Le 3 mars 2021, le groupe d’amitié France–États-Unis s’est entretenu avec M. Gérard Araud, ambassadeur de France aux États-Unis de 2014 à 2019. Outre M. Antoine Lefèvre (Les Républicains – Aisne), président du groupe, assistaient à l’entretien Mmes Laure Darcos (Les Républicains – Essonne) et Jacky Deromedi (Les Républicains – Français établis hors de France) ainsi que MM. André Gattolin (RDPI – Hauts-de-Seine) et Damien Regnard (Les Républicains – Français établis hors de France).
Après avoir constaté que Joe Biden était entré en fonctions dans les pires conditions depuis l’élection du président Franklin Roosevelt en 1932, M. Araud a expliqué que le nouveau président était confronté à une triple crise, à la fois sanitaire, économique et politique.
Sur le plan politique, il a estimé que tant le nouveau président que la vice-présidente pouvaient être considérés comme des personnalités « centristes » et que la nouvelle administration paraissait très expérimentée, plusieurs membres du cabinet, notamment la secrétaire au Trésor et le secrétaire d’État, ayant déjà travaillé lors de la présidence de Barack Obama, au point que des observateurs ont pu qualifier la nouvelle administration de « Obama III » plutôt que de « Biden I ». De l’autre côté de l’échiquier politique, si l’avenir politique de Donald Trump parait compromis par ses déboires judiciaires à venir, la ligne populiste qu’il incarne perdure et les républicains « classiques » lui ont de nouveau fait allégeance.
Sur le plan sanitaire, le bilan de la crise de la Covid-19 dépasse désormais les 500 000 morts aux États-Unis. Si les mesures de restriction d’activités relèvent des États, la politique de vaccination est menée au niveau fédéral. Considérablement amplifiée depuis la prise de fonctions du nouveau président, elle devrait permettre de vacciner tous les Américains avant l’été, de sorte de parvenir à l’immunité de groupe d’ici au 11 septembre prochain.
La situation économique était très bonne avant le déclenchement de la crise sanitaire, qui n’a pas altéré les fondamentaux, notamment la disponibilité du capital. Très bas avant la pandémie, le taux de chômage a considérablement augmenté, avant de redescendre rapidement, pour s’établir désormais aux environs de 9 %, soit moitié moins du taux atteint au plus fort de la crise sanitaire. Il est vrai qu’entretemps le président Trump a engagé un plan de relance keynésienne massif, représentant jusqu’à 9 % du produit intérieur brut (PIB), soit un niveau sans équivalent en Europe. Le plan mis en œuvre par le nouveau président devrait apporter un soutien du même ordre. En outre, pendant la crise sanitaire, le taux d’épargne est passé de 4 ou 5 % à 20 % du PIB, ce qui représente un potentiel de demande important. Pour autant, un retour de l’inflation paraît peu probable d’ici à la fin de l’année, moment où l’économie aura retrouvé son niveau d’avant la crise, les taux d’intérêt ne devant pas connaître de remontée avant l’été 2022.
En matière de politique étrangère, la nouvelle administration accorde une très nette priorité aux relations avec la Chine, d’autant qu’elle peut s’appuyer sur un consensus politique en faveur de cette confrontation stratégique. Celle-ci est à la fois militaire (dans la zone indopacifique) et économique ; elle apparait d’autant plus difficile à gérer que les deux économies sont interconnectées et qu’hormis quelques activités stratégiques susceptibles d’être rapatriées aux États-Unis, cette interaction n’est pas vraiment susceptible de diminuer sensiblement.
La priorité donnée à la Chine illustre la hiérarchisation stricte de leurs intérêts établie par les États-Unis, qui ne veulent plus être les gendarmes du monde, ni s’impliquer dans des conflits à leurs yeux périphériques (Ukraine, Syrie…). De même, ils ne considèrent pas la Russie comme une question majeure, d’autant que son ingérence dans les élections s’est révélée contreproductive.
L’élection de Joe Biden marque néanmoins un certain retour au multilatéralisme, ce qui laisse présager d’un renouveau du dialogue avec les partenaires et alliés des États-Unis, sans ouvrir pour autant des perspectives de nouveaux accords de libre-échange. La Commission européenne en a d’ailleurs pris conscience, compte tenu notamment du renforcement du Buy American Act. Si des avancées peuvent être envisagées en matière de taxation des multinationales, il est important de garder à l’esprit que les entreprises du secteur des technologies sont très proches du parti démocrate. En outre, la libéralisation de la politique des visas ne marquera pas un retour à la situation qui prévalait avant la présidence Trump, qui avait fait de l’immigration un sujet central.
En revanche, la lutte contre le changement climatique aura une place prépondérante dans la nouvelle politique étrangère américaine qui, selon Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale, « doit être une politique étrangère pour la classe moyenne ». C’est dans cette optique que la nouvelle administration compte aborder tous les sujets transversaux susceptibles d’intéresser l’opinion, telles les crypto monnaies, la taxation des entreprises technologiques ou la lutte contre la corruption.
Quoi qu’il en soit, en raison des délais nécessaires à la confirmation des responsables de la nouvelle administration, la nomination des ambassadeurs ne devrait pas intervenir avant l’automne. Au demeurant le « renouveau des relations transatlantiques » ne doit pas nous faire oublier que si les États-Unis et les pays européens ont des intérêts communs, les pays européens ont également des intérêts propres vis-à-vis de la Chine. Éviter de se laisser entraîner dans une « croisade américaine » suppose qu’ils soient capables de définir une politique chinoise européenne. Cet exemple illustre la nécessité de dégager une pensée européenne autonome, de sorte de penser de manière indépendante les sujets transversaux devenus plus importants que les dossiers stratégiques traditionnels.
Même si l’entrée en fonction d’une nouvelle administration ne marquera pas d’inflexion sensible, certains d’entre eux pourraient toutefois revenir sur le devant de la scène, notamment les questions relatives au Moyen-Orient et à l’Iran, ainsi que les relations avec la Turquie, ne serait-ce qu’au sein de l’OTAN.
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- M. Olivier JACQUES
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