EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Présenté le 1er février 2023, le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre sur l'état du mal-logement en France fait état de plus de 4 millions de personnes mal logées, dont 1 million est privé de logement personnel. Parmi ceux-ci, la Fondation estime à 330 000 le nombre de personnes sans domicile fixe, qu'elles vivent à la rue, en abri de fortune, à l'hôtel, en centre d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) ou en hébergement généraliste.
Ces chiffres records se traduisent concrètement par des situations de détresse sociale que nous constatons chaque jour dans nos territoires : enfants vivant dans l'incertitude quotidienne de l'accès à une place d'hébergement, personnes sans abri, familles trouvant refuge dans des voitures, les urgences hospitalières ou des halls d'immeubles, recrudescence de la précarité alimentaire, difficulté des associations à faire face à ces situations...
La période actuelle est particulièrement préoccupante car, comme le souligne la Fondation Abbé Pierre, elle conjugue plusieurs facteurs de fragilisation de personnes d'ores et déjà en situation de vulnérabilité : hausse des prix de l'énergie et des denrées alimentaires à cause du retour de la guerre aux portes de l'Europe, arrivées soutenues de personnes fuyant leur pays d'origine pour trouver refuge en France, saturation des dispositifs d'hébergement d'urgence, sans oublier les crises sociale et climatique.
Notre pays connaît par ailleurs une grave crise du logement, avec un nombre de ménages en attente d'un logement social plus élevé que jamais (2,42 millions), comme celui des personnes sans abri évoqué plus haut, alors qu'on observe une chute libre de la construction de logements neufs et un blocage du marché locatif. Ainsi, 359 200 chantiers de nouveaux logements ont été entamés sur les douze derniers mois, soit une baisse de 8 % par rapport à l'année 2021-2022, et à un niveau toujours très en-deçà du niveau pré-crise sanitaire. La tendance générale est également à la baisse, avec comme conséquence une hausse des prix de l'immobilier et une baisse mécanique de la production de logements sociaux.
Parallèlement, le marché locatif est pris en tenaille entre un accès plus difficile de l'accès à la propriété et une saturation du parc social. Selon un rapport du site Bien'ici, qui recense les annonces des principales agences immobilières françaises, l'offre de biens à louer a été divisée par deux entre 2019 et 2023. La situation continue de se dégrader, avec 17 % d'annonces en moins au premier trimestre 2023 par rapport à 2022.
La situation du logement est donc extrêmement tendue et les professionnels du secteur craignent une explosion en l'absence de mesures fortes de l'exécutif. Or, au terme des travaux du Conseil national de la refondation, le gouvernement a dévoilé au début du mois de juin 2023 des mesures très insuffisantes unanimement critiquées, par les acteurs du bâtiment comme ceux du logement et de la solidarité.
La déception est d'autant plus grande que le mal logement constitue l'une des manifestations les plus graves de la pauvreté dans notre pays. Des mesures fortes sont nécessaires pour répondre à l'accroissement de la précarité dans notre pays : adopter une loi de programmation et de planification des places d'hébergement à la hauteur des besoins, lever les freins financiers à la production de logement abordable et de logement social, déployer un plan d'urgence pour la prise en charge des enfants et des familles sans solution en associant la communauté éducative, ouvrir des centres de premier accueil répartis sur l'ensemble du territoire pour les personnes venant chercher refuge en France, ouvrir des États généraux de l'aide alimentaire en partant de diagnostics territoriaux.
Solidarités nationale et territoriale, accès au « logement d'abord » chaque fois que c'est possible, accueil dans de bonnes conditions des personnes réfugiées, réponse à l'augmentation continue des besoins observés pour l'aide alimentaire dans un contexte de hausse du coût des denrées alimentaires et de l'énergie : face à la démobilisation de l'État, des solutions alternatives mais nécessairement provisoires et insuffisantes se mettent souvent en place à l'initiative des collectivités locales.
Des milliers d'acteurs associatifs, d'élus locaux, de volontaires se mobilisent ainsi pour aller chaque jour à la rencontre des personnes sans abri. Les maires et présidents d'exécutifs territoriaux ne cessent de le répéter : des solutions existent pour enrayer la spirale négative de la précarité et de l'exclusion, et sans mettre en concurrence les différents publics concernés, comme c'est si souvent le cas.
Depuis 2018, la Ville de Paris a ainsi lancé la Nuit de la Solidarité, une opération de décompte de nuit des personnes sans-abri, qui se tient chaque hiver et mobilise plus de 2 000 bénévoles et professionnels du social. L'objectif est de compter à un instant T le nombre de personnes en situation de rue, n'ayant donc pas d'endroit où dormir pour la nuit ou étant installées dans des lieux impropres au sommeil : voiture, tente, hall d'immeubles...
Cette opération permet également de mieux appréhender le profil des personnes décomptées et leurs besoins, le but étant in fine de faire progresser les dispositifs et les politiques publiques d'accueil, d'hébergement et d'insertion. Son succès est reconnu au-delà du territoire parisien et de nombreuses communes s'en sont saisi et organisent à leur tour une opération similaire : en 2022, de nombreuses villes de la métropole du Grand Paris y ont participé : Aubervilliers, Bobigny, Bondy, Courbevoie, Gagny, Romainville, Rosny-sous-Bois, Rueil-Malmaison et Saint-Denis. Les Nuits de la Solidarité ont également essaimé en France métropolitaine, avec des éditions dans des villes comme Rennes, Metz, Grenoble, Toulouse ou Montpellier.
Pour la première fois, toujours lors de l'édition 2022, la Nuit de la Solidarité parisienne a été mutualisée avec la collecte Habitations Mobiles et Sans-Abri (HMSA) de l'INSEE, qui pour rappel se déroule tous les cinq ans dans le cadre du recensement de la population dans les communes de plus de 10 000 habitants. Cette mutualisation a permis de bénéficier de la dynamique portée par la Nuit de la Solidarité pour recenser de façon la plus fine possible le nombre de personnes sans-abri et d'assoir la cohérence des résultats obtenus.
Comme parlementaires, nous soutenons ces initiatives locales et en appelons à l'État pour les mettre en place à l'échelle nationale : mobilisation des services de l'État, reconnaissance à leur juste valeur des professionnels engagés au quotidien, maintien des emplois indispensables à l'accompagnement social de toutes et tous.
La première étape nécessaire à l'élaboration d'une réelle politique de mise à l'abri des personnes sans abri, à la prévention des situations de grande exclusion et à l'insertion durable des publics concernés consiste à recenser précisément les besoins dans toutes nos communes.
L'article 1er de la proposition de loi propose donc de généraliser à l'ensemble du territoire national le décompte annuel du nombre de personnes contraintes de dormir à la rue, sur le modèle de la Nuit de la Solidarité, afin d'établir un diagnostic objectif des besoins d'hébergement et plus globalement des services permettant de répondre aux besoins fondamentaux de toutes les personnes en situation de grande exclusion.
L'article 2 dispose qu'à la suite du décompte, ce diagnostic fera l'objet d'un rapport transmis à la représentation nationale, comprenant les éléments du diagnostic et une liste de recommandations.