EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Trop souvent, les personnes dans une situation atypique se voient refuser l'ouverture d'un compte bancaire, car l'établissement bancaire juge le traitement de leur demande trop complexe. Le droit au compte bancaire vise à pallier cet obstacle aux multiples conséquences néfastes en garantissant à toute personne le droit à l'ouverture d'un compte bancaire avec des services de base, notamment pour lui permettre de percevoir un salaire ou de payer des impôts. Si 189 192 comptes créés grâce à cette procédure étaient en activité fin 2022, l'exercice de ce droit demeure difficile, y compris pour les Françaises et Français établis hors de France.
En effet, les Françaises et Français résidant à l'étranger rencontrent de grandes difficultés quand ils souhaitent avoir accès à un compte bancaire en France.
D'une part, les comptes des personnes partant à l'étranger sont souvent fermés à l'initiative de la banque, soit parce que celle-ci ne souhaite pas maintenir un compte dont le titulaire réside désormais à l'étranger, soit parce que la banque considère le compte comme inactif. Relevant du droit contractuel privé, ces fermetures sont peu encadrées par la loi qui exige cependant que la titulaire ou le titulaire en soit averti. Or, cet avertissement est moins utile pour les Françaises et Français résidant à l'étranger qui reçoivent le courrier d'avertissement parfois avec un retard très important à cause des délais d'acheminement plus longs à l'étranger.
D'autre part, les Françaises et Français établis à l'étranger se retrouvent souvent dans l'impossibilité d'ouvrir un compte bancaire en France. L'immense majorité des établissements de crédit exige des entretiens physiques dans une agence en France pour l'ouverture d'un compte bancaire, exigence impossible à remplir pour nos compatriotes qui résident parfois à des milliers de kilomètres de la France. Même si les clientes et clients potentiels réussissent à se rendre en France pour l'ouverture du compte, la plupart des banques refusent systématiquement l'ouverture d'un compte aux Françaises et Français ne résidant pas en France. De plus, l'ouverture d'un compte auprès d'une banque en ligne, parfois suggérée en alternative à l'entretien physique en agence, s'avère également difficile, car la quasi-totalité des formulaires utilisés pour demander la création d'un compte exige le renseignement d'une adresse postale française et un numéro de téléphone français, ce qui exclut généralement nos compatriotes établis à l'étranger.
Souvent privés de l'accès à un compte bancaire français, les Françaises et Français établis à l'étranger rencontrent ainsi des difficultés pour payer des impôts en France, percevoir des aides sociales, leur retraite. De même, ils sont confrontés à des frais bancaires importants quand ils souhaitent réaliser de simples opérations bancaires, tel un virement pour verser une pension alimentaire ou l'encaissement d'un chèque. Par ailleurs, tout déplacement en France devient difficile et onéreux pour ces Françaises et Français qui doivent payer des frais bancaires importants pour chaque paiement - dans leur propre pays. Enfin, l'impossibilité d'ouvrir un compte bancaire français les prive de l'accès à certaines démarches pourtant essentielles, comme la souscription à un contrat de téléphonie mobile français puisque les opérateurs exigent un compte bancaire européen, voire français.
C'est la raison pour laquelle l'imparfaite application du droit au compte complique également tout potentiel retour en France. Pour ne citer qu'un exemple, une Française installée à l'étranger qui a vu son compte bancaire désactivé pour cause d'inactivité et qui cherche un logement en France ne peut pas appeler une agence immobilière ou un propriétaire en France faute de numéro français, numéro qu'elle ne peut pas obtenir faute de compte bancaire français. En fin de compte, les Françaises et Français de l'étranger sont ainsi également concernés par l'exclusion bancaire qui constitue « un maillon important du processus d'exclusion sociale au sein des sociétés hautement financiarisées »1(*). Dans le cas des Françaises et Français établis hors de France, cette exclusion sociale, résultat de la multiplication des obstacles, peut conduire à une coupure des liens avec la France.
Afin de lutter contre l'exclusion bancaire, le droit au compte, socle de l'inclusion bancaire en France, devrait garantir à toute personne, y compris aux Françaises et Français résidant à l'étranger, l'ouverture d'un compte bancaire proposant des services bancaires de base. En vertu de ce droit au compte, la Banque de France peut désigner un établissement de crédit qui sera ainsi tenu d'ouvrir un compte pour la personne qui en fait la demande. Toutefois, la personne qui souhaite exercer son droit au compte doit obligatoirement s'adresser au préalable à un établissement de crédit pour demander l'ouverture d'un compte en banque. C'est seulement lorsque cette banque refuse sa demande ou n'y donne pas suite dans les quinze jours que la personne peut saisir la Banque de France.
Or, cette exigence procédurale est particulièrement difficile à remplir pour les Françaises et Français établis hors de France, car il est difficile d'obtenir les pièces justificatives depuis l'étranger.
D'une part, le demandeur ou la demandeuse peut prouver qu'une banque lui a refusé l'ouverture d'un compte en transmettant la lettre de refus à la Banque de France. Or, les Françaises et Français de l'étranger ont du mal à même contacter une banque afin qu'elle étudie leur dossier, car l'immense majorité exige une présence physique dans une agence en France pour un entretien d'évaluation. Demander l'ouverture d'un compte bancaire en ligne ne constitue pas non plus une alternative, car les banques en ligne tendent à exiger que l'internaute renseigne une adresse en France et un numéro de téléphone français, sans quoi le formulaire de demande ne peut être envoyé. Cependant, ce sont justement des éléments que nos compatriotes installés à l'étranger ne peuvent pas fournir.
D'autre part, les personnes qui souhaitent exercer leur droit au compte peuvent saisir la Banque de France si leur demande d'ouverture de compte est restée sans réponse à l'issue d'un délai de quinze jours. Toutefois, cette procédure n'est pas non plus appropriée pour les Françaises et Français établis à l'étranger, car seuls sont acceptées comme pièces justificatives un récépissé d'une demande remise en main propre au guichet d'une banque en France ou la preuve de dépôt d'une lettre recommandée. Si le récépissé est évidemment difficile à produire, puisqu'il nécessiterait également de se rendre en France, la preuve de dépôt d'une lettre recommandée l'est également, car même dans les cas où une telle preuve est délivrée par les services postaux du pays de résidence, il se peut qu'elle soit délivrée dans une langue autre que le français.
Pour ces raisons, les Françaises et Français établis à l'étranger rencontrent des difficultés particulières quand ils et elles essaient de contacter d'abord un établissement bancaire avant de saisir la Banque de France afin d'exercer leur droit au compte.
De surcroît, force est de constater que cette exigence est superflue pour les Françaises et Français établis à l'étranger. Si le fait de contacter d'abord un établissement bancaire peut se justifier dans le cas général par le besoin de limiter les saisines de la Banque de France aux seules personnes qui ont effectivement déjà essayé d'ouvrir un compte bancaire, la situation particulière des Françaises et Français établis à l'étranger réside précisément dans le fait que les établissements bancaires leur refusent systématiquement l'ouverture d'un compte de par le seul fait qu'ils et elles ne résident pas en France.
En d'autres termes, si cette condition a pour vocation de filtrer les saisines, elle est superflue pour les demandes des Françaises et Français de l'étranger qui doivent suivre une procédure kafkaïenne, les décourageant de faire valoir leur droit au compte.
Tirant les leçons de la mise en oeuvre du droit au compte depuis sa dernière modification importante en 2013, la présente proposition de loi vise à mettre en place une garantie bancaire pour les Françaises et Français résidant à l'étranger en agissant sur deux leviers.
En premier lieu, il est proposé de faciliter l'exercice du droit au compte pour les Françaises et Français établis à l'étranger en leur permettant de saisir directement la Banque de France. De cette manière, l'obligation de s'adresser d'abord à un établissement de crédit serait supprimée. Cette condition est non seulement source de délais supplémentaires, qui s'expliquent par exemple par la nécessité d'attendre une réponse éventuelle de la banque pendant au moins quinze jours, mais entraîne également des coûts parfois importants, par exemple des frais postaux ou des frais de traduction.
Deuxièmement, il est proposé de mieux protéger les Françaises et Français établis à l'étranger contre une résiliation de leur compte de dépôt par les établissements bancaires, alors que les établissements bancaires procèdent fréquemment à la fermeture des comptes dont les titulaires déménagent à l'étranger. Ces personnes se voient ensuite contraintes de suivre les démarches difficiles pour obtenir à nouveau un compte bancaire français ; elles font ainsi partie des 62 % des anciennes et anciens titulaires de compte qui saisissent la Banque de France parce que leur compte bancaire a été fermé sur décision de leur banque. Ces fermetures sont particulièrement pénalisantes pour les personnes qui ont besoin de leur compte bancaire seulement sporadiquement ou qui ont décidé de garder leur compte bancaire français pour des besoins ultérieurs, par exemple pour leur retour en France.
L'article premier de la présente proposition de loi vise à ouvrir aux Françaises et Français établis hors de France le droit de saisir directement la Banque de France pour qu'elle leur désigne un établissement de crédit.
L'article 2 vise à porter le délai de préavis pour résiliation de compte bancaire à l'initiative de l'établissement de crédit de deux à quatre mois pour les comptes bancaires ouverts dans le cadre du droit au compte par des Françaises et Français établis hors de France.
Enfin, l'article 3 vise à mieux protéger les Françaises et Français d'une fermeture de compte bancaire pour inactivité en portant la période au cours de laquelle aucune opération n'a été enregistrée de douze mois à cinq ans.
* 1 Georges Gloukoviezoff, L'exclusion bancaire : le lien social à l'épreuve de la rentabilité, Le lien social (Paris : Presses universitaires de France, 2010).