EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
« Liberté, Égalité, Fraternité ». Ces trois mots formant notre devise sont inscrits sur les frontons de nos établissements scolaires. Ils sont la traduction ancienne du contrat entre l'École de la République et la Nation. Ce lien historiquement fort, comme en témoigne la construction du service public d'éducation depuis la IIIe République, tend pourtant à s'étioler.
Les causes en sont bien sûr multiples et certaines sont à rechercher dans une crise plus large qui touche les services publics en général.
La capacité de l'École, souvent présentée comme une « priorité », à assurer la réussite de ses élèves dans leur diversité de parcours et d'aspirations personnelles est questionnée. L'École, dans sa capacité à garantir sa mission d'émancipation sociale et d'ouverture sur le monde, est ébranlée. Les retours de la communauté éducative ne cessent de nous alerter sur cette réalité. Les inégalités sociales n'ont cessé de se reproduire, pour s'accentuer fortement. D'après l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), la France est aujourd'hui l'un des pays où le milieu social de l'élève conditionne le plus sa réussite scolaire. Les chercheurs en sciences de l'éducation pointent depuis de nombreuses années les effets néfastes de cette ségrégation scolaire sur le système scolaire et ses acteurs, au premier rang desquels les élèves, ainsi que sur notre contrat social, l'égalité des chances étant de moins en moins garantie.
Parce qu'à travers ce constat, ce sont notre cohésion sociale et les principes républicains qui sont remis en cause, les pouvoirs publics se sont saisis de la problématique de la mixité sociale et scolaire. À cet égard, il faut souligner l'avancée, importante compte tenu de l'enjeu, que représente l'inscription dans la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République d'objectifs liés à la mixité scolaire. Traduite dans l'article L. 111-1 du code de l'éducation, cette ambition assigne au service public d'éducation la mission de « veille » quant à « la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d'enseignement ».
Cette évolution législative a donné l'impulsion à de nombreuses expérimentations sur les territoires, en faveur de la mixité sociale et donc scolaire. Ainsi, le département de la Haute-Garonne a mis en place depuis 2015 un dispositif d'amélioration de la mixité sociale dans les collèges, basé sur la fermeture de plusieurs établissements très défavorisés et la réaffectation des élèves. À Paris, des mouvements de resectorisation ont été opérés, tandis que trois secteurs « multi collèges » ont été créés dans le but d'agrandir le secteur de rattachement des établissements et de diversifier leur recrutement. Sur ces deux territoires, une partie de la dotation de fonctionnement allouée par le département est indexée sur les Indices de Position Sociale (IPS). Dans le sillage de la loi de 2013, une quarantaine d'expérimentations ont vu le jour. Il s'agit désormais de permettre leur généralisation à l'ensemble du territoire.
La publication des IPS, à la suite d'une décision de justice (juillet 2022), a mis en exergue la persistance de l'absence de mixité sociale à l'école. Au collège, les inégalités sont criantes à la fois entre les établissements publics et privés, mais également entre les établissements publics. À la rentrée 2022, l'IPS moyen des collégiens en France est de 105, avec de fortes disparités territoriales. Les collèges classés « REP+ » ont un IPS moyen de 74 contre 106 pour les collèges publics hors éducation prioritaire. Dans le secteur privé sous contrat, l'IPS moyen est de 121 et « 30 % des collèges privés sous contrat scolarisent plus d'un quart d'élèves de milieu défavorisé alors que 93 % de ces collèges scolarisent plus d'un quart d'élèves de milieu favorisé ou très favorisé ». Au lycée, le constat n'est pas différent. Si l'IPS moyen est de 103,9 l'écart est sensible entre les établissements du secteur public (99,5) et ceux du secteur privé (112,5). Des différentiels de mixité sociale et scolaire peuvent exister au sein même des établissements et il nous faut rester vigilants à ce que des dispositifs de types « classes de niveaux » ne soient pas mis en oeuvre.
Dans ce contexte, l'existence de « ghettos scolaires » n'est plus à démontrer. Le seul choc qui doit percuter l'Éducation nationale, c'est bien celui qui permettra de briser certains murs, au service d'une plus grande mixité sociale et scolaire !
Cette volonté d'une meilleure mixité s'appuie sur les effets bénéfiques qu'elle engendre. À l'échelle d'un établissement, c'est le climat scolaire qui est impacté de façon positive, pour l'ensemble des élèves, quel que soit leur parcours scolaire.
Pour les adolescents à l'échelle individuelle, les effets se font sentir sur le plan du bien-être personnel et du bien-être social, et surtout, sur l'effectivité de l'égalité des chances et la capacité à chaque enfant de choisir librement comment conduire sa propre vie, peu importe son origine sociale. L'estime de soi est renforcée en même temps que l'opportunité d'une meilleure construction de ses aspirations sociales.
À travers le combat en faveur de la mixité sociale et scolaire se joue un combat essentiel en faveur de la mobilité sociale. Sans mixité sociale et scolaire, il n'y a pas de méritocratie effective ; et sans méritocratie, point de perspectives d'évolution, d'émancipation, de réussite pour chacune et chacun. En somme, il s'agit de combattre l'assignation sociale, contraire aux objectifs poursuivis par notre politique publique éducative.
De la politique des petits pas, il est désormais temps de passer à un nouvel acte en faveur de la mixité sociale et scolaire. C'est une exigence que nous devons avoir pour l'avenir de nos enfants et leur réussite. Parce que les trois mots de notre devise sont aussi ceux qui fondent notre promesse républicaine.
C'est pour cette raison que la présente proposition de loi est soumise à votre examen. Elle propose d'assurer la mixité sociale dans les établissements d'enseignement publics et privés sous contrat du premier et du second degré et de garantir davantage de transparence dans les procédures d'affectation et de financement des établissements privés sous contrat.
Ainsi, l'article 1er modifie et complète le code de l'éducation afin :
- d'une part, de renforcer les objectifs légaux de mixité sociale existants, en les transformant en véritables obligations, tant pour l'enseignement public que l'enseignement privé sous contrat :
o l'État aura à charge de garantir la mixité sociale dans les établissements par une répartition équilibrée des catégories socio-économiques au sein des établissements (1°) et de contrôler son effectivité dans les établissements publics et privés sous contrat (3°) ;
o le conseil municipal devra assurer la mixité sociale lors de ses décisions de la création d'écoles et de classes (4°) ;
o la carte scolaire sera établie par le conseil départemental en tenant compte des impératifs de mixité sociale et un même secteur de recrutement sera obligatoirement partagé par plusieurs collèges et non facultativement comme actuellement (5°) ;
o de même, le schéma des formations des collèges et lycées devra garantir la mixité sociale (6°) ;
o l'enseignement privé sera aussi tenu à de nouvelles obligations de mixité sociale par :
o une possibilité pour l'État de s'opposer à l'ouverture d'un établissement si cette mixité n'est pas assurée (8°) ;
o l'obligation, pour passer un contrat d'association avec l'État, d'accepter des enfants issus de tous les milieux sociaux (8°) ;
o une modulation des subventions de l'État, tant pour les dépenses de fonctionnement (9°) que pour celles concernant les rémunérations des enseignants (13°) ;
o et un contrôle, par les commissions de concertation, de l'effectivité de la mixité au sein des établissements sous contrat (11°) ;
- d'autre part, d'assurer davantage de transparence dans l'enseignement privé sous contrat et d'équité par rapport à l'enseignement public :
o en octroyant une base légale à l'IPS et en portant obligation à l'État de le transmettre chaque année aux autorités locales et régionales compétentes ainsi qu'aux chefs d'établissement (2°) ;
o en octroyant une base légale à la plateforme Affelnet d'affectation au lycée et en étendant son champ d'application aux lycées privés sous contrat (7°) ;
o en rendant publics les dons et legs effectués aux établissements d'enseignement privés sous contrat (10°) ;
o en empêchant une création de classe dans un établissement privé sous contrat si une fermeture de classe dans l'enseignement public, dans la même zone géographique et pour le même degré, a été décidée (12°).
L'article 2 effectue une coordination dans le code général des collectivités territoriales.