection présidentielle dans le contexte lié à l'épidémie de covid-19 ( https://www.senat.fr/leg/ppl21-346.html), déposée en 2022 par notre collègue Philippe BONNECARRÈRE (UC), propose en son article 2 que « chaque mandataire [puisse] disposer de deux procurations, y compris lorsqu'elles sont établies en France ». Ce texte, adopté par le Sénat, n'a toutefois pas été examiné par l'Assemblée nationale et a fait l'objet d'un avis négatif du Gouvernement.

Dans le droit fil de ces récentes suggestions du Sénat, qu'il semble opportun de traduire en actes, et pour l'ensemble des motifs précédemment évoqués, la présente proposition de loi suggère, en son article unique, de modifier l'article L. 73 du code électoral afin de porter d'une à deux le nombre de procurations de vote établies en France8(*) qu'est autorisé à détenir chaque mandataire.

* 1 Voir infra tableau statistique.

* 2 51,3 % d'abstention au 1er tour des élections législatives de 2017, contre 80 % de participation dans les années 70.

* 3 44,7 % de participation au 1er tour des élections municipales de 2020, contre 75,2 % en 1971.

* 4 31,6 % d'abstention chez les 25-29 ans au 1er tour de l'élection présidentielle de 2017, contre 12,3 % chez les 50-54 ans.

* 5 Au sein de l'Union européenne, en vigueur en Belgique, au Luxembourg et en Grèce.

* 6 Rapport d'information N° 240 du 16 décembre 2020 fait sur « Le vote à distance » par M. François-Noël Buffet.

* 7 Recommandation n° 2 du rapport d'information n° 520 du 17 février 2022 relatif à la démocratie locale de Mme Françoise GATEL (UC) et M. Jean-Michel HOULLEGATTE (SER), publié au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation ; recommandation n° 17 du rapport d'information n° 648 du 7 juin 2022 «  Jeunesse et citoyenneté : une culture à réinventer - 23 recommandations pour redynamiser la culture citoyenne » de M. Claude CABANEL (RDSE), publié au nom de de la mission d'information Culture citoyenne.

* 8 C'est-à-dire abstraction faite, le cas échéant, d'une autre procuration de vote détenue simultanément par le même mandataire pour un électeur établi hors de France.

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