EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
En France, la suppression de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) dans la loi de finances rectificative du 17 août 2022 et son remplacement par une affectation de la fraction du produit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) a semé le doute quant à l'avenir de l'audiovisuel public qui bénéficiait, depuis 1933, d'une autonomie budgétaire garantie par une taxe affectée.
Par une décision n° 2022-842 DC du 12 août 20221(*), le Conseil constitutionnel a confirmé la constitutionnalité de la suppression de la CAP : « la loi du 31 mai 1933 n'a eu ni pour objet ni pour effet de consacrer un principe selon lequel le secteur de l'audiovisuel public ne pourrait être financé que par une redevance. Cette loi ne saurait donc avoir donné naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République. » Il assortit toutefois sa décision d'une réserve d'interprétation contraignante pour le législateur, afin de garantir les ressources du secteur de l'audiovisuel public, « qui constitue un élément de son indépendance, laquelle concourt à la liberté de communication ». Dorénavant, « il incombera au législateur, d'une part, dans les lois de finances (...) pour la période postérieure au 31 décembre 2024, de fixer le montant de ces recettes afin que les sociétés et l'établissement de l'audiovisuel public soient à même d'exercer les missions de service public qui leur sont confiées. »
Décidée dans la précipitation, cette refonte du financement de l'audiovisuel public est aujourd'hui menacée par l'entrée en vigueur de la loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, mais également par un risque d' inconventionnalité, au regard du traité du 2 octobre 1990 qui nous lie aux Länders allemands depuis la création de la chaîne ARTE.
Comme le prévoit la loi de modernisation de la gestion des finances publiques, à compter du dépôt du projet de loi de finances pour 2025 les impositions de toutes natures ne pourront être ou rester affectées à un tiers autre que les organismes de sécurité sociale et les collectivités territoriales que si cet organisme est doté de la personnalité morale et si ces impositions sont en lien avec les missions de service public qui lui sont confiées. Dans le cadre organique actuel, le financement par fraction de TVA est donc incertain, dès lors qu'il n'y a pas de lien entre la TVA et les missions de service public confiées aux sociétés d'audiovisuel public : légiferer est donc nécessaire.
À l'Assemblée nationale, Quentin Bataillon et Jean-Jacques Gaultier, les auteurs d'un rapport d'information sur l'avenir de l'audiovisuel public, proposent la modification de la LOLF afin d'en péreniser le financement2(*). Leur proposition repose cependant sur une différenciation de financement entre les groupes qui n'est pas souhaitable. Elle revient en effet à garantir l'affectation d'une fraction du produit de la TVA pour le financement de l'ensemble des groupes audiovisuels publics, à l'exception d'ARTE-France, qui serait financée via un prèlevement sur recettes (PSR), afin de satisfaire les obligations conventionnelles de la France, suggérant que cette solution serait plus protectrice pour la chaîne européenne, puisque, comme ils l'écrivent, « le principal avantage des PSR est d'assurer un budget prévisible, évaluatif, non soumis à variations infra-annuelles. »
Dans ce contexte budgétaire incertain, l'indépendance de l'audiovisuel public est également menacée par les initiatives législatives visant à réformer le mode de nomination de ses dirigeants. La proposition de loi de Laurent Lafon prévoyait ainsi un retour à la nomination par décret présidentiel pris en conseil des ministres, finalement écarté en séance publique au Sénat le 13 juin dernier. Cela rouvre un débat clos depuis l'abrogation de la loi organique n° 2009-257 du 5 mars 2009 par la loi organique n° 2013-1026 du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public, qui avait exclu du champ d'application de l'article 13 de la Constitution relatif aux nominations en conseil des ministres les nominations des présidentes et présidents d'entités publiques de l'audiovisuel. Or depuis 2013, ces emplois se trouvent dans une situation juridique paradoxale, dans la mesure où leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation a été par le passé reconnue par le Conseil constitutionnel- à l'exception de l'INA-, mais ne sont désormais plus protégés organiquement par un retour à une nomination par décret simple, alors que la procédure de nomination par le président de la République sous contrôle des commissions permanentes prévue au cinquième alinea de l'article 13 a été écartée pour renforcer leur indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. Clarifier cela est d'autant plus nécessaire après la suppression de la CAP.
Ces réformes interviennent alors même que les grandes plateformes numériques renforcent leur position dominante vers un monopole de l'accès à l'information, comme l'a souligné le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur la concentration des médias en France, publié le 31 mars 2022. Ce même rapport insiste sur la nécessité de restaurer la confiance dans les journalistes, alors qu'en 2022, 62 % des Français estiment qu'ils ne sont pas indépendants du pouvoir politique ni des intérêts économiques.
Au niveau européen, la Commission a d'ailleurs pris une direction législative différente du gouvernement français, en présentant un premier projet de règlement relatif à la liberté des médias le 16 septembre dernier3(*), face aux multiples dérives constatées sur le continent européen : ingérence politique, fragilisation du financement du secteur audiovisuel public, concentration dans le secteur audiovisuel privé.
Les chaînes publiques constituent pourtant des sources d'information sûres et libres d'accès pour l'ensemble des citoyens dans un paysage médiatique français en pleine restructuration, en quête de nouveaux modèles économiques. Leur préservation est d'autant plus nécessaire que la gratuité au coeur de la révolution numérique affaiblit la disposition des lecteur à payer pour de l'information : 70 % des Européens qui accèdent à l'information en ligne consultent uniquement du contenu ou des services gratuits4(*).
Compte-tenu de l'importance des services audiovisuels publics pour le bon fonctionnement de notre démocratie, cette proposition de loi vise à garantir leur indépendance budgétaire et fonctionnelle vis-à-vis du pouvoir politique au niveau organique, afin qu'elle ne puisse être remise en cause par des lois ordinaires.
L'article 1er de la proposition de loi organique complète la loi organique organique loi organique n° 2013-1026 du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public afin d'y préciser explicitement que les dirigeants des entreprises et établissements publics du secteur audiovisuel ne peuvent être nommés par décret en conseil des ministres, et sont nommés par le collège d'une autorité indépendante (l'ARCOM), selon une procédure publique.
L'article 2 de la proposition de loi organique vise à inscrire dans la LOLF l'existence d'un compte d'affectation spéciale dédié au financement de l'audiovisuel public. Cela fixe le cadre du respect de la réserve d'interprétation formulée par le Conseil constitutionnel, et constitue une solution alternative à la proposition de Quentin Bataillon et Jean-Jacques Gaultier à l'Assemblée nationale5(*). Afin d'aligner les garanties d'indépendance budgétaires de toutes les chaînes audiovisuelles publiques sur celles garanties pour ARTE dans le Traité du 2 octobre 1990, et de les renforcer pour chacune d'entre elle, il est proposé d'inscrire dans la LOLF la création d'un compte d'affectation spéciale dédié au financement de l'ensemble de l'audiovisuel public, qui offre de meilleures garanties de prévisibilité budgétaire qu'une dérogation à la règle de non affectation, et un meilleur contrôle parlementaire que le prélèvement sur recettes, ce qui est de nature à renforcer l'indépendance vis-à-vis de l'exécutif.
* 1 https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/decisions/2022842dc/2022842dc.pdf
* 2 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1324_proposition-loi.pdf
* 3 https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_22_5504
* 4 https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20220704IPR34401/eurobarometre-les-citoyens-font-plus-confiance-aux-medias-traditionnels
* 5 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1324_proposition-loi#