EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le présent projet de loi vise à ratifier l'ordonnance n° 2020-192 du 4 mars 2020 portant réforme des modalités de délivrance de la légalisation et de l'apostille, prise sur le fondement de l'article 16-I de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui a autorisé le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour :

1° Simplifier et moderniser la délivrance des apostilles et des légalisations sur les actes publics établis par une autorité française et destinés à être produits à l'étranger ;

2° À cette fin, déléguer totalement ou partiellement l'accomplissement de ces formalités à des officiers publics ou ministériels ou à toute personne publique ou tout organisme de droit privé chargé d'une mission de service public dont les compétences, la mission ou le statut justifient son intervention ;

3° Aménager et modifier toutes dispositions de nature législative permettant d'assurer la mise en oeuvre et de tirer les conséquences des modifications apportées en application des 1° et 2°.

Moderniser la délivrance des légalisations et des apostilles et décharger les juridictions et le ministère des affaires étrangères de ces formalités apparaît en effet nécessaire pour un meilleur service rendu à l'usager, une harmonisation et une sécurisation des conditions de délivrance de ces formalités, et une adaptation à la numérisation croissante des documents publics.

Objectifs et genèse de la réforme prévue par l'ordonnance

Les actes publics français, pour pouvoir circuler à l'étranger, doivent faire préalablement l'objet, hors cas de dispense, d'une légalisation 1 ( * ) ou d'une apostille 2 ( * ) , afin d'établir la véracité de la signature ainsi que la qualité de leur signataire 3 ( * ) .

Chaque année, en France, environ 230 000 actes publics 4 ( * ) destinés à être produits à l'étranger sont apostillés par les parquets généraux 5 ( * ) et 110 000 légalisés par le bureau des légalisations du ministère des affaires étrangères. Ces formalités, effectuées quasi exclusivement « à la main » à partir de registres de signatures « papier », ne sont plus adaptées aux actes électroniques et ne répondent plus aux attentes des particuliers comme des entreprises. Le système présente en outre des lacunes puisque les registres de signatures à vérifier ne sont pas systématiquement actualisés, ce qui conduit souvent à une absence de contrôle effectif des actes. Enfin, la compétence des parquets généraux est limitée aux actes établis dans le ressort de leur cour d'appel, ce qui peut contraindre l'usager devant apostiller plusieurs documents à s'adresser à des cours d'appel différentes.

À ce jour, aucun texte règlementaire ou législatif n'encadre la délivrance des apostilles. Les parquets généraux ont été désignés autorités compétentes par notification au dépositaire de la convention, le ministère des affaires étrangères des Pays-Bas, lors du dépôt de l'instrument de ratification de la convention du 5 octobre 1961 supprimant l'exigence de la légalisation des actes publics étrangers. S'agissant de la légalisation, c'est le décret n° 2007-1205 du 10 août 2007 relatif aux attributions du ministre des affaires étrangères, des ambassadeurs et des chefs de poste consulaire en matière de légalisation des actes qui attribue compétence aux services du ministère des affaires étrangères et fixe les modalités de sa délivrance.

Au vu notamment du caractère insatisfaisant des conditions de délivrance des formalités, et afin de décharger les parquets généraux d'une tâche purement administrative, l'article 16-I de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice a habilité le gouvernement à moderniser par voie d'ordonnance les conditions de délivrance des apostilles et des légalisations.

Le vote de la loi a été précédé d'un rapport conjoint de l'inspection générale de la justice et l'inspection générale des affaires étrangères, déposé le 24 avril 2018, qui a présenté les pistes de modernisation envisageables et a conclu à l'opportunité de déléguer totalement ou partiellement les missions exercées aux professions judiciaires, notaires ou huissiers de justice.

Le rapport a en outre souligné l'importance de la constitution préalable d'un répertoire national des signatures publiques, indispensable « à la mise en place d'un process unique » pour la délivrance des formalités, et de la mise en place d'un comité de pilotage interministériel pour réfléchir aux modalités du transfert de compétences, tant sur le plan législatif que technique.

À l'issue des travaux de ce comité, un dispositif complet de réforme a été arrêté.

La constitution d'une base de données nationale dématérialisée des spécimens de signatures des autorités publiques est un élément essentiel de la réforme, dans la mesure où seule la comparaison par la voie électronique de l'identité et de la qualité de l'autorité publique ayant délivré l'acte avec les données figurant dans cette base permettra aux autorités compétentes de vérifier l'authenticité des signatures de manière sûre et rapide. Une telle base de données n'existe pas à l'heure actuelle puisqu'il existe autant de bases de données que d'autorités compétentes (40), ces bases étant dans la plupart des cas tenues sous format papier, et alimentées sur demande, sans actualisation systématique. Certaines autorités compétentes ne disposent même d'aucun fichier de signatures.

En ce qui concerne les autorités compétentes, qui seront désignées par la voie réglementaire, il est proposé de permettre la désignation de certains présidents des conseils régionaux ou interrégionaux des notaires, ou leurs délégués, selon un maillage territorial répondant aux besoins des usagers. Dans certaines collectivités d'outre-mer, d'autres autorités seront néanmoins désignées, compte tenu de situations spécifiques ou de l'absence de notariat. En outre, il est prévu que les procureurs généraux et le ministère des affaires étrangères puissent continuer, lorsque cela est requis par l'Etat de destination, à apostiller ou légaliser les actes publics qui doivent être transmis à l'étranger dans le cadre des demandes d'entraide judiciaire pénale compte tenu des impératifs de célérité et de confidentialité qui s'attachent à ces transmissions.

Il est également prévu que la procédure d'apposition des formalités sera dématérialisée : elle pourra être faite en ligne pour les actes publics électroniques ou, pour les actes publics sous format papier, par courrier ou présentation de la demande à un guichet. Les présidents des conseils régionaux des notaires ou leurs délégués réaliseront alors une copie numérique de l'acte public et délivreront la formalité sous format électronique.

Présentation générale de la réforme

Conformément aux termes de l'habilitation, l'ordonnance comprend les dispositions de nature législative nécessaires à la réforme, à savoir l'obligation pour les autorités publiques, dont les collectivités territoriales, d'alimenter une base de données des spécimens de signatures publiques, et d'autre part la désignation de certains présidents des conseils régionaux des notaires comme autorités compétentes pour délivrer les formalités de la légalisation et de l'apostille.

Présentation des articles

L'article 1 er , qui modifie l' ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat, prévoit la possibilité pour les présidents des conseils régionaux et interrégionaux des notaires, ainsi que leurs délégués, d'être désignés autorités compétentes pour la délivrance de la légalisation et de l'apostille. Les conditions de désignation des présidents des conseils régionaux seront fixées par la voie réglementaire avec pour objectif d'assurer une répartition équilibrée des autorités compétentes sur le territoire national, en fonction du nombre de formalités actuellement délivrées par région. Toutefois, pour certaines collectivités d'outre-mer, la compétence sera exercée en ce qui concerne Saint-Pierre-et-Miquelon par le président de l'établissement d'utilité publique existant dans le ressort de la Cour d'appel de Fort-de-France et, en ce qui concerne Mayotte, par le président de l'établissement d'utilité publique existant dans le ressort de la Cour d'appel de Saint-Denis.

La désignation de certains présidents des conseils régionaux permettra de maintenir au sein des conseils désignés des guichets physiques à proximité des usagers.

Elle permettra également une adaptation aux évolutions du nombre et de la localisation des demandes dans le temps. Le nombre de guichets pourrait ainsi diminuer au fur et à mesure de l'augmentation du nombre de documents publics émis sous la forme électronique, ce qui entrainerait une diminution du recours aux guichets physiques et une augmentation des demandes en ligne.

En effet, la dématérialisation complète de la délivrance des formalités qui est prévue (e-légalisation et e-apostilles), exige que la formalité soit apposée sur un document public électronique. En conséquence, tant que la majorité des documents publics français sera encore délivrée aux usagers sous format papier, les usagers devront avoir accès à un guichet physique à proximité de leur domicile pour qu'une copie numérique sécurisée du document puisse être réalisée par l'autorité compétente. Les documents publics pourront être adressés par courrier, mais certains usagers, pour plus de rapidité ou pour ne pas se départir d'un original, souhaiteront se déplacer.

L'article 2 prévoit que la base de données nationale dématérialisée des signatures publiques sera créée par arrêté, qui désignera le ministère de la justice comme responsable du traitement, au sens du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE.

Cette base permettra de centraliser les informations nécessaires à la vérification des documents publics : les signatures (manuscrites ou électroniques), la qualité, le sceau et le timbre des principaux signataires d'actes publics susceptibles d'être produits à l'étranger, ainsi que la date de la prise de fonction du signataire. Il s'agit principalement des actes d'état civil, des diplômes, des extraits de KBIS, des actes notariés et certifications de signatures notariées, des copies certifiées conformes par les mairies et chambres de commerce et d'industrie, des certificats vétérinaires ou sanitaires, des décisions judiciaires, ainsi que des documents nécessaires à la constitution d'un dossier d'adoption, comme l'agrément donné par le Président du conseil départemental. Cette base de données dématérialisée et nationale, qui sera accessible aux autorités compétentes, permettra d'accélérer et de sécuriser la délivrance des formalités.

La constitution d'une base de données complète nécessite toutefois que soit établie, à l'égard de certaines autorités publiques, dont des collectivités territoriales, une obligation de transmettre les informations nécessaires. Les conditions et les modalités dans lesquelles les informations seront transmises et actualisées seront fixées par décret en Conseil d'Etat. Il sera prévu en particulier que toutes les autorités publiques françaises ne seront pas tenues à cette obligation de transmission ab initio , cette obligation pouvant incomber aux autorités signataires des documents publics susceptibles de circuler à l'étranger, ou bien à certaines d'entre elles. Les autres autorités pourront néanmoins être interrogées par les autorités compétentes pour la délivrance des formalités dans l'hypothèse où leur signature devrait être authentifiée dans le cadre d'une demande de légalisation ou d'une demande prévue par les instruments internationaux applicables. Le bon fonctionnement de la base exigera que les informations les plus fréquemment utilisées soient également mises à jour (par exemple en cas de modification ou cessation des fonctions du signataire).

L'article 3 rend applicable l'obligation d'alimenter la base de données nationale des signatures publiques sur tout le territoire de la République. Cette obligation s'imposera à toutes les autorités publiques, y compris aux collectivités régies par l'article 74 de la Constitution et à la Nouvelle-Calédonie, dans la mesure où elle est nécessaire à la bonne mise en oeuvre des engagements internationaux de la France, sans être de nature à porter atteinte à l'exercice des compétences des collectivités précitées.

Le présent projet de loi prévoit, par un article unique , de ratifier sans la modifier l'ordonnance du 4 mars 2020.


* 1 La légalisation est une formalité qui découle de la coutume internationale et qui s'impose pour la circulation internationale de tout acte public, hors convention internationale contraire. La légalisation d'un acte public français destiné à être produit à l'étranger se fait en deux temps :
1) légalisation par le ministère des affaires étrangères (bureau des légalisations), qui permet d'attester de la signature de l'auteur de l'acte ;
2) légalisation par l'ambassade ou le consulat de l'Etat étranger sur le territoire duquel l'acte doit produire ses effets (attestation de l'authenticité du cachet du ministère des affaires étrangères).

* 2 L'apostille, prévue par la convention de la Haye du 5 octobre 1961, est une formalité allégée unique : elle consiste, après la vérification de la qualité, du sceau et de la signature de l'auteur de l'acte, en l'apposition sur l'acte lui-même d'un timbre, l'« apostille », conforme à un modèle annexé à la convention.

* 3 La détermination de la formalité à effectuer est fonction du pays de destination de l'acte public.

* 4 Actes d'état civil, jugements, diplômes, extraits de casier judiciaire, extraits Kbis, certificats de libre vente ou d'exportation, etc.

* 5 A l'exception toutefois des actes publics émis à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Wallis-et-Futuna où l'apostille est délivrée respectivement par le président du tribunal supérieur d'appel de Saint-Pierre-et-Miquelon et par le président du tribunal de première instance de Mata-Utu.

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