EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Il est, dit-on, bien étrange, qu'il ait fallu une loi expresse pour attester à toute la France que la propriété d'un auteur dramatique lui appartient ; que nul n'a le droit de s'en emparer. Ce principe, tiré des premiers droits de l'homme, allait tellement sans le dire, pour toutes les propriétés des hommes, acquises par le travail, le don, la vente ou bien l'hérédité, qu'on aurait cru très dérisoire d'être obligé de l'établir en loi. Ma propriété seule, comme auteur dramatique, plus sacrée que toutes les autres, car elle ne me vient de personne, et n'est point sujette à conteste, pour dol, ou fraude, ou séduction (...) ; ma propriété seule a eu besoin qu'une loi prononçât qu'elle est à moi, m'en assurât la possession 1(*)».

Si la reconnaissance légale du droit d'auteur est consacrée dès janvier 1791 par l'Assemblée nationale constituante, la loi est contournée et son application se révèle défaillante. Dans ce contexte, Beaumarchais dépose une pétition à l'Assemblée nationale afin d'alerter sur le non-respect de la lettre de la loi entrée en vigueur quelques mois auparavant.

Plus de deux siècles ont passé, mais les termes du débat n'ont que peu varié. Certes, les sociétés et le monde culturel ont radicalement évolué, notamment avec l'avènement du numérique ; toutefois, les entorses au droit d'auteur procèdent de la même logique prédatrice et portent préjudice aux mêmes victimes : les artistes-auteurs.

Récemment, la France, pionnière en matière de droit d'auteur, a porté le combat au niveau européen pour affirmer une position forte : le droit d'auteur, dans toutes ses composantes, doit faire l'objet d'une protection entière à l'ère numérique, et les exceptions ne peuvent être généralisées sous peine de vider ce principe essentiel de toute sa substance. Ainsi, sur l'initiative du groupe socialiste, écologiste et apparentés, la France a très rapidement crée un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse2(*) afin de rémunérer équitablement ces groupes ainsi que les journalistes et photographes à l'origine des articles - et éviter la captation des revenus extraits de ces publications par les plateformes numériques.

Cependant, les menaces qui pèsent sur le droit d'auteur ne sont pas uniquement liées à l'essor du numérique. Plus spécifiquement, l'une d'entre elles porte sur la condition sine qua non du droit d'auteur : la caractérisation de l'originalité de l'oeuvre. Sans originalité de l'oeuvre, point de droit d'auteur.

Émergée il y a une quinzaine d'années, la problématique de la preuve de l'originalité de l'oeuvre procède d'un double changement : d'une part, la Cour de Cassation a posé l'exigence d'une d'appréciation de l'originalité oeuvre par oeuvre plutôt que de manière globale ; d'autre part, les exploitations de masse ont été facilitées par le numérique, portant parfois sur des dizaines de milliers d'oeuvres diffusées à l'identique - singulièrement dans les domaines de la photographie et des arts visuels. Cumulées, ces deux évolutions posent de graves difficultés aux titulaires de droits pour obtenir réparation et justice devant les tribunaux. Pire, les contrefacteurs se sont immiscés dans la brèche de façon opportuniste et ont généralisé les contestations d'originalité, contraignant ainsi bien souvent les créateurs à renoncer à agir face à une procédure complexe, coûteuse et qui prend du temps. En d'autres termes, alors que la détermination de l'originalité d'une oeuvre devant les juridictions constituait d'ores et déjà un exercice périlleux pour les titulaires de droits, eu égard à son caractère insaisissable, le fardeau de la preuve s'apparente désormais au rocher de Sisyphe.

Comme le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) l'exprime limpidement dans son rapport sur la preuve de l'originalité de décembre 2020 : « en définitive, dans l'optique, compréhensible, d'éviter que la protection du droit d'auteur ne soit dévoyée pour couvrir trop facilement des objets qui ne devraient pas avoir vocation aÌ en bénéficier, tout au moins pour une si longue durée, le système aboutit, paradoxalement, aÌ attenter sérieusement aÌ la protection des oeuvres pour lesquelles le droit d'auteur a été instauréì ». Non seulement, le régime actuel de la preuve de l'originalité de l'oeuvre porte atteinte au droit d'auteur, mais aussi, entrave-t-il grandement l'accès à la justice ainsi que les droits de la défense des créateurs.

C'est pourquoi, l'article unique de cette proposition de loi a pour finalité de rééquilibrer le partage de la charge probatoire dès lors que l'originalité d'une oeuvre est contestée en justice, conformément à la préconisation du rapport du CSPLA précité.

Plus précisément, il modifie l'article L.112-1 du code de la propriété intellectuelle et établit une procédure en deux temps : tout d'abord, la contestation sur l'originalité d'une oeuvre devra être « motivée » et faire naître un doute sérieux pour être recevable ; ensuite, si tel est le cas, alors le titulaire de droit devra y répondre, en présentant les éléments qui caractérisent, selon lui, cette originalité. Ainsi établie, la procédure apparaît équilibrée et respectueuse des droits de chaque partie. Les artistes-auteurs pourront de nouveau bénéficier d'une protection effective sous l'empire du droit d'auteur.

Enfin, par cette modification législative, l'auteure de la proposition de loi souhaite plus globalement replacer le créateur -et ses droits afférents- au coeur de notre droit positif. Alors que les acteurs numériques et les plateformes captent encore trop souvent la richesse dérivée de l'oeuvre au détriment du créateur qui en est pourtant à l'origine, il est indispensable d'affermir le droit d'auteur et de rendre plus effective sa protection afin que le partage de la valeur soit plus équitable.

Cette urgence se révèle de plus en plus pressante dans un contexte où l'intelligence artificielle, en particulier générative, est en pleine expansion. Les nouveaux usages -et les nouvelles créations qui en découleront- viendront inexorablement percuter le droit d'auteur tel qu'il existe aujourd'hui. Sans prétendre répondre aux problèmes soulevés par l'IA en matière de droit d'auteur, un principe cardinal doit être érigé comme une digue : en amont, comme en aval, les créateurs devront bénéficier d'une rémunération juste et appropriée pour l'exploitation de leurs oeuvres et être protégés par un droit d'auteur effectif, étendu et aisé à mobiliser.

* 1 Pétition à l'Assemblée nationale contre l'usurpation des propriétés des auteurs par des directeurs de spectacles, Pierre-Augustin Caron Beaumarchais, 23 décembre 1791.

* 2 Loi n°2019-775 du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse.