EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Près de quarante ans après les lois Deferre, près de vingt ans après « l'organisation décentralisée de la République » voulue par Jacques CHIRAC, la libre administration et l'autonomie des collectivités territoriales ne doivent plus être simplement des mots mais traduire une réalité.

Le temps de la gouvernance verticale, de la suradministration et de l'hypercentralisation du pouvoir est révolu. S'il nous fallait une nouvelle preuve de l'inefficacité et du déséquilibre du modèle français de relations entre l'État et les territoires, la crise sanitaire que nous avons traversée nous l'a fourni. La réactivité des collectivités territoriales a suppléé aux défaillances d'un État mal préparé et qui, souvent, n'a pu répondre rapidement aux urgences du moment.

Les Français et leurs élus réclament plus de souplesse, moins de normes, moins de contraintes et une politique adaptée à la réalité de chaque territoire. Seule une véritable décentralisation peut répondre à cette aspiration. Seul un nouvel élan des libertés locales peut permettre de retrouver la confiance indispensable au fonctionnement normal d'une démocratie.

Il est temps de tirer les leçons de l'expérience et de franchir une étape décisive qui consacrerait la pleine reconnaissance des responsabilités locales. C'est un enjeu majeur pour restaurer la confiance, essentielle en ces temps où l'abstention se renforce, et pour donner une nouvelle énergie à notre pays en opérant un rééquilibrage profond entre l'État et les collectivités territoriales.

Il ne s'agit pas de proposer un nouveau « big bang » territorial, mais de provoquer des changements majeurs dans les comportements. Les capacités d'initiative de nos concitoyens et de leurs élus, dans les territoires, sont immenses. Encore faut-il leur permettre de s'exprimer. C'est pourquoi la décentralisation est essentielle. Elle doit devenir la matrice d'un renouveau profond de l'action publique pour redresser notre pays.

Pour ce faire, il est proposé un ensemble de mesures, déclinées en trois textes : une proposition de loi constitutionnelle, une proposition de loi organique, et une proposition de loi ordinaire. Traduisant les 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales, présentées le 2 juillet dernier à la suite du rapport de MM. Philippe BAS et Jean-Marie BOCKEL, co-rapporteurs du groupe de travail présidé par le Président du Sénat 1 ( * ) , ces textes visent à faire prendre corps, enfin, à l'organisation décentralisée de notre République, en donnant sa pleine mesure à la libre administration des collectivités territoriales pour permettre une plus grande efficacité de l'action publique.

La démocratie territoriale et les libertés locales sont indissociables de la République française, une et indivisible. Dans un pays fracturé, divisé, il faut absolument faire le pari de la liberté et de la confiance dans l'action locale.

*

En cohérence avec la proposition de loi constitutionnelle, la présente proposition de loi organique comporte trois articles poursuivant trois objectifs : enrichir les études d'impact, mettre en oeuvre le droit à la différenciation territoriale et renforcer l'autonomie financière des collectivités territoriales.

L' article 1 er vise à étoffer les études d'impact pour mieux mesurer les conséquences des nouvelles normes et lutter contre l'inflation normative, qui pèse trop souvent sur le quotidien des élus locaux et des administrés. Il s'inspire des travaux menés par le Sénat depuis plusieurs années dans l'optique d'améliorer l'information du Parlement sur les conséquences des projets gouvernementaux 2 ( * ) .

L'article 1 er tend à préciser que les études d'impact doivent comporter des développements spécifiques sur les collectivités territoriales. Elles expliciteraient également les modalités de mise en oeuvre du mécanisme de compensation des charges (article 72-2 de la Constitution), en application du principe « Qui décide paie », ainsi que la pertinence des modifications envisagées au regard du principe de subsidiarité.

Les avis du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) seraient également inclus dans les documents rendant compte de l'étude d'impact, confortant ainsi le travail du CNEN pour lutter contre l'inflation normative.

En complément, l'article 1 er vise à étendre ces nouvelles obligations aux projets de loi habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances.

L' article 2 tend à mettre en oeuvre le droit à la différenciation territoriale, en cohérence avec la proposition de loi constitutionnelle. Les collectivités territoriales pourraient plus facilement déroger aux lois ainsi qu'aux règlements, pour un objet limité et sans remettre en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti.

D'une part, cet article vise à assouplir la mise en oeuvre des expérimentations locales, dont la durée est aujourd'hui limitée à cinq ans, renouvelable une fois pour une durée de trois ans. Désormais, le législateur serait libre de fixer la durée de l'expérimentation. Elle pourrait ainsi dépasser huit années, notamment lorsque le dossier est particulièrement complexe ou lorsque l'évaluation des résultats nécessite plus de temps.

D'autre part, les dérogations accordées aux collectivités territoriales pourraient revêtir un caractère permanent.

À l'issue de l'expérimentation et au vu de son évaluation, ces dérogations pourraient être :

- pérennisées pour tout ou partie des collectivités territoriales ayant participé à l'expérimentation ;

- étendues, dans les mêmes conditions, à d'autres collectivités territoriales.

Conformément à l'article L.O. 5111-5 du code général des collectivités territoriales (CGCT), ces dispositions s'appliqueraient également aux établissements publics regroupant exclusivement des collectivités territoriales, ce qui inclut les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

En complément, l' article 3 renforce le bilan annuel du Gouvernement sur les expérimentations.

L' article 4 vise à circonscrire le champ des ressources propres des collectivités territoriales aux « impositions de toute nature dont la loi autorise les collectivités territoriales à fixer l'assiette, le taux ou le tarif », excluant ainsi les impôts nationaux transférés sur lesquels les collectivités ne disposent d'aucune marge de manoeuvre.

En outre, il établit une règle afin d'éviter que la baisse des dotations de l'État aux collectivités n'ait pour effet d'augmenter artificiellement la part du produit des recettes fiscales locales dans la totalité de leurs ressources. Il s'agit de tirer les enseignements de la baisse de près d'un quart, au cours du quinquennat précédent, de la dotation globale de fonctionnement du bloc communal, les collectivités territoriales dans leur ensemble ayant dû supporter une part démesurée de l'effort de redressement des finances publiques 3 ( * ) .

Enfin, l' article 5 tire les conséquences dans l'ensemble de la législation organique de la réunion des articles 73 et 74 de la Constitution proposée par la proposition de loi constitutionnelle.


* 1 Rapport disponible à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/redaction_multimedia/2020/2020-Documents_pdf/Rapport_GT_Decentralisation_.pdf

* 2 Voir notamment la proposition de loi organique tendant à joindre les avis rendus par le Conseil national d'évaluation des normes aux projets de loi relatifs aux collectivités territoriales et à leurs groupements (adoptée par le Sénat le 7 octobre 2013) et la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d'impact des projets de loi (adoptée par le Sénat le 7 mars 2018).

* 3 Selon le rapport n° 56 (2017-2018) de notre collègue Albéric de MONTGOLFIER sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, la diminution du déficit public entre 2013 et 2016 est ainsi imputable pour les deux tiers aux administrations publiques locales, alors qu'elles représentaient moins de 20 % de la dépense.

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