TEXTE SOUMIS À LA DÉLIBÉRATION

DU CONSEIL DES MINISTRES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

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Ministère de l'Europe

et des affaires étrangères

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Projet de loi

autorisant la ratification du traité sur la coopération dans le domaine de la défense
entre la République française et le Royaume d'Espagne

NOR : EAEJ2410269L/Bleue-1

ÉTUDE D'IMPACT

I. Situation de référence

Membre de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN), l'Espagne est l'un de nos principaux alliés européens. La France et l'Espagne partagent aussi un même niveau d'ambition pour la défense européenne. En effet, depuis l'invasion russe en Ukraine, l'Espagne a considérablement augmenté son budget consacré à la défense. Les deux pays ont également défendu une rédaction ambitieuse de la Boussole stratégique1(*). Les convergences d'intérêt entre nos deux pays ont conduit au développement de la coopération dans le domaine de la défense sur plusieurs plans.

Sur le plan opérationnel, la France et l'Espagne mènent des actions coordonnées en Afrique. L'Espagne a été un soutien majeur de l'opération Barkhane (appui aérien) et de la mission de formation de l'Union européenne (UE) au Mali. Dans le Golfe de Guinée, les forces françaises et espagnoles agissent conjointement dans le cadre de la Présence Maritime Coordonnée (PMC)2(*).

Sur le plan capacitaire, la France et l'Espagne promeuvent des coopérations majeures, principalement dans le domaine aérien, telles que le futur système de combat aérien du futur (NGWS/SCAF3(*)).

Le Traité sur la coopération dans le domaine de la défense entre la République française et le Royaume d'Espagne, signé à Barcelone le 19 janvier 2023, actualise le cadre juridique de notre relation bilatérale avec l'Espagne, fixée jusqu'à présent par l'Accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume d'Espagne, signé le 7 octobre 19834(*).

En parallèle, un traité d'amitié et de coopération franco-espagnol a également été signé à Barcelone le 19 janvier 20235(*) afin de densifier la coopération entre les deux États au-delà des seuls aspects relatifs à la défense.

II. Historique des négociations

Les négociations ont débuté avec la transmission, le 6 mai 2021, d'une première proposition d'accord par les autorités espagnoles. Cette proposition a fait l'objet de compléments de la partie française, notamment par l'ajout de clauses relatives à l'institution de structures de coopération à chaque niveau, au port d'uniformes et d'armes, ainsi qu'aux procédures en cas de décès. Des références à la Convention de 1951 entre les États parties au Traité de l'Atlantique Nord sur le statut de leurs forces6(*) (ci-après « SOFA OTAN ») ont par ailleurs été ajoutées pour des raisons de cohérence et de simplification. La France a transmis, le 25 octobre 2021, une contreproposition en ce sens.

En juin 2022, les autorités espagnoles ont transmis une nouvelle contreproposition de texte, modifiant notamment la forme du projet. Pour des raisons liées à son droit interne, l'Espagne propose en effet de conclure un traité entre Etats plutôt qu'un accord entre gouvernements. Dans la pratique française, le traité est habituellement réservé aux textes auxquels la France souhaite accorder un certain degré de solennité. Il demeure que les traités et les accords intergouvernementaux ont la même valeur juridique tant du point de vue du droit international que de celui du droit français7(*). Dès lors, la proposition de modifier la forme du projet, d'un accord vers un traité, a été acceptée. Il est d'ailleurs fréquent que la France signe des traités avec l'Espagne8(*).

Le projet a été finalisé le 2 janvier 2023 en vue de sa signature le 19 janvier 2023.

III. Objectifs de l'accord ou convention

Le présent traité s'inscrit dans le contexte de l'intensification des activités de coopération entre nos deux États en matière de politique commune de sécurité et de défense, imposant de rénover et de renforcer le cadre juridique déjà établi pour nos relations, comme souhaité par les deux gouvernements. Il vise aussi à traduire juridiquement les ambitions affichées par le Président de la République française et le Président du gouvernement espagnol telles qu'énoncées dans la déclaration conjointe issue du XXVIème sommet franco-espagnol de Montauban du 15 mars 2021, qui fait état de « l'évolution de l'environnement stratégique et des relations entre les deux pays ». À cette occasion, le Président de la République française, Emmanuel Macron, et le Président du Gouvernement espagnol, Pedro Sánchez, se sont accordés pour réviser le contenu de l'accord de 1983 afin de souligner leur volonté de maintenir une coopération plus étroite en matière de politique commune de sécurité et de défense. Il s'agit en particulier de renforcer « notre réponse commune aux nouvelles menaces, notamment hybrides, pour protéger les flux stratégiques, défendre notre liberté d'action dans les espaces stratégiques contestés (maritime, aérien, espace, cyber) et renforcer la coopération, déjà intense, de nos forces armées »9(*).

Ce traité a enfin pour objectif d'actualiser notre cadre juridique bilatéral, jusqu'alors régi par l'accord de 1983 qui ne comportait aucune stipulation relative au statut des forces, et d'y intégrer une référence aux cadres de coopération multilatéraux de l'OTAN et de l'UE comme vecteurs de la coopération. Cette référence aux cadres de coopération permet de refléter notre volonté commune de consolider une coopération étroite dans les domaines stratégique, opérationnel et capacitaire.

IV. Conséquences estimées de la mise en oeuvre du traité

Cet accord emporte des conséquences dans le domaine juridique (a.) et financier (b.).

a. Conséquences juridiques

Le traité définit les principes généraux et les domaines de la coopération en matière de défense et de sécurité. Il encadre juridiquement la présence des membres du personnel de la Partie d'envoi sur le territoire de la Partie d'accueil liée aux activités de coopération dans ces domaines.

· Articulation avec les accords ou conventions internationales existantes

Les stipulations de cet accord sont pleinement compatibles avec d'une part, les engagements de la France dans le cadre des Nations unies (articles 210(*) et 5111(*) de la Charte des Nations unies)12(*) et, d'autre part, ses engagements dans le cadre de l'OTAN et de l'UE. En effet, le traité de l'Atlantique Nord du 4 avril 194913(*) n'exclut pas la possibilité pour les Etats Parties à ce traité de conclure entre eux des accords bilatéraux, pour autant que ces accords ne soient pas en contradiction avec ce traité (article 8). Le traité sur l'UE (point 7 de l'article 42)14(*) renvoie aux engagements souscrits par les Etats membres dans le cadre de l'OTAN.

Le présent traité opère des renvois explicites au SOFA OTAN afin d'en faire application dans le cadre de la coopération bilatérale franco-espagnole pour ce qui concerne le port des insignes et uniforme (article 7), le traitement des infractions pénales (article 14) et la réparation des dommages (article 15). Les bénéfices liés à l'application de la Convention fiscale de 199515(*) aux membres du personnel des deux Etats y sont rappelés et précisés (article 12). En outre, un rappel du principe de l'échange et de la protection des informations auxquelles est affecté un niveau de classification conformément à l'Accord général de sécurité de 200616(*) y est également présent (article 17).

Enfin, l'accord renvoie, pour sa mise en oeuvre, à la conclusion de textes d'application spécifiques (accords, arrangements techniques et documents conjoints de procédure), en particulier pour déterminer les modalités pratiques d'activités de coopération (article 5).

· Articulation avec le droit européen

Le présent traité est conforme au droit de l'UE, les Etats membres de l'UE restant compétents pour signer des accords de coopération dans le domaine de la défense. Par ailleurs, le contenu de l'accord est pleinement compatible avec les engagements de la France dans le cadre de l'UE. L'article 12 de l'accord prévoit l'exonération par la Partie d'accueil de tout impôt lié aux biens mobiliers à usage personnel dont les membres du personnel de la Partie d'origine sont propriétaires et qui sont en lien direct avec leur présence temporaire sur le territoire de la Partie d'accueil. Cet article est conforme au droit de l'UE, et en particulier à l'article 131, paragraphe 1, du règlement n° 1186/2009 du 16 novembre 2009 relatif à l'établissement du régime communautaire des franchises douanières qui prévoit que, jusqu'à l'établissement de dispositions communautaires dans le domaine considéré, les États membres peuvent octroyer des franchises particulières aux forces armées stationnées sur leur territoire en application d'accords internationaux.

Concernant les données à caractère personnel susceptibles d'être échangées dans le cadre de la mise en oeuvre de cet accord, des transferts de données à caractère personnel seraient susceptibles d'avoir lieu en application des articles 9 et 10 du traité.

En vertu de l'article 2, paragraphe 1 du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD)17(*) celui-ci s'applique au traitement de données à caractère personnel, automatisé en tout ou en partie, ainsi qu'au traitement non automatisé de données à caractère personnel contenues ou appelées à figurer dans un fichier. Par dérogation, le paragraphe 2, du même article dispose notamment que le RGPD ne s'applique pas :

· au traitement de données à caractère personnel effectué dans le cadre d'une activité qui ne relève pas du champ d'application du droit de l'Union ;

· aux Etats membres dans le cadre d'activités qui relèvent du champ d'application du chapitre 2 du titre V du traité sur l'Union européenne (politique étrangère et de sécurité commune). Il en résulte, ainsi que l'a jugé la Cour18(*), que sont exclus du champ du RGPD les traitements de données à caractère personnel effectués par les autorités étatiques dans le cadre d'une activité qui vise à préserver la sécurité nationale ou d'une activité pouvant être rangée dans la même catégorie, ce qui inclut les activités de défense.

Or, en l'espèce, l'objectif du traité est d'approfondir la « coopération dans le domaine de la défense et de sécurité » entre les Parties ainsi que de définir les principes selon lesquels cette coopération est mise en oeuvre (article 1er).

Les données à caractère personnel susceptibles d'être échangées entre les Parties en vertu de ce traité sont des données traitées par les autorités étatiques dans le cadre des activités de défense et de sécurité des forces françaises. Il découle de ce qui précède que ces activités ont pour objet de protéger les fonctions essentielles de l'Etat et notamment de sauvegarder la sécurité nationale. Par conséquent, les traitements de données réalisés dans le cadre de ces activités ne relèveraient donc pas du champ d'application matériel du RGPD, en vertu de l'article 2, paragraphe 2, de ce règlement.

En tout état de cause, cet accord n'entrainerait pas de transferts internationaux de données à caractère personnel au sens du chapitre V du RGPD, celui-ci n'impliquant des échanges de données qu'entre deux Etats membres.

Dans ces conditions, la question de la conformité au droit de l'UE des stipulations de cet accord ne soulève pas de difficulté particulière au regard du droit de l'Union en matière de protection des données. Cela étant précisé, alors même que l'accord n'entre pas dans le champ du RGPD, les arrangements techniques comprendront une clause spécifique relative à la protection des données à caractère personnel, afin de sécuriser les échanges.

· Articulation avec le droit interne 

Cet accord ne nécessite aucune modification ou adaptation de l'ordonnancement juridique français, ni l'adoption de dispositions législatives ou règlementaires nouvelles.

b. Conséquences financières

Cet accord ne crée pas directement de charges nouvelles pour les finances publiques.

L'article 9 relatif aux soins médicaux prévoit que les membres du personnel de la Partie d'origine ont accès aux services de santé dans les mêmes conditions que le personnel de la Partie d'accueil. Pour les services de santé militaires, les membres du personnel de la Partie d'origine et les personnes à leur charge ont un accès à titre gratuit. La gratuité de l'accès aux services de santé militaires concerne environ 225 personnes. Sur la base des données collectées lors des années antérieures, il a pu être établi que celles-ci n'avaient pas fréquemment recours au service de santé des armées (SSA). En raison de la faible fréquence des soins prodigués en milieu militaire au profit des militaires espagnols et de leurs ayants droit, aucune prise en charge n'a été relevée entre janvier et octobre 2023. Dès lors, le coût moyen prévisionnel pour le SSA est très faible. En revanche, les prestations médicales dans les services de santé civils sont à la charge de la Partie d'origine.

L'article 10 relatif au décès d'un membre du personnel prévoit que le transport du corps du territoire de la Partie d'accueil vers celui de la Partie d'origine est à la charge de la Partie d'origine.

L'article 12 relatif aux impôts prévoit le maintien de la domiciliation fiscale des membres du personnel et des personnes à charge dans l'État de la Partie d'origine afin d'éviter une double imposition. Il exclut du bénéfice de ces exonérations les membres du personnel qui ont la nationalité ou qui sont résidents de la Partie d'accueil.

L'article 16 relatif au financement de la coopération prévoit que chaque Partie prend à sa charge ses propres coûts de participation aux activités de coopération prévues dans le cadre de ce traité. Il prévoit aussi la possibilité d'encadrer le financement de ces activités par des accords, arrangements ou tout autre instrument approprié.

V. Etat des signatures et ratifications

Le traité sur la coopération dans le domaine de la défense entre la République française et le Royaume d'Espagne a été signé à Barcelone, le 19 janvier 2023, par le ministre des armées de la République française, Monsieur Sébastien Lecornu et par la ministre de la défense du Royaume d'Espagne, Madame Maria Margarita Robles Fernándes.

Chaque Partie devra notifier à l'autre l'accomplissement des procédures internes requises pour l'entrée en vigueur de cet accord conformément à l'article 19 du traité. Les autorités espagnoles n'ont pas encore notifié à ce jour l'accomplissement de leurs procédures nationales requises. Le Gouvernement de la République française doit recueillir, pour sa part, une loi d'approbation parlementaire aux fins de ratification du traité en ce que plusieurs de ses dispositions relèvent du domaine de la loi (article 8 sur l'autorisation de port d'armes par des agents publics étrangers sur le territoire national ; article 12 sur les exonérations douanières accordées aux forces armées des parties). Le traité entre, de facto, dans le champ de l'article 53 de la Constitution.


* 1 Boussole stratégique en matière de sécurité et de défense, approuvée par le Conseil lors de sa session du 21 mars 2022.

* 2 Golfe de Guinée : conclusions du Conseil portant lancement du projet pilote du concept de présences maritimes coordonnées.

* 3 NGWS/SCAF : Next Generation Weapon System/Système de Combat Aérien du Futur.

* 4 Accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume d'Espagne, signé le 7 octobre 1983.

* 5 Traité d'amitié et de coopération entre la République française et le Royaume d'Espagne, fait à Barcelone le 19 janvier 2023.

* 6 Convention de 1951 entre les Etats parties au Traité de l'Atlantique Nord sur le statut de leurs forces, fait à Londres le 19 juin 1951.

* 7 En ce sens, voir la rubrique « I. Typologie des engagements internationaux » du Guide des bonnes pratiques en matière de négociation et de conclusion des engagements internationaux de la France , Ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

* 8 Convention relative à la nationalité entre la République française et le Royaume d'Espagne signée à Montauban le 15 mars 2021 ; Accord-cadre entre la République française et le Royaume d'Espagne sur la coopération sanitaire transfrontalière signé à Saragosse le 27 juin 2008 ; Accord entre la République française et le Royaume d'Espagne relatif à la commission intergouvernementale franco-espagnole pour la supervision de la construction et de l'exploitation de la section internationale de la liaison ferroviaire à grande vitesse « Sud Europe Atlantique » signé à Madrid le 8 février 2008.

* 9 Déclaration conjointe du Président de la République française et du Président du gouvernement espagnol, à l'issue du XXVIe Sommet franco-espagnol, le 15 mars 2021.

* 10 L'article 2 de la Charte des Nations Unies pose les principes selon lesquels l'ONU et ses Membres s'engagent à agir (principe d'égalité entre Etats, de règlement pacifique des différends etc.).

* 11 L'article 51 de la Charte des Nations Unies pose le principe de la légitime défense.

* 12 Texte de la Charte des Nations unies. Décret n° 46-35 du 4 janvier 1946 portant promulgation de la Charte des Nations Unies. L'Espagne a intégré l'Organisation des Nations unies le 14 décembre 1955.

* 13 Texte du traité de l'Atlantique Nord du 4 avril 1949. Décret n° 49-1271 du 4 septembre 1949 portant publication du traité de l'Atlantique Nord, signé à Washington le 4 avril 1949.

* 14 Texte du traité sur l'Union européenne. Décret n°94-80 du 18 janvier 1994 portant publication du traité sur l'Union européenne, signé à Maastricht le 7 février.

* 15 Convention entre la République française et le Royaume d'Espagne en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Madrid le 10 octobre 1995

* 16 Accord général de sécurité entre le Royaume d'Espagne et la République française concernant l'échange et la protection des informations classifiées, signé à Madrid le 21 juillet 2006.

* 17 Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données).

* 18 CJUE, arrêt du 22 juin 2021, Latvijas Republikas Saeima (Points de pénalité), C-439/19, points 66 et 67.

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