TEXTE SOUMIS À LA DÉLIBÉRATION
DU CONSEIL DES MINISTRES
ÉTUDE D'IMPACT
PROJET DE LOI
relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945
NOR : MICB2306382L/Bleue-1
19 avril 2023
TABLEAU SYNOPTIQUE DES CONSULTATIONS 7
TABLEAU SYNOPTIQUE DES MESURES D'APPLICATION 8
1.1.3. Cadre juridique national 19
1.4. ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ 35
2. NÉCESSITÉ DE LÉGIFÉRER ET OBJECTIFS POURSUIVIS 36
2.1. NÉCESSITÉ DE LÉGIFÉRER 36
3. OPTIONS ENVISAGÉES ET DISPOSITIF RETENU 39
3.1.1. Option écartée n° 1 : une procédure judiciaire d'annulation de l'entrée du bien dans les collections publiques 39
3.1.2. Option écartée n° 2 : la modification du champ d'application de l'ordonnance du 21 avril 1945. 40
3.2. DISPOSITIF RETENU : UN DISPOSITIF LÉGISLATIF ENCADRE LA SORTIE DU DOMAINE PUBLIC DÉROGEANT AU PRINCIPE D'INALIÉNABILITÉ 40
3.2.1. Principes du processus de sortie du domaine public 41
3.2.2. Présentation des articles du projet de loi 42
4. ANALYSE DES IMPACTS DES DISPOSITIONS ENVISAGÉES 44
4.1.1. Impacts sur l'ordre juridique interne 44
4.1.2. Articulation avec le droit international et le droit de l'Union européenne 45
4.2. IMPACTS ÉCONOMIQUES ET FINANCIERS 45
4.2.1. Impacts macroéconomiques 45
4.2.2. Impacts sur les entreprises 45
4.3. IMPACTS SUR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES 45
4.4. IMPACTS SUR LES SERVICES ADMINISTRATIFS 46
4.5.1. Impacts sur les personnes en situation de handicap 47
4.5.2. Impacts sur l'égalité entre les femmes et les hommes 47
4.5.3. Impacts sur la jeunesse 47
4.5.4. Impacts sur les professions réglementées 47
4.6. IMPACTS SUR LES PARTICULIERS 47
4.7. IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX 48
5. CONSULTATIONS ET MODALITÉS D'APPLICATION 48
5.2. MODALITÉS D'APPLICATION 49
5.2.1. Application dans le temps 49
5.2.2. Application dans l'espace 49
5.2.3. Textes d'application 51
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Le présent projet de loi vise à permettre la restitution de biens culturels appartenant au domaine public ayant fait l'objet, en France ou ailleurs, de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945.
Les biens culturels, comprenant, les oeuvres et objets d'art, les livres, ou même les instruments de musique, ont été spoliés par centaines de milliers voire par millions, et selon de multiples formes, allant du vol et du pillage à la confiscation et la saisie sous la forme dite de l'« aryanisation », ou encore à toutes les formes de ventes contraintes ou forcées. La spoliation des biens culturels est l'un des aspects d'une politique plus large de spoliation générale du patrimoine des Juifs, visés dès 1933 par le régime nazi, et participe plus globalement de la politique génocidaire nazie mise en oeuvre au cours de la Seconde Guerre mondiale : la volonté d'anéantissement des Juifs d'Europe s'est accompagnée d'une immense opération de dépossession de leurs biens. La guerre déclenchée par l'Allemagne nazie a permis à cette opération de spoliation de se déployer dans les pays et territoires annexés, occupés, alliés de l'Allemagne, à travers des actes commis par les autorités allemandes, par les autorités locales ou, dans ce contexte, par divers individus sous l'inspiration des unes ou des autres.
Les biens culturels spoliés dans le contexte des persécutions antisémites pendant la période nazie ont, pour certains d'entre eux, été retrouvés et restitués à leurs propriétaires légitimes, mais des dizaines de milliers d'autres ont disparu ou circulent sur le marché de l'art et ont pu entrer dans les collections publiques, après les premières spoliations entre 1933 et 1940, pendant la Seconde Guerre mondiale et, surtout, depuis 1945 et jusqu'à aujourd'hui. Ces entrées dans les collections publiques de biens spoliés ont eu lieu, dans la très grande majorité des cas, sans que les personnes publiques aient connaissance de cette provenance problématique ; pendant longtemps, en France comme ailleurs, la provenance a été peu étudiée et vérifiée lors de l'entrée des oeuvres dans les collections, et quand elle l'était, les archives et les outils de recherche étaient bien moins développés que maintenant, ne permettant pas des recoupements davantage facilités à présent.
Aujourd'hui, c'est une vraie responsabilité qui incombe aux propriétaires publics : il leur appartient de faire la lumière sur la provenance de leurs collections, ainsi que sur le parcours des nouvelles oeuvres qu'ils souhaitent acquérir. De la même façon, il incombe à l'ensemble des professionnels du monde de l'art d'étudier la provenance des biens qui circulent sur le marché, pour éviter des transactions portant sur des biens spoliés jamais restitués.
Pour ce qui concerne les musées et bibliothèques publics, les enjeux ont évolué ces dernières années. Après un premier temps, dans l'immédiat après-guerre, de recherches intenses et de restitutions en quantités importantes d'oeuvres retrouvées en Allemagne et renvoyées en France, suivi d'une longue période, du début des années 1950 au milieu des années 1990, au cours de laquelle la question des spoliations et des restitutions a été largement passée sous silence, les restitutions d'oeuvres spoliées conservées par les musées publics ont nettement augmenté depuis près de trente ans. Ces restitutions n'ont concerné quasi exclusivement que des oeuvres dites « Musées nationaux récupération » (MNR) - correspondant au reliquat des oeuvres provenant de France récupérées en Allemagne après la Libération, qui n'appartiennent pas aux collections nationales mais sont simplement confiées à la garde des musées nationaux. Cette situation s'explique par le fait que leur statut particulier, assorti de l'absence d'intégration au domaine public, a été justement prévu pour permettre des restitutions aisées sur le plan administratif.
Mais le cas des « MNR » n'épuise pas la question des oeuvres spoliées. Au cours des dernières années, sans délaisser les oeuvres « MNR », le regard s'est élargi aux biens culturels conservés dans les collections publiques, qui peuvent, pour certains, avoir été spoliés avant leur entrée dans ces collections. Ces investigations sont menées à l'initiative de l'administration et notamment du ministère de la Culture, et des musées de France, ou à la demande des ayants droit des familles spoliées. Lorsque la spoliation ou l'origine douteuse est avérée, la restitution s'impose. Le mouvement est encore récent et il n'est pas possible d'évaluer le nombre d'oeuvres spoliées ou présumées comme telles présentes dans les collections publiques, car elles n'ont précisément pas encore été identifiées. Cependant, le développement des recherches entreprises par le ministère de la Culture, les musées et les bibliothèques publics, conduira nécessairement à l'identification de nouvelles oeuvres spoliées qui devront être restituées.
Les restitutions de biens culturels des collections publiques ont, pour l'heure, été rares, notamment en raison du processus de sortie du domaine public lui-même. Les oeuvres des collections publiques, du fait de leur caractère inaliénable, ne peuvent en être extraites facilement : en effet, la sortie des oeuvres des collections publiques nécessite d'être autorisée par le Parlement, toute dérogation au principe d'inaliénabilité exigeant une mesure de rang législatif. C'est ce qu'ont rendu possible l'Assemblée nationale et le Sénat, en adoptant en janvier et février 2022 le premier projet de loi présenté par le Gouvernement pour la restitution ou la remise d'oeuvres spoliées ou acquises dans un contexte trouble : la loi n° 2022-218 du 21 février 2022 relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites, adoptée à l'unanimité, a permis la restitution ou la remise de quatorze oeuvres des collections nationales et d'une oeuvre des collections de la ville de Sannois, marquant ainsi une étape importante dans la reconnaissance des spoliations et de leur réparation.
Au cours du débat parlementaire, il est apparu que cette loi pouvait être la première d'une longue série de lois d'espèce pour les restitutions à venir. Un large consensus s'est dégagé, dans les deux assemblées et sur l'ensemble des rangs, pour souligner l'intérêt d'une loi-cadre, une loi générale créant un dispositif de restitution d'oeuvres spoliées présentes dans le domaine public, sans avoir à passer, au cas par cas, devant le Parlement.
Tel est donc l'objet du présent projet de loi : faciliter le processus de restitution des oeuvres spoliées appartenant au domaine public, de l'État et des collectivités territoriales, par la création dans le code du patrimoine d'une dérogation ciblée sur ces situations de spoliations au principe d'inaliénabilité. Le projet de loi prévoit ainsi que la personne publique propriétaire prononce la sortie du domaine public de tout bien culturel qui s'est révélé avoir été spolié entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945, aux seules fins de sa restitution, après avis d'une commission administrative spécialisée, qui sera la Commission pour l'indemnisation des victime de spoliations créée en 1999, chargée d'établir les faits, d'apprécier l'existence et les circonstances de la spoliation dans le contexte des persécutions antisémites de la période nazie et de recommander la restitution du bien à ses propriétaires légitimes : la personne spoliée elle-même ou, le plus souvent désormais, ses ayants droit.
Ce dispositif est un engagement symbolique fort du gouvernement. Le projet de loi s'inscrit dans la nécessaire politique de réparation des spoliations antisémites, mise en place en France depuis près de trente ans, avec notamment le discours du Président Jacques Chirac du 16 juillet 1995, dans lequel ce dernier reconnaissait la responsabilité de la France, aux côtés de l'Allemagne nazie, dans la déportation des Juifs de France, les travaux de la « Mission d'étude sur la spoliation des Juifs de France », dite Mission Mattéoli (1997-2000), et la création de la CIVS en 1999. Après ces étapes, complétées par l'adoption en 1998 par la France, avec 43 autres États, des « Principes de Washington sur les oeuvres d'art confisquées par les nazis », qui constituent une référence à suivre pour trouver une « solution juste et équitable » dans l'intérêt des familles spoliées, ce projet de loi est l'affirmation d'une politique de réparation des spoliations, rappelée par la Première ministre Elisabeth Borne le 15 juillet 2022 lors de la restitution par l'Allemagne de livres volés chez Georges Mandel : « ce chemin de la réparation, la France l'empruntera toujours ».
TABLEAU SYNOPTIQUE DES CONSULTATIONS
Article |
Objet de l'article |
Consultations obligatoires |
Consultations facultatives |
1er |
Sortie du domaine public d'un bien spolié faisant partie des collections publiques d'une personne publique |
Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) |
Néant |
2 |
Sortie du domaine public d'un bien spolié faisant partie des collections des musées de France appartenant aux personnes morales de droit privé à but non lucratif acquis par dons et legs ou avec le concours de l'Etat ou d'une collectivité territoriale |
Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) |
Néant |
3 |
Application de la loi aux demandes de restitution en cours d'examen à la date de sa publication |
Néant |
Néant |
TABLEAU SYNOPTIQUE DES MESURES D'APPLICATION
Article |
Objet de l'article |
Textes d'application |
Administration compétente |
1er |
Modification du chapitre 5 du titre Ier du livre Ier du code du patrimoine par la modification du titre du chapitre et la création de deux sections et trois articles nouveaux L. 115-2 à L. 115-4 |
Un décret en Conseil d'État : - abrogeant et remplaçant l'actuel décret n° 99-778 du 10 septembre 1999 instituant la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) - et définissant les modalités d'application de la nouvelle section 2 du chapitre 5 du titre Ier du livre Ier du code du patrimoine. |
Première ministre Ministère de la Culture / Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 du secrétariat général et service des musées de France de la direction générale des patrimoines et de l'architecture |
2 |
Modification de la sous-section 3 de la section 2 du chapitre 1er du titre V du livre IV du code du patrimoine par la création d'un article L. 451-10-1 (extension de la nouvelle procédure instituée par l'article 1er du aux biens ayant fait l'objet d'acte de spoliation relevant des collections des musées de France appartenant aux personnes morales de droit privé à but non lucratif acquis par dons et legs ou avec le concours de l'Etat ou d'une collectivité territoriale) |
Un décret en Conseil d'État : - abrogeant et remplaçant l'actuel décret n° 99-778 du 10 septembre 1999 instituant la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) - et définissant les modalités d'application de la nouvelle section 2 du chapitre 5 du titre Ier du livre Ier du code du patrimoine. |
Première ministre Ministère de la Culture / Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 du secrétariat général et service des musées de France de la direction générale des patrimoines et de l'architecture |
3 |
Application de la loi aux demandes de restitution en cours d'examen avant sa publication |
Néant |
Ministère de la Culture / Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 du secrétariat général et service des musées de France de la direction générale des patrimoines et de l'architecture |
TABLEAU D'INDICATEURS
Indicateur |
Objectif et modalités de l'indicateur |
Objectif visé (en valeur et/ou en tendance) |
Horizon temporel de l'évaluation (période ou année) |
Identification et objectif des dispositions concernées |
Saisines de la CIVS |
Le projet de loi soumet toute sortie du domaine public en vue d'une restitution à l'avis d'une commission administrative. L'indicateur proposé vise à mesurer l'évolution du recours à cette commission et le nombre de nouveaux dossiers de demandes de restitution de biens des collections publiques examinés par la commission, ouverts soit par les propriétaires publics eux-mêmes, soit par les ayants droit des personnes spoliées, soit par la commission elle-même. |
Fin 2024 puis une fois par an |
||
Nombre de biens culturels restitués |
Le projet de loi vise à faciliter les restitutions à leurs légitimes propriétaires de biens spoliés entre 1933 et 1945 et appartenant actuellement aux collections publiques françaises. L'indicateur proposé vise à connaître le nombre de biens culturels restitués dans les conditions ouvertes par le projet de loi et, ainsi, à évaluer les conditions de restitutions de biens culturels par les personnes publiques aux ayants droit des personnes spoliées. |
Fin 2024 puis une fois par an |
||
Nouveaux programmes de recherche de provenance sur la période 1933-1945 dans les collections publiques |
Le projet de loi peut avoir pour effet d'encourager les propriétaires publics à entreprendre de nouvelles recherches sur la provenance pendant la période 1933-1945 des biens de leurs collections. Plus largement, le projet de loi permet la diffusion de l'intérêt pour la connaissance du parcours des biens avant leur entrée dans les collections publiques. L'indicateur proposé vise à mesurer la prise en compte par les propriétaires publics de la question de l'origine et de la provenance de leurs collections et le développement des recherches entreprises par les propriétaires publics. |
Fin 2024 puis une fois par an |
ARTICLES 1, 2 ET 3
1. ÉTAT DES LIEUX
1.1. CADRE GÉNÉRAL
1.1.1. Cadre historique
La spoliation des biens culturels par l'Allemagne nazie et par les autorités des territoires qu'elle a occupés, contrôlés ou influencés, notamment l'autorité de fait se disant « gouvernement de l'Etat français » (ou régime de Vichy), continue d'avoir des conséquences importantes pour les musées du monde entier, le marché de l'art et les possesseurs d'oeuvres d'art, mais aussi de livres, depuis la Seconde Guerre mondiale. L'ampleur des spoliations perpétrées par le régime nazi dès son arrivée au pouvoir le 30 janvier 1933, puis progressivement dans les territoires et les pays conquis, avec souvent l'aide des régimes locaux affiliés, est immense, aujourd'hui encore. Si les biens culturels ne constituent qu'une petite part de l'ensemble des spoliations, ils sont au centre des préoccupations des musées et bibliothèques publics, comme des acteurs du marché de l'art. A la différence des biens du quotidien, des meubles ou des objets d'usage professionnel, les biens culturels, souvent uniques dans leurs caractéristiques intrinsèques, peuvent être plus aisément identifiés et retrouvés. Si cette recherche est souvent difficile, les biens culturels, et parmi eux les oeuvres d'art, peuvent être suivis et reliés à leur propriétaire spolié. Ces biens se trouvent pour certains dans des collections publiques, où ils ont pu entrer à la suite d'un processus exorbitant du droit commun ; ces biens témoignent des persécutions subies par leurs propriétaires dépossédés.
Ø Les spoliations
Les spoliations, terme devenu d'usage courant, ont pris des formes différentes tout au long de la période 1933-1945, que ce soit dans l'Allemagne nazie, dans l'Autriche d'après « l'Anschluss » à partir de mars 1938 puis peu à peu dans les différents pays occupés ou États satellites ou alliés de l'Allemagne nazie.
Les autorités nazies ont très rapidement visé les Juifs allemands, à la fois par des mesures d'exclusion de la société, d'isolement du reste de la population et d'accaparement de leurs biens, dans le cadre d'une politique d'« aryanisation » de leur patrimoine. Par la suite, au cours de la Seconde Guerre mondiale, ils ont mis en place, notamment dans les pays annexés, occupés ou alliés à l'Allemagne nazie, une vaste politique de pillage, menée par l'Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR) - « l'équipe d'intervention du dirigeant du Reich Rosenberg », dirigé par le théoricien nazi Alfred Rosenberg. Les spoliations recouvrent des modalités distinctes qui ont toutes en commun de participer au processus général de dépossession, qui, visant principalement les populations juives ou considérées comme telles, s'inscrit dans la politique globale d'éradication des Juifs d'Europe entreprise par les nazis.
Le terme « spoliation » désigne ainsi à la fois :
? le vol et le pillage, entrepris par diverses entités allemandes ou dépendants d'autorités locales dans les différents pays, parmi lesquelles la plus connue est l'Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR) qui visait notamment les plus importantes collections des marchands et collectionneurs juifs ;
? la spoliation au sens strict, soit le vol d'apparence légale, obéissant à la légalité des nazis ou, pour la France, du régime de Vichy, et prenant notamment la forme dite de l'« aryanisation » : les biens des Juifs sont confisqués et saisis, administrés par un administrateur provisoire et doivent littéralement être rendus « aryens » ; les biens sont alors vendus ou liquidés au profit des autorités ;
? l'ensemble des ventes intervenues sous la contrainte de ces circonstances et de la persécution, ventes que l'on peut qualifier de « forcées », rendues nécessaires pour les vendeurs pour dégager quelques ressources pour la survie, la fuite, le passage d'une frontière ou d'une ligne de démarcation. Compte tenu de l'urgence et de la situation de faiblesse du vendeur, ces ventes sont souvent faites à vil prix. Elles ont naturellement laissé moins de traces et d'archives et sont plus difficiles à identifier, mais constituent tout autant des transactions imposées par les politiques de persécution.
En France, le pillage des biens des collectionneurs et marchands d'art juifs fut entrepris dès l'arrivée des Allemands à Paris en juin 1940 par les services de l'ambassade d'Allemagne puis par l'ERR, qui réquisitionna rapidement des salles au musée du Louvre puis du musée du Jeu de Paume, dans le jardin des Tuileries, pour entreposer les oeuvres volées. Plus tard, l'opération de pillage généralisé, appelée « Möbel Aktion » (Action Meuble), visant les appartements laissés vides par leurs habitants juifs après leur fuite ou leur arrestation, permit aux autorités allemandes d'accaparer, parmi l'ensemble des biens, d'autres oeuvres d'art et de très nombreux livres.
De son côté, le régime de Vichy mit
en place sa propre politique de persécution antisémite, avec
notamment la loi portant premier « statut des Juifs » du
3 octobre 1940, puis la loi du
22 juillet 1941 relative aux entreprises et
biens ayant appartenu à des Juifs absents ou disparus, dite loi
d'« aryanisation » destinée à
« supprimer toute influence israélite dans
l'économie nationale ».
Cette loi prévoit le placement sous administration provisoire de tous les biens appartenant aux personnes considérées comme juives, à l'exception de leur résidence principale, et leur mise en vente au profit de l'État. Le gouvernement de Vichy crée une administration spécialement chargée de l'« aryanisation » : le Commissariat général aux questions juives (CGQJ), qui nomme les administrateurs provisoires. L'« aryanisation » atteint toute la population juive et toutes les professions. La spoliation a lieu par la vente ou la liquidation des biens ; l'administrateur provisoire propose au CGQJ une vente si l'entreprise ou les biens présentent un intérêt financier, ou la liquidation dans le cas contraire. Le produit de la vente n'est pas versé au propriétaire mais placé par l'administrateur provisoire à la Caisse des dépôts et consignations. Ainsi, parmi les biens « aryanisés », on compte nombre de biens culturels, qui ont pu être mis sur le marché sans l'accord de leurs propriétaires, privés du fruit de la vente de leurs biens.
En outre, il convient de rappeler que le régime de Vichy avait dès l'été 1940, par la loi du 23 juillet 1940, mis en place une politique de déchéance de nationalité visant les Français ayant quitté la France « entre le 10 mai et le 30 juin 1940 pour se rendre à l'étranger, sans ordre de mission régulier émanant de l'autorité compétente ou sans motif légitime », regardés « comme ayant entendu se soustraire aux charges et aux devoirs qui incombent aux membres de la communauté nationale ». Les biens des personnes déchues de leur nationalité ont ensuite pu être placés sous séquestre par les autorités de Vichy et spoliés. Si cette loi a visé diverses personnalités politiques, tel le Général de Gaulle, et ne constitue pas en soi une mesure antisémite, elle a également été appliquée à l'encontre de personnalités juives ayant fui le pays, précisément parce qu'elles avaient tout à craindre des Allemands ou des nouvelles autorités ayant signé l'armistice le 22 juin 1940. Ce fut notamment le cas de grands collectionneurs juifs dont les biens ont été spoliés par le gouvernement de Vichy ; dans ce cas, la déchéance de nationalité peut aussi s'analyser comme un élément de la politique antisémite du régime.
Ø Bilan des spoliations et circulation des biens culturels spoliés
Pour la France, on compte traditionnellement environ 100 000 oeuvres et objets d'art spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale, mais ce nombre est sans doute sous-estimé car fondé sur les seules réclamations faites au lendemain de la guerre, dont on sait qu'elles sont incomplètes. S'y ajoutent au moins cinq millions de livres volés en France.
Un très important travail de recherche et de restitution fut accompli dans les années d'immédiat après-guerre. Pour les biens culturels en particulier, la France mit en place en novembre 1944 une Commission de récupération artistique (CRA), chargée de seconder l'Office des biens et intérêts privés (OBIP), qui relevait du ministre des Affaires étrangères et recensait les biens transférés hors du territoire national. La CRA réceptionna les oeuvres d'art, objets précieux, livres, documents d'archives retrouvés en Allemagne grâce notamment à l'action d'espionnage et de résistance qu'avait menée Rose Valland, attachée de conservation au musée du Jeu de Paume, qui avait recueilli, parfois au risque de sa vie, de très nombreuses informations sur les oeuvres privées spoliées en France et ayant transité par le musée avant d'être transférées vers l'Allemagne. Ainsi, entre 1945 et 1954, les services français chargés de la récupération artistique permirent le rapatriement de 61 233 objets et la restitution à des propriétaires ou ayants droit, sur leur demande, de 45 441 biens (chiffres en 1950). Pour les livres et manuscrits, on estime à 2,4 millions le nombre d'ouvrages spoliés retrouvés en Allemagne ou en France, et entre 554 000 et 700 000 le nombre de livres ou périodiques imprimés restitués ou attribués à des personnes ou des institutions spoliées.
Il convient de noter que les autorités françaises renvoyèrent en France tous les biens retrouvés en Allemagne et qui étaient sortis de France pendant l'Occupation, quelle que soit la façon dont ces biens avaient quitté le pays : les biens vendus en France pendant l'Occupation par des personnes qui n'étaient pas persécutées et qui n'avaient pas été spoliées furent également récupérés et renvoyés en France. Ainsi, les biens retournés en France n'étaient pas tous des biens volés, confisqués ou vendus sous la contrainte.
Au tout début des années 1950, les autorités sélectionnèrent environ 2200 oeuvres et objets d'art parmi les environ 15 000 objets non restitués par absence d'identification par les familles : ils devinrent des objets dits « Musées nationaux récupération » (« MNR »), inscrits sur des inventaires provisoires et confiés à la garde des musées nationaux (cf. infra). Ces oeuvres « MNR » ont ensuite été déposées dans divers musées sur l'ensemble du territoire français. La recherche de leurs propriétaires légitimes n'était plus une priorité, les « MNR » ayant d'ailleurs initialement été conçus comme devant rejoindre les collections nationales en cas d'absence de réclamation - projet qui n'a cependant jamais été concrétisé. Les autres oeuvres non réclamées, 13 000 environ, furent vendues par les Domaines.
Le même dispositif fut mis en place pour les livres récupérés et non restitués : environ 15 000 ouvrages furent sélectionnés parmi les milliers de livres non restitués, et attribués à des bibliothèques publiques, tandis que des dizaines de milliers d'autres furent vendus, et parfois achetés par des bibliothèques publiques (Bibliothèque nationale, bibliothèques universitaires, bibliothèques municipales).
Plus généralement, les biens culturels spoliés non retrouvés, non récupérés et non restitués ont été dispersés dans toute l'Europe puis, peu à peu, dans le monde entier. Les spoliateurs, à la suite des pillages et des acquisitions dans le cadre de ventes contraintes, ont vendu les oeuvres ; d'autres biens ont pu être de nouveau volés en 1945, par les Soviétiques, et emportés un Union soviétique. D'autres encore ont été dissimulés pendant un certain nombre d'années avant de réapparaître sur le marché de l'art.
Ainsi, les biens spoliés ont continué de circuler et d'être acquis par des particuliers comme par des institutions publiques. Pendant des décennies, la question de la provenance a été ignorée ou n'était pas centrale : les transactions étaient faites sans que l'origine et le parcours des oeuvres soit nécessairement recherchés et connus. Dans ces conditions, les musées, en France comme ailleurs, ont pu acheter sur le marché de l'art des oeuvres qui avaient auparavant été volées, confisquées, vendues sous la contrainte, sans en avoir connaissance. De la même manière, les dons et legs ont pu aboutir à faire entrer dans les collections publiques des oeuvres spoliées. Les oeuvres en question ont pu être spoliées partout dans l'Europe occupée ou contrôlée par les nazis et entrer, par la suite, dans les collections publiques, en France comme dans le monde entier.
Ø Politiques de réparation
Du début des années 1950 au milieu des années 1990, la question de la spoliation des oeuvres d'art pendant la période 1933 et 1945, de leur recherche et de leur restitution fut passée sous silence. Si l'Allemagne de l'Ouest ouvrit des procédures d'indemnisation des familles spoliées, les restitutions d'oeuvres furent en revanche très peu nombreuses ; de façon générale, la provenance des oeuvres des musées, « MNR » ou oeuvres relevant des collections publiques, n'était pas au coeur des préoccupations, de même qu'elle n'était pas évoquée par les marchands et les maisons de vente. Plus généralement, la mémoire de la Shoah, qui n'avait d'ailleurs pas encore été nommée ainsi, n'était pas mise en avant. Au début des années 1950, la société française avait voulu tourner la page.
Au cours de cette période, très peu de restitutions furent opérées : seulement six oeuvres « MNR » furent restituées entre 1954 et 1993.
Le changement est intervenu au milieu des années 1990, à la faveur du passage des générations, d'un regain d'intérêt de la part des enfants et petits-enfants des victimes de persécutions, et de nouvelles recherches historiographiques, rendues possibles notamment par la chute du bloc soviétique et par l'ouverture de nouvelles archives. Ces recherches ont permis l'émergence d'une nouvelle mémoire du génocide des Juifs.
A partir de cette période, la question générale de la spoliation subie par les Juifs a pris de l'ampleur, et en particulier la question des oeuvres d'art. En France, cet intérêt nouveau s'est inscrit dans le cadre d'un questionnement plus large sur le rôle de la France au cours de la Seconde Guerre mondiale et la responsabilité du régime de Vichy. Après des décennies de débat, le président Jacques Chirac reconnut, dans son discours fondateur du 16 juillet 19951(*) lors de la commémoration de la rafle du Vél' d'Hiv', la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs de France. C'est dans cet élan que fut lancée en 1997 la « Mission d'étude sur la spoliation des Juifs de France », présidée par Jean Mattéoli, qui organisa une vaste série d'enquêtes sur les différents champs de la spoliation antisémite. Cette mission déboucha notamment en 1999 sur la création de la Fondation pour la mémoire de la Shoah et de la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation (CIVS).
De son côté, le ministère de la Culture, avec le ministère des Affaires étrangères et les musées nationaux concernés, a alors engagé un travail de recherche sur les oeuvres « Musées nationaux récupération » (« MNR ») - reliquat des oeuvres rapportées d'Allemagne après la Seconde Guerre mondiale -, afin de comprendre leur provenance et de diffuser ces informations au public. Le nombre de restitutions d'oeuvres « MNR » ou équivalents s'est accru, avec près de 130 oeuvres rendues à leurs propriétaires ou leurs ayants droit depuis 1996.
La question des biens spoliés est soulevée dans le monde entier depuis plus de vingt-cinq ans. Le sujet a connu une actualité forte dans les années 1990 et jusque vers la fin des années 2000 avec l'organisation de plusieurs conférences internationales sur les spoliations, qui ont fait date : en 1998, la conférence de Washington sur les biens spoliés pendant l'Holocauste (Washington Conference on Holocaust-Era Assets ), dont les Principes constituent aujourd'hui une référence pour l'action des États et des musées ; en 2000, sous les auspices du Conseil de l'Europe, à Vilnius, ayant donné lieu à la « Déclaration de Vilnius » ; puis en 2009 à Prague, la conférence qui s'est achevée par l'adoption de la « Déclaration de Terezin ».
Les conclusions de ces conférences forment toujours le cadre international de référence du sujet, sans valeur contraignante pour les États.
De nombreux pays sont confrontés à la question de la circulation des biens spoliés et de nombreux musées, dans le monde entier, ont lancé des recherches de provenance dans leurs collections. Quelques dossiers phares ont été particulièrement remarqués au cours des dernières années, mettant en lumière la nécessité de procéder à des recherches, souvent longues et ardues. En Allemagne, la découverte en 2012 chez Cornelius Gurlitt de plusieurs centaines d'oeuvres ayant appartenu à son père, Hildebrand Gurlitt, marchand d'art ayant travaillé pour les nazis, a mis en évidence le fait que des oeuvres à la provenance incertaine continuaient de circuler. Les oeuvres trouvées chez Cornelius Gurlitt ne sont pas toutes spoliées, mais elles ont nécessité des recherches approfondies sur leur provenance, que le legs fait par Cornelius Gurlitt au musée des beaux-arts de Berne rendait indispensables.
1.1.2. Cadre actuel
En France, la recherche de provenance concernant les biens ayant potentiellement fait l'objet de spoliations s'est accrue en 2013 avec le lancement de travaux devant permettre d'identifier les propriétaires des oeuvres « MNR » et leurs ayants droit sans attendre d'éventuelles démarches des familles. Cette démarche volontaire, ou « proactive », a commencé à porter ses fruits et a permis la mobilisation du ministère de la Culture et des équipes de plusieurs musées gardiens d'oeuvres « MNR » afin de permettre de nouvelles restitutions, parfois grâce à l'aide des généalogistes professionnels pour la recherche des ayants droit des propriétaires spoliés.
Ainsi, sur les 79 oeuvres et objets « MNR » ou équivalents restitués depuis 2012, 50, soit près des deux tiers, l'ont été dans le cadre de recherches proactives, menées à l'initiative du ministère et des musées concernés.
Plus récemment, le Premier ministre Edouard Philippe a souhaité donner un nouvel élan à la politique de recherche et de restitution des biens culturels spoliés. Évoquant la question en juillet 2018 lors de la commémoration de la rafle du Vél' d'Hiv', il a demandé à la CIVS et au ministère de la Culture de « faire mieux »2(*) en la matière.
Le Gouvernement a souhaité que l'État s'organise différemment pour faciliter la recherche de provenance et, lorsque c'est possible, les restitutions. La procédure devant la CIVS a été modifiée et une nouvelle structure a été créée en 2019 au sein du ministère de la Culture : la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, prenant ainsi pour les oeuvres d'art la suite du Service des musées de France.
Dans le prolongement de l'action menée ces dernières années, la nouvelle organisation a pour mission d'apporter de la visibilité à la politique de recherche et de restitution concernant les collections publiques et plus de cohérence à la procédure de restitution, donnant une large place à la CIVS pour les spoliations intervenues en France pendant l'Occupation. Le ministère de la Culture et la CIVS travaillent ensemble, de façon coordonnée.
C'est là l'affirmation d'une volonté politique, encore rappelée par la Première ministre Elisabeth Borne le 15 juillet 2022 lors de la restitution par l'Allemagne de livres volés chez Georges Mandel : « ce chemin de la réparation, la France l'empruntera toujours3(*) ». La nouvelle organisation mise en place en 2019 s'inscrit ainsi dans le prolongement de la politique de réparation ouverte avec la Mission Mattéoli en 1997. L'État affirme une véritable politique publique de recherche et de réparation, en faisant notamment la lumière sur ce qu'il reste de collections privées spoliées qui se trouvent aujourd'hui à tort, par ignorance de leur parcours, conservées dans les institutions publiques.
Aujourd'hui, de nouvelles restitutions d'oeuvres « MNR » ont lieu régulièrement : quatre oeuvres en 2017 ; six oeuvres en 2018 ; onze oeuvres et objets en 2019, vingt-quatre oeuvres et objets en 2020, cinq en 2021, trois en 2022, sept en 2023 (au 19 avril), près d'une vingtaine d'autres en projet pour 2023.
Enfin, l'évolution immédiate la plus importante tient au lancement, en 2020, de recherches davantage systématiques sur la provenance des oeuvres des collections nationales et plus largement publiques. Au-delà de l'historique des oeuvres « MNR », dont la compréhension reste une priorité, c'est le parcours entre 1933 et 1945 des oeuvres entrées dans les collections publiques depuis 1933 qui doit être étudié, comme d'ailleurs y invitaient déjà les consignes données depuis 2016 par le Service des musées de France dans le cadre des opérations de post-récolement décennal4(*).
Ainsi, plusieurs musées de France ont engagé ou engagent actuellement des recherches visant à passer en revue les oeuvres acquises entre 1933 et 1945 ou, plus largement, acquises depuis 1933, et à identifier parmi elles les oeuvres à la provenance potentiellement douteuse. L'étude approfondie du cheminement de l'oeuvre pendant la période 1933-1945 doit permettre de mettre au jour une éventuelle spoliation jamais réparée convenablement ou au contraire d'établir une provenance claire et non problématique.
Plusieurs musées de France, nationaux et territoriaux, ont débuté de tels travaux, le cas échéant avec l'appui opérationnel du ministère de la Culture. Le musée du Louvre a ainsi passé en revue ses acquisitions pour la période 1933-1945 et n'a identifié qu'un nombre très limité de difficultés, la quasi-totalité des oeuvres acquises pendant l'Occupation dans un cadre douteux ou clairement spoliateur - notamment les oeuvres acquises à la suite de séquestres décidés par le gouvernement de Vichy - ayant été restituées après la guerre. Le musée poursuit ses investigations sur le reste de la période, postérieure à 1945, qui correspond à un plus grand nombre d'entrées dans les collections. De la même façon, le musée d'Orsay, d'abord en lien avec le ministère de la Culture, s'est lancé dans un travail de vérification de la provenance d'un certain nombre d'oeuvres de ses collections ; le musée national d'art moderne, également avec l'appui du ministère de la Culture, passe en revue certaines de ses acquisitions de la période 1933-1945 à la provenance incomplète. Plus largement, des musées de France territoriaux engagent des recherches spécifiques sur certaines oeuvres de leurs collections.
Plus généralement, les enjeux liés à la provenance des collections se diffusent progressivement, comme l'illustrent les questions que posent de plus en plus les musées au moment de l'acquisition de nouvelles oeuvres. Outre l'origine des oeuvres entrées dans les collections depuis 1933, c'est en effet la provenance des oeuvres dont l'intégration aux collections publiques est envisagée aujourd'hui qu'il faut contrôler, au moment de leur acquisition. La vérification de la provenance, si elle reste à améliorer, est une étape indispensable du processus d'acquisition, qu'il s'agisse d'un achat ou d'une libéralité, qui est de mieux en mieux suivie par les institutions publiques.
Pour renforcer les contrôles et rendre possible la recherche de provenance, de nouvelles formations se mettent en place afin de toucher les différents professionnels du monde de l'art, de son marché, des musées et des bibliothèques. Ainsi, l'Institut national du patrimoine (INP) a inséré dans le parcours de formation des élèves conservateurs du patrimoine une formation obligatoire de deux à trois jours sur la question des spoliations de la période nazie et sur les recherches de provenance, coordonnée par le ministère de la Culture.
De la même façon l'École nationale des sciences de l'information et des bibliothèques (ENSSIB) a institué une à deux journées de formation pour les élèves conservateurs de bibliothèques, également grâce à l'appui du ministère de la Culture. L'INP et l'ENSSIB proposent également, en lien avec le ministère de la Culture, des formations continues à l'ensemble des professionnels du secteur.
L'université de Nanterre a créé en 2022 un diplôme universitaire de recherche de provenances, qui traite, entre autres, des recherches sur les oeuvres spoliées pendant la période nazie, et qui s'adresse à la fois aux étudiants et aux professionnels du monde de l'art. Enfin, l'École du Louvre, qui sensibilise déjà ses étudiants aux enjeux liés aux spoliations et aux recherches de provenance, notamment au travers de séminaires dédiés au niveau du master, envisage la création prochaine d'un nouveau parcours de master 2 « Collections sensibles, recherches de provenance et enjeux internationaux ».
1.1.3. Cadre juridique national
Ø Les textes juridiques jusqu'à 1945
En France, la déclaration fondatrice du 5 janvier 1943 a été suivie de plusieurs textes pris alors que la Seconde guerre mondiale n'était pas encore achevée et qui produisent encore leurs effets actuellement.
A cet égard, on peut citer plusieurs ordonnances prises les années suivantes. La première est l'ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi ou sous son contrôle. Après le rétablissement de la légalité républicaine5(*), il s'agit principalement de l'ordonnance n° 45-824 du 11 avril 1945 relative à la dévolution de certains biens meubles récupérés par l'État à la suite d'actes de pillages commis par l'occupant, l'ordonnance du 14 novembre 1944 portant première application de l'ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi et sous son contrôle, l'ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 portant deuxième application de l'ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi ou sous son contrôle et édictant la restitution aux victimes de ces actes de leurs biens qui ont fait l'objet d'actes de disposition et l'ordonnance n° 45-1224 du 9 juin 1945 portant troisième application de l'ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation et édictant la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi à son profit.
Parmi ce corpus, l'ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945, bien que ne s'appliquant qu'aux actes spoliateurs intervenus en France pendant l'Occupation (et pas aux actes intervenus à l'étranger et avant juin 1940), est particulièrement importante. Son article 1er dispose que « les personnes physiques ou morales ou leurs ayants-cause dont les biens, droits ou intérêts ont été l'objet, même avec leur concours matériel, d'actes de disposition accomplis en conséquence de mesure de séquestre, d'administration provisoire, de gestion, de liquidation, de confiscation ou de toutes autres mesures exorbitantes du droit commun en vigueur au 16 juin 1940 et accomplis, soit en vertu des prétendus lois, décrets et arrêtés, règlements ou décisions de l'autorité de fait se disant gouvernement de l'État français, soit par l'ennemi, sur son ordre ou sous son inspiration, pourront, sur le fondement, tant de l'ordonnance du 12 novembre 1943 relative à la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi ou sous son contrôle, que de l'ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental, en faire constater la nullité ». Par ailleurs, son article 4 prévoit que « l'acquéreur ou les acquéreurs successifs » du bien spolié « sont considérés comme possesseurs de mauvaise foi au regard du propriétaire dépossédé ». De plus, son article 11 prend en compte le fait que même le consentement ne saurait faire obstacle à la reconnaissance de la nullité de l'acte s'il a été extorqué ou contraint. La possibilité de recourir à ces dispositions était limitée à un délai de 6 mois, prolongé à plusieurs reprises et finalement jusqu'au 31 décembre 19516(*), mais le texte a prévu que le juge puisse relever le requérant de la forclusion, s'il est prouvé qu'une impossibilité matérielle a empêché d'agir dans ce délai, ce qui rend, après une longue période de relatif oubli, cette ordonnance toujours applicable aujourd'hui pour certains dossiers, ainsi que l'ont montré des affaires récentes7(*).
Sur la base de cette ordonnance, le juge, seul habilité à pouvoir le faire, peut donc encore annuler, s'il le reconnaît comme spoliateur, l'acte de disposition initial, qui pendant la guerre a privé le requérant ou sa famille de son bien. A la suite de cette annulation, toutes les transactions postérieures de ce bien sont considérées comme nulles et non avenues. Le propriétaire actuel, qu'il soit une personne privée ou publique, voit donc sa propriété automatiquement abolie.
Ø Les statuts des biens spoliés présents dans les collections publiques
Les biens spoliés faisant l'objet de demandes de restitution, pour lesquelles l'État intervient dans le processus, se trouvent dans deux types de situation, qui ne font pas l'objet du même traitement juridique, notamment en ce qui concerne leur restitution, en raison de leur statut différent :
Biens culturels issus de la Récupération artistique, dits « MNR »
Les 2 000 oeuvres environ appelées « Musées Nationaux Récupération » (« MNR ») aujourd'hui conservées par l'État sur les 2 200 initialement sélectionnées, sont le reliquat des 60 000 oeuvres environ récupérées en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, dont une partie importante est issue des spoliations nazies ou du régime de Vichy. Elles résultent de la sélection opérée par des « Commissions de choix » au début des années 1950, en raison, principalement, de leur qualité artistique ; elles ont été confiées à la garde des musées nationaux tout en étant placées sous la responsabilité juridique du Ministère des affaires étrangères.
L'acronyme « MNR » correspond en réalité au préfixe des numéros d'inventaire des seules peintures anciennes confiées au département des Peintures du Louvre (environ la moitié de l'ensemble des oeuvres récupérées). Par extension et par commodité de langage, il a fini par désigner de manière générique l'ensemble de ces oeuvres, même si le numéro d'inventaire de chaque type d'objets possède un préfixe spécifique (« OAR » pour les objets d'art, « RFR » pour les sculptures, etc.).
Le statut juridique des « MNR » découle du décret n° 49-1344 du 30 septembre 19498(*), qui a mis fin à l'activité de la Commission de récupération artistique (CRA). Ils n'appartiennent pas au patrimoine de l'État qui, sans aucune ambiguïté, n'en est que le détenteur provisoire. Ils sont inscrits sur des inventaires particuliers dans l'attente d'une restitution éventuelle, sans qu'une date de prescription ait été fixée pour en faire la demande. Ils sont actuellement mis en dépôt soit dans les musées nationaux, soit dans les musées de France territoriaux.
Le statut particulier des « MNR », qui devait initialement être temporaire avant une intégration des biens dans les collections nationales, rend possible aujourd'hui leur restitution à leur propriétaire spolié ou à leurs ayants droit à tout moment et sans limitation dans le temps. La procédure, qui passe par une requête déposée à la CIVS, par une demande adressée au Ministère de la culture ou une identification, par l'administration, du propriétaire spolié et de ses ayants droit, permet de procéder à des restitutions des oeuvres « MNR » concernées sans nécessiter de dispositions législatives puisque ces derniers n'ont pas été intégrés au domaine public de l'État9(*).
On sait que, parmi eux, se trouvent des oeuvres qui n'avaient pas été spoliées : elles avaient été retrouvées en Allemagne à la fin de la guerre et renvoyées en France car vendues à des acheteurs allemands pendant l'Occupation, même si le vendeur n'était pas persécuté. La question de l'entrée de ces oeuvres non spoliées dans les collections publiques a régulièrement été posée mais une telle opération se heurte aujourd'hui à une question d'opportunité sur le bien-fondé de l'intégration dans le domaine public d'oeuvres dont la provenance n'a pas encore été éclaircie ou qui n'ont clairement pas fait l'objet de spoliation.
Parmi les 2000 « MNR » restants, environ 1800 demeurent sans provenance clairement identifiée, tandis que les autres oeuvres sont pour moitié assurément ou probablement spoliées, mais à un propriétaire non encore identifié, et pour moitié assurément ou probablement non spoliées, vendues sans contrainte ou réalisées pendant l'Occupation. Les recherches se poursuivent, menées par les principaux musées nationaux affectataires d'oeuvres « MNR » et le ministère de la Culture.
La gestion des « MNR » a fait l'objet de l'élaboration par le Service des musées de France d'une importante instruction destinée à en rappeler les modalités aux musées de France en ayant la garde et signée par la Ministre de la culture, Fleur Pellerin, en octobre 201510(*). Cette instruction a été complétée en mai 2017 par sa successeure Audrey Azoulay11(*).
Biens culturels intégrés aux collections publiques dont l'origine de spoliation n'était pas connue au moment de cette entrée dans le domaine public
Les biens culturels dont le propriétaire a été spolié, s'ils ont été intégrés aux collections publiques, ce qui s'est produit en ignorant l'existence de la spoliation antérieure, sont soumis au régime de la domanialité publique et donc à l'inaliénabilité, qui en est une des caractéristiques.
Le principe protecteur d'inaliénabilité, qu'il soit général au domaine public ou appliqué à des collections des musées de France, tel qu'inscrit dans le code du patrimoine, n'a pas de valeur constitutionnelle. A l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité12(*), le Conseil constitutionnel a conclu à la conformité à la Constitution de dispositions législatives ne prévoyant aucune exception aux principes d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité du domaine public, mais sans pour autant reconnaître à ces principes une valeur constitutionnelle.
Les biens du domaine public mobilier sont définis à l'article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques qui dispose notamment que : « Sans préjudice des dispositions applicables en matière de protection des biens culturels, font partie du domaine public mobilier de la personne publique propriétaire les biens présentant un intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie, de la science ou de la technique, notamment :(...) 8° Les collections des musées ;(...) ».
Cette appartenance au domaine public mobilier implique une protection particulière, qui comprend l'inaliénabilité13(*), l'imprescriptibilité14(*) et l'insaisissabilité. L'inaliénabilité et l'imprescriptibilité découlent de la règle générale fixée pour les biens du domaine public à l'article L. 3111-115(*) du code général de la propriété des personnes publiques, qui est reprise dans le code du patrimoine pour les biens des collections des musées de France. Quant à l'insaisissabilité, elle est prévue à l'article L. 2311-1 du code général de la propriété des personnes publiques 16(*).
La sortie du domaine public est prévue au titre IV : Sortie des biens du domaine public, du code général de la propriété des personnes publiques, dont le chapitre 1er édicte les règles générales en la matière, en particulier à l'article L. 2141-1 qui prévoit qu'« un bien d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1, qui n'est plus affecté à un service public ou à l'usage direct du public, ne fait plus partie du domaine public à compter de l'intervention de l'acte administratif constatant son déclassement ».
Jusqu'en décembre 2020, le déclassement des
biens des collections des musées de France entrait dans le cadre de la
procédure qui était prévue aux articles L. 115-1 à
L. 115-2 et R. 115-1 à
R. 115-4 du code du patrimoine et relevait de
la Commission scientifique nationale des collections, appelée dans ce
cas à rendre un avis conforme. Créée par l'article 4 de la
loi n° 2010-501 du 18 mai 2010 visant à autoriser la
restitution par la France des têtes maories à la
Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections et
prévue aux articles L. 115-1 et
L. 115-2 du code du patrimoine, la
Commission scientifique nationale des collections avait pour objet de
conseiller les personnes publiques ou les personnes privées
gestionnaires de fonds régionaux d'art contemporain dans l'exercice de
leurs compétences en matière de déclassement ou de cession
de biens culturels appartenant à leurs collections, à l'exception
des archives et des fonds de conservation des bibliothèques.
Dans le cadre du rôle d'élaboration de recommandations que lui avait confié le législateur, elle a produit un rapport remis au Parlement en 201517(*), en réaffirmant que le déclassement supposait au préalable la perte d'intérêt public, qu'elle était chargée de constater au cas par cas pour les biens culturels entrant dans son champ de compétences.
A cet égard, il convient de préciser que le champ de compétence de cette instance était limité depuis l'origine, à l'examen des propositions de déclassement, formulées par des propriétaires publics pour des biens dont ils considèrent qu'ils ont perdu leur intérêt public culturel. Elle n'était donc pas habilitée à statuer sur des biens n'ayant pas perdu leur intérêt pour les collections publiques françaises, comme c'est le cas le plus général des biens aujourd'hui restituables aux ayants droit de propriétaires spoliés. En outre, elle n'avait pas été dotée par le législateur de la possibilité de faire sauter le verrou juridique des dons et legs consentis aux musées de France. En effet, pour protéger les libéralités consenties au bénéfice des collections publiques et ne pas décourager de futurs donateurs, les biens acquis par donation entre vifs ou par legs ne peuvent être déclassés18(*).
La Commission scientifique nationale des collections a
été supprimée par l'article 13 de la loi n° 2020-1525
d'accélération et de simplification de l'action publique du 7
décembre 2020
(dite ASAP) et, à cette occasion, le
législateur a souhaité la remplacer par un nouvel article
L.
115-1 qui prévoit une accroche législative dans un chapitre V,
ré-intitulé « déclassement », dans
le titre Ier du Livre I du code du patrimoine. Le décret
d'application prévoyant de nouvelles modalités de
procédure en date du 23 juillet 2021 rappelle opportunément, dans
l'article
R. 115-1 qu'il introduit dans le code du patrimoine,
qu'« un bien culturel appartenant au domaine public en
application de l'article L. 2112-1 du code général de la
propriété des personnes publiques ne peut être
déclassé du domaine public que lorsqu'il a perdu son
intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de
l'archéologie, de la science ou de la technique19(*) ».
Par ailleurs, l'expérience de la restitution en 2015 de plaques chinoises conservées par le Musée Guimet a conduit le Ministère de la culture à introduire une mesure à l'article 56 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine, qui crée une possibilité pour le propriétaire public de demander à un juge l'annulation d'une acquisition dont il apparaîtrait a posteriori qu'elle portait sur des biens volés ou sortis illégalement de leur pays d'origine, s'inscrivant ainsi en contradiction avec la Convention UNESCO de 1970. Cette disposition législative, insérée à l'article L. 124-1 du code du patrimoine, ne s'applique cependant qu'aux cas où le fait générateur est intervenu après l'entrée en vigueur de la Convention UNESCO de 1970 pour l'État partie concerné et la France, et s'avère donc inopérante sur des appropriations antérieures à 1997.
En outre, le Conseil d'État a déjà affirmé, d'ailleurs à l'occasion d'une affaire concernant des biens spoliés, que l'intervention du législateur pouvait permettre de contourner le caractère inaliénable de certaines oeuvres20(*).
Compte tenu du cadre de la domanialité publique, la restitution des biens spoliés intégrés aux collections publiques, dans les cas où il serait fondé de l'effectuer, n'est aujourd'hui possible que par deux voies principales, soit à la suite d'une procédure judiciaire, sur le fondement de l'ordonnance du 21 avril 1945 précitée, introduite par des ayants droit du propriétaire dépossédé - si la spoliation a eu lieu en France pendant l'Occupation - et en cas d'issue favorable pour ces derniers, le juge ordonnant la restitution, soit par une mesure de rang législatif autorisant la sortie du domaine public en dérogeant à l'inaliénabilité.
A titre d'exemple de la première voie, on peut citer l'exemple de deux tableaux de Derain, faisant partie de la donation de Pierre et Denise Lévy en 1976 affectée par l'État au Musée d'art moderne de Troyes, et un autre, appartenant à la Ville de Marseille et conservé par le Musée Cantini, qui ont ainsi été restitués aux ayants droit du marchand d'art René Gimpel à la suite d'un arrêt de la Cour d'appel de Paris le 30 septembre 2020, établi sur le fondement de l'ordonnance du 21 avril 194521(*).
Ø La loi du 21 février 2022 de restitution ou remise de quinze oeuvres des collections publiques
Pour pouvoir restituer deux oeuvres des collections nationales et une oeuvre des collections de la ville de Sannois spoliées dans le contexte des persécutions antisémites, l'une en Autriche en 1938, l'autre en Pologne en 1940 et la troisième en France en 1940, et remettre douze oeuvres acquises par les musées nationaux en 1942 lors d'une vente de succession d'un collectionneur français juif, le gouvernement a déposé en 2021 un projet de loi autorisant de manière ciblée la sortie du domaine public de ces quinze oeuvres.
Conformément au droit en vigueur, compte tenu du principe d'inaliénabilité, seule une loi spécifique de restitution pouvait permettre au gouvernement de faire sortir les oeuvres du domaine public. La voie judiciaire fondée sur l'ordonnance du 21 avril 1945 précitée, outre qu'elle ne peut être introduite par le détenteur des oeuvres lui-même alors même qu'il souhaiterait restituer, n'était pas applicable pour deux des quatre cas couverts par la loi puisque la spoliation d'un tableau de Gustav Klimt à Nora Stiasny (article 1er de la loi) et d'un tableau de Marc Chagall à David Cender (article 4) n'avaient pas eu lieu en France.
Dans son avis rendu le 7 octobre 2021, le Conseil d'État a considéré que si la dépossession « est intervenue par l'effet d'une spoliation, au sens de la Déclaration de Londres et de l'ordonnance de 1945, ayant privé de son bien une personne victime de persécutions antisémites, la restitution s'impose au nom d'un intérêt général supérieur ». Il ajoutait que « ce motif impérieux rend inopérantes les autres exigences constitutionnelles au regard desquelles une loi prononçant le déclassement de biens du domaine public mobilier doit, en règle générale, être examinée, à savoir l'absence d'atteinte disproportionnée à la propriété publique (Conseil constitutionnel, décision n° 86-207 DC du 26 juin 1986, cons. 58) et de mise en cause de la continuité des services publics auxquels le domaine public est affecté (Conseil constitutionnel, décision n° 94-346 DC du 21 juillet 1994, cons. 2)22(*) », exigences que le Conseil d'État avait rappelées dans son avis rendu sur le projet de loi de restitution de biens culturels africains à la République du Bénin et à la République du Sénégal en 202023(*).
La loi a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 25 janvier 2022 et par le Sénat le 15 février 2022. La loi n° 2022-218 du 21 février 2022 relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites est ainsi la première loi de restitution d'oeuvres appartenant aux collections publiques françaises en raison de leur spoliation, en France ou dans d'autres pays, dans le contexte des persécutions antisémites pendant la période nazie. La restitution et la remise effective des oeuvres a eu lieu rapidement après le vote de la loi, entre mars et juin 2022.
Le consensus qui a caractérisé la discussion de ce projet de loi a mis en lumière l'intérêt du législateur pour la question de la réparation des spoliations.
La préparation de cette loi et la discussion parlementaire ont également été l'occasion d'évoquer une future « loi-cadre », destinée à faciliter le restitutions d'oeuvres du domaine public qui se révèlent spoliées, en évitant de nouvelles lois spécifiques ou de circonstance.
Le Conseil d'État, dans son avis sur le projet de loi, avait lui-même considéré qu'une « loi de principe organisant une procédure administrative de sortie des collections publiques en réparation des spoliations » était nécessaire et avait recommandé « que l'élaboration d'une telle loi soit étudiée afin d'éviter la multiplication de lois particulières et de permettre d'accélérer les restitutions »24(*).
Lors du débat parlementaire, la plupart des députés et des sénateurs qui se sont exprimés ont appelé de leur voeu une loi-cadre pour faciliter les restitutions. De même, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot s'est dit, lors de la séance à l'Assemblée nationale le 25 janvier 2022, « favorable (...) à l'adoption d'une loi-cadre permettant la création d'un dispositif de restitution des oeuvres spoliées dans le cadre des persécutions antisémites pendant cette période. Nous y viendrons, cette étape s'imposera. »
Ø Les procédures de traitement des demandes de restitution de biens spoliés
Pendant longtemps, les restitutions ont porté principalement sur les oeuvres « MNR » dont le statut est prévu pour pouvoir y procéder.
La recherche et la restitution des biens culturels spoliés ont reposé jusqu'en 2019 sur une organisation fondée sur peu de textes de référence, en mobilisant plusieurs acteurs étatiques :
? la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation (CIVS)25(*), chargée de répondre aux demandes d'indemnisation pour tout type de spoliation et activée uniquement sur requête des familles, qui peut recommander depuis sa création en 1999 au Premier ministre d'indemniser des oeuvres disparues ou de restituer des oeuvres « MNR » ou des oeuvres des collections publiques ;
? la Direction des archives du ministère chargé des Affaires étrangères, qui assurait la responsabilité juridique des oeuvres « MNR » (oeuvres retrouvées en Allemagne après la guerre et confiées à la garde des musées nationaux) et qui validait donc la restitution des « MNR » ;
? pour le Ministère de la culture, le Service des musées de France coordonnait la recherche et les restitutions pour les oeuvres d'art et le Service du livre et de la lecture pour les documents patrimoniaux des bibliothèques26(*), en lien respectivement avec les musées de France et les bibliothèques conservant des oeuvres spoliées ou présumées telles.
Ce dispositif a été substantiellement remanié en 2018 et 2019.
Par un décret du 1er octobre 201827(*), la CIVS a vu ses compétences élargies, ainsi que ses modalités de saisine, incluant une possibilité nouvelle d'autosaisine. Elle est désormais chargée d'examiner l'ensemble des dossiers de restitution relevant de sa compétence, à savoir les spoliations antisémites intervenues en France pendant l'Occupation, et de proposer des recommandations en faveur ou pas de la restitution au Premier ministre, qui est devenu l'autorité unique de décision en la matière pour assurer la cohérence des positions gouvernementales. Pour assumer cette mission étendue concernant spécifiquement les biens culturels, l'expertise de la CIVS a été renforcée avec la nomination de quatre personnalités qualifiées supplémentaires (en matière d'histoire de l'art, de marché de l'art, d'histoire de la Seconde guerre mondiale et de droit du patrimoine), venant compléter les dix membres habituels (six magistrats, deux professeurs d'université et deux personnalités qualifiées) pour les dossiers de biens culturels.
En lien avec ces évolutions de la CIVS, le Ministère de la culture a créé par deux textes du 16 avril 2019, au sein de son secrétariat général, une Mission de recherche et de restitution des biens spoliés entre 1933 et 1945 (M2RS)28(*), qui a regroupé les agents de la CIVS chargés de la gestion des dossiers comportant des biens culturels mobiliers et ceux dédiés du Service des musées de France, sous l'autorité d'un chef de mission. Cette nouvelle entité a la responsabilité de piloter et de coordonner la politique publique de recherche et d'identification des biens culturels spoliés, principalement les biens conservés par les institutions publiques, « MNR » ou dans leurs collections, notamment de l'instruction des dossiers dont est saisie la CIVS.
L'articulation de ces modifications a abouti à dessaisir le Ministère chargé des affaires étrangères de la responsabilité juridique sur les « MNR » qu'il avait héritée de l'Office des biens et intérêts privés (OBIP) et à clarifier l'organisation des services publics chargés de ces dossiers. En matière procédurale, après une saisine pouvant être effectuée par les victimes de spoliations, par toute personne concernée, par le Ministère de la culture ou la CIVS en autosaisine, l'instruction de la demande est désormais assurée par la M2RS. Si la demande entre dans le champ de compétences de la CIVS (spoliation à caractère antisémite opérée pendant l'Occupation de la France - donc entre juin 1940 et août 1944 -, tant par l'occupant que par les autorités de Vichy), celle-ci émet une recommandation à son propos qui est transmise au Premier ministre. Dans le cas où la demande ne relève pas de la CIVS, la M2RS l'instruit et le Ministère de la culture propose de restituer ou non au Premier ministre. Une décision défavorable à la restitution laisse ouverte aux requérants la possibilité de saisir la justice.
1.2. CADRE CONSTITUTIONNEL
Comme l'a relevé en 2021 le Conseil d'Etat dans
son avis sur un projet de loi relatif à la restitution ou la remise de
certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires
victimes de persécutions antisémites29(*), lorsque la
dépossession d'un bien culturel est intervenue par l'effet d'une
spoliation, au sens de la Déclaration de Londres30(*) et de l'ordonnance
n°
45-770 du 21 avril 194531(*), ayant privé de son bien une personne victime
de persécutions antisémites, la restitution s'impose au nom d'un
intérêt général supérieur. Ce motif
impérieux rend inopérantes les autres exigences
constitutionnelles au regard desquelles une loi prononçant le
déclassement de biens du domaine public mobilier doit, en règle
générale, être examinée, à savoir l'absence
d'atteinte disproportionnée à la propriété
publique32(*) et de
mise en cause de la continuité des services publics auxquels le domaine
public est affecté33(*).
Alors que les biens incorporés dans le domaine public, quelles que soient les modalités de cette entrée, sont inaliénables et imprescriptibles, ce qui interdit au propriétaire d'y renoncer34(*), la nullité de l'acte initial de dépossession d'un bien culturel entré dans les collections publiques, prononcée par le juge sur le fondement de l'ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945, fait échec à cette inaliénabilité35(*). En outre, cette dernière n'ayant pas valeur constitutionnelle, il est possible de recourir à la loi pour y déroger36(*).
En l'espèce, au nom de l'intérêt général supérieur de restitution de biens culturels dont la spoliation a été constatée, le présent projet de loi vise à introduire dans la loi une dérogation circonscrite au principe d'inaliénabilité qui protège à la fois les biens des personnes publiques qui relèvent du domaine public et les biens constituant les collections des musées de France appartenant à des personnes publiques37(*), dans le seul but de rendre les biens concernés à leurs propriétaires légitimes.
1.3. CADRE CONVENTIONNEL
1.3.1. Cadre international
La question des biens culturels enlevés à l'occasion d'opérations militaires et de guerres n'a commencé à être réellement prise en compte sur le plan juridique qu'à partir des Conférences internationales de La Haye en 1899 et en 1907 qui ont notamment abouti aux premières règles internationales portant sur l'interdiction de destruction, de saisie ou de pillage de biens. Les instruments issus de ces conférences, comme la Convention concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, que la France signa immédiatement en 1899 et ratifia en 1900, forment les bases du droit moderne de la guerre et sont antérieurs aux spoliations nazies. Cependant, la forme particulière de celles-ci a nécessité un encadrement juridique spécifique pour permettre leur prise en compte et leur réparation ultérieure, même si celui-ci se caractérise au plan international par des textes dénués de force juridique contraignante pour les États (soft law) et n'a pas donné lieu à une convention internationale dédiée.
Ø Les textes internationaux généraux concernant la restitution de biens culturels
A la suite des initiatives de La Haye à la charnière des XIXe et XXe siècles, a été signé le premier traité international, préparé aux lendemains de la Seconde guerre mondiale, qui porte exclusivement sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé. Ce traité, appelé la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé de La Haye de 195438(*), a été ratifié par la France en 1957. Tout en ayant été influencé par l'ampleur des pillages perpétrés dans les pays occupés par les nazis, il ne traite pas pour autant de la situation particulière des faits de spoliations intervenus pendant le conflit mondial, notamment en n'ayant pas d'application rétroactive.
Par ailleurs, la France a ratifié en 1997 le premier instrument poursuivant le but de lutter contre le trafic illicite de biens culturels, hors situations de guerre, adopté le 14 novembre 1970 à l'UNESCO à Paris, sous le nom de Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels39(*). Il s'agit d'un accord multilatéral, entré en vigueur en 1972, d'application indirecte et non-rétroactive, qui invite les États parties à faciliter la récupération de ces biens culturels par la voie diplomatique et à empêcher leur mouvement illicite. Conscient de la nécessité de compléter le dispositif de 1970, l'UNESCO a demandé à l'Institut international pour l'unification du droit privé (UNIDROIT) de réfléchir aux règles complémentaires applicables à la lutte contre le trafic illicite de biens culturels, notamment en droit privé. Ce processus a abouti à une nouvelle convention, la Convention d'UNIDROIT sur les biens culturels volés ou illicitement exportés du 24 juin 199540(*). Bien qu'ayant signé ce texte à Rome, la France n'a finalement pas mené jusqu'à son terme le processus de ratification, mais a depuis intégré, notamment par l'intermédiaire du droit européen, des mesures qui s'inspirent de cette convention41(*).
Quoi qu'il en soit, ces instruments qui visent à créer un cadre international de lutte contre le trafic de biens culturels peuvent seulement être invoqués pour des litiges concernant des biens culturels dont les faits générateurs ne sont survenus qu'après leur entrée en vigueur dans chaque État partie concerné. Dénués d'effets rétroactifs, ils ne sont donc pas applicables à des situations antérieures, telles que celles visées par le projet de loi.
Même si l'UNESCO a mis en place depuis 1978 un Comité intergouvernemental pour la promotion du retour de biens culturels à leur pays d'origine ou de leur restitution en cas d'appropriation illégale, pour traiter les cas hors champ d'application des conventions internationales existantes, cette instance est chargée de favoriser la résolution de différends portant sur la propriété d'objets culturels importants entre deux États membres, sur saisine de l'Etat requérant à la suite de l'échec constaté de négociations bilatérales. Quand une solution consensuelle se dégage dans cette enceinte autour d'une affaire précise, elle n'emporte cependant pas d'effet sur le droit interne de l'État qui consent à une restitution et à qui il incombe d'identifier le moyen juridique de parvenir à une telle réalisation. Ce Comité n'a pas eu à traiter de dossier de biens spoliés qui ne relèvent pas de son champ d'intervention, notamment parce que son mandat vise à trouver des conciliations entre États et non pas à procéder à des restitutions vis-à-vis de personnes privées.
En revanche, l'UNESCO s'est penché à partir de 2005 sur la question des objets culturels déplacés en relation avec la Seconde Guerre mondiale42(*) en adoptant une déclaration dégageant onze principes à ce sujet en mars 2007. Cette déclaration, qui ne distingue pas en particulier la situation des spoliations antisémites opérées par les nazis, bien qu'elle fasse référence aux Principes de Washington de 1998 sur les oeuvres d'art confisquées par les nazis et à la Déclaration de Vilnius de 2000 dans ses considérants, avait pour objectif principal de donner des orientations dans la perspective de négociations entre États afin de faciliter la conclusion d'accords de récupération de biens ayant été soustraits lors de ce conflit mondial, et n'a finalement pas abouti à une recommandation.
Enfin, le Conseil de l'Europe a souhaité en 2016 lancer une révision de la Convention européenne sur les infractions visant des biens culturels, dite Convention de Delphes, du 23 juin 198543(*), qui n'était jamais entrée en vigueur, faute d'un nombre de ratifications suffisant. Cette initiative a abouti sur une nouvelle convention, dite Convention de Nicosie, du 19 mai 201744(*). Seul traité international portant spécifiquement sur l'incrimination du trafic illicite de biens culturels, elle définit plusieurs infractions pénales, notamment le vol, les fouilles illégales, l'importation et l'exportation illégales, sans avoir de portée rétroactive. Elle est entrée en vigueur le 1er avril 2022 après avoir atteint le nombre de ratifications nécessaires.
Ø Les textes internationaux dédiés aux biens culturels spoliés et à leur restitution
Survenant d'une manière relativement précoce dans le déroulement du conflit, la Déclaration solennelle signée à Londres le 5 janvier 1943 par les Gouvernements de l'Union sud-africaine, des États-Unis d'Amérique, d'Australie, de Belgique, du Canada, de Chine, de la République tchécoslovaque, du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, de Grèce, des Indes, du Luxembourg, des Pays-Bas, de Nouvelle-Zélande, de Norvège, de Pologne, de l'URSS, de Yougoslavie et le Comité national français est le premier texte qui condamne les pillages orchestrés par le régime nazi, dont les transferts en résultant sont considérés comme invalides, tout autant que les « transactions d'apparence légale, même lorsqu'elles se présentent comme ayant été effectuées avec le consentement des victimes ». Cette déclaration exprime aussi la volonté des signataires de s'y opposer à un moment où l'ampleur des spoliations commises, principalement envers les Juifs, n'était pas encore connue précisément.
Sur un plan général, le chapitre VI de l'Accord final de la Conférence monétaire et financière de Bretton Woods du 22 juillet 1944 indique que les Nations Unies « se réservent le droit de déclarer invalide tout transfert de propriété appartenant à des personnes en territoires occupés ».
Après ces premiers jalons contemporains des faits de spoliations de biens culturels aux Juifs du fait des mesures antisémites du régime nazi, il faut attendre les années 1990 et le développement d'une prise de conscience sur ce sujet pour qu'en décembre 1998, soit organisée la Conférence de Washington sur les biens confisqués à l'époque de l'Holocauste, et soient adoptés par quarante-quatre pays le 3 décembre 1998 à l'issue de cette conférence les Principes dits de Washington : tout en n'ayant pas la force d'une convention internationale et sans créer des obligations contraignantes, orientations rejetées par les États participants, ces principes, qui invitent chaque État à agir dans le cadre de sa législation, restent jusqu'à présent des lignes directrices qui font autorité au niveau mondial, notamment en matière de recherche d'une « solution juste et équitable » au cas par cas quand les spoliés peuvent être identifiés et que leurs ayants droit formulent une réclamation. Elle engage aussi les États à faciliter l'accès aux archives et les recherches de provenance, à encourager les demandes des requérants et à simplifier les procédures de restitution.
En 1999, le Conseil de l'Europe s'est saisi de cette problématique et son Assemblée parlementaire a adopté une résolution45(*) invitant ses États membres à supprimer les obstacles susceptibles d'exister dans leur législation pour procéder à des restitutions. A la fin de cette résolution, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe demandait « l'organisation d'une conférence européenne, faisant suite à la Conférence de Washington sur les biens de la période de l'Holocauste, et consacrée plus particulièrement à la restitution des biens culturels et aux réformes pertinentes de la législation ».
Cela s'est traduit par la tenue en Lituanie du Forum international sur les biens culturels juifs spoliés pendant la Shoah, consacré à la question des biens culturels spoliés, avec la participation de 37 délégations. Cette réunion internationale avait notamment pour objectif de faire le bilan du travail accompli depuis la Conférence de Washington de 1998 et a abouti à la Déclaration de Vilnius du 5 octobre 2000 46(*). Cette déclaration encourage les États à poursuivre leurs actions en vue de la restitution des biens spoliés par les nazis et la mise en oeuvre des Principes de Washington et de la Résolution 1205 du Conseil de l'Europe. Elle insiste en particulier sur le besoin d'ouvrir les archives et de chercher des solutions justes et équitables pour répondre aux demandes de restitution. Chaque État est incité à proposer un accès unique pour toutes les questions relatives aux recherches de provenance et les demandes de restitution.
Le Forum de Vilnius a été suivi de la Conférence de Prague qui s'est tenue du 26 au 30 juin 2009 sous l'égide du gouvernement tchèque. La délégation française avait été conduite par Simone Veil, ancienne ministre et ancienne présidente du Parlement européen, et par François Zimeray, ambassadeur chargé des droits de l'Homme à l'époque.
Cette conférence, destinée à mesurer les progrès accomplis depuis l'adoption des Principes de Washington, a débouché sur la Déclaration de Terezin sur les avoirs liés à l'époque de la Shoah et les questions connexes du 30 juin 200947(*), qui a renouvelé l'engagement moral, pris alors par 46 pays, sur un certain nombre de bonnes pratiques en matière de traitement des demandes de restitution. La conférence s'est accompagnée de la décision de créer une structure à Prague, l'European Shoah Legacy Institute (ESLI), qui a été en activité de janvier 2010 à août 2017.
Enfin, de nouvelles conférences internationales ont été organisées plus récemment pour dresser le bilan des actions menées depuis ces grands rendez-vous et définir la marche à suivre pour l'avenir. Ainsi, en novembre 2018, les vingt ans de l'adoption des Principes de Washington ont été marqués par une importante conférence à Berlin à l'initiative des autorités fédérales allemandes et du Centre allemand des oeuvres d'art disparues (Deutsches Zentrum Kulturgutverluste - DZK), tandis que la République tchèque a organisé en novembre 2022 à Prague une conférence de suivi de la déclaration de Terezin de 2009.
En parallèle, en se situant davantage sur un plan déontologique que normatif, diverses organisations professionnelles, notamment concernant les musées, ont produit des recommandations sur le sujet du traitement des biens spoliés, telles que le Conseil international des musées (ICOM) en 1999 48(*), invitant les musées à passer au crible la provenance de leurs acquisitions réalisées pendant la Seconde guerre mondiale ou peu après et à favoriser la restitution des biens de leurs collections identifiés comme spoliés, ou l'Association des musées américains en 200749(*).
1.3.2. Cadre européen
L'Union européenne n'a pas mis en place jusqu'à présent d'instruments spécifiques concernant les questions de restitutions d'oeuvres d'art relatives aux spoliations antisémites nazies, qui est une compétence relevant des États membres50(*). Elle a, en revanche, instauré un cadre visant la surveillance des mouvements d'oeuvres et contribuant ainsi à la lutte contre le trafic de biens culturels depuis l'ouverture du marché unique au 1er janvier 1993.
Ainsi, le règlement du Conseil (CE) no 116/2009 concernant l'exportation des biens culturels, qui codifie une version initiale de 199251(*), prévoit les règles applicables en la matière et garantit un contrôle uniforme de ces exportations en dehors du territoire douanier de l'Union européenne. En complémentarité, une directive instituant un mécanisme de restitution entre États membres pour les biens culturels illicitement sortis de leur territoire après le 1er janvier 1993 et retrouvés sur le territoire d'un autre État membre a été adoptée en mars 199352(*). Ce texte a fait l'objet d'une refonte qui a conduit à l'adoption d'une nouvelle directive 2014/60/UE53(*), dont certains aspects ont été repris de la Convention UNIDROIT de 1995. Tel est le cas de son article 10 qui introduit un renversement de la charge de la preuve, la diligence requise lors de l'acquisition du bien culturel incombant au possesseur en cas de demande d'indemnisation, ainsi que des critères communs pour interpréter la notion de diligence et qui a été transposé à l'article L. 112-8 du code du patrimoine.
L'Union européenne s'est aussi récemment dotée d'un règlement visant à contrôler les importations à risques de biens culturels sur son territoire, qui entrera progressivement en vigueur au plus tard en 202554(*).
L'ensemble de ce cadre juridique européen, qui s'étoffe progressivement, vise donc à combattre le développement du trafic contemporain de biens culturels, dont on sait qu'il est susceptible de contribuer au financement du terrorisme, et n'offre pas d'accroche pour le traitement des restitutions de biens spoliés par les nazis qui n'entrent pas dans ce champ d'application.
En revanche, il convient de relever que plusieurs résolutions concernant plus ou moins directement cette problématique ont été adoptées par le Parlement européen.
Dans cette catégorie, on peut citer la Résolution sur la restitution des biens confisqués aux communautés juives du 14 décembre 1995, destinée aux pays de l'Europe centrale et orientale55(*), la Résolution sur la restitution des biens des victimes de l'Holocauste du 16 juillet 1998, qui concerne les spoliations en général56(*) et la Résolution sur un cadre juridique pour la libre circulation dans le marché intérieur des biens dont la propriété est susceptible d'être contestée du 17 décembre 200357(*), qui, tout en visant les deux précédentes, traite de la question des biens culturels pillés, notamment en temps de guerre, sans se référer à un contexte précis d'origine de ces exactions.
Enfin, malgré son mélange de situations bien différentes, n'obéissant ni aux mêmes ressorts, ni au même cadre juridique, qui nuit à leur lisibilité spécifique, le Parlement européen a adopté en 2019 une Résolution sur les demandes transfrontalières de restitution des oeuvres d'art et des biens culturels volés au cours de pillages perpétrés en période de conflit armé et de guerre58(*) et a invité la Commission européenne à s'en préoccuper. Elle appelle en particulier les États membres de l'Union européenne à « dresser un inventaire exhaustif de tous les biens culturels, y compris ceux détenus par des Juifs, qui ont été extorqués par les nazis et leurs alliés, de la date de la spoliation jusqu'à aujourd'hui » et de mettre en place des dispositifs favorisant l'identification de ces oeuvres et leur restitution.
1.4. ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ
La question des biens spoliés du fait des mesures à visée antisémite du régime nazi est une préoccupation importante pour beaucoup d'États, dont l'approche et les systèmes juridiques ne sont cependant pas uniformes.
A l'instar de la France avec la CIVS, il existe dans d'autres pays européens des commissions nationales chargées d'étudier les demandes de restitution d'oeuvres d'art déposées par les propriétaires spoliés ou leurs ayants droit (Allemagne : Beratende Kommission im Zusammenhang mit der Rückgabe NS-verfolgungsbedingt entzogener Kulturgüter, insbesondere aus jüdischem Besitz (Advisory Commission on the return of cultural property seized as a result of Nazi persecution, especially Jewish property) ; Autriche : Kunstrückgabebeirat (Austrian Art Restitution Advisory Board) ; Pays-Bas : Adviescommissie Restitutieverzoeken Cultuurgoederen en Tweede Wereldoorlog (Advisory Committee on the Assessment of Restitution Applications for Items of Cultural Value and the Second World War) ; Royaume-Uni : Spoliation Advisory Panel).
Cependant, ces commissions ont un champ d'action différent de celui de la CIVS en matière de mesure de réparation : elles ne proposent pas l'indemnisation des ayants droit des victimes de spoliations pour les biens culturels spoliés et disparus ; elles proposent une restitution d'une oeuvre conservée dans les collections publiques. En Allemagne, la commission n'est saisie qu'en cas de divergence et de défaut d'accord entre un musée et les ayants droit de la personne spoliée. En revanche, à la différence du fonctionnement actuel de la CIVS, compétente pour les seules spoliations intervenues en France pendant l'Occupation, ces commissions prennent en compte les spoliations antisémites entre 1933 et 1945 quel que soit le lieu où elles sont intervenues : elles peuvent recommander la restitution d'une oeuvre spoliée ayant été intégrée aux collections publiques dans un autre pays.
La très grande majorité des pays, confrontés à cette problématique, d'autant plus s'ils ont subi l'occupation allemande de leur territoire, et destinataires de telles demandes de restitutions, ne sont pas dotés d'un régime de domanialité publique comparable à celui de la France et les biens pouvant en être l'objet ne sont pas protégés par un principe d'inaliénabilité aussi fort. De ce fait, les sorties des collections, notamment pour remise à des propriétaires légitimes qui en ont été spoliés ou à ses ayants droit, ne nécessitent pas forcément un recours au législateur.
Une étude de droit comparé du Sénat sur l'aliénabilité des collections59(*) relève ainsi qu'en dehors de la France, les législations sont restrictives à l'égard de cessions en Italie et en Espagne, et qu'en Allemagne, au Danemark, aux Pays-Bas ou pour la plupart des musées publics anglais, ces derniers ne sont pas astreints au respect de l'inaliénabilité, qui n'est pas prévue par les textes, mais que les possibilités réelles d'aliénation sont limitées par la prise en considération de diverses directives et règles, notamment d'ordre éthique.
Ainsi, au Royaume-Uni, une loi de 2009 - Holocaust (Return of Cultural Objects) Act - permettait, pour dix ans, à dix-sept institutions nationales de restituer des biens spoliés entre 1933 et 1945. En 2019, la durée de validité du texte a été prolongée indéfiniment. En Autriche, une loi de 1998 prévoit spécifiquement la restitution des oeuvres appartenant aux collections de l'Etat fédéral qui ont fait l'objet d'actes de spoliation pendant la période nazie.
2. NÉCESSITÉ DE LÉGIFÉRER ET OBJECTIFS POURSUIVIS
2.1. NÉCESSITÉ DE LÉGIFÉRER
Le principe de l'inaliénabilité des collections publiques et en particulier celle des musées de France, qui est fondamental pour assurer leur intégrité, n'a pas valeur constitutionnelle et peut donc faire l'objet de dérogations établies par la loi.
Ainsi, un projet de loi est nécessaire afin de restituer des oeuvres qui ont été spoliées à leur propriétaire avant d'entrer dans le domaine public, selon le processus suivi pour la restitution de deux oeuvres des collections nationales et d'une oeuvre d'une collection territoriale, ayant abouti à la loi n° 2022-218 du 21 février 2022 relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites.
Il est ainsi déjà possible de restituer un bien des collections publiques par l'adoption d'une loi spéciale visant spécifiquement ce bien. Cependant, un tel mécanisme n'est pas adapté aux évolutions récentes : la préoccupation croissante pour la question de l'origine des collections et les recherches nécessaires entreprises ces dernières années sur la provenance des oeuvres des collections nationales ou territoriales vont nécessairement entraîner de nouvelles restitutions d'oeuvres appartenant au domaine public. Sans pouvoir estimer le nombre de restitutions à venir puisque les oeuvres spoliées n'ont pas encore été identifiées dans les collections publiques, il est certain que de nouveaux cas vont apparaître rapidement dans les prochaines années. Dans ce contexte, il semble répétitif et très pesant en termes de charge administrative pour toutes les parties prenantes (ministère de la Culture, Secrétariat Général du Gouvernement, Conseil d'État, Parlement) de proposer de nouveaux projets de loi ad hoc, à intervalle régulier et de façon rapprochée, pour restituer au cas par cas les oeuvres spoliées identifiées dans les collections publiques. En outre, le Parlement ne peut être sollicité de façon répétée pour des lois d'espèce visant des oeuvres et des familles spoliées spécifiques.
Par ailleurs, l'ordonnance du 21 avril 1945 précitée ne couvre pas toutes les situations rencontrées, notamment quand la spoliation est intervenue à l'étranger, et ne donne donc pas de voie de recours en France pour des ayants droit pourtant légitimes à solliciter une restitution. En outre, le propriétaire public ne peut saisir lui-même le juge judiciaire pour faire constater la spoliation et annuler l'acte spoliateur, quand bien même il a pris l'initiative des recherches, a abouti à la conviction de la spoliation et souhaite restituer l'oeuvre concernée. Le propriétaire public serait donc contraint de se voir assigner par les ayants droit des personnes spoliées afin que la restitution soit rendue possible, et alors même que la décision du juge ne peut être garantie.
Enfin, la facilitation de la restitution des oeuvres du domaine public répond à un besoin exprimé tant par les ayants droit des familles spoliées que par les parlementaires lors de l'examen du projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites, en janvier et février 2022
2.2. OBJECTIFS POURSUIVIS
Si la loi de circonstance a pu apparaître initialement comme une solution adaptée pour répondre rapidement à des demandes légitimes de restitution, la multiplication prévisible de dossiers similaires a conduit le Gouvernement à approfondir sa réflexion pour privilégier l'idée d'une loi générale, offrant suffisamment de garanties pour continuer à ménager une dérogation à l'inaliénabilité des collections publiques circonscrite, proportionnée à l'objectif poursuivi de légitime restitution de biens culturels ayant été spoliés, et éviter une incompétence négative du législateur.
Pour faciliter ces restitutions à venir, il est donc nécessaire qu'un dispositif administratif soit mis en place, avec l'encadrement et les garanties indispensables, pour que le propriétaire public puisse décider la sortie du domaine public d'oeuvres s'étant révélées spoliées, quel que soit le lieu de spoliation, pendant la période nazie, entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945, sans avoir à passer, pour chaque restitution, par le Parlement. Les restitutions seront ainsi facilitées et pourront être réalisées dans des délais plus rapides.
Le dispositif doit viser les biens spoliés dans le contexte des persécutions antisémites dans la mesure où une telle spoliation s'inscrit dans une politique plus globale de persécution et, plus largement, dans la politique des nazis d'éradication des Juifs d'Europe. La spoliation, des biens culturels mais plus généralement, et d'abord, de l'ensemble des biens des Juifs, participe du projet génocidaire nazi ; il en est l'un des maillons : l'extermination s'accompagne de la destruction ou de l'accaparement des biens des victimes, dans une logique de disparition totale des personnes visées, liée à une démarche d'appropriation crapuleuse.
Le dispositif envisagé nécessite de prendre en compte l'ensemble des formes de spoliation, le terme « spoliation » étant entendu au sens large, dans son acception courante actuelle, notamment vol, pillage, confiscation, saisie, « aryanisation », séquestre, vente contrainte ou vente forcée par les circonstances.
Le dispositif doit viser les spoliations intervenues dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées tant par l'Allemagne nazie que par les autorités des territoires qu'elle a occupés, contrôlés ou influencés, notamment l'autorité de fait se disant « gouvernement de l'Etat français » selon la formule consacrée pour désigner le régime de Vichy.
Enfin, le dispositif doit viser les oeuvres d'art conservées par les musées publics, mais également les livres conservés par les bibliothèques publiques, et plus largement tout bien culturel ayant intégré le domaine public au sens du code général de la propriété des personnes publiques et du code du patrimoine. Sont compris dans le champ d'application envisagé l'ensemble des biens culturels mobiliers, mentionnés à l'article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques, qui peuvent être conservés par exemple dans les musées de l'État ou des collectivités territoriales bénéficiant de l'appellation « musée de France » (au nombre global de plus d'un millier), autant qu'au Centre des monuments nationaux (CMN), au Centre national des arts plastiques (CNAP), dans les bibliothèques municipales60(*) ou les bibliothèques universitaires, dénommées services communs de la documentation dans le code de l'éducation61(*). Tous ces biens appartenant à des personnes publiques et intégrés à leur domaine public sont protégés par les principes d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité, consacrés par l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques.
Il est nécessaire également que cette loi-cadre prenne en compte le cas particulier des musées de France propriétés des personnes morales de droit privé à but non lucratif (associations ou fondations), qui représentent autour de 13 % des 1216 musées ayant l'appellation « musée de France » en novembre 2022 : si leurs collections, du fait de leur caractère privé, ne sont pas soumises au principe d'inaliénabilité des collections publiques mentionné ci-dessus, il n'en demeure pas moins que toute cession à titre gratuit ou onéreux de biens leur appartenant, seulement pour ceux acquis par dons et legs ou avec le concours de l'État ou d'une collectivité territoriale, est encadrée en lien avec l'appellation dont ils bénéficient et n'est possible qu'en cas d'engagement de maintien d'une affectation à un autre musée de France62(*). De ce fait, il convient de prévoir pour les biens qui se révéleraient avoir été spoliés et que ces musées de France privés auraient pu intégrer à leurs collections par libéralité ou avec une subvention publique qu'ils puissent aussi s'en dessaisir au profit du propriétaire légitime ou de ses ayants droit et que l'obligation de transmission à un autre musée de France soit levée dans ce cas, pour qu'elle ne représente pas un obstacle juridique à la restitution. S'agissant de biens relevant néanmoins d'une propriété privée, protégée constitutionnellement, il relèvera de la décision du musée de France privé concerné, à la suite de l'avis de la CIVS et après information du Haut Conseil des musées de France, de procéder à la restitution de tels biens spoliés.
3. OPTIONS ENVISAGÉES ET DISPOSITIF RETENU
3.1. OPTIONS ENVISAGÉES
3.1.1. Option écartée n° 1 : une procédure judiciaire d'annulation de l'entrée du bien dans les collections publiques
Ainsi qu'il a été précisé ci-dessus, le statut des biens devant être restitués aux ayants droit de propriétaires spoliés ne permet pas d'appliquer une procédure de déclassement administratif classique relevant de l'article L. 115-1 du code du patrimoine, puisque ces oeuvres n'ont pas perdu leur intérêt public.
Quand l'acquisition a été réalisée de manière parfaitement régulière et que la spoliation initiale se révèle ultérieurement, une sortie du domaine public ou une annulation de l'entrée dans le domaine public sont nécessaires, à moins que la restitution soit ordonnée par un juge.
L'annulation de l'entrée dans le domaine public, qui constitue une mesure rétroactive, ne peut être laissée au pouvoir réglementaire. Seul le juge judiciaire, saisi par le propriétaire public, pourrait décider, en raison de la spoliation préalable, l'annulation de l'entrée de l'oeuvre, pourtant régulière, dans les collections.
Un mécanisme comparable à celui de l'article L. 124-1 du code du patrimoine, introduit par la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, aurait pu être envisagé, consistant à ce que le propriétaire public du bien spolié ou présumé tel saisisse le juge judiciaire pour faire annuler l'entrée, parfois très ancienne, dans les collections publiques.
Toutefois, ce dispositif judiciaire ne paraît pas adapté aux cas de restitution de biens spoliés. En effet, d'une part, il contraint le propriétaire public à engager une procédure judiciaire alors même qu'il a l'intention de restituer le bien qui se révèle spolié, après avoir été éclairé par une commission administrative spécialisée. D'autre part, alors même que le propriétaire public entend restituer ce bien, rien ne garantit que le juge se prononcera en faveur de cette restitution. Enfin, les délais de la procédure judiciaire peuvent être très longs et une telle option ne permettrait pas de faciliter et d'accélérer les restitutions, en décalage avec l'objectif poursuivi par la présente loi.
Plutôt que d'annuler l'entrée dans le domaine public, il convient donc plus simplement d'autoriser par la loi un propriétaire public - Etat ou collectivité territoriale - à sortir un bien reconnu spolié de son domaine public, dans le seul but de la restitution, sur le modèle de ce qu'a autorisé ponctuellement, pour trois oeuvres spoliées, la loi du 21 février 2022. Pour offrir toutes les garanties et encadrer la décision du propriétaire de l'oeuvre, la décision de restitution ne peut être prise qu'après avis d'une commission spécialisée, chargée d'apprécier les circonstances de la dépossession et de reconnaître la spoliation.
3.1.2. Option écartée n° 2 : la modification du champ d'application de l'ordonnance du 21 avril 1945.
Une autre option a par ailleurs été écartée : la modification de l'ordonnance du 21 avril 1945, qui permet aux ayants droit de saisir le juge judiciaire pour faire annuler l'acte spoliateur, entraînant l'annulation automatique de toutes les transactions subséquentes et la restitution automatique du bien, quel que soit son statut, puisqu'il est réputé n'avoir jamais pu appartenir à son propriétaire, ou détenteur, actuel. La saisine du juge judiciaire prévue par l'ordonnance, réservée aux victimes et à leurs ayants droit, aurait pu être élargie au détenteur actuel du bien spolié, en l'occurrence le propriétaire public de l'oeuvre.
Mais là encore, la saisine du juge ne garantit pas une décision de restitution. En outre, afin de rendre possible les restitutions dans tous les cas de figure, il aurait fallu élargir le champ de l'ordonnance, qui vise uniquement les spoliations intervenues en France pendant l'Occupation, et ne permet donc pas au juge de se prononcer sur les oeuvres des collections publiques spoliées ailleurs en Europe. Mais la modification aurait alors été substantielle et aurait remis en cause l'esprit même d'un texte vieux de près de 80 ans, adopté dans des circonstances historiques toutes particulières, en application de l'ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi ou sous son contrôle, prise par le Comité français de libération nationale. En tout état de cause, il semble inopportun de toucher à ces textes singuliers et originaux, qui témoignent de la vision du législateur de l'époque et qui n'ont pas été modifiés depuis sept décennies.
3.2. DISPOSITIF RETENU : UN DISPOSITIF LÉGISLATIF ENCADRE LA SORTIE DU DOMAINE PUBLIC DÉROGEANT AU PRINCIPE D'INALIÉNABILITÉ
Pour les raisons précitées, le dispositif retenu consiste en un projet de loi-cadre permettant de répondre à la plus grande majorité des demandes de restitution susceptibles de se présenter concernant des biens intégrés aux collections publiques en ignorant qu'une spoliation du fait des mesures antisémites des nazis et des régimes affiliés avait pu intervenir antérieurement.
3.2.1. Principes du processus de sortie du domaine public
Le dispositif retenu a pour but de permettre au propriétaire public - État ou collectivité territoriale - de biens du domaine public qui se révèlent spoliés dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945 - pillage, vol, « aryanisation », confiscation, séquestre, vente contrainte, etc. - de prononcer leur sortie du domaine public, après avis d'une commission consultative indépendante chargée d'apprécier les circonstances de la dépossession, de reconnaître une spoliation et de recommander la restitution. Il s'agit d'une exception encadrée au principe d'inaliénabilité des collections publiques dans le seul objectif de pouvoir effectuer la restitution du bien spolié.
La sortie des collections en vue d'une restitution doit être possible pour tout bien qui a été intégré au domaine public, ou, de même, qui fait partie des collections d'un musée de France appartenant à une personne morale de droit privé à but non lucratif, spolié dans le contexte des persécutions antisémites, quel que soit le lieu de la spoliation entre 1933 et 1945.
Il convient de rappeler que l'ensemble des biens du domaine public sont concernés : les musées, majoritairement dotés de l'appellation « musée de France », mais aussi, notamment, les bibliothèques, dont les collections patrimoniales peuvent également abriter des livres ou d'autres documents spoliés, comme le développement des recherches récentes l'a montré.
L'appréciation de la spoliation et la recommandation de restitution sont renvoyées à une commission consultative indépendante, et non pas à l'administration, pour offrir une garantie procédurale d'impartialité et d'expertise sur la connaissance de ces phénomènes. La sortie du domaine public en vue d'une restitution ne peut être prononcée qu'après avis de la commission qui apprécie si les faits en cause constituaient une spoliation et peut recommander la restitution du bien appartenant au domaine public ou à un musée de France d'une personne morale de droit privé à but non lucratif.
La commission consultative chargée
d'apprécier l'existence et les circonstances de la spoliation sera la
Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait
des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation
(CIVS), instituée par le décret
n° 99-778 du 10
septembre 1999. La CIVS est en effet l'organe spécialisé dans
l'appréciation des faits de spoliation ; depuis sa création,
la commission examine les faits de vols, pillage,
« aryanisation », ventes contraintes, et peut recommander
au Premier ministre des mesures de réparation si ces faits constituent
des spoliations antisémites.
Le nouveau dispositif se fonde ainsi sur l'expérience et la légitimité de la CIVS, qui traite déjà, parmi l'ensemble des spoliations antisémites, les dossiers portant sur des biens culturels. Il sera nécessaire d'élargir partiellement le champ de compétence de la CIVS - qui ne peut examiner aujourd'hui que les spoliations intervenues en France pendant l'Occupation - pour que la commission puisse traiter des dossiers de spoliations antisémites intervenues entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945, quel que soit le lieu de spoliation, si les oeuvres spoliées se trouvent aujourd'hui dans une collection publique française.
L'avis de la commission est obligatoire dans tous les cas pour fonder une décision du propriétaire public de sortie du bien culturel du domaine public en vue de sa restitution. Le propriétaire public n'est toutefois pas lié par l'avis de la commission, de la même façon que le Premier ministre n'est aujourd'hui pas lié par les recommandations de la CIVS, même si dans les faits, il les a quasiment toujours suivies. En effet, si le propriétaire public retient une appréciation différente de celle de la commission et estime que la condition légale de l'existence d'une spoliation n'est pas remplie, il peut décider de ne pas restituer le bien. Mais si les conditions légales sont remplies, il est tenu de restituer. Cette décision s'effectue en tout état de cause sous le contrôle du juge administratif. A l'inverse, le propriétaire public peut considérer, contrairement à la commission, que l'existence d'une spoliation est établie et décider la restitution.
Par ailleurs, une fois la spoliation reconnue et la restitution recommandée par la commission, d'autres modalités de réparation sont possibles : les ayants droit et le propriétaire public peuvent s'accorder sur un maintien du bien dans l'institution publique, notamment dans le cadre d'une transaction financière. Dans ce cas, le bien n'aura pas à sortir du domaine public.
3.2.2. Présentation des articles du projet de loi
Le projet de loi modifie le code du patrimoine, en y ajoutant quatre articles.
L'article 1er du projet de loi crée un dispositif spécifique dans le code du patrimoine, dans le titre Ier « Dispositions communes à l'ensemble du patrimoine culturel », afin de permettre la restitution de tout bien culturel, quel que soit l'institution qui le conserve (musées publics et bibliothèques publiques en particulier). Au sein du titre Ier, le dispositif est inséré dans le titre Ier consacré à la « Protection des biens culturels ».
La proximité du nouveau dispositif de restitution et du processus de déclassement administratif justifie de les insérer dans un même chapitre, puisqu'il s'agit de deux procédures de sortie du domaine public. Elles sont cependant différentes et la procédure de restitution ne constitue pas un déclassement au sens de l'article L. 115-1, qui n'est possible que dans le cas où le bien a perdu « son intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie, de la science ou de la technique ». Il convient donc de les distinguer dans le chapitre 5, renommé « Sortie des collections publiques de biens culturels », avec une nouvelle section 1 intitulée « Déclassement » et constituée d'un seul article, l'actuel L. 115-1, et une nouvelle section 2, intitulée « Biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945 ».
La nouvelle section 2 prévue comporte trois articles.
L'article L. 115-2 pose le principe selon lequel la personne publique propriétaire d'un bien ayant fait l'objet d'acte de spoliation dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945 « par l'Allemagne nazie et par les autorités des territoires qu'elle a occupés, contrôlés ou influencés, notamment l'autorité de fait se disant "gouvernement de l'État français" » peut prononcer sa sortie des collections publiques dans le seul but de le restituer au propriétaire spolié ou à ses ayants droit par dérogation au principe d'inaliénabilité des biens des personnes publiques inscrit à l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques.
Le terme de « spoliation » est employé ici de façon générique, dans son acception courante qui désigne à la fois les actes de vol et de pillage, le « vol légalisé » tel que la confiscation, la saisie et la vente de bien dans le contexte des mesures dites d'« aryanisation », ou encore les ventes contraintes, forcées, liées aux circonstances et rendues nécessaires pour financer l'exil, la fuite ou la simple survie (cf. supra).
Les actes de spoliation pris en compte peuvent avoir eu lieu dans l'ensemble des pays et territoires contrôlés par l'Allemagne nazie ou par des autorités qui lui étaient liées ou étaient placées sous son influence, tel le régime de Vichy explicitement mentionné selon la formule en usage depuis 1944 et reconnue par la jurisprudence récente du Conseil d'État : « autorité de fait se disant "gouvernement de l'État français" », pendant la période allant de l'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler (30 janvier 1933) à la capitulation allemande (8 mai 1945). Les termes « territoires qu'elle a occupés, contrôlés ou influencés » désignent l'ensemble des pays alliés à l'Allemagne nazie, les États satellites et collaborateurs, pour certains mis en place par les Allemands eux-mêmes, pour d'autres ayant gardé une part de souveraineté mais volontairement alignés sur l'Allemagne nazie. Il s'agit notamment de couvrir les cas de nécessaire restitution d'un bien spolié hors de France entre 1933 et le début de la guerre, ou pendant la guerre, tels les tableaux de Gustav Klimt et Marc Chagall visés par la loi du 21 février 2022. Le lieu de spoliation n'est pas déterminant ; le seul critère est l'appartenance aux collections publiques.
Le deuxième alinéa de l'article L. 115-2 dispose que le certificat d'exportation, prévu à l'article L. 111-2 du code du patrimoine pour autoriser « l'exportation temporaire ou définitive hors du territoire douanier » du bien culturel sera automatiquement délivré par l'autorité administrative compétente, à savoir le Ministère de la culture, au propriétaire spolié ou à ses ayants droit auxquels un bien est restitué, afin qu'ils puissent faire sortir l'oeuvre de France s'ils le souhaitent. Cela correspond à la pratique existante du Ministère de la culture mais il s'agit ici de garantir explicitement la liberté des propriétaires spoliés ou de leurs ayants droit d'exporter le bien dès sa restitution : il est évident que l'État ne va pas empêcher la sortie du territoire, en refusant la délivrance du certificat d'exportation, et tenter d'acquérir une oeuvre que lui-même, ou une collectivité territoriale, vient de restituer après l'avoir conservée dans ses collections.
Le troisième alinéa de l'article L. 115-2 prévoit enfin que la personne publique et le propriétaire ou ses ayants droit peuvent s'accorder pour définir d'autres modalités de réparation que la restitution elle-même. La personne publique et le propriétaire ou ses ayants droit peuvent, par exemple, décider ensemble du maintien de l'oeuvre spoliée dans la collection publique dans le cadre d'une transaction financière.
L'article L. 115-3 prévoit que la décision de sortie du domaine public par la personne publique ne peut intervenir qu'après avis d'une commission administrative qui est chargée de la réparation des spoliations antisémites.
La commission est une « commission administrative, placée auprès du Premier ministre, compétente en matière de réparation des préjudices consécutifs aux spoliations de biens intervenues du fait des persécutions antisémites », ce qui désigne la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation (CIVS).
L'article L. 115-4 dispose que les modalités d'application de la nouvelle section 2 seront fixées par un décret en Conseil d'État. Ce décret établira notamment la procédure de sortie du domaine public en vue d'une restitution, ainsi que « les règles relatives à la compétence, à la composition, à l'organisation et au fonctionnement de la commission administrative » mentionnée à l'article précédent.
L'article 2 du projet de loi permet d'inclure dans le
dispositif des biens qui ne font pas partie du domaine public mais qui sont
soumis aux mêmes règles prévalant pour tous les
musées bénéficiant de l'appellation
« musée de France » : il s'agit en effet de
prendre en compte les biens relevant des collections des musées de
France appartenant aux personnes morales de droit privé à but non
lucratif acquis par dons et legs ou avec le concours de l'État ou d'une
collectivité territoriale. Le projet de loi insère un article L.
451-10-1 au sein de la sous-section 3 de la section 2 du chapitre
1er du titre V du livre IV du code du patrimoine, afin que ceux de
ces biens qui ont fait l'objet de spoliations dans le contexte des
persécutions antisémites entre le
30 janvier 1933 et le 8 mai
1945 puissent également être restitués après avis de
la commission administrative, et information du Haut Conseil des musées
de France.
Le deuxième alinéa de l'article L. 451-10-1 prévoit en outre, comme pour les biens des personnes publics, d'éventuelles autres modalités de réparation de la spoliation.
Enfin, l'article 3 du projet de loi prévoit que la nouvelle loi s'applique aux demandes de restitution en cours d'examen à la date de sa publication, sans que les ayants droit aient à formuler une nouvelle demande.
4. ANALYSE DES IMPACTS DES DISPOSITIONS ENVISAGÉES
4.1. IMPACTS JURIDIQUES
4.1.1. Impacts sur l'ordre juridique interne
L'exception au principe d'inaliénabilité créée par le texte reste limitée aux biens visés - les biens ayant fait l'objet d'acte de spoliation dans le contexte des persécutions antisémites de l'Allemagne nazie et des autorités des territoires qu'elle a occupés, contrôlés ou influencés, notamment l'autorité de fait se disant "gouvernement de l'État français" entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945 - et n'emporte qu'un impact limité et proportionné à l'objectif poursuivi sur le droit patrimonial interne.
4.1.2. Articulation avec le droit international et le droit de l'Union européenne
Il n'apparaît pas qu'une telle décision de sortie du domaine public patrimonial français présente de contradiction avec le cadre juridique international, notamment les engagements internationaux souscrits par la France, ni avec le droit européen.
4.2. IMPACTS ÉCONOMIQUES ET FINANCIERS
4.2.1. Impacts macroéconomiques
Néant.
4.2.2. Impacts sur les entreprises
Les acteurs du marché de l'art - marchands, galeries, maisons de vente - sont de plus en plus attentifs aux questions de provenance des biens qu'ils mettent en vente.
Le texte proposé permet de souligner la nécessité de procéder à des recherches de provenance sur la période 1933-1945 avant toute vente et toute acquisition, pour éviter de prolonger la circulation de biens spoliés. Le projet de loi peut contribuer à améliorer les pratiques des acteurs du marché de l'art et à sensibiliser en particulier les marchands, les maisons de vente et les experts à la nécessité de procéder à des recherches de provenance approfondies.
4.2.3. Impacts budgétaires
Les futures décisions de restitution rendues possibles par le projet de loi n'emportent pas d'impact budgétaire.
4.3. IMPACTS SUR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
Le texte proposé ouvre la faculté aux collectivités territoriales propriétaires d'un bien qui se révèle spolié dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945 de les restituer à leurs propriétaires légitimes ou à leurs ayants droit. La collectivité territoriale propriétaire pourra se voir recommander par la commission administrative consultative, en application du nouvel article L. 115-3 du code du patrimoine, de restituer le bien. La procédure de sortie du domaine public insérée dans le code du patrimoine permettra ainsi à l'organe délibérant de la collectivité territoriale de décider, sans y être contraint, la sortie du bien de son domaine public.
La collectivité territoriale qui souhaite restituer un bien culturel de son domaine public qui s'est révélé spolié ne sera ainsi plus obligée d'attendre le dépôt et le vote d'un projet de loi de restitution spécifique visant ce bien culturel en particulier.
Le dispositif ouvre par ailleurs la faculté pour la collectivité propriétaire d'une oeuvre qui aura été reconnue comme spoliée de s'accorder avec son propriétaire légitime ou ses ayants droit sur d'autres modalités de réparation. Ici encore, il s'agit d'une possibilité et en aucun cas d'une obligation.
Il n'est pas possible d'estimer le nombre de biens culturels qui pourraient être concernés. Comme pour les biens culturels des collections nationales, les biens culturels des collections publiques territoriales qui auraient fait l'objet de spoliations ne sont pas encore tous identifiés. Seules les avancées des recherches de provenance sur les collections, qui se développent aujourd'hui, sans être encore systématiques, permettront peu à peu d'identifier des oeuvres à la provenance incertaine, voire clairement spoliatrice.
Le texte proposé pourrait précisément avoir pour effet positif de susciter des recherches de provenance sur les collections de musées relevant de collectivités territoriales, afin de clarifier l'historique des oeuvres pendant la période 1933-1945.
Compte tenu de l'impact du dispositif sur les collectivités territoriales propriétaires de biens culturels, le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) sera consulté en application de l'article L. 1212-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT). En effet, le I de ce dernier prévoit que « I. - Le Conseil national d'évaluation des normes est consulté par le Gouvernement sur l'impact technique et financier, pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics, des projets de textes réglementaires créant ou modifiant des normes qui leur sont applicables.
Il est également consulté par le Gouvernement sur l'impact technique et financier des projets de loi créant ou modifiant des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics. (...) ».
4.4. IMPACTS SUR LES SERVICES ADMINISTRATIFS
Les impacts sur les services administratifs seront limités. Le ministère de la Culture assurera le suivi des dossiers de sortie du domaine public de l'État en vue d'une restitution. Le nombre de cas ne peut être évalué à l'avance puisque seules les recherches de provenance au fur et à mesure de leur avancée à venir permettront de connaître les oeuvres concernées, qui ne sont pas encore identifiées. En outre, l'article 1er du projet de loi prévoit que le certificat d'exportation mentionné à l'article L. 111-2 du code du patrimoine sera délivré de plein droit pour les biens culturels restitués en application du nouveau dispositif. Cela ne représente pas un impact nouveau puisque l'autorité administrative compétente, le ministère de la Culture, avait déjà cette pratique de délivrance automatique du certificat d'exportation dans ce type de cas.
La CIVS verra son champ de compétence partiellement élargi, puisqu'elle sera désormais compétente pour traiter l'ensemble des biens culturels du domaine public ayant fait l'objet de spoliations entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945, quel que soit le lieu de la spoliation, alors qu'elle n'est habilitée aujourd'hui que pour les actes de spoliations intervenus en France pendant l'Occupation. La CIVS sera ainsi chargée de dossiers qu'elle n'avait pas à connaître jusqu'à présent. Cependant, si la part des biens du domaine public qui se révéleraient spoliés hors de France ne peut être estimée aujourd'hui, elle ne devrait pas être majeure. En outre, le nombre de dossiers soumis à la CIVS pour les autres spoliations antisémites ne concernant pas les biens culturels diminue progressivement ; la charge globale de la CIVS ne devrait donc pas être augmentée par cette nouvelle loi.
En élargissant son champ de compétence, la CIVS sera ainsi compétente en matière de biens culturels pour traiter de spoliations intervenues dans d'autres pays que la France. Dans ce cas, la détermination de la succession de la personne spoliée et la recherche des ayants droit ne suivront pas le même processus qu'en cas de spoliation intervenue en France. La CIVS pourra être amenée à solliciter l'aide de services ou commissions équivalents à l'étranger, lorsqu'ils existent, afin d'être accompagnée dans la recherche des ayants droit. C'est cependant parfois déjà le cas aujourd'hui, dans la mesure où les ayants droit de personnes spoliées en France pendant l'Occupation sont souvent aujourd'hui dispersés à travers le monde.
Le texte proposé contribue par ailleurs à sensibiliser encore davantage les propriétaires publics, et notamment les musées nationaux et bibliothèques publiques relevant de l'État, ainsi que les musées de France appartenant à des collectivités territoriales ou à des personnes morales de droit privé à but non lucratif, à la question de l'origine de leurs collections, et à encourager de nouvelles recherches de provenance, afin de clarifier le parcours des oeuvres et d'identifier, le cas échéant, des biens ayant fait l'objet de spoliations.
4.5. IMPACTS SOCIAUX
4.5.1. Impacts sur les personnes en situation de handicap
Néant.
4.5.2. Impacts sur l'égalité entre les femmes et les hommes
Néant.
4.5.3. Impacts sur la jeunesse
Néant.
4.5.4. Impacts sur les professions réglementées
Néant.
4.6. IMPACTS SUR LES PARTICULIERS
Comme pour les entreprises, le texte proposé peut contribuer à sensibiliser les particuliers acheteurs de biens culturels à la question de la provenance des oeuvres d'art. Le projet de loi peut encourager les acheteurs et détenteurs de biens culturels à mieux connaître le parcours des oeuvres pendant la période 1933-1945 pour éviter l'acquisition ou la mise en vente d'une oeuvre spoliée.
La question des spoliations de biens culturels pendant la Seconde Guerre mondiale et plus largement pendant la période nazie 1933-1945 suscite l'intérêt continu de l'opinion publique en France et dans le monde. Les recherches et les restitutions font l'objet de nombreux publications, films documentaires, reportages, etc. et d'un suivi attentif de la presse.
L'opinion publique semble plutôt favorable aux politiques et décisions de restitution de biens spoliés présents dans les musées publics. La loi du 21 février 2022 relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites a été bien accueillie.
Cependant, certaines voix, plus minoritaires, s'étonnent parfois que des oeuvres d'art du patrimoine public ainsi restituées quittent les musées pour rejoindre une collection privée, empêchant le public, selon elles, d'y avoir accès. Il convient pourtant de rappeler que ces restitutions constituent le juste retour d'un bien privé à des propriétaires qui en ont été dépossédés ou à leurs ayants droit. Leur présence dans une institution publique, même si celle-ci ignorait cette étape dans le parcours des oeuvres en cause, fait suite à un acte de spoliation et n'a pas été voulue par la personne spoliée. La restitution est un retour à la normale, avec plusieurs décennies - au moins 80 ans désormais - de décalage au cours desquelles le propriétaire légitime a disparu et le nombre de ses ayants droit a pu augmenter. Lorsqu'ils récupèrent leurs biens, les propriétaires sont libres d'en disposer, y compris de les mettre en vente, de les exporter, de les exposer au public ou de les conserver par devers eux.
4.7. IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX
Néant.
5. CONSULTATIONS ET MODALITÉS D'APPLICATION
5.1. CONSULTATIONS MENÉES
En application de l'article L. 1212-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT), le projet a été soumis à l'examen du Conseil national de l'évaluation des normes (CNEN). Le Conseil a émis un avis favorable tacite le 27 mars 2023.
5.2. MODALITÉS D'APPLICATION
5.2.1. Application dans le temps
Ces dispositions entreront en vigueur au lendemain de la publication de la loi au Journal officiel de la République française. Les modalités d'application de cette nouvelle section 2 du chapitre 5 du livre Ier du titre Ier du code du patrimoine seront précisées dans un décret en Conseil d'État, qui sera pris dans les mois suivant la publication de la loi au Journal officiel. Il convient de préciser que la mise en oeuvre de ce nouveau dispositif n'est pas encadrée par un délai spécifique.
Par ailleurs, l'article 3 prévoit que la loi s'appliquera aux demandes de restitutions en cours d'examen à la date de sa publication.
5.2.2. Application dans l'espace
Le projet de loi ne comporte aucune disposition particulière relative à son application dans les collectivités d'outre-mer. Le dispositif-cadre qu'il introduit dans le code du patrimoine n'a pas d'impact propre à ces collectivités dès lors qu'il ne prévoit aucune extension et respecte la répartition des compétences entre l'État et les collectivités prévue par la loi.
Ø Les collectivités d'outre-mer régies par l'article 73 de la Constitution Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion, Mayotte
Les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution (Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion, Mayotte) sont régies par le principe de l'identité législative et se voient donc appliquer le droit commun, sous réserve de dispositions spécifiques d'adaptation « tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
Le présent projet de loi y est donc applicable.
Ø Les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution : Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française
Leur régime est le suivant :
? Saint-Barthélemy : en vertu de l'article LO 6213-1 du code général des collectivités territoriales, les dispositions législatives et réglementaires lui sont applicables de plein droit, à l'exception de celles intervenant dans les matières qui relèvent de la loi organique en application de l'article 74 de la Constitution ou de celles intervenant dans les matières de la compétence de la collectivité en application de l'article LO 6214-3 du même code. Le droit domanial et des biens de la collectivité faisant partie des compétences de la collectivité, le présent projet de loi n'y est donc pas applicable ;
? Saint-Martin : en vertu de l'article LO 6313-1 du code général des collectivités territoriales, les dispositions législatives et réglementaires lui sont applicables de plein droit, à l'exception de celles intervenant dans les matières qui relèvent de la loi organique en application de l'article 74 de la Constitution ou de celles intervenant dans les matières de la compétence de la collectivité en application de l'article LO 6314-3 du même code. Le droit domanial et des biens de la collectivité faisant partie des compétences de la collectivité, le présent projet de loi n'y est donc pas applicable ;
? Saint-Pierre-et-Miquelon : en vertu de l'article LO 6413-1 du code général des collectivités territoriales, les dispositions législatives et réglementaires lui sont applicables de plein droit, à l'exception de celles qui interviennent dans les matières relevant de la loi organique en application de l'article 74 de la Constitution ou dans l'une des matières relevant de la compétence de la collectivité en application du II de l'article LO 6414-1. Le droit domanial et des biens de la collectivité ne faisant pas partie des compétences de la collectivité, le présent projet de loi y est donc applicable ;
? Wallis-et-Futuna : En vertu de l'article 4 de la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 conférant aux îles Wallis et Futuna le statut de territoire d'outre-mer la collectivité est notamment régie par les lois, décrets et arrêtés ministériels déclarés expressément applicables aux territoires d'outre-mer ou au territoire des îles Wallis et Futuna. En application de l'article 45 du décret n° 57-811 du 22 juillet 1957 relatif aux attributions de l'assemblée territoriale, du conseil territorial et de l'administrateur supérieur des îles Wallis-et-Futuna, la collectivité est compétente en matière de classement et déclassement du domaine public du territoire. A défaut de mention expresse et de compétence, le présent projet de loi n'y est donc pas applicable ;
? Polynésie française : En vertu de l'article 7 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie français, dans les matières relevant de la compétence de l'Etat, sont applicables les dispositions législatives et réglementaires qui comportent une mention expresse à cette fin à l'exception des dispositions relatives à des domaines limitativement énumérés, applicables de plein droit, au nombre desquels ne figurent ni la culture, ni la domanialité. Il résulte de la combinaison des articles 13 et 14 de la même loi que la culture et la domanialité n'entrent pas dans les domaines de compétence dévolus à l'Etat mais qu'elles relèvent de la collectivité. L'article 43 de la loi organique confie une compétence en matière de culture et de patrimoine local aux communes de la Polynésie française. A défaut de mention expresse et de compétence, le présent projet de loi n'y est donc pas applicable.
Ø Les collectivités d'outre-mer régies par l'article 72-3 de la Constitution : les Terres australes et antarctiques françaises et l'île de Clipperton
Leur régime est le suivant :
? Terres australes et antarctiques françaises : en vertu de l'article 1-1 de la loi n° 55-1052 du 6 août 1955 portant statut des Terres australes et antarctiques françaises et de l'île de Clipperton, dans les matières relevant de la compétence de l'Etat, sont applicables les dispositions législatives et réglementaires qui comportent une mention expresse à cette fin, à l'exception des dispositions relatives à des domaines limitativement énumérés, applicables de plein droit, au nombre desquels ne figurent ni la culture, ni la domanialité. A défaut de mention expresse et de compétence, le présent projet de loi n'y est donc pas applicable ;
? Île de Clipperton : en vertu de l'article 9 de cette même loi, les lois et règlements sont applicables de plein droit dans l'île de Clipperton. Le présent projet de loi y est donc applicable.
Ø La Nouvelle-Calédonie (titre XIII de la Constitution)
En application du principe de la spécialité législative, lois et règlements n'y sont applicables que sur mention expresse. L'article 22 de la loi n° 99-209 organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie dispose que cette dernière est compétente dans la matière suivante : « Droit domanial de la Nouvelle-Calédonie et des provinces ». A défaut de mention expresse et de compétence, le présent projet de loi n'y est donc pas applicable.
5.2.3. Textes d'application
Ainsi que le prévoit le nouvel article L. 115-4 du code du patrimoine, créé par l'article 1er du projet de loi, un décret en Conseil d'État fixera les modalités d'application des nouveaux articles L. 115-2 et L .115-3 du code du patrimoine. Ce texte définira notamment la procédure de sortie du domaine public en vue d'une restitution, après l'avis rendu par la commission administrative.
En outre, le décret constitutif de la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) devra être modifié pour faire référence à la mission confiée à la commission par le code du patrimoine et permettre l'élargissement de son champ de compétence aux spoliations antisémites intervenues entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945, quel que soit le lieu de spoliation, sans limitation à la France pendant l'Occupation, lorsque le bien culturel spolié se trouve aujourd'hui dans le domaine public en France.
Le décret n° 99-778 du 10 septembre 1999 instituant la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation, modifié à plusieurs reprises, est un décret simple. Ses dispositions actuelles seront intégrées dans le décret en Conseil d'État pris en application des nouvelles dispositions intégrées dans la partie législative du code du patrimoine.
La loi sera donc suivie d'un décret en Conseil d'État abrogeant et remplaçant, d'une part, l'actuel décret n° 99-778 du 10 septembre 1999 instituant la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations (CIVS), afin de repréciser la composition, l'organisation et le fonctionnement de cette commission administrative mais également pour y apporter les modifications rendues nécessaires par l'élargissement de sa mission, et définissant, d'autre part, les modalités d'application de la nouvelle section 2 du chapitre 5 du titre Ier du livre Ier du code du patrimoine.
* 1 Allocution de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur la responsabilité de l'État français dans la déportation des juifs durant la deuxième guerre mondiale et sur les valeurs de liberté, de justice et de tolérance qui fondent l'identité française, Paris le 16 juillet 1995.
* 2 Déclaration de M. Edouard Philippe, Premier ministre, sur la rafle du Vel d'Hiv des 16 et 17 juillet 1942 et l'instruction des dossiers d'indemnisation des victimes juives de spoliations, à Paris le 22 juillet 2018.
* 3 Déclaration de Mme Élisabeth Borne, Première ministre, sur la spoliation des biens juifs pendant la deuxième guerre mondiale, Paris le 15 juillet 2022.
* 4 Note-circulaire du 4 mai 2016 relative à la méthodologie du récolement des ensembles dits indénombrables et aux opérations de post-récolement des collections des musées de France.
* 5 Ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental.
* 6 Loi n° 51-650 du 24 mai 1951, article 27.
* 7 Gouache de Pissarro, La cueillette des pois, 1887. Héritiers Bauer c. Epoux Toll. TGI Paris, jugements rendus en la forme des référés, 30 mai 2017, n° 17/52901 et 7 novembre 2017, n° 17/58735 ; CA Paris, 2 oct. 2018, n° 17/20580 ; Cour de Cassation, 1re civ., 1er juillet 2020, n° 18-25.695.
* 8 Décret n° 49-1344 du 30 septembre 1949 relatif à la fin des opérations de la commission de récupération artistique.
* 9 Conseil d'Etat, 30 juillet 2014, Mmes D... et B... n° 349789. Ce contentieux a été l'occasion pour le Conseil d'État de réaffirmer le statut particulier des « MNR ».
* 10 Instruction de Fleur Pellerin du 16 octobre 2015 à l'attention de Mesdames et Messieurs les présidents et directeur des musées nationaux gestionnaires d'un des inventaires de la récupération artistique (« MNR ») et Mesdames et Messieurs les responsables d'institutions dépositaires d'oeuvres provenant de la récupération artistique (« MNR »).
* 11 Instruction d'Audrey Azoulay du 5 mai 2017 à l'attention de M. le Directeur général des patrimoines et de Mme la directrice chargée des musées de France, relative à la gestion des oeuvres issues de la récupération artistique confiées à la garde des musées nationaux relevant du ministère de la Culture et de la Communication.
* 12 Décision n° 2018-743 QPC du 26 octobre 2018 Société Brimo de Laroussilhe.
* 13 En ce qui concerne les musées de France à l'article L. 451-5 du code du patrimoine.
* 14 En ce qui concerne les musées de France à l'article L. 451-3 du code du patrimoine.
* 15 « Les biens des personnes publiques mentionnées à l'article L. 1, qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles », sachant que l'article L. 1 du même code est ainsi libellé : « Le présent code s'applique aux biens et aux droits, à caractère mobilier ou immobilier, appartenant à l'Etat, aux collectivités territoriales et à leurs groupements, ainsi qu'aux établissements publics ».
* 16 « Les biens des personnes publiques mentionnées à l'article L. 1 sont insaisissables. »
* 17 https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Rapports/Rapport-au-Parlement-de-la-Commission-scientifique-nationale-des-collections-CSNC
* 18 Article L. 451-7 du code du patrimoine, qui s'applique aussi, pour les collections ne relevant pas de l'État, aux biens acquis avec l'aide de l'État.
* 19 Décret n° 2021-979 du 23 juillet 2021 relatif à la procédure de déclassement de biens mobiliers culturels et à la déconcentration de décisions administratives individuelles dans le domaine de la culture
* 20 Conseil d'Etat, 30 juillet 2014, Mmes D... et B..., n°349789 : « à moins que le législateur n'en dispose autrement, les oeuvres détenues par une personne morale de droit public, y compris lorsqu'elle les a acquises dans le cadre ou à l'issue d'opérations de guerre ou dans des circonstances relevant de l'exercice de la souveraineté nationale à l'occasion desquelles elle se les est appropriées, appartiennent au domaine public et sont, de ce fait, inaliénables ».
* 21 La Cour d'appel s'est prononcée en faveur des ayants droit après un arrêt en première instance qui les déboutait (TGI Paris, 29 août 2019, no 19/53387).
* 22 Avis n° 403728 du Conseil d'État sur le projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites, séance du 7 octobre 2021, point 7, page 3.
* 23 Avis n° 399752 du Conseil d'Etat sur le projet de loi relatif à la restitution des biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal, séance du 3 mars 2020.
* 24 Avis du Conseil d'État du 7 octobre 2021 sur le projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites, point 11, page 5.
* 25 Décret n° 99-778 du 10 septembre 1999 instituant une commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation.
* 26 Ces documents patrimoniaux s'entendent comme « les biens conservés par les bibliothèques relevant d'une personne publique, qui présentent un intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie, de la science et de la technique » (art. R. 311-1 du code du patrimoine). Ils comprennent notamment les documents anciens rares et précieux, visés à l'art. L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. Il s'agit majoritairement de livres, mais aussi de manuscrits, de dessins, d'estampes, de cartes et plans, de partitions musicales.
* 27 Décret n° 2018-829 du 1er octobre 2018 modifiant le décret n° 99-778 du 10 septembre 1999 instituant une commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation.
* 28 Décret n° 2019-328 du 16 avril 2019 modifiant le décret n° 2009-1393 du 11 novembre 2009 relatif aux missions et à l'organisation de l'administration centrale du ministère de la culture et de la communication, article 2, II : « Il [le secrétariat général] coordonne la politique publique visant à identifier et restituer les biens culturels spoliés entre 1933 et 1945. ». Arrêté du 16 avril 2019 portant création de la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945.
* 29 Conseil d'Etat, section de l'intérieur, avis n° 403728 du 7 octobre 2021 sur un projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites.
* 30 Déclaration solennelle signée à Londres le 5 janvier 1943.
* 31 Ordonnance n°45-770 du 21 avril 1945 portant deuxième application de l'ordonnance du 12-11-1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi.
* 32 Conseil constitutionnel, décision n° 86-207 DC du 26 juin 1986, cons. 58.
* 33 Conseil constitutionnel, décision n° 94-346 DC du 21 juillet 1994, cons. 2.
* 34 Conseil constitutionnel, décision n° 2018-743 QPC du 26 octobre 2018, Société Brimo de Laroussilhe.
* 35 Cour d'appel de Paris, n° RG 19/18087, 30 septembre 2020, ayants droit Gimpel.
* 36 Conseil d'Etat, section de l'intérieur, avis n° 403728 du 7 octobre 2021 susmentionné.
* 37 Ce principe est consacré respectivement à l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques pour les biens des personnes publiques qui relèvent du domaine public et à l'article L. 451-5 du code du patrimoine pour les biens constituant les collections des musées de France appartenant à des personnes publiques.
* 38 Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, avec règlement d'exécution,14 mai 1954, La Haye.
* 39 Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert e propriété illicites des biens culturels, 14 novembre 1970, Paris.
* 40 Convention d'UNIDROIT sur les biens culturels volés ou illicitement exportés, 24 juin 1995, Rome.
* 41 Transposition de la directive 2014/60/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre et modifiant le règlement (UE) n ° 1024/2012 (refonte), cf. Code du patrimoine, livre Ier, chapitre II, art. L. 112-1 à L. 112-21.
* 42 Décision 171 EX/17 (annexe II) et recommandation no 4 (annexe I) adoptée à sa 13e session par le Comité intergouvernemental pour la promotion du retour de biens culturels à leur pays d'origine ou de leur restitution en cas d'appropriation illégale (Paris, 7-10 février 2005) ; Projet de Déclaration de principes concernant les objets culturels déplacés en relation avec la Seconde guerre mondiale, 35e conférence générale, 2009.
* 43 Convention européenne sur les infractions visant des biens culturels (STCE n° 119).
* 44 Convention du Conseil de l'Europe sur les infractions visant des biens culturels (STCE n° 221).
* 45 Résolution 1205 du Conseil de l'Europe sur les biens culturels des juifs spoliés, 4 novembre 1999.
* 46 Déclaration de Vilnius, issue de la conférence internationale du 5 octobre 2000 à Vilnius (Lituanie), menée sous les auspices du Conseil de l'Europe
* 47 Déclaration de Terezin sur les avoirs liés à l'époque de la Shoah et les questions connexes, Terezin (République tchèque), 30 juin 2009.
* 48 Recommandations du conseil exécutif du Conseil international des musées ICOM du 14 janvier 1999 portant sur la restitution des biens culturels juifs.
* 49 AAMD, Art Museums and the Restitution of Works Stolen by the Nazis, 2007.
* 50 Dans la Résolution du Parlement européen du 17 janvier 2019 sur les demandes transfrontalières de restitution des oeuvres d'art et des biens culturels volés au cours de pillages perpétrés en période de conflit armé et de guerre, qui comprend les biens spoliés (cf. infra), le Parlement européen « estime que l'article 81, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne pourrait servir de base juridique pour conférer des compétences à l'Union dans ce domaine ». Cet article du TFUE vise la coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière.
* 51 Règlement (CEE) n° 3911/92 du Conseil, du 9 décembre 1992, concernant l'exportation de biens culturels ; Règlement (CE) n° 116/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 concernant l'exportation de biens culturels (version codifiée)
* 52 Directive 93/7/CEE du 15 mars 1993 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre
* 53 Directive 2014/60/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre et modifiant le règlement (UE) n ° 1024/2012 (refonte)
* 54 Règlement (UE) n°2019/880 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 concernant l'introduction et l'importation de biens culturels.
* 55 JOUE n° C017 du 22/01/1996, p. 199.
* 56 JOUE n° C292 du 21/09/1998, p. 166.
* 57 2002/2114(INI),
* 58 Résolution du Parlement européen du 17 janvier 2019 sur les demandes transfrontalières de restitution des oeuvres d'art et des biens culturels volés au cours de pillages perpétrés en période de conflit armé et de guerre, (2017/2023(INI) TA(2019)0037.
* 59 L'Aliénation des collections publiques, Les documents de travail du Sénat, Série Législation comparée, n° LC 191, Décembre 2008, 37 p.
* 60 En application de l'article L. 320-1 du code du patrimoine, qui dispose que « Les bibliothèques municipales et intercommunales classées, dont la liste est fixée par décret après consultation des communes ou des groupements de communes intéressés, peuvent bénéficier de la mise à disposition de conservateurs généraux et de conservateurs des bibliothèques qui ont la qualité de fonctionnaires de l'Etat. », les bibliothèques municipales et intercommunales classées sont énumérées à l'article D. 320-1 du code du patrimoine.