Le Pr Jean-Robert Pitte (à droite) et M. Dominique de Legge (à gauche)
Le mardi 25 janvier 2022, le groupe d’amitié France-Saint-Siège, présidé par M. Dominique de LEGGE (Les Républicains ‑ Ille-et-Vilaine), a reçu le Pr Jean-Robert Pitte, Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques, pour évoquer son dernier ouvrage La Planète catholique, une géographie culturelle[1].
Étaient également présents M. Bruno BELIN (LR-Ratt. ‑ Vienne), Mme Christine BONFANTI-DOSSAT (LR – Lot-et-Garonne), MM. Emmanuel CAPUS (Les Indépendants – République et territoire – Maine-et-Loire) et Pierre CUYPERS (LR – Seine-et-Marne), Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM (LR – Français établis hors de France), M. Jean-Michel HOULLEGATTE (Socialiste Écologiste et Républicain – Manche), et Mmes Marie MERCIER (LR – Saône-et-Loire) et Patricia SCHILLINGER (Rassemblement des Démocrates Progressistes et Indépendants – Haut-Rhin).
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M. Dominique de LEGGE, président, a rappelé le parcours universitaire du Pr Jean-Robert PITTE et son intérêt pour les paysages, le vin et la gastronomie. Il a relevé la richesse de son travail et l’exceptionnelle compilation d’informations permettant de dessiner une géographie culturelle du catholicisme en traitant à la fois de questions triviales comme des plus sérieuses controverses théologiques. M. Dominique de LEGGE l’a interrogé sur les raisons qui l’avaient poussé à écrire ce livre, mais aussi sur la manière dont les racines chrétiennes, que l’ouvrage décrit, nourrissent les sociétés contemporaines.
Le Pr Jean-Robert PITTE a d’abord tenu à rappeler qu’il voulait distinguer la parole scientifique de la parole religieuse, l’appartenance au catholicisme n’empêchant pas une expression savante, argumentée et critique. Cette distinction et ce dialogue sont d’ailleurs inhérents à l’Église et se manifestaient traditionnellement dans les discours des souverains pontifes, contribuant à leur autorité.
Il a expliqué que son choix pour une approche culturelle de la géographie résulte de son travail de recherche en Afrique puis en Europe sur le châtaignier, alors que la discipline été agité par des débats, à partir des années 1960, pour tendre vers plus de rigueur scientifique, qui l’on conduite soit vers le marxiste et la quantification de chaque élément, soit vers la modélisation du réel. Or, ses recherches l’ont amené à montrer que les paysages ne sont pas une donnée de l’environnement mais résultent de la liberté humaine et des civilisations. Dans sa carrière d’enseignant, il a ainsi abordé, au travers de ses cours de géographie, les questions économiques, environnementales, sociologiques et politiques. À la suite de son directeur de thèse Xavier de PLANHOL, spécialiste du monde islamique, il a tenté de répondre à deux questions : « pourquoi ici et pas ailleurs ? » et « comment cela a transformé l’environnement ? ».
Or, alors que l’islam, le judaïsme ou le protestantisme avaient été abordés sous l’angle géographique, personne n’avait encore entrepris une géographie du catholicisme. Pourquoi le catholicisme est-il né dans cette partie du monde et qu’est-ce que cela a changé ? Pourquoi les pays du Nord de l’Europe ont-ils quasiment tous basculé dans le protestantisme tandis que les pays du Sud sont restés très majoritairement attachés aux dogmes catholiques ? Cette dichotomie s’explique en partie par le limes romain. Les pays qui ne basculèrent pas dans la Réforme sont ceux qui furent conquis par l’empire romain et dont le catholicisme a imprégné les fondements de leurs cultures. Au contraire, les pays du Nord, convertis plus tardivement, n’avaient pas été romanisés dans l’Antiquité.
De droite à gauche : M. Bruno Belin, Mmes Christine Bonfanti-Dossat et Marie Mercier, M. Pierre Cuypers, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam et Patricia Schillinger
et le Pr Jean-Robert Pitte
Cette différence entre protestantisme et catholicisme se traduit dans l’organisation des sociétés et le rapport à la nature. Ainsi, la question du sacré et des sacrements peut être une clé de lecture pour comprendre les différences d’approche de la question écologique. Dans les pays protestants, ne pouvant rencontrer Dieu au travers des sacrements, notamment l’Eucharistie, les croyants trouvent une forme de transcendance dans la pureté de la nature. La nature vierge permet de rencontrer Dieu dans sa création. Cette conception, en réalité héritière des croyances anciennes, explique ce rapport si différent à l’environnement entre les pays nordiques et les pays latins. C’est frappant lorsqu’on compare les écrits de Rousseau, protestant, et de Chateaubriand, catholique, sur la haute montagne. Le premier vante sa beauté, le second est frappé par son hostilité. Le développement des parcs nationaux s’est d’abord opéré dans les pays anglo-saxons protestants, qui ont pris soin de préserver des espaces vierges de toute intrusion humaine. La création de ces parcs nationaux n’est arrivée que plus tardivement dans les pays catholiques, qui lui ont préféré la création de parcs naturels régionaux. Ces parcs sont plus empreints de la mentalité catholique puisqu’ils recherchent une harmonie entre l’homme et la nature. Ils régulent plus qu’ils n’interdisent. La doctrine catholique traditionnelle, fondée sur la Genèse, fait, en effet, de l’homme le maître et possesseur de la nature, son gestionnaire. On retrouve également cette différence d’approche dans le développement des pistes cyclables, bien plus présentes dans les pays nordiques, majoritairement protestants.
De la même manière, l’argent, la sexualité et le travail sont abordés de manière différente selon les conceptions religieuses. L’argent est un bon exemple pour comprendre les différences de comportement. Alors que l’Église catholique reste prisonnière de cette phrase des Évangiles : « Je vous le dis encore, il est plus facile à un chameau de passer par le chas d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu » (Mt 19, 24), les juifs et les protestants estiment que l’argent n’est pas mal en soi. Seul compte l’usage qui en est fait. Cela explique que les pays catholiques aient pu se laisser devancer dans la dynamique capitaliste, pourtant née dans les villes du nord de l’Italie et des Flandres dès les XIIIe et XIVe siècles, contrairement à ce qu’a pu dire Max Weber.
Concernant les questions de mœurs et de société, le Pr Jean-Robert Pitte a relevé qu’il pouvait être logique, dans des pays catholiques comme Malte ou l’Argentine, d’autoriser les unions homosexuelles tout en continuant à réprimer l’avortement, les premières s’apparentant à un péché de moindre gravité que le second.
Le Pr Jean-Robert PITTE a conclu sa présentation en prenant l’exemple du rapport à la nourriture et au vin. Si les festins sont vus avec suspicion dans la culture luthérienne et calviniste, les catholiques rapprochent ces moments d’effusion de joie de l’épisode des Noces de Cana. Toutefois, a-t-il noté, c’est grâce à la finesse des goûts protestants que la très grande majorité des vins français ont pu procéder aux améliorations de vinification qui font aujourd’hui leur célébrité.
Interrogé par M. Pierre CUYPERS sur le rôle des religions dans les conflits, le Pr Jean-Robert PITTE a estimé que l’ignorance en restait le moteur principal. Elle est également source de sous-développement, les cartes de la pauvreté et de l’analphabétisme se superposant largement. Ainsi, la question de l’éducation devrait être prioritairement traitée.
Mme Patricia Schillinger et le Pr Jean-Robert Pitte
Mme Patricia SCHILLINGER a fait part de son regret de voir une Église catholique moins inclusive et diverse et plus traditionnelle par rapport aux décennies écoulées. Le Pr Jean-Robert PITTE a souligné qu’un grand chamboulement avait suivi la période conciliaire. Face à un rite jugé sclérosé, l’Église a voulu revenir à l’esprit évangélique rejetant tout ce qui est viendrait entraver cette démarche de retour aux sources mais suscitant de nombreuses incompréhension. Toutes les voies suivies ne se sont pas révélées fructueuses et sous l’impulsion des papes une nouvelle génération de prêtres a cherché une application du Concile plus apaisée et s’inscrivant dans la continuité.
Enfin, M. Dominique de LEGGE, président, s’est demandé si ces différences issues de l’histoire pourraient perdurer dans le cadre de la mondialisation et d’une diversité accentuée des communautés humaines. Le Pr Jean-Robert PITTE n’a pas partagé la crainte d’une possible uniformisation, estimant que le propre de l’être humain ou des sociétés est d’exalter leur singularité. S’il est vrai que les civilisations sont mortelles, une part se transmet et survit, renaissant sous une autre forme. Pour les nations, le choix de vivre ensemble est toujours à renouveler malgré la diversité qui fait, elle, le miel de la géographie.
[1] Paris, Taillandier, 2020, 480 p.
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- M. Matthieu MEISSONNIER
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