EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Sans les journalistes qui travaillent à l'étranger pour des médias français, nous n'aurions accès ni à une couverture fiable et rapide des événements internationaux, ni à des analyses précises de la situation politique, sociale et économique sur les cinq continents : ces journalistes sont nos yeux et nos oreilles à travers le monde.

Pour autant, même si le travail des journalistes à l'étranger est essentiel pour garantir le droit à l'information et la pluralité des points de vue, pour lutter contre la désinformation et, par extension, pour assurer la viabilité de notre démocratie, ceux-ci et celles-ci exercent actuellement leur métier dans la plus grande précarité.

Cette précarité résulte, en partie, des caractéristiques inhérentes au métier de journaliste qui les conduit à s'exposer régulièrement à des situations extrêmement périlleuses, entre autres afin de couvrir des conflits armés et des catastrophes naturelles ou de mener des enquêtes sur des terrains difficiles. Chaque année, l'association Reporters sans frontières recense au moins 80 journalistes tués dans l'exercice de leur métier à travers le monde.

Alors que ces risques exceptionnels devraient en soi justifier la mise en place d'un régime particulièrement protecteur, l'état actuel de la législation aggrave au contraire la situation singulière des journalistes qui travaillent à l'étranger pour des médias français. Pire, une grande partie des droits sociaux les plus fondamentaux, dont bénéficient leurs collègues exerçant en France, leur sont refusés.

Les journalistes se retrouvent fréquemment à l'étranger dans des situations inacceptables qui rendent l'exercice de leur métier encore plus difficile, faute d'une adaptation des règles en leur faveur.

À titre d'exemple, l'hypothèse d'un retour contraint en France n'est pas encadrée. C'est pourtant une situation qui peut se produire en cas de dégradations des relations diplomatiques entre la France et un pays tiers. Ainsi, en 2022, la correspondante d'un média public français à Bamako a été priée par sa rédaction de regagner la France, sur fond d'escalade des tensions diplomatiques franco-maliennes et la suspension de la diffusion de ce média au Mali. Après son retour, le média a refusé de continuer à la rémunérer, faute d'y être tenu par la loi.

Par ailleurs, la législation ne tient nullement compte du fait que les journalistes à l'étranger peuvent faire face à de grandes difficultés d'accès aux soins. Une jeune femme, qui avait été correspondante pour un média français à l'étranger, avait de ce fait négligé les premiers symptômes d'un cancer. Lorsqu'elle a dû être rapatriée en France pour bénéficier de soins urgents, elle s'est vue refuser une partie de ses indemnités journalières pendant son arrêt maladie, car certains de ses employeurs français, notamment des entreprises publiques, ne l'avaient pas déclarée et la rémunéraient en espèces, en toute illégalité.

Enfin, le statut actuel des journalistes hors de France ne leur permet pas de bénéficier d'une couverture par l'assurance maternité, alors qu'ils travaillent pour un média français. Une journaliste rentrée en France pour y accoucher a ainsi été radiée des listes de la sécurité sociale peu après son retour et a dû régler elle-même l'intégralité des frais hospitaliers.

Afin de conférer un statut plus protecteur aux journalistes qui travaillent à l'étranger pour des médias français, il conviendrait de les affilier à la sécurité sociale. Même si leur statut de journaliste professionnel est reconnu au titre de l'article L. 7111-3 du code du travail, la législation française interdit en l'état l'affiliation à la sécurité sociale des journalistes exerçant à l'étranger pour des médias français car cette affiliation est conditionnée à une résidence stable et régulière en France, en application de l'article L. 111-1 du code de la sécurité sociale.

Cependant, non seulement une affiliation à la sécurité sociale serait justifiée par le fait que ces journalistes travaillent pour des médias français, mais surtout permettrait de remédier aux nombreux problèmes rencontrés actuellement.

En premier lieu, une telle affiliation ouvrirait aux journalistes travaillant à l'étranger pour des médias français la prise en charge des frais de santé, ce qui est particulièrement important dans des zones où l'offre de soins est extrêmement faible, sinon inexistante, rendant l'accès aux soins très difficile.

De plus, affilier les journalistes travaillant pour des médias français à l'étranger à la sécurité sociale leur permettrait de bénéficier d'une couverture en cas d'accident professionnel, alors que cette prise en charge demeure actuellement seulement optionnelle pour les médias pour lesquels ils travaillent. Ainsi, un reporter français en Libye, blessé à la jambe par une balle, s'est vu refuser, par le média public français pour lequel il travaillait, une prise en charge de certains frais d'hôpital sur place. Grâce à une affiliation, les frais de santé, en lien avec un accident professionnel ou non, seraient mieux pris en charge, et ce indépendamment de la volonté de l'employeur.

Enfin, une affiliation à la sécurité sociale permettrait à ces journalistes de cotiser pour leur retraite en France. Grâce à ces droits, les journalistes hors de France se retrouveraient dans une situation moins précaire, par exemple lorsqu'ils se voient contraints de quitter un pays en cas de dégradation subite de la situation locale ou quand leur présence n'est plus souhaitée par le pays où ils exercent.

Compte tenu de la particularité du métier de journaliste, force est de constater que seule une affiliation à la sécurité sociale française permettrait d'accorder une protection à la hauteur des enjeux. En effet, ni le détachement, ni l'adhésion à la Caisse des Français de l'étranger ne sont pleinement adaptés à la situation particulière des journalistes travaillant à l'étranger pour des médias français.

D'une part, le détachement permet certes de conserver l'affiliation à la sécurité sociale, mais il est uniquement envisageable pour les pays avec lesquels la France a conclu une convention bilatérale spécifique, ce qui est loin d'être le cas pour tous les pays. Le recours au détachement ne permettrait donc pas d'améliorer la protection des journalistes indépendamment de leur lieu d'exercice et ce d'autant moins que le réseau des médias français a pour particularité d'être l'un des plus vastes réseaux existants. De surcroît, un détachement est limité dans le temps, alors qu'une des spécificités de l'activité de journaliste repose sur les connaissances fines des circonstances locales, particulièrement valorisées, connaissances qui ne s'acquièrent qu'à l'issue d'une période qui ne serait pas pleinement couverte par un détachement.

D'autre part, l'adhésion à la Caisse des Français de l'étranger ne peut pleinement répondre à l'objectif de garantir un statut plus protecteur aux journalistes hors de France, car l'adhésion à cette caisse est conçue pour être volontaire. Si ce modèle est adapté aux Françaises et Français établis hors de France, la particularité du cas des journalistes réside dans le fait que leurs droits devraient reposer sur le lien qui les lie avec le média pour lequel ils travaillent. Comme pour leurs collègues qui travaillent en France, ce travail devrait ouvrir automatiquement l'accès à tous les droits garantis par la sécurité sociale, ce qui ne peut être assuré que par une affiliation.

Pour toutes ces raisons, la présente proposition de loi prévoit que les journalistes qui travaillent à l'étranger pour des médias français soient affiliés à la sécurité sociale.

Les journalistes et leurs employeurs se verraient ainsi tenus à payer des cotisations sociales. En échange, les journalistes pourraient bénéficier d'un accès aux droits permettant de rendre leur statut moins fragile. Il est grand temps de reconnaître la juste valeur de leur travail indispensable pour notre démocratie et d'élargir la sécurité sociale à tous les journalistes travaillant pour des médias français, indépendamment de leur lieu d'exercice.

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Le I de l'article unique vise à affilier les journalistes travaillant pour des médias français au régime général de la sécurité sociale, indépendamment de leur lieu d'exercice et de résidence.

Son II en garantit la recevabilité financière.

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