Service des études juridiques (octobre 2007)
NOTE DE SYNTHÈSE
En France, l'amnistie , prévue par l'article 133-9 du code pénal, a pour effet de supprimer rétroactivement le caractère délictueux des faits auxquels elle se rapporte. Elle peut être accordée alors qu'aucune peine n'a encore été prononcée ou après une condamnation définitive. Celle-ci est alors effacée et aucune information ne figure au casier judiciaire des bénéficiaires de la mesure.
L'amnistie fait l'objet de lois votées par le Parlement , soit ponctuellement, souvent dans un but d'apaisement après des événements politiques (troubles en Nouvelle-Calédonie, aux Antilles, en Corse, manifestations, etc.), soit, de façon traditionnelle, après l'élection présidentielle. Le champ d'application de la mesure n'est pas limité a priori par le code pénal, mais chaque loi d'amnistie le définit, en précisant les infractions et les sanctions amnistiables. Depuis 1966, les lois d'amnistie sont assorties d'exclusions, motivées par la gravité ou par le caractère symbolique de l'infraction. Si la loi de 1959 ne prévoyait aucune exclusion, les lois suivantes les ont multipliées : on en comptait quatre en 1966, 28 en 1995 et 49 en 2002, de sorte que le nombre de bénéficiaires diminue. Ainsi, la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 portant amnistie excluait notamment les actes de terrorisme, les discriminations, les violences commises sur les jeunes de moins de quinze ans, le trafic de stupéfiants, le harcèlement sexuel et le harcèlement moral ainsi que le proxénétisme.
Par le biais de « l'amnistie par mesure individuelle » , l'amnistie constitue également une prérogative du président de la République. En effet, depuis une cinquantaine d'années, les lois d'amnistie votées après les élections présidentielles délèguent au président de la République le pouvoir d'accorder, par décret individuel , une amnistie à certaines catégories de personnes. La loi de 2002 citait ainsi, parmi les bénéficiaires possibles de cette disposition, les personnes âgées de moins de 21 ans au moment des faits, les anciens combattants, les déportés, les résistants ainsi que les « personnes qui [s'étaient] distinguées d'une manière exceptionnelle dans les domaines humanitaire, culturel, sportif, scientifique ou économique ».
Prévue par l'article 17 de la constitution, la grâce entraîne la dispense d'exécution totale ou partielle d'une peine ou la commutation de celle-ci en une peine moins lourde. La grâce est une prérogative personnelle du chef de l'État. Elle ne s'applique qu'à une condamnation définitive et exécutoire, mais n'efface pas cette dernière, qui continue à figurer au casier judiciaire avec la mention de la mesure gracieuse octroyée.
La grâce doit être demandée : par le condamné lui-même, un de ses proches, son avocat, une association ou le procureur de la République. Les recours sont instruits par le Bureau des grâces du ministère de la justice. En cas d'avis favorable, un projet de décret de grâce est envoyé à la présidence de la République, qui peut ne pas y donner suite. Le décret de grâce , qui doit être contresigné par le Premier ministre et par le ministre de la justice, n'est pas publié au Journal officiel et n'est soumis à aucun contrôle juridictionnel.
À l'origine individuelle, la grâce s'est transformée au début des années 80, et plus encore dans les années 90 , en mesure collective . En effet, depuis 1991, le président de la République octroyait systématiquement chaque année à l'occasion du 14 juillet des remises de peine collectives, par le biais d'un décret de grâce, qui excluait certaines infractions comme le terrorisme, les crimes contre les mineurs, les délits financiers ou les actes de racisme. Selon les années, la grâce collective concernait 3 000 à 4 000 détenus.
La dernière élection présidentielle, en 2007, n'a été suivie d'aucune amnistie ni d'aucune grâce. Cette circonstance motive l'analyse des dispositifs similaires existant dans les autre pays européens. Les pays suivants ont été retenus : l'Allemagne, l'Angleterre et le pays de Galles, la Belgique, le Danemark, l'Espagne, l'Italie, les Pays-Bas, le Portugal et la Suisse .
Pour chacun de ces neuf pays, on a examiné l'amnistie, la grâce et, le cas échéant, les autres mesures de clémence comparables, en présentant d'abord les règles applicables (effets de la mesure, champ d'application et titulaire du droit), puis la pratique des dernières années. Les cas particuliers que représentent les amnisties fiscales et les mesures de régularisation des étrangers en situation irrégulière n'ont pas été pris en compte.
Il apparaît que :
- l'amnistie est rarement mise en oeuvre dans les autres pays européens ;
- l'amnistie n'est jamais accordée à titre individuel ;
- le droit de grâce constitue presque partout une prérogative du chef de l'État, mais son exercice est parfois encadré par la loi ;
- la grâce octroyée par le chef de l'État est toujours une mesure individuelle.
1) L'exercice du droit d'amnistie par les Parlements étrangers est assez rare
Les Parlements allemand, italien, portugais et suisse, qui sont les seuls à exercer le droit d'amnistie, le font de façon parcimonieuse .
En Angleterre et au pays de Galles, en Belgique, au Danemark, en Espagne et aux Pays-Bas, l'amnistie n'existe pas . Bien que les constitutions danoise et néerlandaise reconnaissent ce dispositif, la première accordant le droit d'amnistie au souverain et la seconde au législateur, le droit d'amnistie n'a été mis en oeuvre dans aucun des deux pays.
En revanche, il arrive que les Parlements italien, portugais et suisse fassent usage du droit d'amnistie que leur accorde la constitution, tandis que le Parlement fédéral allemand a voté plusieurs lois d'amnistie sans que la Loi fédérale ne prévoie cette mesure de clémence. Dans ces quatre cas, les amnisties sont toutefois peu fréquentes.
Ainsi, la dernière loi d'amnistie adoptée par le Parlement fédéral allemand remonte à 1970. Encore s'agissait-il plutôt de faire bénéficier rétroactivement certaines personnes de récentes réformes du dispositif applicable aux infractions contre l'ordre public. En Italie, où la révision constitutionnelle de mars 1992 a transféré au Parlement l'exercice du droit d'amnistie - auparavant, c'est le président de la République qui accordait l'amnistie après y avoir été autorisé par le Parlement -, aucune amnistie n'a été octroyée depuis 1990. Le Parlement italien a cependant adopté en 2006 une loi sur la remise de peine, cette mesure de clémence laissant, à la différence de l'amnistie, subsister la condamnation. La précédente remise de peine collective avait été accordée en 1990, en vertu d'un décret présidentiel. Au Portugal, la dernière loi d'amnistie remonte à 1999. En Suisse, le Parlement fédéral n'a jusqu'à maintenant utilisé l'amnistie qu'en matière fiscale.
2) L'amnistie n'est jamais accordée à titre individuel
Dans tous les pays étudiés, l'amnistie est collective, son champ d'application étant défini soit par l'infraction soit par le quantum de la peine. Aucun pays ne reconnaît l'existence d'un dispositif similaire à « l'amnistie par mesure individuelle ».
3) Le droit de grâce constitue presque partout une prérogative personnelle du chef de l'État, mais son exercice est parfois encadré par la loi
Le droit de grâce constitue une prérogative du souverain ou du président de la République, sauf en Suisse, où il est exercé par les deux chambres du Parlement fédéral délibérant en assemblée commune ou par une autorité cantonale, le plus souvent le Parlement, selon que les affaires ont été jugées au niveau fédéral ou cantonal. Le code de procédure pénale allemand prévoit un partage des compétences similaire. En effet, le droit de grâce n'est exercé par le Président fédéral que dans les affaires jugées en première instance par une juridiction fédérale. Dans tous les autres cas, le droit de grâce appartient aux Länder .
L'exercice du droit de grâce est parfois encadré par la loi. C'est le cas en Espagne, aux Pays-Bas et au Portugal. En Espagne, la loi du 18 juin 1870 qui fixe les règles applicables au droit de grâce détermine uniquement la procédure. De même, la loi portugaise relative à l'exécution des peines définit la procédure applicable aux recours en grâce. En revanche, aux Pays-Bas, la loi de 1987 sur la grâce précise également les motifs susceptibles de justifier un recours en grâce.
4) La grâce octroyée par le chef de l'État est toujours une mesure individuelle
Dans tous les pays étudiés, les remises de peine collectives sont accordées par le Parlement, et non par le chef de l'État. Celui-ci ne concède en effet que des grâces strictement individuelles. La constitution espagnole interdit même au souverain d'accorder des grâces collectives . En Belgique et aux Pays-Bas, les grâces collectives , octroyées à l'occasion de certains événements nationaux comme l'anniversaire du souverain, sont tombées en désuétude . Ainsi, en Belgique, le dernier arrêté de grâce collective a été signé en 1993. De même, aux Pays-Bas, les inondations qui ravagèrent le pays en 1953 furent l'occasion d'une grâce collective. En 2005 toutefois, lors du 25 ème jubilé de son règne, la reine Beatrix refusa d'accéder à la demande de grâce collective qui lui avait été soumise.
En revanche, sous l'appellation « lois de remise de peine » ou « lois de pardon », les Parlements italien et portugais peuvent accorder des remises de peine similaires aux grâces collectives françaises. En Italie, cette mesure n'est décidée par le Parlement que depuis la révision constitutionnelle de 1992. Auparavant, il s'agissait, comme l'amnistie, d'une prérogative du président de la République. La dernière remise de peine collective a été octroyée en 1996, la précédente l'avait été en 1990. Au Portugal, l'Assemblée de la République, en même temps qu'elle a amnistié certains délinquants en 1999, a accordé des réductions de peines aux personnes qui ne pouvaient pas bénéficier de l'amnistie.
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La tradition française avec laquelle le président de la République élu en 2007 a voulu rompre apparaissait comme une singularité en Europe à deux titres. Elle se caractérisait en effet à la fois par la fréquence des amnisties et par l'existence de grâces collectives octroyées par le président de la République.