- LA CONTINUITÉ TERRITORIALE
- 1. Les Pays-Bas : une obligation de service
public en projet
- 2. Le Danemark : des aides ciblées pour
des motifs familiaux et pour les étudiants
- 3. L'Espagne : une réduction tarifaire
proportionnelle déduite à l'achat du billet
- 4. Le Portugal : un prix plafond grâce
à la subvention sociale de mobilité
- 1. Les Pays-Bas : une obligation de service
public en projet
mai 2023
- LÉGISLATION COMPARÉE -
NOTE
sur
LA CONTINUITÉ TERRITORIALE
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Danemark - Espagne - Pays-Bas - Portugal
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Cette note a été réalisée à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer dont le rapport est disponible sur le site du Sénat : https://www.senat.fr/notice-rapport/2022/r22-488-notice.html
AVERTISSEMENT
Ce document constitue un instrument de travail élaboré à la demande des sénateurs, à partir de documents en langue originale, par la Division de la Législation comparée de la direction de l'initiative parlementaire et des délégations. Il a un caractère informatif et ne contient aucune prise de position susceptible d'engager le Sénat.
LA CONTINUITÉ TERRITORIALE
À la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer, la Division de la Législation comparée a conduit une recherche sur les dispositifs de maintien de la continuité territoriale dans quatre pays de l'Union européenne disposant de territoires ultramarins : le Danemark, l'Espagne, les Pays-Bas et le Portugal.
La présente étude se concentre sur les systèmes de prise en charge des frais de transport des territoires ultramarins vers le continent, y compris pour des motifs particuliers tels que la poursuite d'études1(*). Elle se fonde en partie sur la note de législation comparée relative au soutien au transport aérien comme instrument de désenclavement, publiée en 20192(*).
Au Danemark et aux Pays-Bas, le principe de continuité territoriale n'est pas inscrit, en tant que tel, dans le droit ; ces deux pays ne prévoient pas de système généralisé d'aide au financement des frais de transport pour les résidents des territoires ultramarins.
Le droit néerlandais reconnaît cependant « l'intérêt public de l'accessibilité » des collectivités territoriales caribéennes (Bonaire, Saint-Eustache et Saba) au nom duquel il a mis en place une stratégie de prise de participation dans la compagnie aérienne desservant ces territoires. Constatant que ceci ne permettait pas de garantir l'accessibilité, à la fois en termes de fréquence des vols et de prix des billets, le gouvernement s'est engagé, fin 2021, à étudier la mise en place d'une obligation de service public. En revanche, il a exclu le subventionnement de billets d'avion.
Les deux territoires ultramarins du Royaume du Danemark, le Groenland et les îles Féroé possèdent un degré d'autonomie élevé et de larges compétences. Ainsi, l'État danois finance uniquement une aide relative aux frais de transport au sein, vers et depuis le Groenland en cas de décès ou de maladie grave dans la famille, tandis que le Groenland et les îles Féroé ont chacun mis en place leur propre système d'aide à la mobilité en faveur des étudiants.
En Espagne et au Portugal, le principe de solidarité avec les territoires insulaires est plus affirmé ; chaque pays possède un dispositif d'aide aux résidents ultramarins, prenant en charge une large partie du prix du billet d'avion.
En Espagne, au nom des « circonstances propres au caractère insulaire » reconnues par la Constitution, les résidents des communautés autonomes des Canaries, des Baléares et des villes autonomes de Ceuta et Melilla bénéficient de réductions tarifaires représentant 75 % du prix du billet, sur toutes les liaisons aériennes directes vers ou depuis le reste du territoire national, ainsi qu'entre les îles. Ce subventionnement très large représente un coût très élevé pour l'État (823 millions d'euros en 2023).
Au Portugal, les statuts des régions autonomes des Açores et de Madère prévoient explicitement le principe de continuité territoriale, défini comme le besoin de corriger les inégalités structurelles liées à l'éloignement et à l'insularité. L'État portugais finance une « subvention sociale de mobilité » en faveur des personnes qui résident et travaillent dans les régions autonomes de Madère et des Açores, et des étudiants, qui effectuent des voyages entre le continent et les archipels. D'un montant variable, cette subvention de mobilité permet aux bénéficiaires de payer un prix plafond, variable selon le trajet et leur situation (résident ou étudiant).
1. Les Pays-Bas : une obligation de service public en projet
Au sein du Royaume des Pays-Bas, il existe deux types de territoires ultramarins :
- les pays autonomes (autonome landen) qui, à côté des Pays-Bas (Nederland) et sur un pied d'égalité avec eux, forment le Royaume des Pays-Bas (Koninkrijk der Nederlanden)3(*). C'est le cas d'Aruba (115 000 habitants), de Curaçao (159 000 habitants) et de Saint-Martin4(*) (37 000 habitants) ;
- et les collectivités territoriales caribéennes (caribische territoriale openbare lichamen)5(*) qui appartiennent aux Pays-Bas. Il s'agit des îles de Bonaire, Saint-Eustache et Saba (BES eilanden), qui comptent au total environ 25 000 habitants.
a) Le principe de continuité territoriale
Le droit public néerlandais ne reconnaît pas le principe de continuité territoriale.
En revanche, le gouvernement des Pays-Bas reconnaît « l'intérêt public de l'accessibilité des îles de Bonaire, Saint-Eustache et Saba »6(*).
Le ministère des infrastructures et de la gestion de l'eau, responsable de la garantie de cet intérêt public, définit l'accessibilité comme la possibilité pour un passager de voyager au sein, depuis et vers les Pays-Bas caribéens, avec des « coûts généralisés » acceptables (fréquence suffisante des transports, caractère abordable du prix des billets et temps de trajet, d'attente et de transfert acceptables)7(*).
Cet intérêt public est uniquement reconnu pour les collectivités territoriales caribéennes appartenant aux Pays-Bas, c'est-à-dire les îles de Bonaire, Saint-Eustache et Saba.
b) Les systèmes de prise en charge des frais de transport
Il n'existe pas de système public de prise en charge des frais de transport pour les habitants des parties caribéennes du Royaume des Pays-Bas.
En revanche, l'État néerlandais détient des participations dans deux entreprises afin de garantir l'accessibilité de ces territoires :
- la Dutch Caribbean Air Navigation Service Provider (DC-ANSP), qui est un fournisseur de services de navigation aérienne (contrôle du trafic aérien, fourniture d'informations de vol) et qui est responsable, depuis 2005, de la région d'information de vol (FIR) de Curaçao, couvrant également l'espace aérien des îles de Bonaire, Saint-Eustache et Saba. L'État néerlandais est actionnaire de DC-ANSP à hauteur de 7,95 %8(*) ;
- la compagnie aérienne Winair, qui opère depuis l'aéroport de Saint-Martin et dessert diverses destinations dans la région caraïbe, dont les îles des Pays-Bas caribéens Bonaire, Saint-Eustache et Saba. Depuis 2010, l'État néerlandais détient 7,95 % des parts de cette compagnie. Il a également consenti un prêt à Winair afin de lui permettre de faire face aux conséquences de la pandémie de Covid-19 sur le trafic aérien.
Constatant que la participation étatique dans Winair ne permettait pas de garantir l'accessibilité des îles de Saint-Eustache et de Saba9(*), le gouvernement néerlandais s'est engagé, le 10 décembre 2021, à explorer l'instauration d'une obligation de service public (OSP). Ceci permettrait de fixer les conditions d'une liaison aérienne vers ces îles, en matière de prix des billets et de fréquence des vols. Le gouvernement devrait présenter un projet de loi en ce sens, amendant la loi sur l'aviation dans les îles de Bonaire, Saint-Eustache et Saba10(*), au dernier trimestre 2023. Parallèlement, l'État a annoncé son intention de céder intégralement ses parts de la compagnie Winair dès que l'obligation de service public sera mise en place.
Le subventionnement des billets d'avion a été étudié par le ministère des infrastructures et de la gestion de l'eau mais il n'a pas été retenu car il n'aurait pas permis d'augmenter la fréquence des vols.
2. Le Danemark : des aides ciblées pour des motifs familiaux et pour les étudiants
Le Royaume du Danemark comprend, outre le Danemark, le Groenland et les îles Féroé. Les statuts attachés à ces territoires diffèrent : le Danemark est membre de l'Union européenne, ce qui n'est le cas ni du Groenland11(*), ni des îles Féroé12(*). Les deux territoires ont progressivement étendu leur degré d'autonomie vis-à-vis du Danemark13(*).
a) Le principe de continuité territoriale
Le principe de continuité territoriale ne semble pas avoir d'équivalent en droit danois.
Les deux territoires ultramarins du Royaume du Danemark possèdent l'un comme l'autre un degré d'autonomie élevé et de larges compétences. Ils perçoivent de l'État danois, chaque année, une dotation générale de fonctionnement. En 2021, la dotation globale perçue s'est élevée à 3,99 milliards de couronnes danoises, soit environ 540 millions d'euros, pour le Groenland et à 650,7 millions de couronnes danoises (87,4 millions d'euros) pour les îles Féroé.
Le projet de loi de finances pour 2023, déposé en octobre 202214(*), prévoyait quant à lui une dotation générale de l'ordre de 4,2 milliards de couronnes danoises (563 millions d'euros) pour le Groenland et de 651,2 millions de couronnes danoises (87,5 millions d'euros) pour les îles Féroé15(*).
b) Les systèmes de prise en charge des frais de transport
Deux systèmes d'aide visant à faire face aux frais de transport ont été identifiés, l'un relevant du Danemark via son organisme d'allocations familiales (Udbetaling Danmark), le second pris en charge par les territoires eux-mêmes.
Le premier est une aide relative aux frais de transport au sein, vers et depuis le Groenland en cas de décès ou de maladie grave dans la famille (Tilskud til rejseudgifter til, fra og i Grønland ved dødsfald eller alvorlig sygdom i familien), financée par l'organisme d'allocations familiales danois. Pour en bénéficier, le demandeur doit remplir un formulaire dédié et l'accompagner obligatoirement de pièces justificatives, telles que les documents attestant des ressources de la personne, un certificat médical ou de décès ou encore l'offre tarifaire de l'agence de voyage. Cette aide est uniquement à destination des personnes qui, si elles n'en bénéficiaient pas, ne pourraient pas entreprendre un tel voyage. L'allocation ne couvre que le transport, qui doit s'effectuer au tarif et par le moyen le moins onéreux, tout en tenant compte des contraintes de délai, c'est-à-dire faire en sorte que « le but du voyage [puisse] être atteint ».
Le montant de l'allocation est de 15 000 couronnes danoises (2 016 euros) maximum16(*). Il était prévu de le porter à 20 000 couronnes (2 688 euros) dans le projet de loi de finances pour 2023. Toutefois, le texte est devenu caduc à la fin de la législature et le nouveau projet de loi de finances n'a pas été déposé ni adopté à ce jour. Le projet de loi de finances pour 2023 prévoyait 0,6 million de couronnes danoises (80 660 euros) au total pour financer cette allocation, soit un montant stable par rapport aux années précédentes17(*).
Le second dispositif est un système instauré par le Groenland et les îles Féroé permettant aux étudiants faisant leurs études au Danemark18(*) de bénéficier d'un voyage aller-retour pris en charge.
Les étudiants groenlandais au Danemark peuvent bénéficier d'un voyage gratuit par an (frirejse). Pour cela, avant même l'achat d'un billet, les étudiants doivent faire une demande de prise en charge, précisant obligatoirement la formation suivie. Lorsque la demande est approuvée, le demandeur peut alors acheter le billet. Sous certaines conditions, l'enfant à charge ou le conjoint du demandeur peuvent aussi bénéficier de cette gratuité19(*).
Les étudiants féroïens, quant à eux, peuvent également bénéficier d'un voyage pris en charge dans une certaine limite (Ferðastudningur). L'objectif est de soutenir une fois par an les étudiants féroïens et, le cas échéant, leurs enfants, voulant rentrer aux îles Féroé20(*). Le demandeur doit avoir un lien particulier avec les îles Féroé et y avoir vécu soit au moins deux des trois années précédant les études, soit au moins la moitié de sa vie avant qu'il ne commence ses études. La formation en dehors des îles Féroé doit être agréée, suivie à temps plein avec assiduité et d'une durée minimale d'un an. Le montant maximal pris en charge est de 1 500 couronnes danoises (201,65 euros) pour un voyage entre le Danemark et les îles Féroé, auxquels s'ajoutent 200 couronnes (26,89 euros) pour un enfant de moins de deux ans, 900 couronnes (121 euros) pour un mineur accompagnant entre 2 et 11 ans et 1 500 couronnes jusqu'aux 16 ans de l'enfant.
3. L'Espagne : une réduction tarifaire proportionnelle déduite à l'achat du billet
L'Espagne est un État autonome, à mi-chemin entre l'État fédéral et l'État unitaire décentralisé, qui compte plusieurs territoires en dehors de la péninsule ibérique :
- l'archipel des Canaries, situé dans l'océan Atlantique au large des côtes marocaines, qui constitue une communauté autonome et une région ultrapériphérique (RUP) au sens du droit de l'Union européenne ;
- l'archipel des Baléares, situé en mer Méditerranée, au large de la côte Est espagnole, qui forme une communauté autonome sans être une RUP ;
- et les enclaves de Ceuta et de Melilla sur la côté nord-africaine, qui ont le statut de villes autonomes.
a) Le principe de continuité territoriale
Si le droit espagnol ne se réfère pas à l'impératif de « continuité territoriale » entre la péninsule et les territoires non continentaux, l'article 138 de la Constitution de 1978 reconnaît le fait insulaire.
Ainsi, aux termes de l'article précité, il revient à l'État de garantir « l'application effective du principe de solidarité consacré à l'article 2 de la Constitution, en veillant à l'établissement d'un équilibre économique approprié et juste entre les différentes parties du territoire espagnol, compte tenu tout particulièrement des circonstances propres au caractère insulaire »21(*).
b) Les systèmes de prise en charge des frais de transport
Depuis 1960, les résidents des territoires non continentaux d'Espagne - les Canaries, les Baléares et villes autonomes de Ceuta et Melilla - bénéficient de réductions tarifaires sur toutes les liaisons aériennes directes vers ou depuis le reste du territoire national ainsi qu'entre les îles.
Aux termes du décret royal 1316/2001 du 30 novembre 2001 modifié22(*), ces réductions prennent la forme de remises proportionnelles au prix du billet23(*) : les résidents ne paient qu'une fraction déterminée du billet d'avion au tarif de base. Le tarif de base est défini comme « le tarif entièrement flexible le plus bas pour les vols aller simple ou aller-retour, enregistré par chaque compagnie aérienne ». Initialement fixée à 33 % du prix du billet, cette remise a été relevée à 50 % puis à 75 % par la loi de finances pour 2018 qui lui accorde expressément une validité pérenne et non seulement restreinte à l'année budgétaire en cours24(*). Elle n'est pas plafonnée et vaut pour chaque trajet direct25(*), simple ou aller-retour. La même réduction est appliquée aux liaisons maritimes (sauf pour les liaisons interinsulaires par voie maritime pour lesquelles la réduction est de 50 % du prix du billet).
Peuvent bénéficier de cette réduction tarifaire :
- les citoyens espagnols et d'un autre pays de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen qui résident aux Canaries, aux Baléares et à Ceuta et Melilla. La preuve de résidence doit être apportée au moyen de la carte nationale d'identité pour les citoyens espagnols et du certificat d'enregistrement délivré par le Registre central des étrangers pour les autres citoyens européens ;
- les députés et sénateurs élus dans l'une des circonscriptions des Canaries, des Baléares ou de Ceuta et Melilla.
Une réduction cumulable de 5 % à 10 % est également accordée aux familles nombreuses26(*).
Depuis le 1er novembre 2014, les résidents insulaires et de Ceuta et Melilla peuvent faire certifier leur qualité de bénéficiaire de la réduction tarifaire en amont de l'achat grâce à la plateforme numérique SARA (Sistema de Acreditación de Residencia Automática)27(*) opérant un système d'accréditation de résidence automatique. Sans accréditation préalable, le billet peut être acheté mais il faudra présenter à l'embarquement aux agents de la compagnie aérienne les justificatifs de résidence nécessaires pour en faire usage.
Dans tous les cas, la réduction tarifaire est appliquée au moment de l'achat du billet par le bénéficiaire28(*). Les compagnies aériennes sont ensuite remboursées mensuellement par l'État. La Direction générale de l'aviation civile est chargée d'effectuer des inspections et des contrôles réguliers auprès des compagnies aériennes.
Le coût total des réductions tarifaires sur les transports aériens et maritimes, au bénéfice des résidents des territoires non continentaux, est estimé à 823 millions d'euros dans le budget de l'État pour 202329(*), contre 783 millions d'euros en 2022 et 346 millions d'euros en 2017 (remise à 50 %)30(*). Le coût des réductions tarifaires pour famille nombreuse s'élève à 14 millions d'euros en 2023.
En outre, la communauté autonome des Canaries prévoit une réduction tarifaire supplémentaire pour ses résidents voyageant par bateau entre les îles de l'archipel (25 % du prix du billet) ou empruntant la liaison maritime autour de l'île de La Gomera (75 %). Cette réduction est cumulable avec la remise tarifaire financée par l'État, dans la limite globale de 75 %31(*). Le coût de cette réduction complémentaire pour les voyages maritimes était estimé à 36,5 millions d'euros dans le budget de la communauté autonome pour 2022.
Enfin, l'octroi de réductions aux résidents de zones insulaires et lointaines est déconnecté des obligations de service public qui sont imposées sur certaines liaisons aériennes. Sur les 23 liaisons aériennes espagnoles faisant l'objet d'une obligation de service public, la majorité concerne des liaisons interinsulaires et seules quatre s'appliquent à des lignes desservant une zone insulaire ou excentrée et la péninsule ibérique32(*).
4. Le Portugal : un prix plafond grâce à la subvention sociale de mobilité
En vertu de l'article 6 de la Constitution de 197633(*), le Portugal est un État unitaire reconnaissant l'autonomie à ses deux territoires insulaires : les archipels des Açores et de Madère, situés dans l'océan atlantique. Ces deux régions autonomes ont également le statut de région ultrapériphérique (RUP).
a) Le principe de continuité territoriale
L'article 9 de la Constitution portugaise énonce, parmi les missions fondamentales de l'État, le fait d' « encourager le développement harmonieux de l'ensemble du territoire national, en tenant compte, en particulier, de la nature ultrapériphérique des archipels des Açores et de Madère ».
L'article 229 de la Constitution relatif à la coopération entre les pouvoirs publics constitutionnels et les organes régionaux reconnaît l'existence d'inégalités liées au fait insulaire : « Les pouvoirs publics constitutionnels coopèrent avec les organes de gouvernement régionaux au développement économique et social des régions autonomes, en particulier dans le but de corriger les inégalités qui découlent de l'insularité ».
Les statuts politico-administratifs des régions autonomes des Açores et de Madère reconnaissent quant à eux le principe de continuité territoriale :
- l'article 13 du statut des Açores, intitulé « principe de continuité territoriale et ultrapériphérie » prévoit que « 1. Les organes de souveraineté et les organes de gouvernement propre de la Région, dans l'exercice de leurs attributions et compétences respectives, doivent favoriser l'élimination des inégalités structurelles, sociales et économiques entre Portugais, causées par l'insularité et par l'éloignement de la Région et de toutes et chacune des îles par rapport aux centres de pouvoir. La condition ultrapériphérique de l'archipel des Açores par rapport aux territoires national et communautaire, caractérisée par l'insularité, par une dimension réduite et le relief des îles, par le climat et par la dépendance économique pour un petit nombre de produits, doit constituer un facteur déterminant de la définition et de la conduite de la politique interne et externe de l'État »34(*).
- l'article 10 du statut de Madère définit ce principe de la façon suivante : « Le principe de continuité territoriale repose sur le besoin de corriger les inégalités structurelles, provoquées par l'éloignement et l'insularité, et vise à la pleine consécration des droits de citoyenneté de la population madérienne, en contraignant, notamment, l'État à les respecter, conformément à ses obligations constitutionnelles ».
b) Les systèmes de prise en charge des frais de transport
En accord avec les objectifs de cohésion sociale et territoriale fixés par la Constitution, l'État portugais finance une « subvention sociale de mobilité » en faveur des personnes qui résident et travaillent dans les régions autonomes de Madère et des Açores et des étudiants effectuant des voyages entre le continent et les archipels.
Cette subvention est régie par deux textes juridiques différents selon qu'elle concerne les Açores35(*) ou Madère36(*). Des principes communs s'appliquent s'agissant des personnes éligibles et du mécanisme de prix plafond mais les types de trajets couverts, les montants et les modalités de prise en charge diffèrent.
Aux Açores comme à Madère, peuvent bénéficier de cette subvention :
- les personnes qui résident habituellement dans les régions autonomes de Madère ou des Açores et y détiennent leur domicile fiscal (citoyens portugais, citoyens d'un autre État de l'Union européenne ou citoyens d'un État ayant conclu un accord de mobilité des personnes avec le Portugal) ;
- les étudiants de moins de 26 ans originaires des Açores ou de Madère qui étudient sur le continent ou dans une autre région autonome, ainsi que les étudiants de moins de 26 ans originaires du continent qui étudient aux Açores ou à Madère ;
- les résidents « assimilés », comprenant les personnes qui vivent habituellement sur le continent et travaillent aux Açores ou à Madère, y compris les fonctionnaires de l'État et les membres des gouvernements et des administrations des régions autonomes.
À Madère, les mineurs qui ne résident pas habituellement dans l'archipel mais dont l'un des parents est résident peuvent également bénéficier de la subvention sociale de mobilité.
La subvention s'applique à tous les trajets aériens, simples et allers-retours, entre le continent et les régions autonomes des Açores et de Madère, ainsi qu'entre Madère et les Açores, peu importe le nombre d'escales, à condition que la liaison vers la destination finale soit effectuée dans un délai de 24 heures. Les voyages effectués par voie maritime entre le continent et Madère, et entre Madère et les Açores, sont également éligibles à la subvention.
Pour les liaisons aériennes entre le continent et les Açores et entre les Açores et Madère, le montant de la subvention correspond à la différence entre le coût éligible (prix du billet d'avion, taxes aéroportuaires, frais de sécurité, surcharge carburant et droit de billetterie) et un montant plafond fixé par ordonnance. Ainsi, le montant de la subvention varie en fonction du prix du billet : les bénéficiaires ont la garantie de payer tout au plus, pour un voyage entre le continent et les Açores, 134 euros s'ils ont la qualité de résident ou de résident assimilé, et 99 euros s'ils sont étudiants. Pour un voyage aller-retour entre les Açores et Madère, les résidents et résidents assimilés payent 119 euros tout au plus grâce à la subvention et les étudiants 89 euros37(*). Pour un trajet simple, les montants maximums sont divisés par deux. Aucune subvention n'est versée si le coût éligible (billet d'avion et taxes diverses) est égal ou inférieur aux montants plafonds énoncés précédemment.
Montants plafonds payés par les passagers
éligibles
après subvention sociale de
mobilité
Type de passager |
Trajet |
||
Entre les Açores et le continent |
Entre Madère et le continent |
Entre les Açores et Madère |
|
Étudiant |
99,00 € |
65,00 € |
89,00 € |
Résident habituel ou assimilé |
134,00 € |
86,00 € |
119,00 € |
Concernant les liaisons aériennes et maritimes entre le continent et Madère et entre Madère et les Açores, le montant de la subvention est également variable, de façon à garantir un prix plafond pour les bénéficiaires. Les résidents habituels et assimilés payent tout au plus 86 euros et les étudiants 65 euros pour un trajet aérien ou maritime aller-retour entre le continent et Madère38(*). Pour les liaisons entre les Açores et Madère, les montants plafonds s'élèvent à 119 euros pour les résidents et à 89 euros pour les étudiants. Ces montants plafonds sont réduits de moitié en cas de trajet simple. Aucune subvention n'est versée si le coût éligible (billet d'avion et taxes diverses) est égal ou inférieur aux montants plafonds. En outre, le régime juridique applicable à Madère prévoit l'absence de droit à subvention si le coût éligible (prix du billet d'avion et taxes) est égal ou supérieur à 400 euros ou si la personne choisit un billet économique entièrement flexible.
Pour les deux régions autonomes, un mécanisme de réexamen annuel des montants de la subvention sociale de mobilité est prévu, sur la base d'une évaluation des prix, de l'offre de liaisons aériennes et maritimes et de son utilisation par les passagers bénéficiaires.
Jusqu'à la fin de l'année 2022, les modalités d'obtention de la subvention sociale de mobilité étaient identiques dans les régions autonomes des Açores et de Madère : i) la personne éligible achète un billet et le paye en totalité ; ii) elle effectue le voyage ; iii) dans un délai de 90 jours après le voyage39(*), elle présente la demande de subvention auprès d'un bureau de la poste portugaise (CTT Correios de Portugal)40(*) accompagnée des documents obligatoires correspondant à sa situation (carte d'embarquement ou billet de ferry, facture, document d'identité, preuve de résidence fiscale, déclaration de l'employeur ou certificat d'inscription dans un établissement d'enseignement) ; iv) elle reçoit le remboursement d'une partie du prix du billet.
Pour la région autonome de Madère, la loi n° 105/201941(*) a modifié le régime juridique de la subvention afin que, sur le modèle espagnol, celle-ci soit automatiquement imputée lors de l'achat du billet, puis versée aux entreprises de transport aérien et maritime42(*). Ce système présente l'avantage, pour les bénéficiaires, de supprimer les démarches liées à la demande de remboursement et d'éviter de faire l'avance du montant de la subvention. Pour les compagnies aériennes et maritimes, cela signifie qu'elles devront appliquer un prix plafond fixe pour certains trajets et présenter les demandes de remboursement aux services compétents de l'État. En raison de difficultés pratiques de mise en oeuvre dans les délais impartis, un régime transitoire a été introduit pour l'année 2022. Ce régime transitoire maintient, théoriquement jusqu'au 31 décembre 2022, le système de versement ex post de la subvention aux bénéficiaires, par l'intermédiaire de Correios43(*).
Par ailleurs, le nouveau régime juridique applicable à Madère rappelle que l'Autorité nationale de l'aviation civile (ANAC) est tenue d'évaluer le degré de concentration des marchés et les pratiques tarifaires des compagnies afin d'atténuer les éventuelles distorsions résultant de l'attribution de la subvention sociale de mobilité.
Le coût total de la subvention sociale de mobilité pour l'État a très fortement augmenté ces dernières années : il serait ainsi passé de 17 millions d'euros en 2015 à environ 70 millions d'euros en 201944(*). Selon le ministre des infrastructures de l'époque, cette hausse ne s'explique pas par l'augmentation du nombre de bénéficiaires mais par l'existence probable de fraudes45(*).
* 1 Elle ne traite pas des politiques de continuité territoriale en matière de coût de l'énergie et de gestion des déchets menées par certains pays, comme le Portugal.
* 2 Division de la Législation comparée du Sénat, Recueil des notes de synthèse, LC n° 289, 2019.
* 3 Wet houdende aanvaarding van een statuut voor het Koninkrijk der Nederlanden (Statuts du Royaume), du 28 octobre 1954.
* 4 Il s'agit de la partie néerlandaise de l'île.
* 5 Article 132a de la Constitution néerlandaise.
* 6 Voir en particulier :
https://www.rijksoverheid.nl/documenten/kamerstukken/2022/12/23/verzamelbrief-luchtvaart et
https://www.rijksoverheid.nl/documenten/rapporten/2021/12/10/bijlage-2-rapport-evaluatie-staatsdeelneming-winair
* 7 https://www.rijksoverheid.nl/documenten/rapporten/2021/12/10/bijlage-2-rapport-evaluatie-staatsdeelneming-winair, p. 8.
* 8 Ministerie van Financiën, Jaarverslag BeheerStaatsdeelnemingen 2021.
* 9 Selon une étude du ministère des infrastructures et de la gestion de l'eau, la fréquence des vols demeure trop faible et le prix des billets est trop élevé. https://www.rijksoverheid.nl/documenten/rapporten/2021/12/10/bijlage-2-rapport-evaluatie-staatsdeelneming-winair
* 10 Le règlement européen (CE) n° 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 24 septembre 2008, établissant des règles communes pour l'exploitation de services aériens dans la Communauté ne s'applique pas aux îles BES. C'est pourquoi, les Pays-Bas doivent amender la loi sur l'aviation dans les îles BES.
* 11 Membre lors de l'adhésion du Danemark en 1973, en tant que province danoise, le Groenland s'est depuis prononcé en faveur de la sortie de l'Union européenne et est ainsi devenu, en 1985, un pays et territoire d'outre-mer.
* 12 Les îles Féroé ont été expressément exclues du champ d'application des traités européens lors de l'adhésion du Danemark.
* 13 Pour plus d'informations sur le statut du Groenland et des îles Féroé, voir l'étude LC 290 sur le statut des territoires ultramarins http://www.senat.fr/lc/lc290/lc2903.html#toc168
* 14 Les élections législatives de novembre 2022 au Danemark ont rendu ce texte caduc. Depuis, aucun nouveau projet de loi de finances n'a été déposé ou adopté à ce jour, toutefois un texte permettant au Gouvernement de percevoir les impôts et couvrir les dépenses a été adopté en décembre 2022 en attendant le nouveau projet de loi de finances.
* 15 https://www.ft.dk/ripdf/samling/20221/lovforslag/l1/20221_l1_som_fremsat.pdf p.329 page 329 et suivantes.
* 16 https://www.borger.dk/sundhed-og-sygdom/Doedsfald-og-begravelse/Groenland-tilskud-rejseudgifter-doedsfald
* 17 https://www.ft.dk/ripdf/samling/20221/lovforslag/l1/20221_l1_som_fremsat.pdf page 1958.
* 18 Pour les étudiants féroïens, cette aide est plus généralement possible pour ceux effectuant leurs études à l'étranger, le terme étranger incluant ici le Danemark.
* 19 https://www.sullissivik.gl/Emner/Uddannelse/Uddannelsesstotte_og_tilskud/Frirejser/Frirejse?sc_lang=da-DK
* 20 https://www.studni.fo/lesandi-uttanlands/fer%C3%B0astudningur
* 21 https://www.boe.es/legislacion/documentos/ConstitucionFRANCES.pdf
* 22 Décret royal 1316/2001 du 30 novembre 2001, qui réglemente la remise sur les tarifs des services réguliers de transport aérien et maritime pour les résidents des communautés autonomes des îles Canaries et des îles Baléares et dans les villes de Ceuta et Melilla.
* 23 Hors taxes mais y compris les frais de réservation et d'émission appliqués par la compagnie aérienne.
* 24 Disposition additionnelle 147, Ley 6/2018, de Presupuestos Generales del Estado para el año 2018, du 3 juillet 2018.
* 25 Est considéré comme un trajet direct tout trajet effectué du port, de l'aéroport ou de l'héliport du point d'origine dans les archipels, Ceuta ou Melilla, à la destination dans le reste du territoire national et vice versa, sans escale intermédiaire ou, le cas échéant, lorsque celles-ci n'excèdent pas une durée de douze heures, sauf celles qui ont été imposées par les nécessités techniques du service ou pour des raisons de force majeure.
* 26 Décret Royal 1621/2005 du 30 décembre 2005 por el que se aprueba el Reglamento de la Ley 40/2003 de Protección a las Familias Numerosas. La réduction s'élève à 5 % pour les familles jusqu'à trois enfants et à 10 % à partir de quatre enfants ; toutes les familles espagnoles peuvent en bénéficier pour toutes les liaisons aériennes domestiques.
* 27 https://www.mitma.gob.es/aviacion-civil/subvenciones-para-el-transporte-aereo/sistema-sara
* 28 Voir l'exemple présenté sur le site internet de la compagnie Vueling : https://www.vueling.com/es/servicios-vueling/prepara-tu-viaje/informacion-para-pasajeros/residentes-y-familia-numerosa
* 29 https://www.sepg.pap.hacienda.gob.es/sitios/sepg/es-ES/Presupuestos/PGE/ProyectoPGE2023/Documents/LIBROAMARILLO2023.pdf, p. 252
* 30 Étude de législation comparée LC 289, op. cit.
* 31 ORDEN de 31 de enero de 2022, por la que se ejecuta el Decreto 222/2000, de 4 de diciembre, que establece el régimen de bonificaciones al transporte marítimo interinsular e insular de viajeros residentes en Canarias, en relación a la bonificación correspondiente al cuarto trimestre del año 2021, primer, segundo y tercer trimestres del año 2022.
* 32 Dessertes Minorque-Madrid, Melilla-Almeria, Melilla-Grenade et Melilla-Séville.
Voir : https://transport.ec.europa.eu/system/files/2019-09/pso_inventory_table.pdf
* 33 « 1. L'État est unitaire et observe dans son organisation, ainsi que dans son action, l'autonomie des régions insulaires et les principes de la subsidiarité, de l'autonomie des collectivités territoriales et de la décentralisation démocratique de l'administration publique.
2. Les archipels des Açores et de Madère sont des régions autonomes dotées d'un statut politique et administratif, et d'organes de Gouvernement qui leur sont propres. » Constitution de la République portugaise
* 34 Loi nº 2/2009, du 12 janvier statut politico-administratif de la région autonome des Açores.
* 35 Decreto-Lei n° 41/2015 de 24 de março.
* 36 Decreto-Lei n° 134/2015, de 24 de julho, com as alterações introduzidas por Lei n° 105/2019.
* 37 Portaria n.º 95-A/2015, de 27 de março.
* 38 Decreto-Lei n° 134/2015, de 24 de julho, com as alterações introduzidas por Lei n° 105/2019 et Decreto-Lei n° 28/2022 de 24 de março.
* 39 Pour les Açores, le délai court à partir du lendemain du voyage ; pour Madère, les bénéficiaires peuvent déposer leur demande d'aide à partir de 60 jours après la date d'émission de la facture d'achat et jusqu'à 90 jours après le voyage.
* 40 https://www.ctt.pt/transversais/pontos-de-contacto-ctt/servicos-de-proximidade-lojas-ctt/subsidio-social-de-mobilidade
* 41 Lei n.º 105/2019, de 6 de setembro.
* 42 En mai 2022, le gouvernement de la région autonome des Açores a également demandé une simplification des démarches et modalités de versement de la subvention sociale de mobilité. https://observador.pt/2022/06/22/governo-dos-acores-defende-simplificacao-do-reembolso-do-subsidio-social-de-mobilidade/
* 43 Cependant, à la date de rédaction de la présente note, le régime transitoire était encore en vigueur.
* 44 https://www.dn.pt/edicao-do-dia/08-jul-2019/apoio-a-viagens-entre-continente-e-ilhas-custa-200-milhoes-em-quatro-anos-11087181.html
* 45 https://www.dnoticias.pt/2019/7/2/213154-ministro-diz-que-ha-incentivos-perversos-e-fraudes-nos-subsidios-aos-voos-para-a-madeira-e-acores/